5 : Cavalier noir
Voici le point de vue de Kylo. Je réitérerai cette structure de chapitres un nouvelle fois par la suite avant une série mêlant systématiquement nos deux protagonistes. Je réfléchis aussi à une manière de vous partager la musique qui m'inspire pour cette fiction. Si vous avez des idées, partagez les moi en même temps que votre avis toujours très bien venu !
" Obey, we're gonna show you how to behave
Obey, it's nicer when you can't see the chains "
«Elles ont pas l'air de te réussir ces vacances ! Une fille, bordel ! »
Snoke maugréait depuis dix minutes au sujet de l'échec cuisant de Kylo, comme il venait de le dire. Il se mouvait théâtralement dans la pièce autour du jeune homme et le pointait du doigt. Quelle déception il était en train de vivre, son meilleur pion ridiculisé par une femme. Ren restait impassible devant sa misogynie, le suivant du regard et les bras le long du corps. Son casque tenu par la sangle dans une main, son téléphone dans l'autre. Et surtout, il n'était pas dupe. Son chef était très certainement en colère, et il y avait de quoi. Kylo lui-même ne s'expliquait pas son comportement, bien qu'il lui avait déjà assuré qu'il se rattraperait très vite. Mais lorsque Snoke était réellement déçu, énervé et qu'il redoutait les emmerdes, les insultes pleuvaient. À une autre époque, c'était les coups. Et Kylo ressortait de ces entretiens puant l'humiliation et la rage, alors que là il en sentait à peine l'odeur. Il ne savait pas pourquoi son interlocuteur lui jouait cette comédie, cependant c'était suffisamment ridicule pour intriguer le garçon.
« Et c'était qui d'ailleurs ?! D'où elle sort ? continua Snoke.
— Aucune idée et peu importe, répondit Kylo sèchement. Je retrouverai la broche et vous n'entendrez plus jamais parler d'elle. »
Toujours un peu d'effarement quand il constatait à quel point sa dévotion, malgré son détachement et son insolence, pouvait ressurgir brutalement. Il détestait ce sentiment. Non pas qu'il n'était plus fidèle au Premier Ordre, seulement il en avait assez de devoir faire ses preuves, que Snoke croit avoir un gamin de dix ans face à lui qui devait lui obéir sans se poser de questions. Il était à l'instant capable d'assassiner une inconnue pour lui prouver sa loyauté et surtout mériter un peu de paix. Mais en l'occurence, Kylo s'interrogea vraiment sur le comportement de son boss. D'ordinaire, il n'aurait même pas relevé, en dehors de son organisation, le sort des êtres humains l'intéressait peu. Alors que ce soir, il se tourna vivement vers Ren, les yeux écarquillés face à sa promesse de faire disparaître la fille. Snoke se souvint de la demande du spectre et à laquelle il devait à tout prix répondre favorablement, sinon c'était lui que l'on retrouverait mort.
« Non ! Tu la retrouves et tu me l'amènes ! ordonna-t-il puis devant la méfiance de Ren, il bégaya rapidement une excuse. Personne ne tombe par hasard sur un tel objet, elle doit sûrement travailler pour Skywalker ou la Résistance. Je la veux vivante ! »
Kylo sortit rapidement de la pièce une fois qu'il avait donné à Snoke les documents qu'il avait trouvé chez sa mère. Il n'en pouvait plus. Et comme si ces entretiens grotesques ne suffisaient pas, il se heurta à Hux dans le couloir. Cet idiot avait sûrement passé le dernier quart d'heure à écouter aux portes, son activité favorite d'après la mesquinerie du sourire sur son visage. Leurs regards se croisèrent et Armitage résista jusqu'au bout mais il était souvent difficile de se tenir face au regard de Ren, encore plus après une énième humiliation. La minute d'après, Snoke soupira d'agacement en entendant un fracas venant du corridor. Kylo venait de bousiller son casque de moto contre un mur et l'avait laissé choir sur le sol, morcelé. Hux pensait que ces élans de colère n'étaient que les réactions d'un gamin frustré qui venait de se faire méchamment gronder, rien d'autre qu'une façon de se faire remarquer. Il n'avait pas complètement tord et leur supérieur le savait pertinent, ce n'était que la bête qui se réveillait et qui tirait sa force de l'orgueil blessé d'un jeune Solo. Et même si ces accès de rage étaient de plus en plus fréquents, Snoke préférait encore le voir saccager les locaux plutôt que de succomber à un de ces coups.
Quant à l'héritier des Skywalkers, il longea les couloirs du QG jusqu'à ses propres quartiers. Snoke lui faisait des cachoteries saugrenues et dont il s'amusait beaucoup comme si il lui préparait une surprise et voilà maintenant qu'il s'intéressait particulièrement à cette fille. Kylo ne comprenait pas ce que son supérieur cherchait dans cette histoire, selon lui c'était un peu gros de croire à une vulgaire employée de sa famille et d'autant plus missionnée pour récupérer une broche appartenant à une autre époque. Cependant, sa plus grande interrogation restait justement à propos de l'objet. Il ignorait qu'une telle chose reposait dans sa maison natale, où exactement il ne le savait pas non plus mais il savait en revanche par qui l'insigne avait été déposée dans cette demeure.
≈
Kylo Ren pensait que le reste de la soirée serait plus calme et qu'avec un peu de chance, il aurait une nuit sans cauchemars qui le remettrait complètement d'aplomb. Une nuit qui mettrait fin à cette journée afin que le jour d'après tout soit redevenu comme avant. Ainsi, il sortit de sa salle de bain fraîchement rasé et les cheveux humides. Vêtu d'un simple caleçon noir, alors qu'il s'apprêtait à fermer les yeux jusqu'à l'aube, il protesta la présence de Bazine dans sa chambre. Confortablement installée sur le sofa face au lit, nonchalante dans une nuisette déjetée, les jambes repliées et une cigarette au bec. Et enfin, un sourire au coin des lèvres qui annonçait la couleur de ses intentions devant le jeune homme.
« Enfin seuls, déclara Bazine Nétal, envoyant valser des cendres sur le sol. Kylo s'avança vers elle d'un pas ferme.
— Je t'ai déjà dit de pas fumer ici ! » grogna-t-il en lui arrachant la clope de la bouche. Il l'écrasa contre la table basse une fois assis à ses côtés.
Les cendres, les brûlures sur les meubles, la fumée lui étaient totalement égales. Cette chambre n'était qu'un endroit où crécher à l'abri, où être au plus près et à la merci du Premier Ordre. Rien de personnel. Simplement, ça venait chatouiller une vieille envie de nicotine qu'il avait réussi à dompter quelques années auparavant et à laquelle il ne voulait pas céder, ni la savourer avec elle. Pas ce soir.
« C'est pas le moment Bazine, reprit Kylo.
— T'es parti depuis des semaines... et tu sembles avoir besoin de te détendre, insinua-t-elle en lui caressant du revers de la main sa mâchoire désormais imberbe.
— Arrête ! J'ai pas envie.. il se détacha d'elle alors qu'elle descendait ses doigts sur son torse.
— Le boss a raison, rétorqua Bazine, insatisfaite. Si c'est cette stupide mission qui te rend aussi agréable, t'as intérêt à régler le problème au plus vite. »
Elle avait raison. Il était fort probable qu'avant cette mission, ainsi que la précédente, il aurait acquiescé à sa demande. Lui et Bazine, sans échanger le moindre mot, auraient couché ensemble une énième fois, ils se seraient pris l'un l'autre sans retenue comme ils le faisaient de temps en temps. Tous les deux ignoraient si c'était un simple moyen de passer le temps dans cette vie sordide qu'était la leur, ou d'y retirer au moins un peu de plaisir. Peut-être aussi un moyen pour eux d'évacuer, d'oublier. Peut-être un peu de tout ça. Ils se posaient rarement la question, ils le faisaient, regrettaient parfois et n'en parlaient pas jusqu'à la prochaine fois. C'était purement physique, pas d'attache, pas de sentiments.
Mais ce soir c'était différent. Aucun désir ne parcourait Kylo, aucune envie particulière non plus. Il souhaitait juste que cette journée n'ait jamais eu lieu. Néanmoins il avait conscience que c'était impossible, que le plus dur restait à faire et il assumait totalement ses conneries. Et s'envoyer en l'air n'effacerait rien ni n'atténuerait sa colère. Alors il garda tout ça en lui une fois de plus et renvoya sèchement Bazine. Elle s'en remettrait. Il n'avait pas la tête à ça, ni l'envie d'être touché et il n'aimait pas faire ça de manière expéditive, même avec elle.
« D'ailleurs, concernant cette mission, tu pourrais me retrouver quelqu'un ? sollicita malgré tout Kylo tandis que Bazine se dirigeait vers la porte.
— Qu'est-ce que tu crois ?! Moi aussi j'ai du travail ici. Je suis sûre que tu sauras te débrouiller tout seul comme un grand, elle répondit par la provocation, visiblement assez vexée. Des tarées pareils qui rodent autour de ta famille, il doit pas en avoir beaucoup. Quand elle ne sera plus qu'un souvenir, fais moi signe. »
Bazine quitta la chambre en se rallumant une cigarette pendant que Ben râla. Quelle plaie elle pouvait être parfois, quand elle n'avait pas ce qu'elle demandait. Kylo se sentit chanceux de n'avoir droit qu'à une moue boudeuse, car n'importe qui d'autre aurait passé un quart d'heure bien plus douloureux. Peu importe, il finirait par retrouver cette inconnue. Il ne savait pas si c'était réellement cette rencontre, la coupure avec le Premier Ordre ou les événements des semaines précédentes, mais quelque chose ne fonctionnait plus correctement chez lui. Sa tête était remplie de questions, de doutes et au milieu de ce bordel sans nom, des souvenirs remontaient par vagues, des visages. Des voix. Dans ces moments là, il souhaitait être aussi seul dans son esprit que dans la vie, simplement ne plus rien entendre ni ressentir. Il bascula en arrière jusqu'au dossier du canapé et y déposa son crâne.
" Quand elle ne sera plus qu'un souvenir " se répétait-il silencieusement sans comprendre. Jusqu'à ce qu'il sente une autre présence à ses côtés. Un corps, une aura plus légère, presque invisible, imperceptible et en même temps qui le dérangea très vite. Un homme grisonnant le fixait les sourcils levés.
« Putain, tu vas pas t'y mettre, râla-t-il après un vif coup d'oeil à sa gauche.
— Ah tu ne peux t'en prendre qu'à toi même ! C'est toi qui me fait venir.
— Ouais... je me demande bien pourquoi d'ailleurs. Les morts ...» marmonna Kylo.
Il se leva en soupirant. Il ne comprenait pas ce qui lui prenait dans ces moments de crise. Ces hallucinations n'étaient pas survenues depuis des mois, en tout cas rien qui l'empêchait de dormir. Il avait simplement aperçu sa silhouette dans un coin, lui rappelant chaque fois qu'il n'était jamais vraiment seul et lui donnant surtout l'impression d'être surveillé. Jugé. Lorsqu'il entendait sa voix ou percevait son visage, il priait pour que cela ne se reproduise plus. Mais Han finissait par réapparaître, toujours un peu plus régulièrement depuis dix ans. Il était comme un boulet attaché à la cheville de Kylo, qu'il traînait sans trouver de solution pour s'en débarrasser, une deuxième ombre encombrante et à qui il parlait parfois.
Et ce soir la colère grondait tellement fort en lui, une colère envers le monde entier et plus que tout envers lui-même qu'il se sentait entièrement capable, qu'importe combien cela l'effrayait, de commettre à nouveau l'acte irréparable qui l'avait plongé tête la première dans cette existence sombre et pathétique.
« Je ne sais pas... t'essaies peut-être de rattraper le temps perdu, de ... de m'accorder une seconde chance.
— Une seconde chance ?! se moqua Kylo en lui faisant face. Et quoi d'autre ? Tu penses que je vais te discerner la médaille du père de l'année maintenant que tu me hantes pour je ne sais quelle raison ?!
— Tu la connais la raison. » acheva Han, debout lui aussi.
Le jeune homme serra les poings. Était-ce trop demander qu'un peu de paix ce soir ? Encore une fois, ce phantasme de conversation avec son père ne menait à rien. Toujours la même rengaine, la même rancoeur. Kylo était incapable de se livrer à qui que ce soit, il avait été ainsi conditionné par le pensionnat et de toute façon il n'avait aucun ami. Alors il ne se mettrait certainement pas à confesser ses sentiments à un espèce de fantôme créé par son psychisme troublé. Han ne pouvait rien pour lui. Il s'était terré dans le silence et l'ignorance pendant des années, celles où son fils avait le plus besoin de lui, et quand il avait enfin daigné jouer son rôle de père, il était déjà trop tard. Les choses avaient mal tournées. Maintenant qu'il n'était qu'un tas de cendres, Kylo avait beau l'imaginer lui présentant milles excuses et marques d'affection, rien ne le sauverait.
« Cette Bazine, elle a raison. Je t'ai connu plus... professionnel ici. Regarde toi, il faut que ça s'arrête. Tu peux revenir... »
Et il recommença. Son discours incessant, les mêmes paroles en boucle comme si il n'y avait qu'à introduire une pièce dans la machine ou appuyer sur un bouton, les mêmes qu'il avait prononcées avant sa mort. Il finissait toujours par arborer cet espoir risible de retour, prenant son seul fils pour un gamin en fugue. Kylo Ren ferma les yeux. Il partit se réfugier quelque part dans sa tête, dans une cachette abyssale, loin de cet instant et des doutes qui le dévoraient par morceaux depuis des semaines. Loin de son père. Un coin sombre où personne d'autre que lui ne pouvait entrer. Il se trouva un peu à l'étroit entre ces quatre murs de son esprit mais où personne d'autre ne pouvait entendre le son du vent contre les feuilles d'automne ni celui de ses poings contre les planches de bois. Il était dans la cabane au milieu de la forêt. Parmi sa panoplie de masques, il enfila celui du déni, y superposa l'indifférence, le dédain, et enfin celui du vide.
Et il compta jusqu'à dix.
Il en avait assez pour ce soir et il lui fallait encore affronter la nuit, se retrouver seul avec lui-même. La voix de son père se fit de moins en moins audible alors qu'il criait son prénom et il disparut complètement avant qu'il ne puisse le toucher. Ainsi, lorsque Kylo rouvrit les paupières, il était de nouveau seul dans la chambre. À l'instar de la vie qu'il menait, ce silence lui parut à la fois libérateur et étouffant.
☯︎
Mardi. Kylo remit un pied dans la vie réelle. Le quotidien, la normalité, le monde qui ne connaissait le danger qu'au travers d'écrans diffusant en continue des films et séries. Celui des gens sans nom de famille cachant des secrets destructeurs et des traînées de sang, celui des gens qui parlent d'autres choses que de magouilles et de crimes devant la machine à café, qui s'énervent pour un stylo ne fonctionnant plus ou une panne de batterie, pas sous adrénaline, qui se dépêchent pour attraper un métro ou arriver à temps à leurs rendez-vous, pas pour sauver leur peau. Le monde des gens qui se parlent en face, qui communiquent entre eux, murmurant dans les couloirs ou tapotant sur leur téléphone, mais pas aux morts, à des supposés fantômes. Le monde des gens qui peuvent traverser la rue en ne redoutant que le jugement dans le regard de l'autre et non la crainte ou d'y voir passer sa dernière heure.
Un monde auquel, une fois le soleil couché, il pensait ne plus appartenir. Celui qui lui rappelait tous les jours la vie qu'il aurait dû avoir, celle qu'il avait manquée ou qu'on lui avait volée. Et souvent en silence, lorsqu'il observait tous ces individus incapables de concevoir ce qu'il pouvait bien faire de ces nuits ou de ces jours de congés, il se demandait à quel genre d'homme il aurait ressembler dans cette vie là. Qui serait-il devenu si tout c'était passé comme prévu ?
Il arpenta ainsi le grand hall de la mairie jusqu'à l'ascenseur le plus proche. Un sac sur le dos, des baskets sombres mais tout de même une belle chemise blanche pour ce retour au travail. Tant de codes sociaux qui le maintenaient finalement en vie, qui contribuaient à une santé mentale plus ou moins stable le jour. Sans s'attarder sur les allées et venues des autres employés ou visiteurs, une fois dans la cage, il appuya sur le bouton le conduisant au sous-sol. Histoire de ne pas totalement le détacher de sa condition, son bureau se trouvait dans les bas fonds de l'hôtel de ville, un bureau minuscule devant des salles immenses aux minces fenêtres et aux rayonnages pleins à craquer.
Une lumière blafarde, la poussière, des cartons entassés, un ordinateur pataud, un téléphone aussi vieux que lui et jamais complètement raccroché, un bureau trop petit jonché de papiers, des tasses de café froid, des dossiers sur à peu près tous les habitants de Manhattan et l'écho insupportable de sa propre voix. C'était de cette façon qu'il remplissait son compte en banque et payait son loyer de citoyen normal aux yeux de la lois et de son employeur. Il était le mec des archives de la mairie. Il était chargé de numériser chaque nouveau document et de sortir ou ranger ceux demandés par ses collègues plus haut, ceux qui travaillaient avec la lumière du jour. Il devait s'assurer chaque jour que tout soit tout le temps parfaitement en ordre et actualisé. C'était d'un ennui à mourir et toutes ses heures de temps partiel lui paraissaient interminables.
Mais c'était tellement une bonne couverture pour le Premier Ordre.
À tout moment il avait à portée de mains des informations sur n'importe qui à New York. Des noms, des adresses puis il lui suffisait de laisser trainer ses oreilles - ou récemment grâce à Bazine de consulter le serveur du bâtiment - pour savoir également tout ce qui se déroulait dans la ville. Parfois, quand un nom intéressait Snoke, Kylo se chargeait des commissions. Tel un ange noir qui rode, il allait collecter la détresse d'âmes perdues et se portait garant de la bonne conservation du Premier Ordre. Il en était le visage, la façade et il avait bien trop souvent l'impression de porter tout seul cette macabre organisation sur ses épaules. Pourtant Snoke l'avait longtemps prié de se faire engager à la mairie, pour ce poste tout à fait tranquille et discret afin qu'il soit à l'abri. Tous les autres se pavanaient à visage découvert dans des professions plus importantes et prenantes, des centaines de personnes connaissaient leurs véritables noms et les côtoyaient tous les jours. Mais son précieux cavalier noir, il ne devait absolument rien lui arriver. Alors il lui avait vissé le cul derrière ce bureau trois jours par semaine et Kylo le vivait chaque fois comme une punition.
Il était Ren, le mec bizarre des archives que ces collègues, du moins ceux qui avaient déjà essayé de communiquer avec lui en osant descendre au niveau -2, associaient à un chat noir errant. Ils ne savaient pas d'où il venait ni à qui il appartenait et avaient peur de s'en approcher. Quand c'était lui qui remontait vers la lumière des étages supérieurs, Ren était le mec froid, mystérieux, flippant sur les bords mais terriblement séduisant comme il l'avait souvent entendu de la part des bruits de couloirs. Et il s'en foutait royalement. Kylo Ren n'était personne ici. Juste l'ombre de son ombre, rien d'autre qu'un masque de plus enfilé à la perfection et qui faisait illusion. Il ne savait rien des gens qui bossaient dans ces lieux et il ne le voulait pas car il n'y avait rien non plus à savoir sur lui.
Comme prévu, la journée fut péniblement longue et inutile. Du temps perdu devant des onglets à la con alors qu'il devrait être en train de retourner les rues de la ville à la recherche de cette maudite voleuse. Néanmoins, il se réjouit de constater en fin de service qu'il ne rentrerait pas complètement bredouille. Tous les soirs avant de quitter la mairie, il faisait un tour sur le serveur piraté lui donnant accès à chaque système informatique présent dans l'enceinte de l'hôtel de ville ainsi qu'à ceux des bâtiments annexes. Tout était de toute façon surveillé par l'organisation, Snoke tenait trop à sa tranquillité et jouissait de cette aura ridiculement énigmatique autour du Premier Ordre qu'il maîtrisait maladroitement et foutait en l'air lorsqu'il ordonnait à Ren d'incendier de nouveau quelque chose. Ainsi, ce soir là il ne fit pas d'exception et consulta sur son propre ordinateur s'il pouvait déceler une activité suspecte, une recherche mal venue sur n'importe quoi lié à l'organisation, à sa famille ou désormais à cette fille.
Il ignorait s'il valait la peine de s'y pencher car cela ne concernait pas le Premier Ordre directement mais ça répondait à sa curiosité, aux questions qu'il se posait depuis son retour et auxquelles Snoke ne souhaitait pas répondre pour le moment. Il découvrit qu'une recherche avait été faite sur le site de la mairie à propos des prochaines élections et précisément d'un nouveau parti. Les archives se plongeaient de plus en plus dans le noir, la fin d'après-midi approchant et pas du tout enclin à faire une heure supplémentaire non payée, Kylo laissa ouverts les onglets sur son ordinateur et en rabaissa l'écran. Il continuerait chez lui.
≈
Son collègue restait bêtement devant lui, tout fébrile et serrant contre lui le dossier qu'il lui avait réclamé. Il regardait Kylo avec un sourire trahissant son malaise et préférait sans aucun doute que la terre se dérobe sous ses pieds plutôt que de parler au brun face à lui.
« En fait Ren... avec les autres on va boire un verre ce soir, tu sais c'est le week-end... si ça te dit tu peux te joindre à nous..» cracha-t-il d'une traite sur un rythme trop rapide et ponctué de rires nerveux.
« Non merci. Je suis déjà pris ce soir. » répondit Ren sans affects, déconcerté par le comique de la situation.
Quelle ironie, il faisait tout pour ne pas se mêler à ces gens, inintéressant et antipathique afin de les préserver d'une compagnie potentiellement dangereuse et ils se montraient quand même curieux à son égard. Après tout, sous toutes ces couches de masques, il restait un être humain et c'était la première chose que ceux venant lui quémander des archives voyaient. Avant ce vendredi, Kylo n'avait croisé ce type qu'une ou deux fois et ne lui avait adressé la parole seulement pour savoir à quel étage il se rendait un matin dans l'ascenseur. Et voilà que lui et le reste de l'équipe du pôle communication s'étaient lancé le défi d'inviter le fantôme des archives. Le jeune homme jouait une comédie déjà bien fatigante et pathétique derrière son comptoir dans cette cave alors déblatérer d'autres mensonges autour d'un verre avec des inconnus fut au dessus de ses forces.
Il remit le nez dans les infos qu'il avait dénichés. L'historique de recherches indiquait principalement le site de l'hôtel de ville et de ses archives mais en dehors de ces banalités, les seuls mots clé qui revenaient à chaque fois étaient "soleil rouge". Et Kylo savait pertinemment de quoi il s'agissait pour avoir pitoyablement échoué à la récupérer. Il y avait donc de nouveau quelqu'un qui s'intéressait à cette broche, comme si devoir tuer une personne n'était pas suffisant. Si Ren avait su, il l'aurait enterrée lui même ce satané soleil. Être confronté à tant d'obstacles lors d'une mission qui ne consistait à la base qu'à ramener cette épingle à Snoke raviva chez lui une frustration qu'il n'appréciait pas du tout. Il avait devant lui le profil de la seconde fouine, plus redoutable que la première. Un journaliste. C'était vraiment la merde. Il avait réussi à encombré le Premier Ordre d'un déserteur, d'une voleuse trop curieuse et d'un journaliste en moins d'un mois et cela finirait par lui attirer des problèmes. Néanmoins Kylo savait pertinemment qu'il devait sa survie à l'importance qu'il avait au sein de l'organisation ainsi qu'aux yeux de Snoke, mais également à la bête en lui. Si il ne possédait pas cette rage ardente menaçant à tout moment de réduire en cendres tout sur son passage, Snoke aurait déjà balancé son corps à la flotte pour de telles conneries.
Ce fut inévitable, il étouffa un hurlement et sa tasse de café s'éclata contre le sol. C'était la vaisselle ou l'écran d'ordinateur des archives et le premier était plus facilement remplaçable sans alarmer la hiérarchie. L'avantage de son bureau sous terrain était aussi que le bruit ne s'entendait pas dans les étages supérieurs, il aurait pu mettre un bordel monstre dans les rayonnages que personne ne serait descendu avant quelques jours. En dépit de cette tranquillité, il essaya de se calmer et se passa les mains sur le visage puis dans les cheveux. Puis il fixa l'écran à la lumière bleue qui affichait une photo du journaliste ainsi que son nom. Il le retrouverait lui aussi. Les archives étaient plus vides qu'un cimetière aujourd'hui alors n'ayant rien d'autre à faire et les ordres de l'organisation passant toujours au premier plan, il y passerait le week-end s'il le fallait, plutôt que d'aller faussement rire avec ses collègues, mais il les retrouverait tous. Après un repas et un café dont il avait grandement besoin, il effectuerait une recherche similaire pour la fille et dégoterait son adresse ainsi que celle de l'autre baveux.
Kylo Ren se tenait alors devant une des fenêtres du troisième étage complètement désert en cette fin de semaine. Il se flagella une énième fois pour se retrouver ainsi comme un crétin à boire du café à peine chaud et sans saveur dans un gobelet en carton. La prochaine fois, il tentera au moins de le boire dans son mug avant de l'envoyer brisé au fond de la poubelle. Malgré la fadeur de son carburant, il profita de sa pause pour éteindre un temps son cerveau, simplement admirer la vue quelques minutes avant de se retourner vers son existence miséreuse. Il n'y avait pas un bruit dans ce couloir, aucun passage, personne pour le dévisager et chuchoter dans son dos. Non pas qu'il y prêtait particulièrement d'attention mais cette ambiance lui rappelait chaque fois le pensionnat et son adolescence. Une sale période.
Seulement, lorsqu'il releva les yeux de son gobelet vide, il apprécia n'avoir qu'un bout de carton entre les doigts car son état l'aurait aisément poussé à péter la vitre. De l'autre côté de la rue, sur le parvis du bâtiment face à la mairie, ses yeux s'écarquillèrent devant la présence de ses proies. Il ne s'imaginait pas que ce serait si facile ni que ces deux là se connaissaient. Dans ce cas, si ils sortaient ensemble des archives municipales pour la même raison, ils étaient plus inconscients que Ren l'avait constaté, et en particulier la fille.
Elle était là. De l'autre côté de la rue.
Kylo laissa son gobelet broyé par sa main à côté de la cafetière et longea vivement le couloir jusqu'à la prochaine fenêtre face aux deux individus. Il était au troisième étage mais il se décala légèrement pour ne pas prendre le risque d'être aperçu si l'un deux flânait les yeux aux ciel. Il était évidemment assez loin mais distinguait parfaitement leur silhouette. Il n'avait eu qu'une photo du journaliste sous les yeux, néanmoins ce qu'il pouvait voir de son profil correspondait suffisamment. Quant à la fille, c'était elle sans aucun doute. Elle portait encore son long manteau beige et son sac en bandoulière qu'elle serrait contre elle. La broche y était peut-être encore vu la ténacité dont elle avait fait preuve pour la garder. Kylo les vit se diriger vers le parking de la mairie et échapper rapidement à sa surveillance. Il devait vite contre attaquer, l'occasion était trop belle et il ne se laisserait pas humilié une nouvelle fois.
Il accourut jusqu'à son bureau au sous-sol. Le combiné du téléphone de son poste glissa entre son oreille et son épaule tandis qu'il rassemblait ses affaires. Il jura lorsqu'il entendit le message d'attente du service et faillit même raccrocher furieusement quand quelqu'un finit par prendre son appel.
« Allô ? il se passa de toute politesse. Je bosse en face, aux archives. Ecoutez, deux personnes viennent de quitter les vôtres, vous pouvez me dire ce qu'elles étaient venus chercher ? (...) C'est important ! Vous ont-ils demandé quelque chose en lien avec les élections ?!
— Euh oui il me semble. C'est ce que nous a indiqué le premier, il est journaliste et travaille sur les prochaines campagnes, bafouilla la secrétaire à l'autre bout du fil un peu ébranlée par cet appel pour le moins brusque.
— Et l'autre, la fille, elle a dit quelque chose ? Kylo hurlait presque dans le téléphone.
— Qu'elle l'aidait dans ses recherches, qu'elle menait une thèse en sciences politiques mais j'ai pas demandé davantage de précisions ni...»
Kylo la remercia sommairement et raccrocha sans délicatesse quand elle bégaya des excuses. Elle avait eu le temps de lui signifier qu'ils étaient repartis avec pas mal de documents et que leur visite avait duré une bonne heure. Kylo devina qu'ils avaient dû faire des copies de leurs trouvailles. Ainsi, il ne réfléchit pas longtemps et son ordinateur sous le bras, il prit le chemin des archives municipales.
Il se rendit dans la pièce qu'avaient occupé Rey et Poe une heure avant et s'installa. Son ordinateur afficha le serveur de l'endroit où il se trouvait et en quelques minutes il avait sous les yeux les recherches qui avaient été faites en ces lieux pendant les dernières vingt-quatre heures. Mais rien n'avait été demandé depuis ce matin. Ce Dameron avait donc tenter de prendre ces précautions et avait laissé peu de traces de son passage ici. Cette situation était surréaliste. En tant que journaliste, il était tout à fait probable et ordinaire qu'il vienne consulter ce genre d'archives, de plus il travaillait pour un grand journal. En revanche, ça ne pouvait pas être un hasard qu'il vienne avec cette fille. Elle, des recherches sur les élections et la broche, ça faisait une équation bien trop extravagante pour qu'elle ne soit pas réellement liée à sa famille.
Kylo fouilla de fond en comble le serveur, les rayonnages à la recherche de dossiers mal rangés, déplacés, il alla jusque dans la poubelle pour d'éventuelles preuves. Face à la photocopieuse, c'était sa dernière chance. Il était plutôt rongé par une irrépressible envie d'y foutre quelques coups de pieds, frustré de ne pas pouvoir descendre dans la rue et confronter ces deux idiots. Il chassa ses démons et en faisant des allers-retours entre la machine et son ordinateur, il remercia intérieurement ces engins d'être doté de mémoire interne et d'enregistrer toutes les manipulations. Par contre, il aurait préféré voir apparaître des articles barbants sur la politique de la ville et des photos des précédents élus à la place de celles qui s'affichèrent et qui avaient donc été scannées par ces enquêteurs amateurs. Son souffle se coupa une petite minute et il serra les dents. Il lui fallait vraiment casser quelque chose car cette fois-ci s'en était trop.
Le pensionnat.
Des clichés du pensionnat venaient d'être retrouvés parmi ces boîtes en carton qui se succédaient derrière lui. Son existence avait été découverte par un journaliste et une espèce de voleuse sortie de nulle part. La broche, et maintenant le pensionnat. Ils s'étaient bien trouvés ces deux là et s'étaient surtout ligués pour faire chier Kylo Ren jusqu'au bout. Comment de tels restes du pensionnat demeuraient encore ici, dans de banales archives municipales ? Il aurait tout cramé depuis longtemps si Snoke l'avait mis au courant. Encore une fois, il avait dû se croire inattaquable, persuadé que jamais personne ne s'intéresserait à un tel endroit. Le seul point positif était la colère déjà bien présente de Kylo qui empêchait son cerveau de lui rejouer de mauvais souvenirs de cette époque. Il souhaitait seulement en finir, ne plus entendre parler de cette histoire, de cette stupide broche et de cette fille.
Avec tout ça, il n'avait pas eu le temps de la rechercher. Il ne connaissait alors que son prénom. Rey. Et bien Rey semblait prendre un malin plaisir à se jeter dans la gueule du loup. Finalement, Snoke avait peut-être raison. Elle travaillait certainement pour son oncle ou sa mère et l'un ou l'autre redoutant quelque chose, l'avait envoyée récupéré la broche. Si non, quel intérêt avait-elle à se mettre autant en danger pour un vulgaire morceau de métal à moitié carbonisé ?
Kylo Ren l'avait donc retrouvée. Cette Rey. Elle était venue à lui sans même s'en douter et elle devrait trouver une bonne explication à ses agissements lorsque Ren serait de nouveau face à elle, parce qu'il ne lui prendrait pas seulement la broche, il l'emmènerait avec lui et la conduirait à Snoke, comme convenu. Alors qu'il effaça méthodiquement toutes les recherches sur le pensionnat, il se questionna encore sur ce que Snoke comptait faire d'elle. Son boss pouvait parfois se montrer tordu et une certaine perversion se plaisait en lui. Le brun espérait qu'il ne s'agirait que d'un interrogatoire, une simple coup de frayeur pour qu'elle ne traîne plus dans leurs affaires. Néanmoins, il subsistait un risque qu'elle ne revienne jamais vivante.
À présent que tout avait été supprimé, il assura ses arrières et celle de l'organisation, ce qui nécessita un appel d'avance déplaisant.
« Depuis quand tu m'appelles à une heure aussi ensoleillée ? ironisa Hux, surpris.
— Tais toi et écoute moi. Ça risque de bouger autour du pensionnat ces prochains jours, il faut que tu postes quelqu'un là-bas pour surveiller.
— Tu te fous de moi, c'est ça ? J'ai une audience dans dix minutes et tu m'appelles pour un tas de ruines ?!
— Je m'en tape de ton audience et tu sais très bien qu'il reste une bonne partie du bâtiment, alors fais ce que je te dis ! s'agaça Kylo face à Hux et sa confiance légendaire.
— Le patron est au courant au moins ? il ne pouvait pas s'en empêcher.
— T'occupe pas de ça. Pour le moment, c'est simplement par prudence. Quand j'en saurai davantage, je le préviendrai. Satisfait ?! »
Hux mit fin à leur conversation après lui avoir assuré qu'il enverrait un sbire sur place dès ce soir. Il se demanda dans quel merdier Kylo les avait encore foutus. Mais il dût admettre qu'il avait raison d'être si prévoyant. Snoke s'acharnait depuis des années à construire quelque chose loin du pensionnat et de ses erreurs, quelque chose à son image. Alors si quelqu'un venait à soulever de vieilles pierres là-bas, le rouquin ferait partie de ceux en première ligne à subir sa fureur. Kylo Ren termina sa journée de travail comme si rien ne s'était passé, toutes les archives remises en ordre et son passage oublié, tel le bon fantôme qu'il était.
Le lendemain il enchaîna une autre journée morne sans nouvelles du Premier Ordre ni actions suspectes sur un quelconque serveur autour de lui. Il n'imaginait pas que Dameron et son étrange collaboratrice envisageaient de se rendre au pensionnat. Le site était en dehors de la ville, aujourd'hui difficile d'accès suite à des travaux abandonnés et divers squats aux alentours. Cependant le sort continuait de s'acharner sur lui et du samedi soir, alors qu'il était rentré chez lui pour quelques heures et bénissait cette accalmie, il reçut un appel du sbire faisant le guet près de l'école. Une voiture venait de faire le tour des lieux et s'approchait de l'entrée. Le cavalier noir avait alors renfilé ses gants de cuir.
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