Chapitre 03 : L'inconnu sans visage (1/2)
Son visage me restait toujours inconnu. Maintenant quatre jours de plus qu'il traînait dans les parages. Toujours rien. Hier après-midi, nous avions encore piller un petit commerce de proximité. Au fil des mois et des années, les propriétaires n'étaient même plus étonnés de tomber sur des personnes comme nous. Dans cette société, cinq ans après l'insurrection, tout pouvait arriver. Le réfrigérateur était rempli et je venais de passer presque une journée entière au hangar en compagnie de Faith et des garçons.
Aujourd'hui, je n'avais pas assez de pence pour aller m'acheter un paquet. Et je n'en n'avais plus. Mes doigts commençaient à convulser. Je devenais irritable lorsque je n'avais plus ma dose de nicotine entre mes doigts. Lorsque c'était comme cela, je ressemblais à un déchet aussi pourri que l'était ma mère de son vivant. Je le savais mais je n'arrivais pas à m'empêcher de fumer. Cette merde en boîte me détendait plus que n'importe quoi et je haïssais le pouvoir qu'elle avait sur moi.
— Déstresse, Oprah, tenta doucement Zachary, installé sur l'un des vieux sièges qui gisait devant la banquette.
— J'aimerais bien, petit malin. J'ai envie de tourner en rond comme un lion en cage.
Les pence égarés au sol ne m'avaient jamais autant obsédé qu'aujourd'hui. Je restais rarement plus de quelques heures sans paquet mais là, cela faisait déjà presque vingt-quatre heures. Si Morgan n'avait pas instauré ses règles à la noix j'aurai déjà fait le trottoir pour récupérer des tiges. Cela faisait déjà dix minutes que nous étions assis là en attendant que Morgan règle un problème d'électricité. Je m'emmerdais comme un rat mort. Il faisait toujours aussi moche dehors et moi, je me sentais pleine d'anxiété et de tremblements. Malgré mon intention de garder mes émotions pour moi, je sentais que ce manque prenait le dessus sur moi.
Une semaine que j'enquêtais silencieusement sans ne jamais obtenir quoi que ce soit. Tout ce que l'on savait de lui était qu'il avait accès à une technologie qui nous avait été refusé et qu'il avait des manières de Monarchiste. Ces deux points n'allaient pourtant pas ensemble. L'un ne pouvait plus aller avec l'autre, plus depuis la mort d'Elizabeth II. Combiné ça à mon manque de nicotine, tout était opérationnel pour me faire péter les plombs. Derrière nous, j'entendis enfin les barreaux de l'échelle résonner contre de lourdes bottes.
— C'est réparé. Vous avez intérêt à rien casser, je vais pas faire le technicien tous les quatre matins.
— Chef, oui chef.
Puis, ils commencèrent à discuter comme si je ne me trouvais pas dans les parages. Je ruminais au point où leur conversation n'avait déjà plus aucun sens au bout de quelques minutes. Ils savaient cependant tous les deux qu'il ne fallait pas me faire sortir hors de mes gonds aujourd'hui. Ce brouhaha ambiant insupportable me poussa à me lever et à sortir du hangar. Le temps maussade ne donnerait envie à personne mais il fallait que je marche, que je me détende pour évacuer toute cette angoisse dont je ne voulais pas.
Je commençai à marcher sans but après avoir quitté le terrain boueux des alentours. Je fourrai mes mains dans les poches de ma veste de pluie d'un bleu pastel. J'avais le regard rivé sur mes tibias que les élastiques de mon jogging soulignaient. Mes chaussures étaient crasseuses à force de marcher des kilomètres mais aussi à fréquenter ce quartier de la ville.
Même si on m'avait proposé de faire les quatre-cent coups avec les autres, je n'aurais pas pu tenir la cadence. Mes convulsions se faisaient plus nombreuses de minute en minute. Mes jambes étaient engourdies, c'était à peine croyable si j'arrivais encore à mettre un pied devant l'autre. Je longeai silencieusement Tower Bridge Road, du moins, ce qu'il en restait. Ici se trouvait des bâtiments en briques rouges, pleins d'appartements laissés à l'abandon. Les corrompus avaient dû changer de quartier, ce qui laissait la place à d'autres squatteurs. Finalement, la République Absolue était un mal pour un bien. Elle nous avait permise de nous regrouper en un quartier, nous, les Monarchistes.
