28. CROSS THE LINE

Days like a flipped carnival,
Where up is down and down is up.
And life is mixed with death,
Are what we must survive.

.
.
.

Autour, tout est d'un noir opaque et absolu.  Oppressant. Comme flottant dans une mer de stase immobile,  silencieuse, il se sent comme anesthésié, comme en pause. Il entend au loin quelques voix, principalement la même en boucle, celle qui le rattache encore ici. L'espace-temps complètement déformé, le passé et le futur se mélangent et deviennent tous deux le présent dans une harmonie discordante. D'un seul coup, le temps s'accélère, tout s'agite, l'espace vibre, le présent se distord. Une explosion et un sentiment de complétude absolue l'envahit. Il entend des voix, sa voix. Et alors que les derniers grains de sable du temps lui filent entre les doigts, la stase chamboulée qui l'entoure s'agite violemment, comme prise d'une tempête de spasme. Le présent disparaît.

Il sent de moins en moins son corps alors que ses sens s'apaise malgré l'agitation qui le secoue, ici et là dans l'infini et derrière ses paupières, il sent la vie s'éclipser alors que ses derniers rayons se perdent dans les ténèbres qui l'entourent. La lune brille de sa face la plus sombre. L'horloge sonne. L'espace se fige. Et une page se tourne.

.
.
.

Niki se réveille en sursaut, la respiration affolée alors que sous sa rétine défilent les images des dernières heures dans un flash équivalent à la vitesse de la lumière. Sunoo, il faut que je vois Sunoo. Une main se pose sur sa cuisse au même moment, le faisant sursauter et il tourne le regard vers Jungwon qui le scrute d'un œil inquiet.

«-Attends un peu avant de te précipiter à son chevet. Ça fait trois jours que t'es inconscient alors laisse le temps à ton corps de reprendre conscience aussi.
-Trois jours...?»

En analysant Jungwon, il peut apercevoir quelques bandages dépasser de ses vêtements et il se pince les lèvres.

«-Vous étiez tous là...
-Bien sûr que oui ! Tu crois qu'on allait te laisser foncer droit dans ta mission suicidation ! T'es con ou quoi ? Regarde toi un peu...»

Niki baisse les yeux vers les bandages qui recouvrent son torse nu mais ne peut constater l'état de ses jambes qui sont recouvertes par un jogging. Il frôle les bandes blanchâtre du bout des doigts, se souvenant soudainement chacun des coups qu'il a enduré avec la seule pensée de retrouver Sunoo à tout prix. Il repousse la couverture brusquement et se redresse malgré les protestations du châtain avant de se diriger vers le couloir à la recherche de Sunoo.  Jungwon le retient.

«-Attends !
-Laisse moi le voir.
-Il n'est pas encore réveillé.
-Je m'en fous. J'ai besoin de le voir.»

Il repousse gentiment son aîné et se dirige vers la chambre habituellement attribuée à Sunoo. Il saisit la poignée et ouvre la porte, tombant nez à nez avec Jake qui écarquille les yeux, un éclat de soulagement illuminant son regard.

«-T'es réveillé...»

Le châtain vient saisir son cadet contre lui, tremblant. Niki lui rend l'étreinte, reconnaissant.

«-Comment tu te sens ?
-Courbaturé mais vivant. Merci à toi.
-Merci à Sunghoon pour avoir appelé Heeseung oui ! Tu nous a bien fait peur... Mais j'imagine que tu veux des nouvelles de Sunoo.
-Oui.»

Le châtain repousse un peu plus la porte, laissant maintenant entrevoir une silhouette dans les couvertures du lit qui semble endormie.

«-La transformation s'est déroulée dans sa majorité correctement et c'est un miracle qu'il n'y ait pas eu de complication avec son état. Ses constantes sont encore trop faibles pour assurer une vraie survie mais il se bat vraiment pour se réveiller.»

Le blond entre dans la chambre et s'approche du lit à pas de loup, comme s'il avait peur de faire fuir son aîné, avant de s'asseoir sur le bord de lit, toujours hésitant dans ses gestes. Il vient doucement abaisser la couverture pour dégager le visage aminci de Sunoo qui semble cependant maintenant apaisé. Il sent son cœur douloureusement se serrer dans sa cage thoracique alors qu'il continue d'abaisser la couverture, dévoilant les dernières cicatrices que son père lui aura à jamais laissé avant de définitivement disparaître. Dans son esprit défilent les dizaines d'images que lui a transmis Sunoo au moment de la morsure. Niki vient doucement saisir la main du noiraud pour entrelacer ses doigts aux siens, ballonné par ses propres émotions. Il resserre sa prise, la gorge nouée, en proie à la rage qui le consume alors que les larmes dévalent ses joues. Une main vient se poser sur son épaule et en relevant la tête, il croise le regard doux et empathique de Jay qui vient lui frotter doucement le dos. Il se souvient parfaitement du moment où son cadet est tombé inconscient et l'état était les deux.

«-Heeseung veut te voir...»

