15 septembre 2022.

« Une attaque à Westminster Hall lors de l'hommage à Elizabeth II fait 128 morts et une trentaine de blessées légers. »

Il était aux alentours de cinq heures du matin lorsque j'entendis des voix dans le salon. Je m'en sortais avec des contusions, des bleus aux genoux et aux coudes, ainsi qu'un perpétuel traumatisme. La nuit avait été longue pour tout le monde. Par chance, ni ma mère ni mon frère n'avait été touché mais je ne savais pas si je devais m'en réjouir. Je me levai difficilement de mon lit, les articulations endoloris avant de rejoindre à petits pas le salon. Attablée, les coudes enfoncés dans le bois, ma mère se tenait le visage entre ses mains.

— Tu n'aurais pas dû l'emmener là-bas, lâcha Damian, certainement caché dans la cuisine.

Après l'attaque, les Républicains avaient été neutralisés. Aux abords de la Tamise, des arbres brûlaient et nous avions passé le reste de notre journée entourés de gendarmes et de pompiers. Les images ne quittaient plus mon esprit. J'eus un frisson. Je restai dans l'ombre du couloir et continuai de les écouter :

— Je ne pouvais pas savoir que des fous allaient nous attaquer, grogna ma mère, la voix pâteuse.

— Je pouvais très bien rester ici avec elle, répliqua-t-il aussitôt.

— Et me laisser endurer seule cet attentat ? Ne sois pas égoïste, Damian. Des milliers d'anglais ont rendu hommage à la reine, alors fait preuve de dignité.

Mon frère aîné soupira longuement.

— Si tu arrêtais d'être parano, peut-être que je serai plus « digne ».

Il insista sur ce mot comme s'il s'agissait d'une insulte.

— Tu te comportes comme un père, cracha-t-elle grassement.

— Peut-être parce qu'elle en a besoin d'un, pas d'une doctrine à la con pour lui griller les neurones.

Ma mère venait de tirer la cigarette du désespoir. La fumée embauma peu à peu la pièce à vivre, tout comme la culpabilité qui grandissait en moi.

— Attaque ou non, ça ne change rien, maman. Tu t'attendais à quoi, au juste ? Elle n'a que quatorze ans. Elle ne comprend même pas pourquoi tu la baratine avec la reine. Le monde change, tu devrais en faire autant, dit-il d'un ton plus bas en apparaissant dans mon champ de vision.

Il s'assit face à ma mère et s'empressa d'ajouter :

— Et arrête de toucher à ces boîtes à cancer, la vie coûte déjà assez cher comme ça.

Je posai ma tempe contre le mur et fixai le vide. Ils continuèrent de discuter très fort et aucun d'eux ne se rendit compte de ma présence. Je savais inconsciemment qu'une partie de moi était morte ce jour-là.

16 septembre 2022.

« Un troisième corbeau de la Tour de Londres nous a quitté ce matin même, mangé par un renard vagabond. Les autres ne sont toujours pas revenus. »

Le dernier jour de cours de la semaine s'annonçait déjà mal. Par-dessus mon épaule, ma mère lut l'article, horrifiée. Depuis dix jours, les journaux ne cessaient de galvaniser la peur du peuple. Je touchai à peine à mon assiette durant le déjeuner. Je ne savais plus quoi faire. Damian n'évoquait le sujet que lorsque cela lui chantait et refusait toute discussion de ma part. Quant à ma mère, elle élaborait des hypothèses sur les corbeaux toutes plus folles les unes que les autres. L'entendre se plaindre ne me rassurait pas concernant cette fameuse légende.

17 septembre.

« Depuis qu'il est roi, Charles III a déjà suscité diverses polémiques. » Je n'eus aucune surprise en lisant ces propos. Cette fois-ci, il s'agissait d'un journal imprimé que ma mère avait ramené du bar-tabac du quartier. Elle braillait encore dans son coin sur l'incompétence de Charles III. Moi, je ne faisais que rester figée pour l'écouter. Quant à Damian, il en avait eu marre. Depuis avant-hier, il passait ses journées dehors et ses nuits à s'engueuler. Il était le seul de la famille à écumer les rues pour constater les dégâts des Républicains. Leurs attaques se faisaient de plus e plus nombreuses et de plus en plus effrayantes.

Dès la tombée de la nuit, il me racontait ce qui se passait à l'extérieur. Certains bâtiments n'étaient plus qu'un tas de poussière. Les poubelles brûlées produisaient de la fumée si noire que je pouvais apercevoir quelques nuées à partir de la fenêtre de ma chambre. Quand les médias parlaient « d'un chaos des corbeaux », mon frère lui, pensait encore à tort que tout allait se tasser. Ma mère était paranoïaque, Damian lui plongeait dans le déni le plus profond. J'espérais être l'entre-deux.

18 septembre 2022.

« Les huit petits enfants de la reine Elizabeth II se recueillent devant son tombeau sous le regard des visiteurs qui sont venus faire leurs adieux. Les princes William et Harry ainsi que leurs six cousins : Peter, Zara, Beatrice, Eugenie, Louise et James, ont rendus un dernier hommage à leur grand-mère dans le silence. Cette veillée funèbre survient le lendemain de celle des princes. »

Le moment fatidique n'allait pas tarder à arriver. Les Britanniques avaient jusqu'à ce lundi, six heures trente du matin, pour faire leurs derniers adieux. C'était sans compter sur ceux que ma mère allait vouloir faire à tout prix. Je savais qu'elle allait encore nous promener de rue en rue pour rejoindre l'endroit où nous avions été attaqués. Rien que d'y penser, ma gorge s'entrava. Les images me revinrent en mémoire. La chair de poule me gagna. Le cataclysme était proche, ce n'était plus qu'une question de temps.

19 septembre 2022.

« Lors des funérailles historiques de la reine Elizabeth II, la Tour de Londres a été attaquée par les Républicains. Le monument a explosé à plusieurs endroits et les décombres ont tués sept passants. Les trois derniers corbeaux sont morts, achevés par balle. Le royaume craint le pire pour l'avenir.

L'inhumation avait lieu aujourd'hui. La famille royale avait droit à une cérémonie privée avec les gardes royaux et tout le tapis militaire qui se déroulait derrière eux. Elle était retransmise en direct sur les plus grandes chaines. Il s'agissait là encore d'un jour où je ne verrai pas ma mère, trop occupée à fixer l'écran. Près d'elle, il y avait un carton de mouchoirs depuis exactement onze jours. J'aurais pu en faire abstraction si elle ne l'avait pas déjà remplacé trois fois. L'année dernière, en cours d'anglais, nous avions appris que le cercueil du prince Philip était entreposé dans le caveau royal jusqu'à ce que la reine Elizabeth II le rejoigne. Cependant, je préférais garder les yeux sur mes cours plutôt que de pleurer faussement aux côtés de ma génitrice. Même la porte de ma chambre fermée ne me séparait pas de ses braillements incessants.

Quelques fois, je levai les yeux vers ma fenêtre. J'observai le ciel d'un regard inquiétant à chaque bruit parasite qui transperçait ma tranquillité. La force militaire et policière réquisitionnée avait coûté des millions à la Couronne. La rue était donc libre, prise aux griffes des Républicains. Au bout de quelques minutes seulement, il m'était devenu impossible de reposer les yeux sur mes cahiers. Allait-on assister au chaos des corbeaux ? 

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Le reste sera publié à mon rythme :)