Chapitre 50
La reine du Nord observait l'homme en face d'elle avec silence.
— Et pourquoi vous imaginez-vous que je serais d'accord ? demanda-t-elle soudain. Je suis veuve depuis moins de quatre mois, je ne suis pas censée me remarier maintenant.
— Certes non, Votre Altesse, cependant les prochaines semaines vont être de plus en plus compliquées pour vous ; sans vouloir vous vexer, vous n'êtes plus de prime jeunesse et une grossesse à votre âge pourrait être dangereuse, alors gouverner en même temps, c'est de l'irresponsabilité...
Sare'ya serra les mâchoires.
— Sortez, lâcha-t-elle alors. Je ne vous permets pas de me critiquer, Monsieur !
— Ce n'était en rien une critique, juste une constatation. Ma reine, je vous en prie, nous savons tous deux qui est le père de cet enfant et...
— Oui, mon mari, feu le roi du Nord !
— Non, Sare'ya... C'est moi le père de cet enfant. Le roi était déjà mourant quand il été conçu et vous le savez aussi bien que moi.
Sare'ya regarda l'homme avec fureur avant de lui fondre dessus. Il recula d'un pas.
— Ne redites plus jamais ça ! siffla-t-elle. Personne ne doit savoir que j'ai été infidèle à mon mari alors qu'ils se mourrait sur son lit !
Karghen serra les lèvres. Relevant le menton, il tourna les talons et quitta la pièce sans un mot de plus. Visiblement, il avait un peu trop extrapolé l'histoire en imaginant qu'il allait être facile de convaincre la reine de l'épouser pour rendre sa grossesse légitime... Il repensa alors aux trois jeunes gens dont il avait surpris la discussion quelques heures en arrière. Pesant rapidement le pour et le contre, il décida de se faire indiquer les appartements du jeune prince.
— Maître Sebastian ne vit pas au palais, Seigneur Marchand, lui répondit une femme de chambre qu'il croisa dans l'escalier. Depuis que le roi l'en a chassé, il n'est jamais revenu.
— Ah ? Et où vit-il alors ?
— Dans la grotte où il a passé les onze dernière années, au pied du château. Demandez à un garde de vous y conduire, mais je dois vous prévenir que Maître Sebastian déteste les visites intrusives...
— Ma visite n'en est pas une, répondit Karghen. Merci. Bonne fin de journée.
La femme inclina la tête puis Karghen se rendit à la porte porte nord du palais. Il savait pertinemment où se trouvait la grotte du jeune homme puisqu'il l'y avait lui-même déposé... Il avait cependant cru que, avec les années, le roi aurait accepté que le jeune homme revienne vivre dans l'enceinte du château...
.
Dans sa grotte de glace où la température avoisinait les zéro degrés, Sebastian se reposait sur son lit. Savinna venait de partir avec Elsa pour aller faire des emplettes en ville et le jeune homme profitait donc du calme relatif pour prendre un peu de repos.
— Sebastian, êtes-vous là, mon garçon ?
Ce dernier ouvrit les yeux et se redressa sur les coudes. Il ne reconnaissait pas la voix de cet homme et son ton était un peu trop familier à son goût. Se levant, il récupéra son bâton et quitta la chambre en silence. Il s'approcha ensuite de l'arche sculptée qui venait à la pièce à vivre et avisa l'homme à l'entrée de l'habitation. Il était emballé dans un grand manteau et soufflait de la vapeur.
— Sebastian ? appela-t-il.
— Qui êtes-vous ? demanda alors le jeune homme.
Le visiteur sursauta.
— Je suis le Marquis de Cesserbhan, mais vous me connaissez peut-être sous le nom de Karghen, le Prince Marchand ?
A ce nom, Sebastian frémit puis sortit de sa cachette. Karghen tourna la tête et baissa le menton.
— Par le ciel, que vous avez changé... souffla-t-il. Vous êtes un homme désormais...
— Pas grâce à vous, Marquis... Je me souviens de vous, vous m'avez abandonné ici alors que je n'avais que douze ans... Vous êtes parti sans vous retourner en me disant que si je remettais le pied au château, je me ferais tuer.
Karghen serra les lèvres.
— Je n'avais pas le choix, dit-il. J'obéissais a votre père le roi...
— Je sais. Et je ne vous en veux pas pour cela. Je vous en veux pour ne pas m'avoir trouvé des nouveaux parents. Vous auriez pu me faire quitter la ville, je sais qu'il y a des Magikers dans ce royaume.
— Magikers ?
— C'est le nom de la race à laquelle j'appartiens. Je ne suis pas une erreur de la nature, j'ai un peuple.
Karghen demeura silencieux; Sebastian releva le menton en serrant ses doigts sur son bâton.
— Qu'est-ce qui vous amène chez moi ? demanda-t-il alors.
