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Chapitre 18 - Walhdar (Partie 3)

L'auberge de la Baleine à Brosse brillait des chandeliers pendus aux plafonds et des bougies posées sur les tables en bois brut. Il y avait quinze ans de cela, Walhdar y avait libéré l'espace en la rénovant de ses propres mains. L'île brassait tant de voyageurs qu'il fallait s'adapter à leur diversité et les bâtiments restaient pensés par des Hommes pour des Hommes. Dans celui-ci, on avait repoussé les murs, élargi les embrasures et renforcé les planchers. Les Humains y croisaient des Véloces, quelques Sappirs, mais aussi des Sauriens, du plus massif Crocodilien au plus chétif Squamate. Pour un peu d'intimité, les clients s'installaient dans l'ombre, sur le banc des alcôves alentour. Ils appréciaient également les solides rondins du bar pour leur proximité avec la cheminée centrale dont la hotte bardée des côtes d'un monstre marin traversait les étages.

Dans un angle dégagé, on avait monté une scène encadrée d'épais rideaux. Des artistes au talent discutable s'y produisaient tous les soirs. On les savait capables de détourner suffisamment l'attention pour qu'une main agile atteigne une bourse. Les cris, les fausses notes et les danses un tantinet langoureuses profitaient toujours aux menus larcins. Mais cette nuit-là, les détrousseurs avaient reçu l'ordre d'éviter les esclandres ; les Cols Rouges descendaient se détendre. Kalio, un musicien Véloce reconnu pour ses tenues excentriques, jouait une mélodie monotone à la cithare. Assis en tailleur, il accompagnait la rengaine de sa voix fluette. Le public, peu réceptif, se contentait de bavasser, verre à la main et clope au bec, happé par la fumée des cendriers et les vapeurs d'alcool. Un brouhaha constant couvrait les discussions ; chacun devait se pencher vers son interlocuteur ou remuer exagérément les mains pour se faire comprendre.

Sous les charpentes, les mezzanines se remplissaient. Les serveurs endimanchés circulaient d'un étage à l'autre, les bras chargés de boissons, de fromages et de poissons grillés. L'un d'eux, dont la tête ne dépassait pas les rambardes d'un pouce, quitta la clameur pour un escalier privé menant au plus haut des balcons. Il portait en guise de couvre-chef un plateau garni à ras bords qui camouflait son visage. Seuls ses doigts velus dépassaient sur le pourtour et laissaient présager une pilosité développée. Lorsqu'il atteignit la dernière marche, un garde balafré en armure de cuir s'écarta sans broncher.

Derrière lui, attablés en tête à tête, Walhdar et le Capitaine Gaspard taillaient le bout de gras. Le dirigeant de Baladrek, détendu sur son tabouret, grattait son épaisse barbe grisonnante. Plus un cheveu ne poussait au sommet de son caillou tacheté ; porter le tricorne tout le jour n'arrangeait pas sa calvitie. Sur ses tempes subsistaient deux longues touffes blanches qu'il nouait d'un catogan. On pouvait lire son âge avancé dans chacune de ses rides joyeuses. Pourtant, le vieillard avait encore les épaules solides et une santé indéfectible. On racontait qu'il pouvait tout ingurgiter et il ne s'en privait pas depuis qu'il avait survécu à la morsure d'un Varan, un Saurien dont l'haleine fétide se chargeait de miasmes.

« Flibot, on t'attendait ! » s'enjoua Walhdar.

Ses yeux vifs et malicieux pétillèrent quand le serveur s'approcha.

« Voilà vos jols avec de la rouille pour faire trempette ! » annonça le semi-homme.

Il suait à grosses gouttes. Sur son plateau, un monticule de fretins frits et panés soutenait un bol de sauce onctueuse. Walhdar n'attendit pas que Flibot dépose son fardeau pour se saisir d'un poisson et pour l'enduire de condiment.

« Tu nous mets deux chopines de turska avec ça ? »

Les oreilles pointues du serveur retombèrent.

« Je prendrai une bolée pour ma part ! » intervint le Capitaine.

Le garçon opina du chef puis s'éclipsa.

« Une bolée ? Vous vous économisez pour demain ?

— Non, j'essaie d'épargner votre personnel ! »

Walhdar sourit de toutes ses dents, une dizaine tout au plus.

« On vous inculque l'humour à Egydön ?

— Je suis le plus sérieux du monde !

— Ne vous y méprenez pas, commença le dirigeant avant de croquer son poisson. Flibot a en force ce qu'il n'a pas en taille. Il essaie seulement de vous apitoyer ! »

Gaspard releva un sourcil finement épilé. Comme tous les troupiers de son détachement, il paradait dans l'uniforme diplomatique des Cols Rouges, une variante plus clinquante où les broderies d'or remplaçaient celles d'argent et où des épées de pacotilles se substituaient aux arquebuses. Le Capitaine ajoutait à tout ce chichi protocolaire l'éventail de ses exploits épinglés au poitrail, un tableau de médailles scintillantes impeccablement ordonnées. Walhdar n'en connaissait pas l'exacte signification ; il était pourtant persuadé que son invité n'en méritait pas la moitié. La taille d'une de ces récompenses dépendait certainement du nombre d'hommes sacrifiés, et sa couleur, des litres de sang versés. Pourtant, on ne pouvait pas cacher que l'ensemble – malgré son objectif – s'avérait plus seyant qu'un collier de dents.

« La boisson ne devrait pas tarder », s'impatienta le vieillard.

Il attrapa une seconde jol devant un Gaspard circonspect.

« Goûtez-moi ces fritures !

— Vous croyez que je vous ai suivi dans votre boui-boui par pure courtoisie ?

— Je dois dire que ça m'aurait plu qu'on sympathise enfin...

— Nos différends sont derrière nous, mais je reste méfiant !

— Ça vous passera ! Je ne m'en fais pas trop, vous savez. »

Depuis près de trente ans, le vieillard croisait le Capitaine ; ils n'avaient jamais pu se piffer. Avant de cohabiter malgré eux pour organiser l'entrée de Baladrek au Conseil de l'Enclave, ils avaient d'abord longtemps combattu l'un contre l'autre. À ses débuts, Walhdar avait navigué sous les ordres de l'ancien dirigeant de l'île, un pirate Saurien qui agissait sans la moindre retenue et dont les hommes ne supportaient plus les sanglants débordements. Il avait fallu redresser la barre, la mutinerie comme seule échappatoire. On avait décidé d'éjecter les meurtriers, les pillards et les contrebandiers. Repoussées avec le soutien désabusé des Cols Rouges, ces charognes avaient fui le rocher vers les criques environnantes et progressivement, au fil des années, vers des terres encore inexplorées. Ne restaient plus que les escrocs, quelques voleurs et surtout beaucoup d'esprits épris de liberté.

« Avant que l'alcool ne vous engourdisse... » lança Gaspard.

Il tira une feuille manuscrite de la poche intérieure de son veston.

« Nous allons préparer la journée de demain ! »

Il glissa le papier juste à côté des victuailles.

« Demain c'est demain ! » invoqua calmement Walhdar.

La panure croustillait sous sa mâchoire.

« Lisez au moins les premières lignes ! C'est votre discours...

— Détendez-vous, Gaspard !

— Je ne vous demande même pas de l'apprendre ; on vous installera un pupitre...

— Un pupitre... ? J'improviserai. J'ai encore toute ma tête !

— Si vous n'êtes pas d'attaque avant l'arrivée du Présage... »

Walhdar l'interrompit d'une main ; Flibot apportait les boissons.

« Une chopine et une bolée ! » annonça-t-il avant de repartir comme il était venu.

La mousse coulait le long des verres.

« Buvez ! Nous discuterons de ça une fois le ventre plein ! »

Avec défiance, le Capitaine avala une gorgée. Son visage se crispa.

« Vous devriez suivre l'exemple de vos troupiers ! » lança le dirigeant.

Il descendit la moitié de sa chope et s'essuya les lèvres du revers de la main.

« L'alcool rapproche les hommes !

— Je crois surtout qu'il les défait... Ce n'est pas avec de la turska et du poisson frit que l'Enclave a profondément enfoui ses racines dans les consciences.

— Rigueur et constance, c'est ça ?

— Exactement, ce sont les seules clefs de la réussite !

— Je vous rejoins sur la constance, s'amusa Walhdar en levant son verre.

— Vous vous moquez de moi, vieille carne ! »

Le dirigeant souriait ; il adorait voir Gaspard se braquer. Au fond, il savait que la rigueur des Cols Rouges avait contribué pour beaucoup à l'accession de Baladrek au Conseil. Régulièrement, pendant quinze ans, l'armée d'Egydön avait nettoyé les ruelles, purgé les récifs et recadré Walhdar qui flirtait toujours avec l'illégalité. Tout le monde savait qu'il hébergeait des voleurs, des escrocs et quelques brigands de grand chemin, mais tout le monde fermait les yeux. La bourgade n'avait plus rien à voir avec le port d'infâmes pirates qui jadis pillaient les navires marchands et coulaient les frégates. Elle en avait parcouru du chemin : les cités-États de l'Enclave Institutionnelle exigeaient des postulants une réputation impeccable et pérenne.

