L'hiver jeta sur la forteresse une atmosphère de nuit éternelle. Pendant des jours, il neigeait sans discontinuer et plus aucun rayon de soleil ne perçait le ciel obstrué. Il fallait s'éclairer à la bougie tant il faisait sombre, et ce même en journée.

Parfois, Taehyung avait la sensation que le temps n'existait plus. Le matin se distinguait à peine du soir ou de l'après-midi, et chaque jour n'était que la répétition d'un cycle. Une impression renforcée par le mode de vie qu'il avait adopté malgré lui.

Taehyung ne vivait plus que dans deux pièces. Il allait et venait entre sa chambre étriquée et l'étude qui se trouvait au-dessus, si bien qu'il ne fermait que rarement la trappe qui y menait. Quand à ses activités, il lisait ou écrivait lorsqu'il ne dormait pas pour tromper l'ennui. Fort heureusement, les précédents mages –car il était évident qu'ils avaient tous laissés leurs dernières possessions en ce lieu– avaient accumulé tant de paperasse qu'il y avait largement de quoi s'occuper l'esprit. Et il y avait de tout: des recherches inachevées sur les dialectes nordiques aux contes traditionnels d'Afstan.

Taehyung n'avait jamais été un grand féru de lecture. Pendant ses études, maître Limozac devait souvent courir après ses devoirs. Quant à savoir s'il terminait réellement les bouquins qu'il devait étudier... Taehyung faisait toujours le strict minimum. À quoi bon perdre du temps dans des montagnes de pages et de lignes ? À présent, son opinion était bien différente, car sa sanité ne tenait peut-être qu'à cela. Et également aux lettres qu'il écrivait à Jimin ainsi qu'à son mentor. Il n'en expédiait pourtant pas une seule. Comment aurait-il pu ? Il n'était même pas certain qu'elles traverseraient la mer s'il essayait.

En bref, cette monotonie ne s'interrompait que lorsqu'il allait chercher ses repas, son pot de chambre vide ou les quelques bûches laissées sur le seuil. Le cycle se répétait, encore et encore. Et encore.

D'ailleurs, les domestiques ne prenaient même plus la peine de toquer lorsqu'ils venaient déposer une assiette devant sa porte, alors il arrivait souvent que les aliments soient froids quand Taehyung les découvrait. Quant aux plats eux-mêmes... L'époque où il avait droit à un traitement particulier lui paraissait déjà lointaine. Le menu ne variait pas d'un jour à l'autre. Soit on rationnait les vivres à cause de l'hiver, soit Taehyung ne méritait pas mieux qu'une pitance de prisonnier. D'ailleurs, le mage se demandait souvent si on lui apportait vraiment tous les repas, mais il se sentait si hors du temps qu'il ne saurait le dire avec certitude. En fait, il ignorait même s'il dormait de jour ou de nuit. Seul les bruits lointains de la forteresse lui rappelaient qu'il n'était pas la seule âme ici et lui donnaient parfois des indices sur l'heure.

De temps en temps, comme pour casser la routine, Taehyung ressortait la sphère de sélénite et attendait quelque chose, n'importe quoi. L'Académie n'avait jusque-là jamais tenté de le joindre ni de lui faire parvenir la moindre directive. Cette sphère était pourtant la seule ouverture qu'il avait avec le monde extérieur, et ce dernier était atrocement muet. Taehyung songeait quelques fois à contacter lui-même l'Académie, mais il se ravisait aussitôt. Il craignait davantage qu'on ne lui réponde pas, alors il préférait demeurer dans l'incertitude, quitte à gaspiller son temps. De toute manière, ce n'était pas ça qui lui manquait à présent... Peut-être qu'un jour enfin, la sphère lui parlerait.

Quant à la magie...

Taehyung ne la pratiqua presque pas durant ces trois longs mois d'hiver, si ce n'est pour raviver le feu. Chaque fois qu'il songeait à l'employer, les mots du tsar s'imposaient avec force et paralysaient son esprit. À quoi bon, si cela ne profitait à personne d'autre qu'à lui ?

Jungkook avait raison. Il n'était sans doute qu'un danger.

Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que Taehyung vécut: comme un ermite aux confins du monde, et plus seul qu'il ne voulait bien l'admettre.

[...]

Un matin, alors que Taehyung descendait de l'étude du dessus après une nuit interminable, il remarqua des bruits qui ne provenaient pas de l'intérieur de la forteresse, mais de l'extérieur. Instinctivement, il traîna des pieds jusqu'à la fenêtre pour observer la cour à travers les carreaux couverts de givre.

Il faisait déjà plus clair ce jour-là, alors il parvint à distinguer les silhouettes des calèches en contrebas. Il y en avait au moins trois ou quatre et il en arrivait d'autres par la grande porte. Le raffut qui en résultait était un mélange de voix et de pas pressés. Des personnes descendaient des voitures et des servants s'affairaient à décharger de nombreux bagages. Le givre sur la vitre rendaient toutes ces silhouettes troubles et indissociables.

Rendu curieux par ce spectacle inhabituel, Taehyung songea à descendre pour voir de ses propres yeux, mais il se refroidit aussitôt. Et si quelqu'un le voyait traîner dans les couloirs ? Il baissa les yeux sur son propre corps, et il eut brièvement honte de son allure alors qu'il était le seul à se voir.

Comme il ne sortait plus, Taehyung avait depuis longtemps abandonné l'idée d'être présentable. Il ignorait même depuis combien de jours il portait cette chemise de nuit. De temps à autre, il ressortait bien ses robes colorées par nostalgie, mais il ne les enfilait jamais. Il ne s'habillait plus que pour avoir chaud, et rien d'autres. Quant à la broche confiée par le Conseil... Elle trônait sur le bureau, à prendre la poussière comme n'importe quel bibelot. Par réflexe, Taehyung passa une main dans ses cheveux gras et décoiffés.

De toute évidence, il était grand temps de prendre un bain.

[...]

Ce n'était pas une bonne idée, il le savait. Et pourtant...

Taehyung jeta un coup d'œil de chaque côté du couloir et tira nerveusement sur les manches de son pourpoint fourré. La curiosité avait eu raison de lui et il était sorti de sa chambre pour la première fois depuis trois mois, bien qu'il avait finalement courbé le bain. Il s'était toutefois débarbouillé et avait passé un temps considérable à se coiffer, même s'il n'avait pas l'intention d'être vu par qui que ce soit. L'objectif était avant tout d'épancher sa curiosité... et également de s'aérer l'esprit.

Taehyung tira sa cape contre lui et, comme la voie était libre, s'aventura dans le couloir. De loin, rien ne le distinguait des locaux et c'était intentionnel; en ne portant que des vêtements cridhien, il espérait passer davantage inaperçu s'il venait à croiser du monde. Des précautions qui risquaient fort de tomber à l'eau: son teint le trahirait immédiatement.

Le pas léger, Taehyung traversa les premiers couloirs sans trop d'inquiétude. Comme sa chambre ne se trouvait pas dans une aile très fréquentée, il ne croisa personne. En revanche, un étage plus bas, ce fut une autre affaire. Taehyung demeura coincé en haut des escaliers en colimaçon, à guetter l'agitation en bas. Les bribes de discussion qu'il put saisir çà et là ne l'aidèrent que très peu; il n'y avait pas un seul mot de commun. Il comprit néanmoins qu'on évoquait des chambres vides, des bagages et des noms inconnus. Il semblait bien que la forteresse accueillait de nombreux visiteurs... Taehyung descendit prudemment les dernières marches, trop curieux pour rebrousser chemin tout de suite.

Et si les visiteurs venaient du continent, tout comme lui ?

Deux servants passèrent en trombe devant lui avec une malle à bout de bras. Ils filèrent dans le couloir, d'où on entendait des portes se fermer et s'ouvrir à tout instant. Toutes ces pièces auparavant closes et inhabitées reprenaient soudainement vie. Taehyung descendit encore un étage, puis comprit enfin ce qui se passait quand il croisa quelqu'un qui n'avait pas l'allure d'un domestique.

Vêtue d'une épaisse robe à longues manches, une femme de fière stature passa sans lui accorder trop d'attention. Elle était suivie de deux serviteurs, qui portaient chacun un bagage. Taehyung s'était presque aplati contre le mur pour les laisser passer. C'était sans nul doute la noblesse de Cridheim. Ils existaient donc vraiment ! Mais pourquoi revenaient-ils soudainement à la forteresse ?

Taehyung eut le sentiment que quelque chose se préparait. Sa curiosité, au lieu d'être satisfaite, se fit plus dévorante. Il repensa à cette guerre avec les clans barbares. La reprise des hostilités étaient prévues pour le printemps... Était-ce déjà ça ? Le temps s'était effectivement adouci depuis quelques jours, bien qu'il fasse toujours horriblement froid aux yeux du mage. Mais y avait-il vraiment un rapport avec l'arrivée des nobles ? Taehyung voyait mal en quoi Jungkook avait besoin d'eux pour mener cette guerre.

Quand il songea au tsar, le mage eut un rictus incontrôlable. Que faisait Jungkook en ce moment même ? Était-il dans les parages pour accueillir ses sujets, ou s'était-il enfermé dans son bureau pour éplucher ses parchemins ? La seconde option semblait bien plus proche de son caractère. Malgré tout, Taehyung espérait secrètement le croiser ou le voir de loin, même si ça ne serait pas bon signe pour lui. Après tout, il ne devait plus se mêler de la vie de la forteresse. De près comme de loin.

Sauf que Taehyung n'avait pas le courage de retourner entre les quatre murs de sa chambre. L'idée lui était insupportable. Et de toute évidence, il n'y avait aucun mal à simplement errer dans les couloirs. Tout irait bien s'il ne s'adressait à personne, s'il ne faisait qu'observer à bonne distance et surtout... s'il n'utilisait aucune magie.

C'est l'estomac serré d'anticipation que Taehyung poursuivit son chemin et se rendit au rez-de-chaussée, où l'agitation battait son plein. Il n'avait jamais vu un tel monde ici ! Les domestiques allaient et venaient avec toutes sortes de valises, de malles et de coffres. Un courant d'air froid circulait, signe que la porte principale était encore grande ouverte. Des hommes et des femmes, tous chaudement habillés dans des tons sombres, affluaient par deux ou trois. Ils étaient une quinzaine. Chaque fois qu'un groupe en rencontrait un autre dans le couloir, ils s'arrêtaient pour se saluer selon des usages précis et discuter tout bas. Il en résultait un drôle de bruit de fond, mélange entre les murmures et les pas pressés des domestiques autour d'eux. Il n'y avait ni sourire ni éclat de rire, mais c'était tout de même un brouhaha agréable aux oreilles de Taehyung, habituées jusque-là à un silence mortel.

Le mage longea les murs pour ne pas trop se mêler aux nobles ou aux domestiques, qui s'affairaient autour d'eux comme des abeilles. Il souhaitait voir de plus près les calèches à l'extérieur et en profiter pour respirer l'air frais, mais le couloir semblait bien étroit avec tant de monde. Il esquiva une servante pressée et son coude toucha quelqu'un par inadvertance.

« Mes excuses, lança Taehyung à l'égard du lésé. »

Un homme d'environ cinquante ans tourna la tête pour le toiser rapidement de la tête aux pieds. Il portait une barbe en ancre soigneusement cirée. La ride profonde sur son front laissait penser qu'il n'avait que très peu souri dans sa vie. Cependant, son expression antipathique changea subrepticement quand il s'arrêta sur le visage de Taehyung.

« Vous êtes un continental ? »

La question prit Taehyung de court, d'autant plus qu'on lui avait parlé en commun. Et pas des bafouilles de servant ! Son accent laissait penser que ce n'était pas sa langue d'origine, mais qu'il l'avait suffisamment étudiée. La dame en sa compagnie se tourna également vers lui, l'air tout aussi intimidante.

« En effet, avoua Taehyung avec appréhension.

– Alors vous devez être le mage dont tout le monde parle, conclut la dame. »

Le mot fut prononcé à peine plus haut que le reste, pourtant il sonna trop fort aux oreilles de Taehyung. Lui qui ne voulait pas se faire remarquer... Il n'osa pas tourner la tête pour voir si d'autres les regardaient ou écoutaient la conversation, mais il était quasi certain que des oreilles trainaient déjà. Mieux valait ne pas s'attarder...

« C'est bien moi, convint-t-il en forçant un sourire poli. »

Son rictus ne rencontra pas l'écho espéré. Leur mine grave ne changea pas d'un iota.

Il n'y a pas que le tsar qui ne sait pas sourire, songea Taehyung avec dépit. Il fallait vraiment qu'il s'en aille... avant de s'attirer de sérieux problèmes.

« Je ne m'attendais pas à vous rencontrer si tôt ! s'étonna tout à coup l'homme avec une énergie nouvelle. Truaghan d'Asketill, fils d'Ehjit d'Asketill. J'ai beaucoup entendu parler de vous.

– Vraiment...? marmonna Taehyung en écarquillant les yeux.

– Évidemment ! »

Pour accompagner sa présentation solennelle, il frappa son poing sur sa poitrine à la manière d'un salut militaire. Pourtant, l'homme ressemblait davantage à un aristocrate qu'à un soldat. Taehyung hésita à l'imiter, avant d'opter pour une révérence plus classique. Il n'était plus vraiment question de fuir; la curiosité le clouait sur place pour l'instant.

« Taehyung Kim, dit-il alors. Enchanté de vous connaître, messire d'Asketill et... »

Il tourna la tête vers la dame qui avait parlé plus tôt. Elle semblait plus âgée que son compagnon, au vu des pattes d'oie aux coins de ses yeux sombres. Son regard perçant mit Taehyung assez mal à l'aise.

