Chapitre 17 - Xenon (Partie 1)
« Quelle idée ! se fustigeait Xenon. Quelle idée d'avoir quitté le salon !
— Plus vite ! » lui intima l'homme dissimulé dans son dos.
Celui-ci lui maintenait fermement le bras.
À leurs pieds, des liquides s'accumulaient, résidus de minces filets qui coulaient du plafond sur les tapis ; les canalisations des commodités avaient cédé. Xenon en avait plein les chaussures, mais il essayait de ne pas s'en soucier. Il devait d'abord gérer le poids du monstrueux regard croisé un peu plus tôt en se faufilant derrière le rideau, celui de cet homme, froid, hautain, presque amusé, celui du protégé d'Apostasis la Morte. Pourquoi n'avait-elle pas profité des secousses pour s'échapper et prévenir le Lieutenant Lhortie ? Quel idiot faisait-il ! Il s'en voulait terriblement.
« Le flegme des Chitines m'a toujours fasciné », commença l'agresseur.
Dehors, les combats avaient cessé.
« Ce flegme qui cache votre imbécile docilité. Plus loyal qu'un chien ! »
Sa poigne se resserra. Xenon le sentait se retenir.
« Vous ployez sous notre force. On peut vous arracher les pattes, une par une. On peut vous arracher les ailes, les mandibules. Vous restez impassibles. Qu'importe votre taille, reprit le protégé. Vous restez des insectes ! »
L'homme marqua une pause.
« Savoureux lorsqu'on s'en délecte. Silencieux lorsqu'on les écartèle. »
Xenon ne bougeait plus ; il exprimait sa peur la plus profonde. L'être abject qui le retenait avait le discours d'un Manticore. Il transpirait l'aura typique de ces manipulateurs d'organes qui s'élevaient comme des dieux eugénistes. Que pouvait-il comprendre des sentiments chitines ? Que pouvait-il connaître de leur capacité à communiquer, s'il la niait ainsi en la réduisant à une simple représentation gestuelle, aveuglé par son modèle étriqué ? Bien sûr que les Chitines ressentaient la peur et la douleur ! Comme toutes les autres races et créatures sensibles, ils souffraient.
Le compendium était formel à ce sujet : la peur rejoignait un groupement d'émotions universelles communes à tous. Les phéroscribes la définissaient comme une réaction instinctive de survie. Au chapitre traitant des peaux molles, on la réduisait à des détails physiologiques de l'ordre du tremblement et de l'écartement pupillaire. On y olfactait la sueur, l'ammoniac et toutes ces odeurs qui s'échappaient parfois lorsque les muscles perdaient leurs fonctions rétentrices. Chez les Chitines, les indices s'avéraient bien plus subtils puisque tout se jouait à grand renfort de phéromones. Les Manticores ne s'en apercevaient pas. Au cours de leur évolution, ces derniers s'étaient progressivement détachés de leurs liens avec le cœur du monde. En prônant apathie et individualisme, ils avaient entraîné cruauté et solitude. Ils aseptisaient les relations là où Xenon cherchait seulement à les éclaircir. C'était son rôle intrinsèque, celui d'ambassadeur chitine, un rôle qui vibrait jusque sous sa cuticule. Ainsi, il comprenait intimement autrui, s'émerveillait des voix, des mots et des visages qui lui renvoyaient souvent surprise et incompréhension, un duo d'expressions qu'il connaissait sur le bout des tarses. Durant ces échanges ressurgissaient toujours les mêmes questionnements, les mêmes observations, les mêmes numéros d'équilibriste. Il y restait à l'affût des signes de la moindre émotion.
« Voilà ce qu'est l'empathie ! » songea Xenon.
D'un coup d'épaule, l'autre le força à s'approcher du sas qui menait au cockpit. Le Chitine bascula en avant, entraîné par l'inclinaison du plancher, et s'écrasa contre le volant qui en débloquait l'accès. Derrière les pans métalliques, le carillon entêtant d'une alarme sonnait ses notes cuivrées.
« Tu vas m'aider à sortir de cet engin que vous appelez Arche. »
Le sang pulsait dans ses veines.
« Puis j'en finirai avec toi... » lui susurra l'individu.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro