31) Âme Ecarlate
Quelque temps plus tôt, Blaize ouvrit les yeux. Aussitôt, la douleur l'envahit. Elle avait des courbatures à tous les muscles comme si elle venait de faire un marathon. Elle était adossée au mur, entre des décombres poussiéreux. Une chaleur étrange animait son corps, elle la sentait circuler dans sa poitrine, le long de ses bras jusqu'au bout des doigts. C'était nouveau, déconcertant, mais pas désagréable.
Lentement, elle prit appui sur ses mains, se stabilisa et se leva. Le drap que l'Oracle lui avait donné commença à tomber et elle se rendit compte qu'elle était nue, ses vêtements en cendres. Elle attacha le tissu plus sûrement sur une épaule en sorte de robe. Son katana et sa ceinture étaient posés à ses côtés ; ils sentaient la fumée, mais allaient étonnamment bien, elle se servit du cuir pour sécuriser son vêtement improvisé autour de sa hanche. Avoir son arme à disposition la rassurait.
La lumière féerique qui illuminait la salle se dissipait, et au fur et à mesure tout autour d'elle perdait son éclat. Non seulement cela, tout était encore plus vieilli : les statues étaient parsemées de fissures et de plantes parasites, Solarin avait même perdu son nez. Qu'est-ce qui était arrivé pendant qu'elle dormait ? Elle ne se souvenait pas de ce qui s'était passé après qu'elle ait lancé l'attaque contre le cristal. De toute évidence, ce lieu continuait à se dégrader, elle avait dû échouer...
Est-ce que c'était un rêve ? Était-elle dans une sorte de coma ? Blaize se frotta les yeux, mais en ce faisant elle frôla quelque chose sur son front du bout des doigts. C'était lisse, rond et tiède au toucher. Elle essaya de le déloger, d'abord en le poussant sur le côté, puis en tirant. Ça faisait mal, alors elle abandonna assez vite. À chaque fois qu'elle le touchait, un frisson lui parcourait le corps, un éclair partait de la chose jusqu'à ses pieds. Quoiqu'il en était, c'était attaché à elle, greffé sur son front, et elle n'aimait pas ça. En plus de tout le reste elle avait un horrible mal de crâne.
Elle se rappela soudain que la statue de Vastra tenait une sorte de plateau en bronze. Un rapide coup d'œil lui permit de savoir qu'il était encore en assez bon état pour servir de miroir. Elle se leva et marcha avec difficulté jusqu'à la Grâce au feu éteint. Dans son reflet rouillé, elle put d'abord remarquer que ni sa peau, ni sa fourrure ni ses cheveux ne portaient de marques de brûlure, et les cendres noires qui la recouvraient devaient provenir uniquement de ses vêtements. Elle put ensuite distinguer une gemme. La chose était un petit joyau rouge hémisphérique à moitié caché par sa frange. Comment est-ce que c'était arrivé là ? Est-ce que l'Oracle l'avait implantée pendant qu'elle dormait ? Est-ce qu'elle dormait vraiment ? Et puis, où était-il passé ? Nushka avait eu l'ait bien inquiète en le quittant. Blaize fit volte-face pour enfin constater qu'elle était seule, seule avec les statues et cet énorme cristal qui gardait la plus puissante prisonnière qui soit.
Elle s'en approcha. Son attaque ne l'avait même pas frôlé, mais un grand trou béant se trouvait légèrement à sa gauche, et une ligne de roche calcinée conduisait vers là où elle se tenait. Elle comprit ce qui s'était passé : là où elle s'était réveillée était dans le prolongement de cette ligne sombre : son coup l'avait projetée en arrière et elle avait dû perdre conscience en frappant le mur. Comme ses examens, elle avait raté de façon spectaculaire.
Elle étudia de plus près la prison. La forme à l'intérieur de la roche était trop grande pour être humaine, ni félinienne, ni même une bête que Blaize pourrait reconnaître. Elle était immense, plus grande encore que Camélia. Timide, la félinienne posa sa main sur la surface.
Soudain l'étrange énergie que jusque-là circulait paisiblement dans son corps darda vers sa main et une lumière éblouissante jaillit. Blaize hurla de surprise et tomba en arrière. Une fumée blanche émanait de sa paume, mais celle-ci n'était pas blessée. En reportant son attention sur le cristal, elle eut un choc : la prison avait fondu, et au centre de la cavité se trouvait, très claire, très nette, une empreinte de main.
- Vous êtes sur la bonne voie, mon enfant, résonna une voix maternelle. Vous avez éveillé le pouvoir de Vastra et le vôtre. Il ne vous reste plus qu'à y ajouter le mien.
La voix émanait de partout, rebondissait sur les murs. Bien qu'elle ne soit pas la même que celle de Nushka, les vibrations impressionnants qui l'accompagnait étaient bien pareilles : Orphélia avait pris une nouvelle forme.
- Qu'est-ce qui vient de se passer ? Depuis combien de temps je dors ? questionna Blaize, frottant sa main, abasourdie. Pourquoi est-ce que cet endroit tombe toujours en ruines ?
- Cela fait à peine quelques minutes, du moins en ce qui concerne vos camarades. Pour ce qui est ce ce lieu, je me suis pleinement retirée jusque dans ma prison, cela ne sert plus à rien de gâcher mes dernières forces. Vous venez de libérer beaucoup de puissance d'un coup, vous ne le contrôlez pas et votre corps n'est pas habitué, mais vous êtres toujours là. Vous avez un grand pouvoir à présent, et vous méritez mon respect d'avoir survécu à cette épreuve, mais je dois vous ordonner de vous servir de votre nouvelle puissance pour me libérer.
- Comment je dois fai... Attendez, vous n'étiez pas sûre que je survive ? Vous voulez dire que j'aurais vraiment pu mourir avec votre boule de feu ?! Vous ne pensiez pas que ce serait important de me dire ?!
- Vous êtes la septième élue, lui informa la voix sans visage. Quatre sont morts avant d'arriver à moi, un est décédé en obtenant le pouvoir des Grâces, et le dernier est devenu fou au réveil. Cela importe peu, vous êtes là, vivante et saine d'esprit. Brisez cette cage.
- Qu'est-ce qui me dit que vous n'allez pas me laisser ici une fois sortie ? se méfia Blaize, consciente enfin du réel danger dans lequel elle était.
- Vous voulez sauver vos amis, je veux sauver le mien, je vous y mènerai, vous avez ma parole. Brisez cette cage, ou ils mourront tous, aucune d'entre nous ne sera satisfaite et Ungura aura eu ce qu'il souhaitait. Il voulait me tuer, mais n'en avait pas les capacités, alors il m'a enfermée ici pendant plusieurs millénaires, pensant que je ne pourrais jamais sortir. Sa punition a attendu bien trop longtemps, mes filles et ce traître ont fait beaucoup trop de dégâts. Libérez-moi !
Blaize n'aimait pas ce changement de ton. Orphélia était plus froide, plus impatiente, cela la mettait mal à l'aise. Pourtant, elle n'avait pas le choix : elle n'avait aucune idée d'où elle était, et malgré le fait qu'elle sente une nouvelle puissance couler entre ses veines, elle ne savait pas comment s'en servir.
- Bien, je vais vous libérer... Comment je dois faire ?
- Approchez-vous de moi, répliqua la voix. Elle attendit de voir son ordre obéi avant de continuer : Placez vos mains sur la prison. Vous devez sentir l'énergie chercher à converger dans vos doigts, réprimez-la. La dernière fois vous l'avez laissé vous submerger, vous avez perdu le contrôle. Pas cette fois. Imaginez toute votre force qui s'accumule, vous la puisez dans chaque muscle de votre corps. Croyez-y, si vous n'y croyez pas ou si vous la craignez, vous ne pourrez pas la contrôler. Gardez-la en vous aussi longtemps que possible.
Blaize obéissait, mais elle sentait sa détermination défaillir. Et si elle n'y arrivait pas une deuxième fois ? Elle ne s'en sortirait pas simplement avec un mal de crâne. La chaleur dans ses mains devenait insupportable, elle se sentait bouillir. Combien de temps fallait-il tenir ?
- Encore... encouragea Orphélia. Votre magie prend la forme du feu, alors imaginez les braises, imaginez-vous en train de les maîtriser, de les diriger vers cette prison...
- Je ne tiens pas ! paniqua la félinienne tremblante.
Elle ne reçut pas de réponse. La gemme sur son front était maintenant plus douloureux que ses mains, il était incandescent, chauffé à blanc.
- Je vais mourir... souffla-t-elle doucement, se rendant enfin compte de ce que cela voulait dire. Elle avait peur.
- Maintenant ! hurla soudain Orphélia.
D'un coup, tout se relâcha, la chaleur fut projetée de son corps comme un boulet de canon. La salle fut inondée de lumière jaune qui pénétra aussitôt la cage. Un hurlement, puis un fracas assourdissant retentit tandis que tout se masqua de fumée et de l'odeur acre d'un minerai qui brûle.
Dans le brouillard, quelque chose de gigantesque bougeait, s'approchait. Blaize retint son souffle, terrifiée. C'était proche.
Soudain, un œil vert plus grand qu'elle s'ouvrit et la scruta. C'était une immense chimère blanche, munie d'écailles et de plumes qui se confondaient sur son corps mince.
- Vous... Vous êtes un dragon ? s'étonna la félinienne. Enfin... Vous ressemblez à un dragon...
- Et vous êtes l'Âme Écarlate. Notre vraie forme est cachée par nos titres, il ne sert à rien de s'y accrocher. Voilà pourquoi je préfère m'appeler Nushka. Maintenant dépêchez-vous de monter, je crains que nous ne soyons déjà trop tard.
Blaize monta aussi rapidement qu'elle put. Enfin libérée, le ton d'Orphélia était passé de froid à inquiet, le temps pressait et elle le savait.
Aussitôt, la déesse étira ses deux paires d'ailes, tendit ses muscles et bondit vers le haut. Elle fractionna le plafond et enfin Blaize eut une bouffée d'air frais. Elle inspira longuement, essayant de vider ses poumons de fumée. Derrière elle, elle vit le Mont Elémentaria : la prison était en son sommet. Elle se pencha pour regarder la montagne de plus près, mais elle fut presque balayée par le vent de tempête qui l'accueillit. Elle se reprit, et avec horreur elle en vit l'origine : une tornade s'approchait de l'île à grande vitesse.
- C'est le travail de votre frère, constata la déesse, évitant les éclairs. Je pense que vous pouvez y faire quelque chose. Je ne peux rien y faire, je vous expliquerai plus tard pourquoi, mais pour l'instant c'est à vous de protéger vos amis ! Prenez les commandes de la tempête !
Paniquée, Blaize ne savait pas quoi faire. Elle utilisait le feu, pas l'air, et Yurao avait toujours été capable de la battre. Orphélia intervint :
- Il vous suffit d'imaginer !
Imaginer... Imaginer un moyen de contrôler la tornade ? Une tornade de feu encore, elle pourrait peut-être essayer, mais là ? Pourtant l'énergie montait encore en elle, et la gemme brûlait de nouveau. La magie savait quoi faire, mais pas elle. Elles s'approchaient encore de la tornade.
D'un coup Orphélia vira à gauche, évitant de peu une collision frontale avec deux énormes arbres déracinés. Blaize glissa sur ses écailles et tomba à plat-ventre, la gravité l'entraînait toujours vers le sol. Elle échappa à la chute libre de peu quand son bras se heurta à une corne de sa nouvelle alliée et s'y accrocha instinctivement. Elle maudit intérieurement les plantes volantes tandis qu'elle se stabilisa.
Une étincelle jaillit. Un des arbres s'enflamma et continua son envol chaotique. Blaize fut ébahie.
- C'est moi qui ai fait ça ?! demanda-t-elle, apeurée, mais le vent la réduit au silence.
Elle récupéra une position plus stable et suivit les flammes des yeux. Avait-elle vraiment ce pouvoir ? Elle n'avait même pas voulu faire ça. Reprenant du courage, elle fixa son attention sur l'autre ensemble de feuillages. Une nouvelle étincelle, l'autre arbre devint rouge.
La tornade devint plus puissante, elle était sur le point de toucher le sol. Blaize avait une idée, mais restait à savoir si elle en était capable. Elle se concentra comme l'avait dit Orphélia. C'était difficile, car elle n'avait pas de point à fixer. Ça ne marchait pas, pas comme ça. Essayer de fixer un point précis était impossible. Elle n'abandonna pas, et décida de se focaliser sur le mouvement, ce tourbillon incontrôlable... Elle allait le contrôler.
Un nouvel éclat de lumière, puis une rivière de feu, puis une apocalypse écarlate, le ciel s'embrasa. Elle avait réussi ! La tempête brûlait de mille feux. À présent venait l'expérience. La chaleur changeait la direction de l'air, elle le savait, mais est ce que ça marcherait à ce point ? Elle s'aida de sa main libre pour mieux visualiser le mouvement qu'elle voulait. Après peu, elle eut sa réponse : le tourbillon se mit à danser, vaciller puis s'évanouit. Le calme fut rétabli, son coup avait marché, elle avait réussi !
Soudain elle s'écroula, drainée d'énergie. Elle ne s'était jamais sentie aussi évidée. Ses jambes ne lui répondaient plus, elle s'écroula contre la corne. Elle s'agrippa mollement, mais savait que n'importe quel faux mouvement lui vaudrait une bonne bouffée d'air libre. De sa nouvelle position, elle repéra enfin ce qu'elle cherchait : comme des minuscules fourmis, à peine distinguables, ses amis au sol.
- Là ! En bas ! cria-t-elle à la dragonne.
Orphélia sembla comprendre et changea de direction. Plus elles s'approchaient, mieux Blaize put voir de la scène. Elle aperçut quelque chose qui l'inquiéta. Théophile, Nagari et l'Oracle étaient à terre, Haru, Imiris et Hikagué restaient immobiles autour des blessés et plus loin, elle vit ce qui les figeait : Omen agonisante contre le mur, sous l'emprise d'Hermionie. Ils avaient tous tourné les yeux au ciel lorsqu'il s'était embrasé, et à présent se regroupaient, effrayés.
C'était un autre détail qui choquait Orphélia : son Oracle gisant dans les bras de la fée. Elle atterrit lourdement et lança un rugissement terrible qui fit frissonner l'air. Bientôt, tout autour d'elle des cris d'animaux répondirent à l'appel : ils arrivaient.
Blaize sauta du dos de la dragonne sous les yeux ahuris de ses amis et s'approcha de son frère endormi. Il était blessé, ne pouvait plus bouger, c'était grave. Elle sentait le regard des autres dans son dos tandis qu'elle s'agenouillait près de Théophile.
- Hé, réveille-toi... chuchota-t-elle.
Ses paupières battirent l'air comme des ailes de papillon : il l'entendait, mais peinait à rester conscient.
- Ne t'en fais pas, repose-toi Théophile, sourit la sœur enfin. Je suis là pour toi. Je vais te protéger.
---- Fin du chapitre 31 ----
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro