21) Séquelles
- Par Audacia ! Qu'est-ce qui s'est passé ici ?
Omen et Hikagué étaient rentrés, mais ne pouvaient pas être plus choqués par le spectacle qui les accueillait : parmi les débris, entourés par une Camélia soucieuse de ne rien déranger par peur d'empirer les choses, se trouvaient leurs pauvres amis. Ils avaient réussi à sauver deux matelas gonflables, l'un occupé par Théophile, son chevet assuré par Blaize et Samuel, eux aussi marqués de nombreuses blessures, et qui ne pouvaient rien faire d'autre qu'essuyer le sang que recrachait le félinien agonisant. L'autre soutenait l'Oracle frêle qui, malgré le filet rouge qui coulait de sa tempe, chantait toujours. Imiris balafrée était recroquevillée dans le dernier coin qui restait debout, yeux rivés sur Théophile. Haru était perché sur un amas de débris et tentait d'immobiliser son bras droit déformé.
Celui-ci remarqua l'arrivée du dernier duo, et non sans mal il descendit les rejoindre, berçant son bras blessé.
- J'aimerais dire que vous rentrez à pic, mais on aurait apprécié votre compagnie hier soir, fit-il sommairement. Content de vous voir en meilleur état que nous.
- Qu'est-ce qui vous a fait ça ? demanda Omen, inquiète.
- Une femme de la Kuroi Namida est venue nous attaquer dans la nuit sur ordre de ses supérieurs... Elle a volé les écailles et nous a un peu secoués, comme tu peux le voir, répliqua-t-il.
- Laisse-moi m'occuper de ça... insista la sorcière en désignant le bras du lumien.
- Occupe-toi plutôt de Théophile, il a besoin de tes soins, l'esquiva Haru en la poussant vers le lit de sa main gauche.
Omen s'avança vers Théophile. Samuel en la remarquant se leva silencieusement et se colla à elle, larmes aux yeux. Elle l'entoura chaleureusement des bras comme l'aurait fait une mère qui confortait son enfant. Ses doigt caressèrent lentement les cheveux de l'apprenti tandis qu'elle étudiait les blessures du félinien.
- Là là... Je n'aurais pas dû te laisser seul sur cette île, j'ai fait une erreur, je suis désolée. Courage, nous nous en sortirons bientôt ; j'ai promis à ta mère de te ramener, je ne compte pas mentir. Allons, aide-moi à panser ces méchants bobos.
Samuel hocha la tête et reprit sa place auprès de Blaize qui pleurait silencieusement. Omen s'agenouilla en face, concentrée. Elle tendit ses mains au-dessus de la plaie principale : le résultat d'un coup de poignard particulièrement vicieux qui avait déchiré une ligne dans sa poitrine avant de se voir brutalement arrêté par une de ses côtes encore intactes. La voix de la petite devint mécanique, comme si elle récitait une leçon :
- Côtes deux et trois fracturées, rupture du poumon gauche, fragilisation du ventricule gauche, perte importante de sang... Meilleure solution : soin par transfert. Autres blessés négligeables. Exception : vieil homme atteint de traumatisme crânien, mais non prioritaire... Transfert de type "énergie vitale" envisageable. Commencement.
- Écartez-vous, ordonna Haru, calme.
Une lumière rouge apparut au niveau du cœur de la sorcière. Des tentacules d'énergie pure en sortirent. L'Oracle s'agita soudain, paniqué à leur vue. Elles grouillèrent un instant avant de tâtonner le bras du félinien. Ils parcoururent son corps, s'arrêtèrent à chaque petite blessure et les refermèrent en quelques secondes. Après peu, toutes les égratignures étaient invisibles, les bras sans mains plongèrent dans la déchirure la plus grave. Ils mirent plus de temps à travailler le traumatisme ; ils n'y arrivaient pas. Omen faiblissait, les appendices aussi, et peu après elles se désintégrèrent complètement et la lumière s'éteignit. Haletante, Omen vacilla mais se rattrapa avant de toucher le sol. Son teint était devenu livide, en contraste marqué avec Théophile qui avait l'air d'aller nettement mieux ; son sommeil était plus calme et il avait arrêté de trembler, malgré le fait que sa blessure principale soit encore ouverte.
- Je suis désolée, je ne peux pas faire plus... souffla la guérisseuse.
- Tu en as déjà fait bien assez, hoqueta Blaize, rassurée de ne plus voir son frère souffrir. Merci beaucoup Omen...
- Repose-toi, petite. Tu en as trop fait. Trop fait... craquela la voix de l'Oracle, qui avait rampé jusqu'à eux.
- Mais il n'est pas encore réveillé, j'aurais dû... protesta Omen.
- Tu ne dois pas trop utiliser ce pouvoir, il est dangereux. Le collier ne l'aime pas, non, non, non, le collier ne l'aime pas... Il faut faire attention au collier, il est très sage, il a beaucoup vu... continua le vieillard du ton le plus sérieux que le groupe avait entendue de lui jusque-là.
- Tu as entendu le monsieur, tu as bien travaillé, maintenant dodo, renchérit Hikagué, l'accompagnant vers un rocher pour s'asseoir. Puis en remarquant Haru se débattre maladroitement avec un bandage, ajouta : Viens là toi aussi, je me charge de ça.
- Je m'en occupe ! intervint Blaize, forçant le lumien à se rasseoir. J'ai été inutile, il faut bien que je serve à quelque chose...
Les autres retournèrent alors leur attention vers l'Oracle, cherchant à bander sa tête. Haru profita de la distraction pour chuchoter :
- Tu peux retourner auprès de Théophile si tu veux. Il a été gravement blessé, je comprendrais totalement que...
- Ça fait une heure que je le surveille sans rien pouvoir faire, et Omen arrive et le sauve. Je vais m'occuper de quelque chose qui soit à mon niveau, répliqua-t-elle, déterminée.
- Calme-toi, rien de bon n'arrivera si tu continues à te blâmer pour ce qui lui est arrivé.
- Ce n'est pas de ma faute, je le sais ça, murmura-t-elle, des larmes perlant au coin des yeux pendant qu'elle remettait les os de Haru en place. C'est le sien. Il me croit toujours incapable de me battre. J'aurais pu lui tenir tête, à cette fille... On n'en serait peut-être pas arrivés là s'il n'avait pas... C'est horrible de dire ça alors qu'il ne peut même pas tenir debout, non ?
- Il a fait ce qu'il croyait être la bonne solution... Cette Akuma avait un nom magique, elle est dangereuse.
- Pourquoi tu dis ça ?
- On dit qu'après avoir tué quelqu'un avec sa magie pour la première fois, Audacia souffle un nom magique au magicien, qui reflète sa véritable identité. Ça viendrait du fait qu'il y a des règles naturelles imposées par les Grâces qui interdisent les meurtres entre magiciens. C'est devenu une tradition au sein de la Kuroi Namida, qui est un culte religieux à la base, de maintenir son nom magique caché en toutes circonstances autres que les actes primaux : la mort ou l'amour. Elle nous a révélé son nom magique avant de faire exploser la cage, elle le connaissait déjà, et de toute évidence, elle n'était pas là pour nous faire un câlin, expliqua-t-il, grimaçant en même temps qu'elle lui pansait le bras.
- Une raison de plus pour ne pas faire obstacle à mon attaque. J'ai passé presque dix ans sous la tutelle d'une maîtresse du katana, je n'ai pas besoin de sa protection... Tu l'as vu toi, tu me crois ?
- J'ai vu un peu de quoi tu es capable, mais il ne t'a jamais vue dégainer ton arme, je me trompe ? Tu lui en as parlé de tout ça, au moins? De ce que je vois, il cherche juste à te protéger du mieux qu'il peut d'après ce qu'il sait, ou de ce qu'il croit savoir. Ça part d'une bonne intention. Tu lui as dit que tu n'avais plus besoin qu'on te protège ?
- Non... concéda-t-elle. Mais ça devrait se voir, non ?
- Il a souvent été absent ces derniers temps, tu l'as dit toi-même, peut-être n'a-t-il tout simplement pas eu l'occasion de remarquer tes progrès ? Certes, cette fois-ci, ce n'était pas la bonne solution, mais on fait tous des erreurs. Parle-lui.
Blaize réfléchit un instant puis fit un oui décidé de la tête avant de terminer le bandage. Ils retournèrent alors auprès des autres, à présent tous réunis autour du lit de Théophile. Même Camélia avait prudemment approché sa large tête reptilienne pour participer à la conversation.
- On comptait vous dire ça lorsque tout le monde serait rentré, mais les événements ont progressé plus vite qu'on le pensait... commença Imiris, le ton grave. Pendant que nous rentrions, nous avons été confrontés à la Kuroi Namida. On ne les a pas affrontés directement, mais pour pouvoir fuir, Théophile les a distraits avec une attaque. Pendant qu'on était cachés, on a pu juger un peu de leur nombre : ils étaient deux commandants, l'homme qu'on avait vu au port Morphée et une femme aux cheveux rouges. Ils avaient une escouade d'une dizaine de soldats. Les choses ont commencé à se corser quand un supérieur est arrivé, un grand félinien brun, c'est là qu'on a fui.
- Alors quand Théophile disait que le groupe avait un informateur au Conseil, il disait vrai, conclut Hikagué, pensif. C'est impossible qu'ils soient déjà ici autrement, ils devaient avoir les coordonnées précises avant de partir du port.
- Et ils nous surveillent probablement depuis longtemps... ajouta Omen. Comment sauraient-ils autrement que les écailles sont importantes ? Nous ne le savions pas avant d'arriver et Camélia ne le leur a pas dit. La bonne nouvelle, c'est que tout appareil d'espionnage qu'il pouvait y avoir dans la tente a été détruit, ils ne peuvent plus nous écouter maintenant.
- Mais qu'allez-vous faire pour les écailles ? demanda la voix résonnante de la dragonne.
- Nous avons encore l'écaille d'Ungura qu'ont récupéré Omen et Hikagué, et elle n'avait pas réussi à trouver celle d'Ignitus avant que Boule de Poils ne sonne l'alarme. De ce fait, ils n'ont que la tienne et celle de Yuki. Avec ta permission, nous en reprendrons une des tiennes et nous aurons quand même trois des quatre qu'il nous faut, somma la fée.
- Je sais que ce n'est pas le moment de demander cela... avança Camélia, un peu hésitante. Mais... comment vont mes amis ? Seront-ils ici bientôt ou préféraient-ils rester dans leur territoire ?
Haru et Blaize s'échangèrent un regard triste, Imiris répondit haut et fort :
- Ils ne viendront pas. La torture d'Ungura les a tués.
- Nous sommes vraiment désolés, Camélia... compléta la félinienne, la gorge serrée.
Le choc avait frappé aussi bien la dragonne que ceux qui n'étaient pas au courant. L'oracle se leva, vacillant et caressa lentement le museau vert de la dernière survivante.
- Maintenant, on est pareils... Nushka m'avait dit que ça arriverait un jour, que je trouverais quelqu'un comme moi... Elle avait raison, comme le collier, il avait raison aussi... murmura le vieil homme perdu.
- Nushka... ? répéta Omen, confuse.
- Excusez-moi un instant, couina enfin Camélia avant de se lever aussi délicatement que possible, veillant à ce que sa queue ne heurtât pas ses amis. Ils la regardèrent s'éloigner puis disparaître entre les fleurs géantes.
- Je me sens mal pour elle... souffla Blaize.
- Ça ne l'aidera pas, lui signala froidement la fée. Il nous faut à tout prix récupérer l'écaille de Yuki et finir cette mission. La Kuroi Namida est elle aussi tout à fait capable d'aller récupérer les écailles qui lui manquent, et ce très rapidement. On sait qu'ils sont puissants et nombreux.
- Je ne pense pas qu'ils le feront... réfléchit Haru à voix haute. S'ils sont venus nous les voler, c'est précisément parce qu'ils pensent que nous affronter directement économise du temps et de l'énergie par rapport à la traversée de l'île. S'ils nous espionnent depuis le début par on ne sait quel moyen, ils sont au courant que le but final est de se rendre au mont Élémentaria avec toutes les écailles. À mon avis, ils savent qu'ils ont l'avantage, ils nous attendront là-bas afin qu'on vienne à eux. Une fois là-bas, ils nous tendront une embuscade dont on ne pourra pas s'échapper, et nous mourrons probablement entourés par une dizaine de soldats et possiblement quelques commandants.
- Et tu proposes que... ? s'enquit Imiris.
- Qu'on fasse ce qu'ils veulent.
- Hein ? s'étonna Hikagué. Tu viens de nous faire une belle démonstration pour nous expliquer qu'ils sont plus forts que nous, qu'ils nous tendront un piège sur un terrain qu'ils auront eu tout le temps de découvrir et tu veux qu'on fasse exprès de tomber dedans ? Tu t'es pris un coup sur la tête ?
- Ils seront là-bas quoi qu'on fasse, autant bien préparer un plan d'attaque et rester ensemble le temps que tout le monde récupère ses forces plutôt que renvoyer un duo chez Yuki —surtout qu'Imiris et Théophile qui connaissent le chemin ne peuvent pas y aller dans leur état— au risque de se faire de nouveau attaquer en nombre réduit et de puiser des forces alors que le combat sera aussi rude au final, expliqua Haru calmement.
- Tout le monde viendra ? demanda Samuel, inquiet.
- On ne peut laisser personne seul ici, annonça Omen, manifestement du même avis que Haru. Maintenant que notre abri est détruit, c'est trop exposé à la faune pour être considéré comme un endroit sécurisé. Nous serons plus forts ensemble, et si nous avons de la chance Camélia se battra à nos côtés.
- Elle n'a pas fait grand chose quand Akuma s'est introduite dans la tente... protesta l'apprenti.
- Elle a essayé, mais nous sommes trop petits pour elle, elle risquait de nous toucher si elle s'en prenait à la voleuse, la défendit Blaize. Si Imiris dit vrai et que nos ennemis ont une petite armée à leur disposition, elle pourra les balayer d'un coup si nous nous écartons. Je suis de l'avis de Haru, il nous faut nous préparer à la bataille.
- Regarde-moi ça, Boule de Poils se prend au sérieux, se moqua Imiris.
- Peut-être qu'il serait temps que tout le monde me prenne au sérieux, Glaçon, répliqua la félinienne.
- Je n'aurais jamais cru... que ce serait agréable... de me réveiller... au son de vos âneries... haleta une voix masculine.
Aussitôt, les larmes remontèrent aux yeux de Blaize, Imiris se tut, et tout le monde lâcha un soupir rassuré : Théophile s'était réveillé.
---- Fin du Chapitre 21 ----
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