Le blond serre la mâchoire, prêt à fermement refuser pour rester aux côtés de Sunoo lorsque Heeseung rentre justement dans la chambre avec un regard perçant. Il fait signe au plus jeune de le suivre avant de disparaitre à nouveau et après un instant d'hésitation, Niki se décide à le suivre à contre cœur, laissant ses doigts glisser entre ceux de Sunoo. En arrivant dans le bureau où Heeseung s'est éclipsé, il retrouve celui-ci accompagné de Siyeon devant qui il s'incline respectueusement lui arrachant un petit rire amusé. Le blond roule des yeux mais ne dit rien, attendant que Heeseung commence à parler.

«-Bon, je te le dis plus par principe qu'autre chose mais tu n'aurais pas du y aller seul. C'était beaucoup trop dangereux et tu n'évalue pas la situation dans laquelle tu t'es fourré sans aucun plan. Je ne remercierai jamais assez Sunghoon de m'avoir appelé.
-Excuse...
-Tu ne te rends pas compte d'à quel point te perdre nous affecterais... Sunoo, c'était déjà tellement compliqué, personne ici n'aurais supporté si t'étais mort ! »

Niki lève les yeux vers son aîné, surpris de voir son masque habituellement stoïque reflétant son sang froid tomber pour laisser place au visage livide et ému du plus vieux qui l'observe, les yeux brillants. Pour la première fois depuis qu'il est ici, il voit son aîné atteint par la situation et il prend alors réellement compte que ses actions ont des conséquences, et pas seulement sur lui.

«-La sorcière qui collaborait...
-Elle va bien. Elle a été punie par le haut conseil sorcier et forcée à l'exil. Elle a été placé dans une maison sorcière située au sud du pays afin de rester surveiller. Minji la rejoindra très bientôt.»

Niki hoche vaguement la tête, satisfait dans un certain sens de la savoir en bonne santé. 

«-Et le père de Sunoo ?
-Mort définitivement. Il ne représente plus une menace pour nous. Ni lui, ni ses acolytes.
-En parlant d'eux, je crois en connaître un...»

Un flash du visage familier traverse son esprit et il se met à dérailler mentalement, les poings serrés. Au même moment, la porte s'ouvre brusquement pour révéler une femme rayonnante, dont le sourire ne cesse de s'agrandir à l'instant où elle aperçoit son fils. Elle l'attrape pour venir le serrer contre, le cœur battant.

«-Je suis tellement heureuse de te revoir parmi nous, si tu savais !»

Niki écarquille des yeux et jette un regard empli d'incompréhension à Heeseung qui se contente pourtant de sourire en murmurant quelques mots que le blond arrive à lire sur ses lèvres. Toi aussi, tu as été absent ses derniers mois, et des choses il s'en est passé. La femme s'écarte et vient poser ses mains sur les deux joues de son fils, admirant les traits adultes de celui-ci.

«-Et si on allait un peu dehors ?»

Et c'est ainsi que le duo mère fils s'est retrouvé assis au bord de la rivière, à écouter silencieusement les flots, chacun ne sachant vraiment où commencer.

«-Je ne savais pas que tu étais sorti de l'hôpital.
-C'était la semaine dernière et c'était un peu la pagaille le temps que j'arrive à stabiliser ma situation.
-Je vois.»

Le silence retombe, encore plus fracassant. Niki attrape une pierre qu'il vient distraitement lancer dans le cours d'eau, sans pouvoir s'empêcher de penser à comment se porte Sunoo à l'heure actuelle.

«-Je suis impressionnée par le lien que vous avez, toi et ton copain.»

La voix chevronnante de sa mère attire l'attention du plus jeune alors qu'il tourne son regard vers la femme assise en tailleur, le regard dans le vague.

«-Je veux dire... Je fréquente la communauté vampire depuis un long moment maintenant puisque ton père avait de bonnes connaissances avant notre union... Et tes amis m'ont raconté énormément de choses sur toi et vous par conséquent. Je ne saurais pas vraiment t'expliquer mais, vous êtes particuliers. Dans le bon sens. Mais j'ai rarement vu une relation comme la vôtre.
-Je vois pas ce qu'il y a d'exceptionnel.»

L'aînée a un sourire amusé, dont Niki n'arrive pas vraiment à identifier la cause, puis elle hausse les épaules avec une expression plus résigné.

«-Ça ne s'explique pas, c'est mon ressenti et mon expérience. J'ai vu des choses, des dérives toute aussi effroyables les unes que les autres. Je suis juste extrêmement fière de voir comment tu as grandi malgré le model que tu as eu.
-Je comprends pas que tu aies pu atterrir avec ce connard...
-Il n'était pas comme ça au début. Et le temps à fait son œuvre... C'est comme ça, on ne pourra rien y changer, c'est le passé. Concentre toi sur ta relation à présent.
-S'il se réveille...»

Le plus jeune s'affaisse sur lui même, écrasé par ses peurs et ses insécurités, le regard se perdant dans les remous constants de l'eau. Sa mère se rapproche pour passer une main rassurante dans son dos avant de l'étreindre doucement.