Depuis des siècles, le Conseil avait la main mise sur toutes les formes de vies sensibles qui gagnaient Daehra. Depuis des siècles, il contrôlait la Griffe Noire, l'Origine de Tout. Et pour se partager le gâteau, pour se servir à la source, il fallait se plier à ses lois. En acceptant l'Intronisation, on s'assurait l'accès à la ressource la plus précieuse qui soit, la vie elle-même, cette vie qui donnait naissance à des espoirs démesurés, à de terribles injustices. Les cités indépendantes qui ne se soumettaient pas suffoquaient. À défaut de sang neuf, elles devaient se contenter des restes : les fugitifs et les exclus qui n'avaient pas su s'adapter. Baladrek s'était construite sur ces mêmes bases branlantes, mais elle avait un atout de taille, une particularité géographique qui lui garantissait l'intérêt des autres nations ; l'île se dressait au cœur d'un étroit goulot maritime qui traversait une échine rocheuse impraticable séparant la mer des Lamentations de l'océan des Espérances. Marchands, voyageurs et aventuriers y transitaient le temps d'une nuit et s'évitaient ainsi des détours inutiles.

« Rigueur et constance, répéta Walhdar dans sa barbe.

— Pourquoi cet air si solennel ?

— Je réfléchis, mon cher Gaspard ! »

Le dirigeant finit sa chope, la frappa sur la table et se leva de son tabouret. Son pantalon retroussé sous ses genoux dévoilait une jambe de bois articulée. Accrochés à une épaisse ceinture, trois pistolets à silex d'honorable facture se balançaient à mesure que le vieillard clopinait jusqu'à la rambarde. Il se tourna vers le Capitaine dont les joues s'empourpraient sous l'effet de la turska.

« Vous qui me faites face ! commença-t-il, la main brandie vers le plafond.

— Je... je ne vous suis plus...

— Vous le voulez ce discours, oui ou non ?

— Je... euh... oui... je n'ai pas de quoi noter, alors...

— Ne vous fatiguez pas ! Je vous le recracherai le moment venu ! »

Le vieillard ferma les yeux et reprit, habité par son rôle d'orateur.

« Vous qui me faites face ! Vous qui avez atteint ce monde gouverné par le hasard. »

Gaspard toussota.

« Gouverné par les probabilités ! rectifia-t-il.

— Le hasard ! insista Walhdar en dévorant une jol comme pour appuyer son propos.

— Tenez-vous un peu au courant des dernières trouvailles en la matière.

— Comme si les papiers de vos érudits intéressaient les gars qui débarquent ! »

L'autre soupira ; il s'avouait vaincu. Le dirigeant reprit.

« Qui que vous soyez : un meurtrier, un sage ; un père, un fils. Voyagez le cœur léger ; vous n'avez plus d'attache. Nous sommes votre point de départ, votre seconde chance, votre remise à zéro. À vos côtés, nous combattrons l'Absence, cette infâme vacuité qui nous habite tous, ce trou béant, cette ombre. Nous deviendrons vos pairs, vos alliés et vos frères... Vous voulez vivre libres ? Soyez les bienvenus à Baladrek, mes amis ! »

Tout sourire, il capta le regard impassible de Gaspard.

« Discours terminé ! ajouta-t-il, fièrement.

— Nous sortons d'une semaine de préparatifs et c'est tout ce vous me proposez ?

— Que voulez-vous de plus ?

— J'ai un dossier complet d'idées dans mes quartiers et ce recto verso. Juste là ! »

Walhdar lui tournait désormais le dos.

« Vous... vous m'écoutez ? Ou bien êtes-vous encore perdu dans vos rêveries ? »

Le vieillard leva la main pour le faire taire. Pantois, Gaspard s'approcha des rambardes. La Baleine à Brosse ne chantait plus, elle murmurait mille mots derrière les mains de ses clients. La cithare s'était tue, son musicien avec elle. Au milieu de la foule qui se pressait, une tête brune s'avançait à contre-courant. Devant la cheminée, son visage apparut. Toute de crasse vêtue, Mara venait à leur rencontre. Les voix la précédaient. Elles se glissaient d'une oreille à l'autre, traversaient les balcons.

Qui avait bien pu l'inviter ? Que cherchait-elle ?

« Présage, devinait-on. Accident. Désolation. »

Déjà, la Véloce remontait l'escalier privé. Personne ne l'arrêterait.

« Bröm ! assena Walhdar en direction du garde. Laisse-la passer ! »

Mara marchait d'un pas décidé. Devant les grosses larmes qui s'accumulaient à la commissure de ses paupières, le dirigeant ouvrit chaleureusement les bras. Elle s'y engouffra et déposa sa tête sur son torse osseux. Il glissa ses doigts dans ses cheveux crépus. Le Capitaine se tenait froidement en retrait. Qu'attendait-il pour lui témoigner un peu de compassion ? Avait-il seulement compris ? Mara étouffa ses sanglots. Walhdar ne lâcha pas sa main une seconde. À demi-mot, elle s'expliqua. Tous s'assirent en silence. On commanda trois chopes de turska pour supporter la terrible nouvelle. Gaspard ne s'économisa pas cette fois ; il lui faudrait tout son courage pour référer l'incident à ses supérieurs. Quant à la jeune fille, une gorgée lui suffit pour qu'elle retrouve ses couleurs.

« Il reste une chance... » finit-elle par annoncer.

Walhdar lui effaça les dernières perles qui roulaient sur ses joues sales.

« Une chance de les retrouver intacts ? demanda-t-il.

— Ou d'en récupérer quelques morceaux ? ironisa le Col Rouge.

— Hewan a joué du compas. Il a pointé la Baie des Titans ! »

Le vieillard restait songeur. Gaspard s'exaspéra de tout ce positivisme.

« Nous pouvons donc décréter officiellement leur disparition...

— Vous ne me croyez pas ?

— Atterrir sur un pic rocheux au milieu de l'océan ? Laissez-moi rire !

— Mais...

— Comprenez bien, je ne remets pas en cause vos calculs, ma petite ! Seulement, je connais l'équipage du Présage. Tous des pleutres et des soûlards ! Ils ne sont bons qu'à encadrer les transferts pour l'Intronisation. »

Il montra ses médailles.

« Voilà un soldat, un vrai ! Un combattant qui a donné sa vie pour protéger ses frères ! Ces troupiers sont des rigolos de première classe ! Vous avez reçu deux piafs blancs ? Très bien ! Même en cas d'avarie, les troupiers devraient pouvoir rédiger une alerte, non ? Il y a des oiseaux réservés à ça. Ceux qui vous sont parvenus sont le résultat d'un évènement violent. Le courant vous apportera leurs débris. Ils viendront rejoindre les carcasses qui bordent Baladrek ! »

Il se leva grognon de son tabouret. Walhdar lui attrapa le bras.

« Vous n'auriez pas l'âme renonciatrice pour persécuter comme ça cette gamine ?

— Lâchez-moi ! » éructa le Col Rouge.

La perte d'une Arche, si petite soit-elle, les affectait jusque dans leurs convictions les plus profondes. Du côté des Apostasis, modérés comme extrémistes, on avait décidé de se détourner du passé, de se préoccuper de l'instant présent qu'on considérait comme une terrible fatalité ; une Arche pouvait bien tomber, on en construirait une autre, on attendrait l'année suivante, puis on la remplirait de toutes ces pauvres créatures égarées qu'on fauchait comme les blés. Face à la Renonciation, une autre bannière s'était levée, une autre conception du monde, celle de l'Espérance. Lueur dans le marasme, elle regroupait des races très différentes galvanisées autour d'une philosophie commune. Ses hauts représentants invitaient leurs adeptes à croire que tout restait possible. Ils leur insufflaient l'idée qu'il suffisait d'attendre, l'espoir au ventre, qu'un jour peut-être, par le plus grand des hasards ou le plus fabuleux des miracles, quelqu'un retrouve un proche à l'autre bout du monde, qu'un père, une mère, un frère, une sœur, un oncle, une tante, un ami ne les rejoigne et brise la prison sentimentale dans laquelle chacun s'enfermait. Le moment arriverait, ils en avaient l'intuition. Comme tous ceux-là, Mara y croyait dur comme fer. Walhdar, beaucoup moins du haut de ces quatre-vingts ans. Pourtant, il savait respecter les aspirations de la jeune Véloce. Souvent, il lui demandait pourquoi elle continuait à espérer. C'était une décision profonde qui la dépassait, un moteur, un besoin irraisonné de garder l'emprise sur ce qu'elle avait connu avant son arrivée. Était-ce aussi néfaste que semblaient le penser les Renonciateurs ? L'Espérance préférait ne pas l'envisager.

« Je crois qu'il est temps que vous regagniez votre frégate ! »

Le dirigeant relâcha le Capitaine.

« Je n'ai aucun ordre à recevoir de vous... » répondit l'autre.

Pui il s'éloigna malgré tout, tandis que Walhdar s'approchait de l'oreille de Mara.

« S'il y a une seule petite chance de les trouver vivant, nous prendrons la mer ! »

Elle plongea ses grands yeux noirs dans les siens.

« Et tout Baladrek partira à la pêche aux espoirs ! »

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