Il n'était rien arrivé à Cyril dans cette galerie de la grotte d'Enacle. Il avait eu du mal à nager. Enfin, plus exactement, il avait avancé en tirant sur ses bras. Il en avait encore mal aux biceps d'ailleurs ! Et tout ça pour quoi ? Bah pour rien ! Il ne comprenait pas trop ce qui c'était passé. Il était entré dans ce boyau pour déboucher dans la grotte d'Enacle où l'attendaient toujours la famille royale et la vieille sirène. Celle-ci s'était approchée de lui pour effleurer le côté de l'épaule du jeune sirin. Cyril s'était égratigné sur la paroi rocheuse et bizarrement, Enacle en avait fait une interprétation par rapport à la forme de son égratignure. Après quoi la vieille sirène sortit une perle nacrée de son fatras pour la passer sur le bras de Cyril. Le nouveau sirin avait été surpris de la voir devenir rouge pendant un instant avant de reprendre sa couleur blanche. Puis, elle l'avait donné à Cyril.

- Avec cette perle, tu as un sursis, lui avait-elle dit. Quoique tu cherches, tu auras ainsi un peu plus de temps pour le trouver.

Tout le monde était resté perplexe, aussi bien Cyril que la famille royale dont la seule préoccupation était, semblait-il, de prouver que Cyril était un menteur. Mais la plus atterrée, ce fut Gayelle. En effet, la jeune sirène s'était vu octroyer la charge de « l'éducation sirénique » de celui qui se prétendait être un humain. Propos quasiment exactes d'Elès qui ne croyait vraiment pas Cyril. Et en le laissant à la charge de sa fille, il s'assurait ainsi qu'il y avait toujours quelqu'un avec lui. Et Gayelle serait attentive au moindre fait et geste de cet étrange sirin.

Donc, Gayelle n'avait pas vraiment envie de sourire ces derniers temps et Cyril en avait conscience. Tout comme il avait parfaitement conscience, il était un boulet pour elle et comme elle ne comprenait pas ce qu'il disait, il avait dû trouver une façon simple de lui expliquer ce qu'il venait de dire.

- Un boulet, c'est une boule de métal qui est attachée à la cheville des prisonniers pour les empêcher de s'enfuir.

Cyril voyait la tête de Gayelle se décomposer à mesure qu'il avançait dans son explication. Visiblement, elle ne comprenait pas un mot de ce qu'il disait.

- Tu ne peux pas parler comme tout le monde ! lui lança-t-elle d'un ton sec. J'ai vraiment l'impression de trainer poisson lune à contre-courant !

Et cette fois, ce fut Cyril qui regardait la sirène avec des yeux ronds d'étonnement. Il ne savait pas du tout de quoi parlait Gayelle. Alors il la suivit sans rien avoir compris.

Dans le seul but de lui faire « découvrir » le royaume sous-marin, elle l'avait emmené sur un récif corallien. Enfin après que le ciel se soit dégagé. Il avait plu ce matin. Oh pas que les sirins soient particulièrement gênés par la pluie mais Gayelle trouvait que le récif était triste lorsqu'il pleuvait.

Mais maintenant, les lourds nuages s'étaient dissipés et les rayons du soleil transperçaient la surface de l'eau.

Cyril regardait émerveillé l'astre du jour. Il semblait danser sous la surface de la mer. Et ce bleu dégradé transpercé par des traits de lumière dansant semblait vraiment émerveiller le sirin. Bon, il la faisait quand son erreur que la sirène puisse être enfin débarrassée de ce compagnon encombrant ? Parce qu'elle en avait un peu marre de ce énergumène que ses parents lui avaient imposé sous prétexte que Cyril et elle avait certainement le même âge. C'était absurde comme raisonnement, pour elle. Mais elle avait obéit à ses parents, à contrecœur.

Comme ses parents, elle ne parvenait pas savoir si Cyril disait la vérité ou non. Il pourrait aussi très bien être un excellent menteur avec une parfaite connaissance du monde des humains... C'est risqué pour un sirin, quand même, de se faire connaître des humains. Aussi la sirène était-elle à l'affût du moindre signe qui pourrait le trahir. Et le meilleur moyen pour le démasquer, selon Gayelle, était encore de le balader un peu partout jusqu'à ce que Cyril se trompe. Et qui sait, quelqu'un finirait peut-être par le reconnaitre.

Mais il jouait très bien son rôle même devant ce parterre de coraux qui s'étendait devant lui. Cyril nageait, encore maladroitement, d'un bout à l'autre du récif à la découverte de tout en lançant des exclamations infantiles Et ce comportement agaçait la sirène. Elle avait l'impression de voir un siréneau qui découvrait la mer pour la première fois avec ses « oh, tu as vu celui-là, maman ! » Sauf que là, le « maman » était remplacé par « Gayelle ». Vraiment là, Cyril ne semblait pas plus évolué ! S'en était exaspérant pour la sirène.