«-Je suis sûre qu'il va se réveiller. S'il a tenu ces trois mois, c'est qu'il s'est battu. Et sans même le connaître, je sais déjà qu'il est très fort et qu'il va se battre jusqu'au bout. J'ai déjà très hâte de pouvoir le rencontrer comme il se doit.
-Je ne sais pas comment je vais faire si ce n'est pas le cas...
-Ne sois pas si pessimiste !
-Se préparer à encaisser le pire, évite désespoir et déception. Et je préfère être trop sinistre que me bercer d'illusions qui finiront par me détruire.»

Le blond se redresse et en un claquement de doigts, les voilà revenus à la maison des vampires. Sans rien ajouter, il s'éclipse rapidement, coupant court à la conversation.

.
.
.

Dehors, la lune atteint son zénith. La maison est silencieuse, la moitié de ses habitants se trouvent à l'extérieur tandis que l'autre moitié est repartie dans sa propre chambre, isolé. La porte de la chambre dans laquelle comate Sunoo depuis maintenant une semaine s'ouvre délicatement alors que le invité se faufile. Il referme doucement la porte avec un soupire abattu et la lumière de la lune vient éclairer le visage fatigué de Niki qui est hanté par un tas de cauchemar dès qu'il ferme une paupières. Il n'a pas vraiment le droit d'être là, Jake lui a strictement interdit de rester coller à Sunoo jour et nuit mais peu importe. À l'instant, il a juste besoin de sentir son aîné près de lui. Fuck les autres, fuck ma supposée santé mentale, j'ai juste besoin de lui...

Il s'approche à pas de velours, et vient s'asseoir sur le rebord du lit, hésitant. La plupart de ses blessures sont maintenant résorbées et cicatrisées mais malheureusement, son corps est grandement marqué par ces mois où il n'a pas su le protéger. Il passe une main tremblante sur son visage pâle, presque fantomatique et se penche vers lui jusqu'à ce qu'il ne reste que quelques millimètres séparant leurs lèvres. Son regard analyse le visage paisible du noiraud, chacun de ses traits détendu, et il peut presque entendre son rire résonner dans la pièce. Il est tenté de poser ses lèvres contre celle de son aîné, comme attiré à lui par un aimant, et lorsqu'il ferme les yeux, il s'attend à ressentir la chaleur de ses lèvres contre les siennes. Mais au lieu de ça, il se recule et vient simplement s'allonger à ses côtés avec un soupire. Il caresse sa joue avec douceur, le cœur compressé dans sa cage thoracique.

Aucun mot, juste le silence et ses pensées. Il enlace son cadet et ferme les yeux. Je suis là maintenant...

.
.
.

La lumière perce à travers les volets éclairant lumineusement la pièce. Il ne peut s'empêcher de grogner lorsqu'il ouvre à peine les yeux, aveuglé les rayons du soleil. Il mouvoit légèrement sa carcasse endolorie et douloureuse et fini par remarqué le poids qui l'entrave à ses côtés. Il prend une grande inspiration, ignorant sa bouche affreusement pâteuse, et ouvre les yeux pour tourner la tête vers celui qui partage son lit. Une mèche vient lui chatouiller les joues alors que les larmes lui montent, tant la scène devant lui paraît irréelle.

Impossible.

Il retient un sanglots alors qu'il lève une main tremblante vers le visage livide de son voisin.

Niki.

Il n'arrive pas à retenir plus longtemps ses émotions alors que les derniers souvenirs avant qu'il ne perde définitivement conscience lui reviennent en tête. Des coups, des voix puis de l'agitation. Son père qui se met en colère, des coups contre la porte, des cris familier, une explosion. Puis plus rien.

Il est là... Il est venu... Il est venu !

Il se met sangloter bruyamment, arrachant le blond au bras de Morphée qui ouvre immédiatement les yeux paniqué.

«-Qu'est ce.... S-Sun... Sunoo ?
-Niki...»

Le plus jeune se redresse immédiatement, le cœur battant alors que le noiraud se jette dans ses bras, pleurant à chaudes larmes. Le blond resserre son étreinte en le berçant doucement, les larmes roulant silencieusement sur ses joues. Sunoo vient plaquer ses mains sur les joues du plus vieux et plonge son regard dans le sien, envahi par un soulagement sans nom.

«-T'es venu... T'es venu...
-Pardon de ne pas avoir pu te protéger et-»

Le noiraud vient plaquer ses lèvres au siennes, ne lui laissant pas le temps de terminer sa phrase.

«-Merci d'être venu...»

Soudainement, une douleur lui vrille les tympans alors qu'un tas de bruit parasite lui envahit les oreilles. Il se replie sur lui même en fermant les yeux, comme si le soleil lui brûlait la rétine et il sent son corps complètement surchauffer face à l'énorme charge de stimuli. Il s'accroche à son cadet lorsque celui-ci l'étreint, la mâchoire serrée, jusqu'à ce que la crise de calme enfin. En relevant la tête, Sunoo se sent tout à coup vidé de son énergie et il sent son estomac se retourner lorsqu'il croise le regard coupable de Niki.

«-Pardonne moi. Je n'ai pas eu d'autre choix...
-Qu'est-ce que tu racontes ?
-J'ai du te transformer.»