Hans et Sebastian étaient assis sous le porche de la boutique d'Oaken depuis une bonne heure maintenant. À l'intérieur de la cabane vidée de ses clients à une heure aussi tardive, Anna et Elsa discutaient.

— Le héraut, c'était pour ce que je crois ? demanda soudain Sebastian.
— Oui. Anna est persuadée qu'Elsa ne va pas très bien et qu'elle a besoin de repos, et ce que tu viens de me dire me le confirme.
— La destruction de son palais a eu raison de ses pouvoirs. Pour le moment, elle est totalement à sec, elle n'a plus une once de magie en elle, ou du moins si, mais à peine de quoi invoquer. Crois-tu qu'elle va accepter de se faire évincer de cette manière ?

Hans secoua la tête.

— Anna ne l'évince pas, elle s'inquiète pour elle, la proclamation de régence n'est pas un insurrection, loin de là, Anna ne veut pas être reine, elle n'a pas été éduquée pour ça, ni Elsa du reste, mais pour la protéger, elle est prête à se la mettre à dos.
— Je ne pense pas qu'Elsa lui en voudra, depuis que nous sommes arrivés, ce matin, elle est très abattue, elle n'a presque pas parlé, elle ne m'a pas menacé, elle... J'ai du mal à la reconnaître.
— Que s'est-il passé depuis un mois ? demanda alors Hans.
— Entre elle et moi, ou concernant mon pseudo-enseignement ? railla Sebastian.
— Les deux ?

Bash soupira.

— Rien.
— Rien ? Rien du tout ? Je veux dire, ne va pas te méprendre, mais tu as vécu avec elle pendant un mois et... et rien ?
— Et rien. Elsa est pire qu'une grille de coffre-fort, elle cache ses émotions, elle cache ses sentiments, ses pensées... Les premiers jours, elle m'a semblé vouloir apprendre, puis elle s'est mis en tête qu'elle n'y arriverait pas et ça a été terminé, je n'ai plus rien pu en tirer.
— Alors le tremblement de terre... ?
— Elle a perdu le contrôle de ses émotions, ses pouvoirs se sont déchaînés, j'ai tenté de la ramener à la raison en lui disant qu'elle allait nous tuer tous les deux, mais elle n'était plus là. Quand j'ai vu le sol de la salle se briser en millions de cristaux d'un coup, j'ai compris que nous étions perdus...
— Et pourtant.
— J'avais déployé un bouclier magique pour nous protéger des morceaux de glace du plafond, j'imagine qu'il nous a sauvé la vie...

Hans hocha lentement la tête. La porte de la cabane s'ouvrit soudain sur Anna qui s'approcha en silence des deux hommes et s'assit sur le genou de Hans avec un profond soupir. Il lui frotta le dos et elle serra les lèvres.

— Moi qui pensais recevoir une pluie de glace et d'injures... dit-elle. Elle n'a presque pas réagi, elle n'a fait que hocher la tête à chacune de mes phrases et quand je lui ai demandé si elle avait bien compris ce que cela signifiait, elle a dit que oui.
— J'imagine que nous ne rentrons pas au palais ? demanda Sebastian.
— Non, j'ai fait ouvrir la maison de mon père, vous allez vous y installer et tu vas t'occuper d'Elsa, répondit la jeune princesse. Elle m'a expliqué pour le château, puis elle a essayé de faire quelques flocons, mais elle n'y est même pas arrivée...
— Lorsqu'elle a perdu le contrôle, le château a absorbé toute sa magie et une fois arrivé à saturation, il a implosé... expliqua le jeune magicien. Il n'y a plus rien, plus que des blocs de glace, plus d'Olaf, plus de Gardien, rien. Je ne suis même pas sûr de me souvenir si le pont de glace existe encore...

Anna serra les lèvres. Elle baissa les yeux sur Hans et soupira.

— Demain matin, vous vous rendrez directement à l'est d'Arendelle, sans passer par la ville, et vous vous installerez dans le manoir. Le chambellan et la gouvernante du palais y sont, ils vous accueilleront. On ne voit pas le palais depuis la maison, ce sera moins difficile pour ma sœur. 
— Elle risque de réaliser plutôt violemment qu'elle a été mise de côté, Bash, intervint Hans.
— Sans ses pouvoirs, je ne crains que quelques coups de poings sur le torse, répondit ce dernier avec un sourire. Si d'ici-là elle a retrouvé ses pouvoirs, alors ne soyez pas surpris qu'il se mette brusquement à neiger...

Hans secoua la tête avec un sourire. Sebastian assura qu'ils seraient au manoir le lendemain dans la journée. Hans et Anna reprirent ensuite leurs montures pour rentrer, silencieux, un peu perturbés de voir Elsa si paisible alors que d'ordinaire, elle était prompte à réagir.