La nuit envahissait le ciel. Dans l'eau, l'obscurité se fit plus rapidement encore. Mais Cyril et Gayelle ne rentrèrent pas pour autant au palais sous-marin. La nuit aussi, le récif restait actif même la nuit mais avec des poissons différents, comme s'ils les animaux marins se partageaient les moments de la journée.

- Le récif ne dort jamais, lui avait dit Gayelle sur un ton que Cyril commençait à bien connaître.

Ce ton disait « tu sais bien que ». Alors Cyril avait levé la tête vers le ciel. Il ne faisait pas totalement nuit pourtant le soleil était couché depuis un moment. C'était comme si... à moins que... Bien sûr ! C'était la Lune. Elle était toute ronde. C'était la première fois que Cyril la voyait depuis le monde sous-marin. Cyril resta un moment à observer l'astre nocturne se refléter sur la surface marine. La mer était calme et Cyril resta un moment immobile tourné vers à la surface à observer les éclats lunaires sur l'étendue ondulante de la mer. C'était presque hypnotisant et Cyril était hypnotisé par ces fragments de Lune qui dansaient devant ses yeux. Le monde n'existait plus. Il était plongé dans ces éclats de lumière qui brillaient sans l'éblouir. Une lumière vive mais douce et rassurante à la fois. Il se sentait baigné et envahi par cette lumière qui semblait provenir des profondeurs...

- Cyril ? Ça va ?

- Oui, répondit-il en sortant à peine de sa torpeur sans pour autant avoir reconnu la voix. C'est juste que la Lune est belle, ce soir.

Bon dans les faits, il avait davantage l'habitude de regarder son reflet sur la mer que la Lune elle-même. Mais il n'allait pas non plus raconter à Gayelle qu'il avait l'habitude de regarder l'astre nocturne depuis la plage, les pieds à moitié enfoncés dans le sable. De toute façon, elle ne le croirait pas. Ni elle, ni ses parents ne le croyaient. Seulement voilà, il ne connaissait pas le vocabulaire sous-marin. Il devrait faire attention à ce qu'il dirait, surtout s'il s'adressait à quelqu'un d'autre. Oh pour ça, aucun risque avec Gayelle qui ne le lâchait pas d'une semelle ! Zut, il n'avait plus de chaussures, ni de pieds d'ailleurs ! Alors que disaient les sirènes ? « Lâche-moi la nageoire » Peut-être. Mouais, ça pouvait coller. Il faudrait qu'il essaie à l'occasion.

Il finit par sortir totalement de ses pensées. Près de lui, Gayelle lui tenait le bras, l'air inquiet. Se serait-elle inquiétée pour lui ?

- N'importe quoi ! se défendit vigoureusement la jeune sirène en retirant rapidement sa main du bras de Cyril.

C'était juste qu'ils avaient encore beaucoup de choses à voir et qu'ils n'avaient pas de temps à perdre en rêveries ! Ah, Cyril se disait bien aussi qu'il aurait été surprenant que Gayelle soit ne serait-ce qu'un peu sympa avec lui !

Il tourna brusquement la tête sur le côté, le cœur tambourinant sa poitrine. Ils n'étaient pas seuls. Il avait aperçut quelque chose. Comme si la Lune avait plongé dans la mer.

- N'importe quoi ! répondit Gayelle. Ta lune, elle reste toujours là-haut !

Mais Cyril ne l'écouta pas et il partit à la poursuite de ce qu'il avait vu.

"Un vrai siréneau" soupira Gayelle en le suivant à son tour. Mais pas par curiosité mais juste pour s'assurer qu'il ne ferait aucune bêtise !

Cyril s'était arrêté pour joindre les deux mains devant lui. Gayelle aperçut intriguée une petite lumière se déposer lentement au creux de ses paumes.

- Qu'est-ce que c'est ? lui demanda Cyril toujours sans bouger. On dirait une étoile.

Elle-aussi subjuguée par cette « étoile », Gayelle passa juste la tête au-dessus de Cyril en posant ses mains sur les épaules de Cyril. Elle aperçut juste un instant l'étoile dans les mains du sirin avant qu'elle ne perde de son éclat pour laisser la place à une écaille d'un blanc nacré.

Du coup, Gayelle ne lui avait donné aucune explication. Pourquoi ? Parce qu'elle en avait assez de devoir tout lui expliquer. Ça c'était la raison qu'elle lui avait donné mais en fait, elle était contrariée. Pour une raison simple : lorsqu'elle s'était approchée de Cyril pour voir ce qui s'était déposé dans ses mains, ce que Cyril appelait une « étoile » s'était éteinte, laissant place à une écaille d'un blanc nacré. Et lorsque la sirène s'était éloignée, l'écaille était redevenue une étoile. Visiblement, elle ne brillait que pour ce sirin qui se prétendait être un humain.