« Meredith d'Asketill, assura-t-elle tout en lui présentant sa main gantée. Fille de Soren Godfrid. »

Taehyung comprit avec une seconde de retard ce qu'elle attendait. Il essaya de se montrer délicat lorsqu'il embrassa le dos de sa main à la façon d'un homme galant.

« Cela faisait des lustres que nous n'avions pas vu de mage du continent, dit-elle, l'air satisfaite de ses manières.

– De continentaux tout court, corrigea Truaghan en lissant sa moustache d'un geste habitué. J'ai entendu dire que vous étiez arrivé avant l'hiver.

– Oui, approuva Taehyung. Ça fait quelques temps que je suis là.

– Et comment trouvez-vous Cridheim ? interrogea le noble.

– C'est... très différent de là d'où je viens.

– Comme c'est intriguant. J'imagine que vous serez présent au banquet de ce soir ?

– J'ignorais qu'il y avait un banquet, avoua Taehyung de but en blanc, avant de reprendre en voyant leurs regards intrigués. Mais j'ai été très occupé ces derniers temps, alors... ça m'est sans doute sorti de l'esprit. »

Et il esquissa un sourire véritablement gêné pour faire passer ce mensonge maladroit.

« J'ose espérer que nous vous y verrons tout de même, souhaita soudain dame Meredith.

– Eh bien, hésita Taehyung. Je ne sais pas si...

– Ce sera l'occasion de vous présenter à tous, renchérit Truaghan. Nous n'avons pas souvent l'occasion d'avoir des nouvelles du continent.

– Bon eh bien... c'est d'accord, capitula finalement Taehyung. À présent, si vous voulez bien m'excuser, je... j'ai des choses à faire...

– Faites donc, je ne voudrais pas vous retenir ! lança Truaghan, loin d'être dérangé. Nous enverrons quelqu'un vous quérir avant le banquet. »

Taehyung le remercia et exécuta une rapide révérence pour dame Meredith avant de s'éclipser à l'extérieur, comme s'il était attendu quelque part de toute urgence.

Dehors, le froid mordant lui fit un tel bien qu'il en oublia momentanément cette rencontre singulière et ses implications. La neige de la cour avait été si piétinée qu'elle avait fondu par endroit, révélant enfin la couleur des pavés. Certaines calèches faisaient d'ors et déjà demi-tour, à présent débarrassées de leurs voyageurs. Taehyung se dirigea vers les écuries et y quémanda une monture au premier palefrenier qu'il croisa. À peine cinq minutes plus tard, il était hors des murailles du fort, où il croisa une énième calèche en sens inverse.

Alors qu'il talonnait son double-poney pour le faire passer au trot, Taehyung prit une grande inspiration et l'air froid dans ses poumons expédia un court frisson dans tous ses membres. Il n'aurait certainement pas dû l'être, mais il se sentait euphorique.

[...]

Sa botte battait furieusement la mesure. En dehors de ce mouvement trahissant son émotion, Jungkook était raide comme un mort. Seul dans l'antichambre, il observait l'image que lui renvoyait le miroir ouvragé au-dessus du buffet. Rares étaient les décorations dans la forteresse, mais depuis quelques jours, on avait ressortis autant de tapisseries et de bannières que possible pour habiller les murs austères.

Quant à son reflet... il n'en devenait pas plus joyeux.

C'était très étrange de voir son visage avec un corps qui ne semblait pas lui appartenir. Saighdear avait insisté pour qu'il porte la tenue de cérémonie de son père; un pourpoint sombre brodé d'argent. Des vêtements qui n'avaient pas été taillés pour lui, mais qui lui allaient pourtant à merveille. Ses cheveux auparavant mi-longs avaient été raccourci pour l'occasion et il pouvait à présent sentir les courants d'air sur sa nuque. Il avait également délaissé cape et gants, car exceptionnellement, il ne fallait pas se soucier du froid ce soir. L'apparence prenait le dessus quelques heures, et même si Jungkook détestait ça, il avait conscience que ce n'était pas sans raison.

Il devait être irréprochable.

Jungkook savait que de l'autre côté de ses murs, la forteresse était en effervescence. Et pour cause: la quasi totalité de sa cour avait débarqué le jour-même des quatre coins de Cridheim. Certains avaient fait plus d'une semaine de voyage à travers les landes glacées pour venir jusqu'ici. Leur venue était planifiée depuis des semaines et les retardataires louperaient le banquet de ce soir, qui signait officiellement le retour du printemps. L'arrivée –ou plutôt le retour– de la noblesse dans la forteresse était étroitement corrélée à la saison: les rapports indiquaient que la glace qui gelait les côtes commençait déjà à fondre, signe que l'hiver prenait fin. Il ne restait peut-être que deux ou trois semaines de répit avant la reprise des hostilités. Sans parler du deuxième front sur lequel Jungkook allait devoir batailler dès ce soir...

