Chapitre Deuxième
L'automate se ranima dans un vaste hangar. Une impressionnante machine trônait au centre, gardée par plusieurs soldats. Il s'agissait d'un assemblage de cuivre doté d'une multitude de canons ; une véritable arme de guerre. En y regardant de plus près, Yacynthe remarqua qu'une tête robotique émergeait du tas de ferraille. Les canons n'étaient en réalité que la partie visible de l'iceberg.
L'engin de guerre semblait être là depuis un certain temps, inachevé pour une raison qui échappait au petit garçon. Quand le drôle d'engin cessa d'attirer le regard de celui-ci, il remarqua que la salle était bondée de militaires.
— Bel engin, n'est-ce pas ?
Un soldat avec un long manteau pourpre se trouvait devant Yacynthe. Il le reconnut aussitôt : l'assassin de son père. L'automate retrouva son bon sens et essaya de s'extirper de la cage dans laquelle il était enfermé. Mais ses membres métalliques ne répondaient pas à sa commande ; on avait dû débrancher le fil qui lui permettait de les contrôler.
— Laissez-moi ! Vous n'avez pas le droit de me retenir prisonnier ici ! J'ai rien fait !
— Pas le droit ? Tu ne sembles pas saisir la situation, alors, laisse-moi t'éclairer. Je suis un être humain : j'ai des droits. Tu es une machine : tu n'as pas de droits.
— Et qu'est-ce qui différencie un humain d'un automate ? J'ai la même apparence que vous, les mêmes sentiments que vous, je suis né d'un père humain,...
— Les mêmes sentiments ? Ça, c'est toi qui le dis. Tes yeux ne peuvent pas produire de larmes, ton cœur ne peut pas se serrer, tes poumons ne peuvent pas contenir d'air et ta respiration ne peut donc pas s'accélérer. La liste est encore longue, mais je crois que tu as saisi l'idée. Pour résumer, tu ne vis pas. C'est à peine si tu existes. En tous cas, tu n'as aucune valeur. Du moins, conscient, ajouta le général avec un sourire pervers. Les animaux sont vivants et ont des droits, mais toi, tu n'en possèdes pas même un seul.
— Mais moi aussi, je peux souffrir ! Je ne suis peut-être pas fait de chair et de sang, mais je vis. Sinon, je ne pourrais pas avoir eu tous ces moments de bonheur avec papa, je ne pourrais pas avoir ressenti toute cette tristesse quand vous l'avez tué et toute cette haine contre vous maintenant ! Vous vous trompez : ce qui définit un être, c'est ses émotions. Et je suis plus vivant que beaucoup d'humains ! Je suis plus humain que beaucoup d'humains ! termina Yacynthe en regardant la diabolique machine.
— D'accord, petit. Tu as peut-être des émotions. C'est vrai que ton père devait t'aimer énormément, mais il t'a volé. C'est moi qui t'ai créé. Tu es ma propriété.
— Vous mentez !
Le général eut un ricanement.
— Le cœur qui t'alimente est une véritable œuvre d'orfèvrerie. Wheeler, aussi brillant était-il, ne serait jamais parvenu à le réaliser. Ce que tu portes en toi est le fruit du travail acharné des meilleurs scientifiques d'état. Projet que j'ai financé ! J'ai remarqué que ce petit bijou en matière d'avancée technologique ne t'a pas échappé, poursuivit le général en désignant la monstrueuse machine au centre du hangar. J'ai l'immense honneur de te présenter le Pacificator : l'arme qui va changer le monde en asseillant définitivement le pouvoir de l'armée. Cette machine va nous conférer un pouvoir absolu, l'arme la plus puissante que cette terre n'ait jamais vue ! Le monde de demain sera un monde d'obéissance où le moindre écart sera sévèrement sanctionné. Plus de délinquance, plus d'expériences aussi discutable que ta création, plus de...
— Et votre arme ? Vous ne la qualifiez pas d'expérience discutable, elle aussi ?
— La ferme ! La ferme ou je débranche ta fonction langagière en plus de la motrice !
Le visage du militaire avait pris une teinte aussi pourpre que son manteau en une fraction de seconde. Il était fou, inarrêtable et prêt à tout pour mener à bien son projet.
