Gayelle avait été incapable de dire à Cyril à quel poisson appartenait l'écaille qu'il avait trouvée. Et ça, ça lui déplaisait fortement. Jamais elle n'avait vu une telle écaille. Un blanc aussi éclatant dans l'océan, ce n'était pas vraiment recommandé. A moins de vouloir se faire repérer ! En tout cas, Gayelle s'était bien gardé de dire qu'elle ne connaissait pas l'origine de cette écaille qui visiblement ne brillait que pour Cyril ! En effet, elle s'était à peine éloignée de lui que l'écaille luisait de nouveau, comme une « étoile ». Et Gayelle en était un peu contrariée, même si depuis, l'écaille avait cessé de briller. Alors elle s'était contentée de dire à Cyril qu'il n'avait qu'à voir avec son père, en sachant très bien que dernier impressionnait Cyril au plus haut point. Mais elle s'était montrée aussi curieuse que lui et comme il ne parvenait vraiment pas à demander au seigneur des mers, Gayelle montra l'écaille à ses parents, en précisant bien que c'était Cyril qui l'avait trouvée et qu'il n'osait pas demander d'où elle venait.

- On dirait presque...

Mais Océaline n'alla pas plus loin. Elès aussi détailla l'écaille avec une grande attention. À lui-aussi, il lui semblait la reconnaître mais...

- J'ai entendu dire que les humains croyaient que les écailles de sirènes portaient chance à celui qui en possédait une. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit là d'une écaille de sirène rare, à en juger par sa couleur.

La voix d'Elès s'était faite profonde rendant ses mots encore plus pénétrants. Tout comme son regard lorsqu'il releva la tête pour poser les yeux sur Cyril. De cette façon, il semblait attendre la confirmation de celui-ci. Mais comme ce dernier n'en savait rien, il ne pouvait ni confirmer, ni contredire. Et Cyril se contenta de prendre les paroles du seigneur des mers pour une nouvelle information, en se disant que les sirins étaient comme les hommes : superstitieux.

- Ma fille t'en fera un pendentif, dit-il en tendant l'écaille à Gayelle. Puisque tu es un humain, elle te portera chance !

- Mais elle pourrait tout aussi bien appartenir au fantôme des profondeurs, reprit Océaline en s'adressant uniquement à son époux qui hochait la tête.

Cyril sentit son sang se glacer dans ses veines en entendant le mot « fantôme ». Elle avait bien dit « fantôme », la mère de Gayelle. Et ça ne semblait gêner personne qu'il puisse y avoir un fantôme dans l'océan ! Dans l'océan ? Et Cyril qui pensait que les fantômes ne hantaient que les cimetières et les vieilles baraques. Jamais il ne se serait imaginé en trouver un ici. Mais en y repensant un peu plus, il était vrai que ce qu'il avait vu aurait très bien pu être un fantôme. Après tout, il n'avait vu qu'une silhouette blanche. Mais alors, et l'écaille ? Elle était bien réelle, cette écaille ! Tout compte fait, il préférait l'explication d'Elès plutôt que celle d'Océaline. En plus, Gayelle s'était approchée de lui pour en remettre une couche. Ce fameux fantôme apparaissait certaines nuits où la "Lune" était ronde, il brillait comme elle. Pourtant personne n'était parvenu à le voir vraiment, il était trop furtif. Un vrai fantôme ! Était-ce une sirène ou un sirin ? Ou alors une toute autre créature. Impossible à dire.

Cyril avala difficilement sa salive en essayant de se persuader que Gayelle, comme ses parents, le menait en bateau.

Gayelle n'avait pas mis longtemps pour monter l'écaille en pendentif. Mais Cyril ne pouvait s'empêcher de penser que cette écaille était peut-être celle d'un fantôme. C'était absurde, il le savait. Par définition, un fantôme était immatériel, il ne pouvait donc rien laisser derrière lui que l'on puisse prendre. Mais quand même. Il ne pouvait s'empêcher de frissonner. À moins que ces frissonnements ne soient dus aux mains légères de la sirène sur son torse. En effet, Gayelle avait accroché l'écaille à côté de la perle que portait Cyril autour du cou.