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Oaken leur ayant volontiers prêté sa chambre à l'arrière de sa boutique, lui s'étant installé dans le sauna, Elsa et Sebastian eurent bien du mal à dormir, surtout Sebastian qui demeura éveillé, toute la nuit, craignant qu'Elsa ne décide de lui fausser compagnie. Il n'en fut rien et au matin, le magicien trouva sa compagne endormie dans le grand lit, lui s'étant installé sur le canapé.
Voyant que la jeune femme était réveillée, Sebastian s'assit au bord du grand lit confortable et Elsa se tourna sur le dos.

— Magie ? lui demanda-t-il.

La jeune femme leva la main et un flocon apparut l'espace d'une seconde pour mourir aussitôt.

 — C'est fini, dit-elle. Je ne suis désormais plus qu'une pauvre humaine condamnée à une vie morne et linéaire en attendant la mort.
— Tu n'es pas un peu dramatique ?
— Si... Mais tu admettras qu'une magicienne sans pouvoirs...

Bash inclina la tête puis se releva.

— Fais un brin de toilette, nous partons dans deux heures, annonça-t-il.
— Tu vas vraiment obéir à Anna ?
— Elsa, non seulement c'est ta sœur et elle est inquiète pour toi, mais c'est désormais la Régente d'Arendelle jusqu'à ce que tu ailles mieux. Je ne suis pas un de vos sujets, je suis invité, je dois donc encore plus obéir.

Elsa inspira et se releva sur un coude, pensive.

— Très bien. Je te retrouve dans le salon.

Sebastian opina et quitta la chambre. Une bonne odeur de café l'attira jusque dans la boutique et il trouva Oaken en train de chanter tout en faisant des œufs au plat sur un fourneau.

— Ah, le voilà ! Bien dormi ?
— Très bien, merci, mentit le jeune homme. Elsa arrive. Tu n'es pas obligé de nous faire à manger, tu sais ?
— Allons bon, Elsa est ma reine, si je ne la traite pas comme elle le mérite, je m'en voudrais !

Sebastian rigola. Il devait être sept heures du matin, le soleil n'était pas encore levé dans cette partie reculée du royaume, surtout au milieu des grands sapins.

— J'ai entendu Anna hier, dit alors Oaken. Elle a pris la Régence pour de vrai ?
— Oui. Elle s'inquiète pour sa sœur et c'est normal. Enfin j'imagine ?
— Ouais, c'est normal, mais de là à la pousser de son trône pour s'y installer...
— Elsa est toujours la reine, elle est simplement sur le banc de touche pendant quelque temps. La destruction du château de glace l'a vidée de sa magie, elle est à peine capable de faire apparaître un flocon. Je vais la conduire dans le manoir de son père qu'Anna a fait ouvrir puis...

Oaken renifla.

— Si tu dis que tu vas partir, je te lance cette poêle au visage ! grogna-t-il.
— Mais je... Non ! répliqua le jeune magicien, surpris. Je pensais juste la laisser tranquille et m'installer en ville et...
— Reste avec elle, répondit Oaken, les sourcils froncés. Elle ne te le diras jamais, mais tu es ce qui lui est arrivé de mieux dans sa vie depuis longtemps. On a tous été très affectés par la mort des parents des princesses et ils étaient reclus depuis si longtemps que voir le roi et la reine sur le quai en partance a été presque un événement mondain. Puis quelqu'un a annoncé que le bateau avait coulé et là, le château s'est claquemuré... Ces pauvres enfants n'ont jamais été heureuses, alors maintenant qu'elles le sont, grâce à toi et grâce à Hans, ne gâche pas tout, d'accord ?

Sebastian serra les mâchoires.

— Je n'ai pas été ramené ici pour ça, je devais juste enseigner à Elsa comment contrôler ses pouvoirs, mais elle ne veut rien savoir, elle est bornée et agressive, elle refuse de s'ouvrir, de me raconter sa vie, même si j'en connais une partie, et je suis à court d'idées.
— Laisse-lui du temps. Elle a vécu dans sa chambre pendant dix ans sans jamais en sortir, incapable de contrôler ses pouvoirs... Et le jour où elle devient reine, elle pète un plomb et disparaît dans la nature pour embrasser sa vraie nature, laisser sortir toute la frustration qu'elle avait accumulée depuis des années. Ça prendra du temps de la ramener du bon côté, si j'ose dire.
— Et qui vous dit que j'ai envie d'être ramenée du bon côté, messieurs ? lâcha alors une femme.

Oaken et Sebastian tournèrent la tête. Elsa apparut à l'entrée de la pièce et Bash l'observa de haut en bas. Exit la robe bleue en dentelle et cristaux, bonjour l'épaisse robe longue en laine marron, serrée à la taille par une large ceinture. Elle avait une cape sur le bras, bordée de fourrure de renard roux qu'elle déposa sur une chaise.

— J'avais froid, répondit-elle simplement à la question muette des deux hommes. Je me suis permise de fouiller dans la penderie, Oaken, le palais te paiera.
— Pas besoin, je te l'offre, Majesté.

Elsa inclina la tête. Oaken lui fit ensuite signe de s'asseoir et le couple avala son petit-déjeuner composé de café bien chaud, de poisson séché et de légumes bouillis. De quoi tenir toute la journée.

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À Arendelle, Anna était inquiète. Elle avait demandé à sa gouvernante qu'elle envoie quelqu'un la prévenir dès l'instant où Elsa et Sebastian seraient en vue du manoir, mais il était bientôt midi et toujours aucune nouvelle.

— Ne t'en fais pas, ils vont arriver...

Anna coula un regard à Hans, occupé à lire dans un canapé. Soudain, on toqua contre la porte du boudoir et Anna fit entrer.

— Madame, ils sont arrivés au manoir, annonça une domestique en s'inclinant brièvement. Dois-je leur transmettre quelque chose ?
— Non, rien, merci, mais veillez à ce qu'ils aient tout ce qu'ils désirent. Ma sœur n'est pas très bien en ce moment, elle doit se reposer et éviter les contrariétés.
— Si elle veut savoir ce qu'il se passe ici ?
— Faites-vous raconter les choses par vos pairs puis rapportez-les-lui, mais ne dramatisez rien.
— Bien, Madame.

La jeune femme s'inclina puis quitta la pièce et Anna inspira en serrant ses mains l'une sur l'autre. Hans ferma son livre et elle pivota vers lui.

— Tout va bien, dit-il en se levant. Sebastian est avec elle, une fois que le choc de la destruction de son château de glace sera passé, elle reprendra le dessus et il lui réapprendra à utiliser sa magie. Il m'a expliqué que le château avait tout absorbé avant d'imploser, c'était loin d'être prévu, mais c'est comme ça, on peut plus rien y faire.
— Elle le reconstruira, tu crois ?
— Si elle n'en a plus l'utilité, alors je ne vois pas l'intérêt. Bash a son bâton, c'est lui son catalyseur de magie. Elsa a construit son château pour extérioriser sa frustration accumulée pendant dix ans, aujourd'hui, elle est adulte, épanouie, elle n'en a plus besoin, elle peut se contenter d'un objet comme le bâton de Sebastian.
— Tu crois ?

Hans opina. Il posa ses mains sur les épaules de sa compagne et lui posa une question silencieuse à laquelle elle répondit en hochant la tête, les lèvres serrées. On toqua à nouveau à la porte et un domestique annonça que le déjeuner était servi. Le couple opina puis Anna se tourna vers son compagnon une seconde. Il lui releva le menton de son index et l'embrassa du bout des lèvres avant de lui proposer son bras pour qu'ils se rendent à la salle à manger.

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Le manoir de feu le roi Agdar n'était pas aussi grand que le château royal, mais comptait tout de même huit chambres sur deux étages, une pièce à vivre au rez-de-chaussée qui occupait toute la surface, découpée en salon, salle à manger, bureau et bibliothèque, et au niveau inférieur, les cuisines et tout l'office avec les chambres des quatre employés qui y vivaient à demeure à l'époque, pour le moment encore vides.

— Je n'étais pas revenue dans cette maison depuis... des années.

Sebastian observa Elsa puis la maison. Ils se trouvaient dans le salon et malgré le fait que son propriétaire soit mort depuis plusieurs années et que la maison ait été fermée depuis son mariage et son accession au trône, vingt-deux ans plus tôt, elle était en très bon état.

— Combien de temps allons-nous rester ici ? demanda alors Elsa.
— Anna estime qu'il te faut tout le repos nécessaire pour te remettre de tes émotions et pour que ta magie revienne, répondit Sebastian. Ne t'en fais pas, je vais rester avec toi, sauf si tu ne veux pas de moi, auquel cas j'irais m'installer...

Le regard qu'Elsa lui lança l'empêcha de continuer sa phrase et il proposa qu'ils aillent s'installer dans leurs chambres et qu'ils prennent un peu de repos. Elsa préféra se faire servir à déjeuner et Sebastian se sentit obligé de l'accompagner avant de renoncer au dernier moment, mû par une soudaine migraine.
Il gagna donc une chambre au premier étage et s'assit sur le large lit en observant la pièce sobrement décorée. Elle avait été nettoyée très soigneusement, il n'y avait pas une poussière visible, les draps sentaient le propre et même le parquet était étincelant.

— Je passe d'une grotte à un palais de glace puis une chambre digne d'un prince... souffla le jeune homme. Je n'aurais jamais imaginé que rencontrer un autre Magiker changerait ma vie à ce point. Et quelque chose le dit que je ne suis pas au bout de mes peines...

Il rencontra alors son regard dans le miroir et pinça les lèvres. De toutes les recherches qu'il avait faites des dernières années, le trait commun qui était ressorti concernant sa race, c'était les cheveux blonds et les yeux bleus. Elsa ne faisait pas exception à la règle et le fait qu'elle aurait pu être adoptée par ses parents semblait prendre de plus en plus de sens au fil des heures...

Sebastian étouffa soudain un bâillement et décida de faire une sieste. Il n'avait pas faim et estimait que Elsa avait besoin d'un peu de temps seule, donc il faisait confiance aux domestique de la maison pour ne pas la laisser filer sans surveillance, une chose qu'Anna avait dû leur dire, de toute manière.