On toqua deux coups à la porte alors que le jeune tsar faisait tourner la chevalière à son doigt. Il cessa tout, autant ce geste nerveux que le battement de son pied, et donna l'ordre d'entrer.

Un soldat se présenta sur le seuil, porteur de nouvelles. Au vu de son souffle haché, il avait couru jusqu'ici.

« Qu'y a-t-il ? cingla Jungkook, que le stress rendait acariâtre.

– Mon seigneur, le banquet va bientôt commencer... les invités sont tous là.

– Je vois. »

Jungkook fit signe au soldat qu'il pouvait disposer, car il voulait profiter seul de ces cinq dernières minutes de répit avant de rejoindre la cage aux fauves. Sauf que le soldat demeura sur le seuil, l'air d'avoir encore quelque chose à dire. Jungkook s'impatienta bien plus vite que d'habitude.

« Quoi donc ? Crachez le morceau.

– Mon seigneur, le... le mage a été vu en train de rôder dans les couloirs ce matin. »

La nouvelle prit Jungkook de court et fit s'envoler toute la pression qui s'était accumulée sur ses épaules le temps que dura la surprise.

« Pourquoi n'ai-je pas été informé plus tôt ?

– L'information a mis du temps à remonter à cause des préparatifs, expliqua le soldat. »

Jungkook se détourna en grommelant. Durant les trois derniers mois, le mage n'avait pas interféré avec la vie de la forteresse, si bien qu'aucune information à son sujet ne lui était parvenue naturellement; aucun bruit de couloir, aucune rumeur. Ses généraux n'y faisaient même plus allusion. Comme s'il avait simplement disparu. Après deux semaines de silence, Jungkook s'était même inquiété de son sort.

Et s'ił avait terminé comme son prédécesseur ?

La question l'avait hanté toute une nuit, avant qu'il ne demande à une servante d'aller quérir des nouvelles discrètement. Il avait alors appris que Taehyung était encore vivant, car il venait toujours prendre les plats qu'on déposait sur son seuil. En revanche, il ne sortait jamais de sa chambre et personne ne l'avait aperçu depuis l'incident. Jungkook n'avait pas osé s'enquérir davantage de son sort, mais il n'y songeait pas moins. Surtout lorsqu'il était seul à table.

Alors que Taehyung choisisse ce jour-là pour quitter son isolement... Il devait avoir quelque chose derrière la tête.

« Lui alors, marmonna Jungkook avant de se ressaisir. Pourquoi est-il sorti ?

– Je l'ignore, mon seigneur. Certains l'ont aperçu partir à cheval.

– Pour aller où ? questionna encore Jungkook sans cacher son intérêt. Est-il revenu ?

– Oui, marmonna le soldat, incapable de répondre à toutes ses interrogations.

– Et maintenant, où est-il ?

– Sans doute dans ses quartiers. Voulez-vous que j'aille vérifier...?

– Non, s'empressa de répondre Jungkook. C'est inutile, vous pouvez disposer. »

Le soldat fit demi-tour et le tsar attendit que la porte se referme pour passer une main sur son front, l'air à nouveau préoccupé. Il lui semblait que son esprit avait été retourné sens dessus dessous. Pour une raison qui lui échappait, il n'arrivait pas à raisonner correctement, le coeur trop gonflé d'une émotion indescriptible. Fallait-il faire quelque chose au sujet du mage...? Impossible, il avait déjà suffisamment de préoccupations en ce moment. Et il devait bien admettre que Taehyung n'avait rien fait de réellement contrariant. Il avait scrupuleusement respecté ses volontés. Peut-être trop.

Jungkook balaya l'antichambre du regard à la recherche d'une chaise pour s'asseoir, mais il n'y en avait aucune. Alors il se rapprocha du buffet pour s'y appuyer d'une main. Bien que son regard demeurait fixé sur son reflet dans le miroir, ses pensées n'étaient pas tournées dans cette direction. Il songeait aux nobles, qui attendaient l'arrivée de leur seigneur, et à tous ces yeux qui se poseraient bientôt sur lui pour le scruter sous tous les angles. La sensation d'être seul face à une montagne le submergea.

Il manquait cruellement quelqu'un à ses côtés pour l'épauler.