— Maintenant, je ne sais plus où j'en étais ! Mais cela n'a aucune importance, je vais aller droit au but. Ton cœur va permettre à ce monde idéal de voir le jour ; car c'est le moteur qui devait alimenter le Pacificator et le seul capable de le faire. Depuis le temps que le projet est en suspens, il faut que nous revoyions certaines choses avant d'entamer la procédure. Nous n'espérions plus mettre la main sur toi après ces années de vaines recherches. En somme, profite bien de tes derniers instants de conscience, car cela ne va plus durer très longtemps.
Suite à cette dernière menace, le général s'en alla et laissa Yacynthe seul. Il regarda autour de lui, mais ne vit aucune issue. Le hangar était bondé et il était privé de motricité.
— Hé, petit !
Une voix familière l'interpella soudain. Colombus.
— Qu'est-ce que tu me veux ?
— Écoute, bonhomme. Je suis désolé. Si tu savais comme je regrette... Je ne pensais pas qu'ils iraient jusqu'à tuer Cole... Je... Pardon... Même si je sais que je ne mérite pas que tu me pardonnes. Je n'avais aucune idée de ce qu'ils préparaient. Je pensais qu'ils te transféreraient juste dans un corps de fer et qu'ils prendraient ton cuivre, c'est tout. Jamais, je n'ai voulu...
— Ça ne change rien, de toute façon. Il est trop tard pour regretter...
— Non, mon petit. Écoute-moi. Je vais te libérer, mais il ne faut pas qu'ils te retrouvent. Ce qu'ils préparent est monstrueux et il faut l'empêcher à tout prix, tu m'entends ?
— Comment ?
Colombus s'enferma dans un mutisme et baissa la tête. Il ne pouvait pas faire une telle suggestion à un enfant. À un enfant qui n'aurait pas à commettre un acte aussi dur s'il ne l'avait pas trahi. Une larme glissa le long de sa joue alors qu'il rebranchait la fonction motrice de Yacynthe. Colombus déverrouilla la cage qui retenait l'automate prisonnier et se précipita vers l'arme de destruction massive. On aurait su que c'était lui et il aurait été exécuté. Alors, autant faire un max de dégâts avant.
Yacynthe comprit immédiatement et profita de la diversion de Colombus pour s'enfuir. En quittant le hangar, il entendit une rafale de coups de feu. Colombus était mort. Cela signifiait aussi qu'on ne tarderait pas à remarquer sa disparition. Le petit garçon ne traîna pas une seconde et se mit en course.
Il savait ce que Colombus avait voulu dire. Le seul moyen d'empêcher la catastrophe était la destruction du cœur de cuivre. Tant que celui-ci alimenterait son corps, il n'était qu'une question de temps avant que l'armée n'impose son pouvoir absolu. Cela entraînerait inévitablement des guerres de territoires jusqu'à ce que la Terre ne forme plus qu'un seul et unique pays soumis au régime. Il fallait détruire le cœur. Même si cela impliquait de sacrifier sa vie. Yacynthe avait compris que cela signifiait la mort ultime, celle qu'il aurait dû trouver un an auparavant.
Il se dirigea vers la zone industrielle qui était toujours active. Sans un bruit, il s'introduisit dans une usine métallurgique. Avant de faire le moindre geste, il le chercha des yeux et le trouva. Le four chauffait à plus de mille degrés.
Les ouvriers s'affairaient. Il attendit. Longtemps.
Yacynthe pensa à son père. Il ne serait pas mort en vain. À Colombus. Il les avait trahis. Sans lui, rien de tout ça ne serait arrivé. Mais il s'était racheté en donnant sa vie pour empêcher le désastre. Yacynthe éprouvait toujours de la rancœur, mais au fond, Colombus restait le seul ami qu'il ait jamais eu. Il songea à la mort. Il n'avait plus rien. Rien qu'un monde inconnu qui lui avait apporté plus de déceptions en quelques heures que son existence entière. La vie n'avait plus rien à lui apporter. Au Pacificator. Les ouvriers prirent leur pose.
Il n'hésita pas.
Il se jeta à l'intérieur de l'étuve brûlante. Les flammes enveloppèrent l'automate. Très vite, des gouttes se formèrent sur son visage. Le cuivre fondu ruisselait comme pour former des larmes. Ce n'était plus qu'une question de temps avant que le feu ne le mène à la mort. Une seconde fois. La bonne.
Le lendemain, dans les cendres, l'on ne retrouva qu'une masse noire, en forme de cœur.
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