Je passai sous un pont et croisai quelques uns des miens, installés à l'abri. Même si je ne les connaissais pas, je les saluai poliment et continuai ma route. Plus aucune voiture ne passait dans ce coin. Tout nous avait été enlevé, jusqu'au moindre privilège. C'était le sort réservé à ceux qui s'opposait à la présidente depuis que la famille royale était tombée. Personne ne savait ce qu'ils étaient devenus, du moins en ce qui concernait les orphelins que les Républicains avaient laissés derrière leur passage. Seuls eux devaient en avoir connaissance.
Je divaguai un peu trop dans mes pensées jusqu'à ce qu'une silhouette devant moi m'interpelle. Je marchai toujours sans but mais mon inconscient s'était comme qui dirait, focalisé sur autre chose. Il ne m'avait probablement pas remarqué mais il avait lui aussi les mains dans les poches. Je me sentais plus rassurée que lorsque c'était moi qui me trouvais devant. Pour la première fois, j'avais les commandes de cette rencontre. Comme si je marchais seule, je ramassai un mégot usé à terre et tentai de tirer le semblant de cigarette qui se trouvait entre mes doigts. Victoire. Pas très recommandé, mais je m'en foutais.
Il ne se retourna pas. Nous entrâmes dans l'un des coins les plus hostiles du quartier. Près des quais, il y avait du monde, des squatteurs, des personnes comme Romy qui vendait à prix dérisoires ce dont on avait besoin. Ici, personne, pas même un chat. Les bâtiments en briques rouges avaient les vitres cassées et une allure lugubre. Sur le sol, les déchets s'étalaient, les mégots, des tracts, des bouts de verres. Un silence de mort régnait malgré mes pas et ceux de ma cible. La fumée que je recrachai de mes poumons alla en contre sens, embruma ma vision puis se dissipa. L'odeur du tabac se faisait plus forte. Pourquoi ne réagissait-il pas ? Et surtout, où allait-il ?
Le sol irrégulier continuait sur un terrain vague jusqu'au porche d'un immeuble vieux de l'après-guerre. La couleur des matériaux avait été remplacée par de la crasse et de la vieillesse. Au-dessus de moi : des vitres dans lesquelles se trouvait un trou béant de noirceur, des vitres brisées ainsi qu'une ambiance glauque. L'inconnu m'ignorait encore, jusqu'à ce qu'il tourne à droite après l'auvent. Soulagée ou non, je me retrouvai à nouveau en position d'infériorité. Il jouait au chat et à la souris depuis une semaine et il avait le don de m'énerver. Je m'avançai un peu à l'ombre sans me découvrir de l'autre côté.
— Tu me suis.
Je me figeai.
D'un lent mouvement, j'attrapai ma cigarette et la retirai d'entre mes lèvres.
— Toi, tu me suis.
Rien que ça.
Une bouffée de fumée quitta ma gorge. Je me retournai et lui fit face, enfin. Sous sa capuche sombre, je discernai des yeux d'un bleu abyssal. Un instant, je fus déstabilisée par l'aura qu'il dégageait, je manquai de faire tomber ma sèche.
— Je ne te suis pas, j'explore, nuance.
— Parce que tu es un Républicain. Tu veux des sensations fortes ? Va tremper les pieds dans la Tamise, c'est tout ce que vous êtes capables de faire en matière de dangerosité.
Il sourit avec malice. J'arquai un sourcil. Puis, une fossette se dessina sur la joue qui soulignait son air moqueur. Ses traits étaient ténébreux, plongés dans l'obscurité de son couvre-chef. Quelques mèches grasses ou mouillées tombaient sur son front. Elles étaient fines et noires.
— Je ne suis pas un Républicain.
— T'es mieux fringué que moi, en tout cas. Donne ton secret.
Il pencha un peu sous visage carnassier. Ses sourcils épais se voyaient d'autant plus sous la lumière du jour. Quant à moi, je me trouvais toujours dans l'ombre du porche.
— Je n'en n'ai pas. Je me sers là où il m'est possible d'aller.
— Donc t'es un Républicain.
Il tiqua.
— Ou alors, tu voles.
Il prit une mine outrée. Sa voix suave me faisait l'effet d'une caresse. Elle éveillait toutes les fibres de mon corps comme jamais quelqu'un n'avait réussit à le faire avant lui. Il me fascinait bien plus que trois jours plus tôt et voilà que je me surprenais à détailler son faciès de part et d'autre. L'inconnu sans visage en avait finalement un.
— Alors, pourquoi tu me suis ? repris-je plus placidement.
— Parce que tu me fuis.
Ma minepleine d'incompréhension le fit doucement rire. Je ne me gênais en revanche paspour continuer de le toiser. La fumée enveloppait son visage beaucoup trop angélique.
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