— Je... Hem. Je viens de quitter votre mère et j'ai essuyé un échec cuisant. J'aurais aimé avoir un peu d'aide.
— De l'aide pour quoi ?
— L'épouser. Et rendre l'enfant qu'elle attend légitime.
Sebastian fronça les soucis ; soudain la lumière se fit et il blêmit.
— Vous ! s'exclama-t-il. C'est vous le père de ce bébé !
— En effet... Votre mère et moi avons été amants quelques fois pendant les dernières semaines de vie du roi...
Sebastian secoua la tête.
— Que voulez-vous de moi ? Mère a refusé de m'écouter, elle continue de penser que je devrais épouser Savinna et...
— Votre mère n'a plus toute sa raison, si j'ose dire, coupa Karghen. Elle n'est pas folle, pas du tout, juste très blessée par la mort de son mari. La découverte de sa grossesse n'arrange absolument rien à son état... Elle a besoin de soutient, d'aide de la part de sa famille... Si elle continue ainsi, elle risque de tomber malade et de perdre l'enfant. C'est mon enfant aussi, Sebastian, je dois tout faire pour le protéger. Même de sa mère s'il le faut.
Sebastian serra les lèvres. Des discussions enjouées se firent alors entendre dans le couloir puis une porte s'ouvrit et Savinna entra en rigolant, suivie d'Elsa. Toutes deux se figèrent en découvrant le visiteur.
— Votre Altesse Royale, s'inclina Karghen. Madame.
— Que faites vous ici, Marquis ? demanda Savinna.
— Je désirais simplement discuter avec Sebastian et...
Son regard se posa sur Elsa qui semblait contrariée.
— Je ne sais toujours pas qui vous êtes, lâcha-t-elle.
— Toutes mes excuses, je suis mal élevé. Madame, je suis le Marquis de Cesserbhan, Prince Marchand pour vous servir, dit alors l'homme un peu rapidement.
Elsa plissa les yeux un instant. Sebastian décida d'intervenir.
— Marquis, je vous présente ma femme, Elsa d'Arendelle, dit-il. Elsa, voici l'homme à qui le roi du nord a ordonné de m'abandonner dans cette grotte, il y a onze ans.
— Je vois. Enchantée de vous connaître, répondit la jeune blonde. À présent, répondez à la princesse, que faites-vous ici ?
Karghen jeta un coup d'œil à Bash qui croisa les bras.
— Il voudrait des conseils pour épouser Maman, dit-il en regardant Savinna.
— Épouser ? Mais c'est trop tôt ! répliqua celle-ci, surprise.
— Oui, je le sais, cependant, vous n'êtes sans doute pas sans savoir que votre mère est enceinte... répondit le Prince Marchand. C'est moi le père de cet enfant. Un accident, mais je compte bien l'assumer.
— Et profiter dans la foulée de tout l'argent et la renommée de la reine ? grimaça Elsa.
Karghen ne répondit pas. Il se contenta de regarder ailleurs puis soupira. Comme il se dirigeait vers la porte de la grotte, Bash soupira.
— Que devons-nous faire ? demanda-t-il.
— Sebastian !
Le jeune homme rentra la tête dans les épaules puis se retourna. Il observa Elsa et Savinna, toutes deux surprises qu'il ose poser une telle question.
— Je ne fais que demander. Il a raison aussi sur le fait que Maman étant enceinte, les gens vont se poser des questions quand elle ne pourra plus cacher son ventre.
Elsa releva le menton.
— Elle ne vous épousera pas, Marquis, dit-elle.
— Vous ne la connaissez pas.
— Justement. Je ne la connais pas, mais je sais qu'elle préférera admettre avoir eu un amant peu avant que le roi meure, plutôt que de vous épouser.
Bash fronça les sourcils.
— Ce n'est pas très gentil, ça, chérie...
— Mais c'est la vérité.
— Et sur quoi vous basez-vous? Votre propre expérience, peut-être ? Parce que oui, je vous connais, Elsa d'Arendelle. J'ai fais mes devoirs et je sais que votre sœur, la reine actuelle, à fait venir Sebastian chez vous parce qu'elle était désespérée de vous voir seule et si aigrie !
Elsa serra le poing et le cristal de son bâton s'éclaira faiblement. Savinna posa une main sur son bras.
— Marquis, je vous en prie, remontons au château. Laissons mon frère et sa femme tranquille, ils n'ont pas à être mêlés à nos affaires de famille.
Karghen regarda le couple un peu de travers avant d'incliner la tête et de tourner les talons. Savinna s'excusa alors silencieusement puis le suivit hors de la grotte. Bash agita aussitôt la main et un mur de glace ferma l'entrée. Il soupira.
— S'il veut épouser Sare'ya, il va devoir changer d'attitude, dit-il en croisant les bras.
Il se laissa tomber dans un canapé et Elsa s'assit près de lui, une jambe pliée sous elle.
— Tu sais, il n'a pas tort. Je ne suis pas là meilleure personne pour parler à la place de ta mère, mais...
— Ton histoire est différente. Tu es une des magiciennes les plus puissantes de ce monde, Elsa... Ma mère n'est qu'une humaine, une femme du peuple qui a réussi à se hisser à la plus haute place disponible pour elle. Elle n'est reine que par son mariage, elle n'a aucune connaissance sur comment diriger un royaume, quand bien même elle ait toujours été aux côtés du roi ou pas très loin. Elle a besoin d'un époux et le fait qu'il ait été son amant et qu'elle attende un enfant de lui ne choquera pas les habitants, je pense.
— Tu crois ?
Bash opina.
— Mon père était malade depuis des années, révéla-t-il. Depuis la naissance de Savinna, ils faisaient chambre à part et ne partageaient plus le lit conjugal.
— Comment le sais-tu ?
— J'avais mes espions. Les gardes et les servantes m'apportaient régulièrement à manger ou un peu de confort ou de compagnie et j'en profitait pour leur poser des questions sur la vie au château. C'est ainsi que j'ai découvert que le roi était très malade, peu avant que je ne partes pour Arendelle.
— Cela faisait donc plusieurs mois...
Bash hocha la tête.
— Sare'ya et Karghen sont amants depuis environ deux ans, répondit-il en posant ses mains sur ses jambes. Ce bébé est un accident, mais maintenant qu'il est là, ma mère va devoir l'assumer. Karghen ne la laissera jamais s'en débarrasser.
Elsa plissa le nez. L'avortement était autorisé à Arendelle, à condition d'utiliser des plantes et que de soit fait avant que le centre ne soit visible, mais rien qu'à l'idée d'être enceinte et de ne pas vouloir l'enfant à venir, Elsa en avait des frissons. À moins d'avoir été malmenée, il n'y avait aucune raison valable à ses yeux pour se débarrasser d'un enfant à naître.
— À quoi tu penses ? demanda soudain Bash.
— À un avenir que je n'avais jamais envisagé.
— C'est-à-dire ?
— Fonder une famille. Je m'y serais sans doute pliée, au moins une fois, pour la succession de ma couronne, mais j'aurais fait une très mauvaise mère...
Bash pencha la tête.
— Et maintenant ? Envisages-tu un autre avenir maintenant que je fais partie de ta vie ?
Elsa esquissa un sourire et oui3 prit la main.
— C'est possible. Après tout, n'ai-je pas rêvé de nos filles et du fils d'Anna et Hans ?
— Effectivement. Peut-être que c'était un rêve prémonitoire, va savoir !
Elsa rigola doucement et Sebastian porta sa main à ses lèvres. Elle se glissa ensuite sous son bras et soupira en s'allongeant sur le dos, posant sa tête sur la cuisse de son compagnon.
— Quand ma mère aura accepté d'être enceinte et d'épouser Karghen, on rentrera à Arendelle, dit celui-ci. J'ai envie de me poser, de trouver un petit travail et de vivre paisiblement avec toi comme n'importe quel couple normal.
Elsa plissa le nez.
— Nous ne sommes pas un couple normal, rappela-t-elle. Nos enfants seront de très puissants magiciens, sans doute suffisamment puissants pour être bridés dès la naissance...
— Tu crois ?
— Je suis à moitié Éminence, ne l'oublie pas.
— Moi aussi hein... Il y a donc une chance sur deux que nous donnions naissance à une Éminence pure ou un pur Magiker.
— Et pas un hybride des deux ?
Elsa se rassit face à son compagnon.
— Si, c'est possible, en théorie, mais il faudrait poser la question à mon père pour en être sûrs, répondit-il. Sachant que quasiment la moitié des magiciens qui vivent sur l'île sont des moitiés Éminence, il doit bien y avoir des couples composés de deux hybrides comme nous. J'enverrais un messager magique demain.
Elsa hocha la tête ; son ventre réclama alors sa pitance et Nash rigola en quittant le canapé, arguant que c'était à son tour de préparer le dîner.
Elsa l'observa s'éloigner et se mordit la lèvre. Si on lui avait dit, six mois plus tôt, qu'elle allait tomber amoureuse et envisager un futur avec un garçon, jamais elle n'aurait cru l'idiot qui aurait proféré une telle stupidité ! Et pourtant... Pour la première fois de sa vie, elle avait un but dans sa vie, un avenir tout tracé qui s'étirait devant ses pieds, prêt à être embrassé, et pour la première fois de sa vie, elle avait envie d'y aller, elle avait envie de donner des enfants à cet homme qui lui faisait tourner la tête et le cœur, et elle avait envie de prouver au monde qu'elle n'était pas cette sorcière de glace incapable d'aimer...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro