Fragment 1
18 novembre 2019
Jambes flageolantes, j'erre dans Paris. Les allées familières se succèdent, distordues par mon regard injecté de sang, et une odeur de cigarette me donne la nausée. Sous mes pieds, le bitume remplace les pavés. Je suis arrivé. Mon cerveau brumeux m'a amené à la supérette où j'ai travaillé durant deux années.
Et de laquelle j'ai été renvoyé la semaine dernière.
Cela devait finir par arriver. Un employé ne venant qu'un jour sur deux et toujours en retard ne peut être surpris par un licenciement. Ce qui m'étonne le plus, c'est l'air coupable de mon patron quand il me l'a annoncé. Je lui ai assuré que ce n'était pas grave et que, désormais, j'aurais l'occasion de me vouer à la photographie. Pourtant, sa moue peinée n'a pas quitté son visage.
Me réveillant au chômage et désœuvré, j'ai pris mon appareil et suis sorti en quête d'une sensation digne d'être capturée. Mais rien. Tout est gris et figé. Comme mort. Aucune émotion ne se trouve au détour de ces rues maussades et sans histoire. Même les passants en sont dépourvus, tels des personnages de cire sortis de leurs décors initiaux.
Fadeur et faux-semblant. Voilà ce dont regorge la capitale. Et moi, je ne vaux pas mieux. Je suis un trompe-l'œil. Une façade délabrée. M'immortaliser est inutile car je ne dégage rien. Je n'ai pas d'aura. Eux, non plus.
Nos cœurs sont éteints comme des ampoules grillées.
Le monde, lui, continue à tourner, indifférent au drame. Nous ne sommes plus que des automates programmés pour produire et consommer, ignorant ce qu'est être heureux. Je me demande sans cesse où sont les rescapés, les âmes passionnées, ceux qui vivent pour de vrai...
Mes pas incertains continuent jusqu'au parc où je prenais habituellement ma pause et je me laisse tomber sur mon banc habituel. Un grésillement me parasite les pensées et recouvre les bruits extérieurs. Ma tête est lourde, chargée de lassitude.
Je pourrais hurler, personne ne m'accorderait un regard. Je pourrais mourir, ici et maintenant, personne ne le saurait. Ces imbéciles ne comprennent rien ! Ni le réveil strident me déchirant les tympans, ni les flashs obscurs s'agitant sous mon regard.
Une odeur du passé remplace celle du tabac. Un parfum fruité, flottant de manière presqu'imperceptible dans l'air. Mes sens s'agitent, cherchant d'autres indices. Mes yeux sondent la foule à la recherche d'une crinière rousse, mais se pose sur une cascade brune qui se fraye un chemin parmi les tâches noires.
Mon estomac voltige dans ma cage thoracique. La silhouette baignée de lumière s'arrête face à moi. C'est elle. Ça ne peut qu'être elle.
Neyla est là.
Je suis sauvé ! Elle va me tirer des abysses, me ramener vers la lumière, réanimer mon être consumé. Je tends la main pour toucher sa peau incandescente, mais mes doigts caressent le vide. Elle est trop rapide pour mes membres engourdis et je me contente de sa senteur délicate.
J'essaye de prononcer son prénom mais mes lèvres restent closes. Epuisé, je lutte pour rester éveillé. Neyla doit me dire quelque chose. Elle doit me sortir de là. J'ai besoin d'elle. J'ai toujours eu besoin d'elle.
─ Si tu portes des lunettes de soleil, c'est car la réalité brute t'agresse. Si tu fixes l'horizon, c'est car tu as constamment envie de fuir. Si tu souris tristement, c'est que, pour toi, la beauté est teintée de mélancolie... Non, Christopher, ton cœur n'est pas mort. Il est en mode Off et il est temps de le rallumer !
Enfin.
Je peux lâcher prise.
Fermer les yeux.
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