- Et voilà, lui lança Gayelle en s'éloignant comme pour admirer son œuvre. Te voilà pourvu d'un porte-bonheur humain !

Cyril avait très mal pris ce dernier mot. Ce n'était tout de même pas de sa faute s'il était un humain transformé en sirin ! C'était surtout lui qui subissait la situation ! Mais il se sentait un peu rassuré, Gayelle semblait penser qu'il s'agissait juste d'une écaille de sirène, et pas de celle d'un fantôme.

Ça, c'était il y a deux jours. Enfin, semblait-il à Cyril. Parce que le décompte des jours, ce n'était pas son point fort depuis qu'il était au fond de l'eau. Et pour l'instant, ce n'était pas son problème principal. Là, le problème, c'était cette série de dents immenses et monstrueusement acérées du poisson encore plus immense !

Comment en étaient-ils arrivés, Gayelle et lui, à se faire poursuivre par un requin géant ? Aucune idée. Gayelle avait entrainé Cyril sur le même récif que l'autre jour, là où Cyril avait trouvé l'écaille nacrée et le fantôme qui allait avec, Gayelle en était sûre. Enfin, ça c'était ce qu'elle disait, rien que pour voir la tête de Cyril. Le voir se décomposer l'amusait beaucoup.

Et d'un seul coup, le requin avait surgit de nulle part et il s'était mis à les poursuivre. Gayelle n'avait jamais vu un tel monstre. Ce requin était bien plus gros que tous ceux qu'elle avait pu voir. Presqu'aussi gros que les gobeurs d'eau. Mais contrairement à eux, ce requin avait une dentition de prédateur et visiblement, il avait décidé de mettre deux sirins à son menu. Mais ce qui étonnait le plus Gayelle, c'était les lignes noires et sinueuses qui parcouraient son énorme corps.

- Tu crois vraiment que c'est le moment de l'observer !? lui demanda Cyril temporairement à l'abri derrière un rocher.

Leur fuite les avait entraînés loin du récif. Le sable sombre était parsemé de quelques rochers épars qui offraient un abri illusoire deux fuyards.

- On l'a semé ? demanda Cyril en essayant de reprendre son souffle.

- Tu plaisantes ! Ça, c'est ce qu'il aimerait bien nous faire croire !

Cyril avala difficilement sa salive. Si Gayelle n'avait pas été avec lui, ce requin n'aurait fait qu'une seule bouchée de lui. Il revoyait encore l'immense gueule garnie de dents se rapprocher de lui à toute vitesse lorsque, tenant fermement sa main, Gayelle avait foncé vers le requin. Il revoyait encore les longs cheveux blonds de la sirène glisser entre les dents acérées de la bête lorsque Gayelle avait plongé sous l'immense corps du monstre. Le cœur de Cyril n'avait toujours pas repris un rythme normal. Il avait cru plusieurs fois qu'il allait mourir.

- Il sent peut-être ton odeur d'humain.

- Depuis quand je suis un humain pour toi ?

Gayelle tourna un instant la tête vers Cyril. Il était vrai qu'elle avait du mal à le croire. Bien que parfois... Mais jusqu'à présent, Cyril s'était toujours montré discret en parlant d'une voix plus modéré. Et là, il avait monté d'un ton. Peut-être en avait-il assez des allusions qu'elle faisait ?

- Mets-toi à ma place, dit-elle en reportant son attention sur les environs. Tu prétends être un humain transformé en sirin. Si c'était moi qui venais te voir en humain en te disant que je suis une sirène, tu dirais quoi ?

- Comme dans l'histoire.

Gayelle tourna de nouveau la tête vers lui. Il connaissait une histoire de sirène et d'humain !

- Je te la raconterai, lui dit-il. Enfin, si on s'en sort vivant !

- C'est étrange, continua-t-elle en cherchant de nouveau le requin. D'habitude, les sirènes ne sont pas au menu des requins. Enfin, sauf si l'on est blessé. Ils sont plutôt attirés par l'odeur du sang. On va se séparer et on verra bien.

Elle avait à peine fini sa phrase que la sirène s'était déjà éloignée du rocher qui leur servait de cachette en conseillant à Cyril de bien rester au fond.

Par réflexe, Cyril la suivit.