Chapitre 8 - Strax (Partie 2)
« Qu'est-ce que vous foutiez là-dedans ? » s'insurgea le lieutenant.
Elle tenait un seau à la main. Strax, allongé sur le plancher de la salle des machines, émergeait d'un long cauchemar dans lequel on le précipitait hors du Présage, dans lequel il chutait sans jamais s'arrêter, sans jamais se retenir aux nuages impalpables.
Dans son dos, le contact avec le plancher dissipa ses rêveries vaporeuses.
« 'tain ! » jura-t-il en se frottant la tête.
Une eau tiède imbibait ses vêtements. Les tissus collaient à sa peau et suintaient la sueur et la crasse. Du plat de la main, il chassa les gouttes noirâtres qui voilaient sa vue. Un écho insupportable persistait dans sa boîte crânienne. Les pistons s'y trémoussaient dans une danse langoureuse et décousue. Debout devant lui, ses deux supérieurs attendaient. Il frémit lorsqu'il sentit le regard perçant de Lhortie se poser sur lui, le jauger, l'accuser des évènements passés.
« Qu'est-ce que vous foutez là ? » insista-t-elle.
Strax bégaya un charabia inaudible. Le lieutenant, furieuse, l'attrapa par le col. Son estomac le brûlait ; sa chique y nageait la brasse coulée et voilà qu'on lui hurlait dessus. D'un geste vif, en réponse à la brutalité, il se dégagea de l'emprise et se releva, hébété. Foliot et Lhortie le suivirent du regard. Dans la réserve de coke, Winch, le second Saurien à bord, s'activait pour alimenter les foyers dont les braises criaient famine.
« Qu'est-ce que vous avez fait de Chester ? lança le lieutenant.
— Chester ? » pensa Strax.
Quelques souvenirs jaillirent par flash : sa tentative inespérée de défense, le coup de pelle, la chute du lézard, la sienne. Sa gorge se noua.
« Je l'avais pas... Je l'avais pas vu ! bredouilla-t-il.
— Qui ? »
Lhortie le scrutait de deux billes noires et accusatrices.
« Le gonze qui a balancé Chester par-dessus bord ! Je l'avais pas vu. »
Winch, une pelle à la main, se figea d'horreur. Foliot écarquilla les yeux.
« Tu veux dire qu'il est... ? osa-t-il.
— Non... Il nous attend gentiment en bas ! » s'offusqua Strax.
Foliot déglutit. Winch blanchissait à vue d'œil.
« Et qui est ce fouineur ? » lança Lhortie d'une voix cinglante.
Ses joues s'empourprèrent.
« C'est que... je l'ai vu que quelques secondes ! s'expliqua Strax.
— Ne jouez pas à ça avec moi, vous connaissez tout le monde à bord !
— C'est pas un troupier... pour sûr ! »
Il hésitait ; la présence du lieutenant l'écrasait littéralement. Il sentait son propre cœur battre la chamade, ses souvenirs se reconstruirent par bribes et il n'y distinguait que les vagues contours d'une bure renonciatrice. Zut ! Il fallait qu'il se dépêche d'apporter une réponse à cette empêcheuse de dormir en rond, ce collet mal monté, cette morue à chignon. Strax craignait qu'elle lui prolonge ses années de service, en guise de punition, pour lui avoir tenu tête trop longtemps.
« C'est un Renonciateur ! lança-t-il avec conviction.
— Notre Renonciateur ? se risqua Foliot.
— Notre Renonciateur... »
Strax se sentit soulagé. Il avait craché le morceau. La colère de Lhortie trouverait une nouvelle cible. Il la vit se crisper, serrer les poings, proche de l'explosion, puis doucement se dégonfler et reprendre cet air strict et droit qui la caractérisait. Du bout des doigts, elle dégrafa le premier bouton de sa chemise.
« Il y a des limites à ma confiance, Strax, articula-t-elle, fébrile.
— Mais...
— Avant de se hâter à toute conclusion, nous allons rendre une petite visite à nos délégations. Winch, je compte sur vous pour me relancer les foyers.
— Oui, chef ! lança le lézard.
— Strax ! Vérifiez avec assiduité les cabines des nouveaux arrivants.
— Entendu !
— Quant à vous, Foliot... »
L'homme se balançait en attendant les ordres.
« Faites ce que vous savez faire de mieux ! souffla-t-elle.
— Compris, chef ! »
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