2 : ... chassant un papillon.
" And my heart is a hollow plane
For the devil to dance again "
Cette mission avait été un désastre et se foutre la tête dans le sable pendant des semaines n'y avait rien changé, il avait fait n'importe quoi. Il était toujours aussi remonté de s'être vu confié le sale boulot du jour au lendemain sans raison, d'avoir été envoyé dans un trou paumé désert près d'Anaheim. Il le savait, le repos c'était pour ceux qui le méritaient, pour les gens normaux, alors avoir prolongée cette besogne en vacances fut une sacrée provocation, certainement la plus belle de sa carrière et il était pourtant pas du genre à bien vivre l'autorité. Ce congé lui avait au moins permis de revoir la mer et de s'enivrer suffisamment de son air pour retrouver sans trop de peine la pollution et la crasse des bas fonds de New York. Il avait cru pouvoir s'en délecter encore quelques jours quand son passé vint frapper à sa porte. Il s'arrêta ainsi dans un énième motel, le Moonlight. Bien moins miteux que les précédents mais il n'était pas difficile sur le confort et il préférait cette discrétion à l'ostentation des hôtels luxueux auxquels l'organisation était habituée. Personne n'avait pensé à venir le chercher ici. À l'accueil, le vieux bougre qui gérait l'endroit fut surpris de voir débarquer à son comptoir l'opposé total de sa clientèle. Un grand gaillard pareil vêtu de noir jusqu'aux lunettes de soleil jonchées sur son long nez ne passait pas vraiment inaperçu. Celui-ci marmonna un rapide bonjour et qu'il souhaitait une chambre pour minimum trois jours. Il était décidé jusqu'à ce que les infos diffusées par la télévision plantée près de son interlocuteur lui assignent l'équivalent d'une gifle. Une bonne gifle de mère furieuse face à tant d'insolence. Ce fut donc son nom qui clignota devant ses yeux ébahis tandis que les phrases dessous lui coupèrent la respiration. Son coeur se serra douloureusement dans sa poitrine et il fit cette grimace récurrente avec sa bouche dévoilant son émotion.
« S'il vous plaît, vous pouvez monter le son, demanda-t-il à l'autre homme en pointant l'objet devant lequel il semblait passer ses journées.
— Il y a la télé dans les chambres, vous...
— Montez ce putain de son ! » balança-t-il en enlevant brusquement ses lunettes.
Le regard que le propriétaire découvrit sous cette banale monture lui fit immédiatement comprendre qu'il avait plutôt intérêt à se magner. Il n'avait pas saisit ce changement brusque d'humeur, mais il avait croisé assez de cinglés dans son établissement pour savoir qu'il valait mieux ne pas broncher dans cette situation. Alors il obéit et il observa en silence le drôle de spécimen devant lui se décomposer en écoutant attentivement les infos. Il s'agissait d'une simple chaîne national relatant le sort d'une figure politique apparemment souffrante, qu'est-ce que ça pouvait lui faire. Il l'ignorait sans aucun doute mais ces interminables minutes devant cet écran ramenèrent cet homme très longtemps en arrière et il réalisa que dix années s'étaient déjà écoulées. Il était 19h dans cette ville et en lisant encore et encore ce nom, il sut que le lendemain il se trouverait de l'autre côté du pays. Une vieille télé dans un banal motel l'avait contraint à revenir à la maison, son passé venait de le rattraper. Par conséquence, il déguerpit rapidement de l'endroit devant le regard décontenancé du gérant et dégaina son téléphone à deux reprises en se redirigeant vers la route. La première fois fut pour contacter la dernière personne qu'il voulait entendre mais qui était la seule capable de le renseigner.
« Bazine¹ bordel ! grogna-t-il alors qu'elle n'avait prononcé qu'une syllabe à peine. Comment se fait-il que je ne sois pas au courant ?! (...) tu sais très bien de quoi je parle ! (...) C'est ça, tu peux lui dire que je reviens. Je prends le premier avion pour New York et on s'expliquera ! »
Le seconde fois, c'était pour se retrouver de nouveau dans un taxi en direction de l'aéroport.
Il ne se dégoutait pas plus que cela de faire son retour dans de telles circonstances, une carte postale aurait été tout aussi lâche. Il avait parfaitement conscience de ce qui l'attendait, il serait naturellement rejeté d'un côté et accueilli les bras ouverts de l'autre. Et son existence calcinée et crapuleuse reprendrait son cours. Une semaine déconnectée de son quotidien véreux et sombre, une seule petite semaine de vacances en presque dix ans de loyaux services avait suffit pour semer le doute dans son esprit. Néanmoins, cela avait été de longues journées à constamment être sur ses gardes, à éviter toutes interactions sociales et à bien évidemment se faire le plus discret possible. Se cacher autant du monde que de l'organisation. Mais rien de tout ça ne lui avait paru contraignant ni inédit, Kylo Ren était une ombre, un revenant, sa vie était une errance perpétuelle, sans jamais laisser de trace. Kylo Ren était une bête vivant recluse, attachée dans la pénombre et attendant en vain une éclaircie.
Ainsi à son arrivée, suite au vol pénible où il n'avait trouvé ni tranquillité ni sommeil, il était trop tôt pour lancer les festivités alors il retourna à ce qu'il possédait de plus précieux. Cet atelier près des quais dans lequel Il tenta de rassembler ses affaires et de dormir un peu était la seule chose qui lui appartenait. La seule chose qui ne lui avait pas encore été arrachée alors qu'il avait jeté sa propre personne en pâture au diable. Le reste de sa dignité il la retrouvait parfois quand le soleil était haut dans le ciel sinon elle flottait dans les égouts de la ville. Après quelques heures de répit et un peu avant l'aube, habillé d'un large sweat à capuche qui recouvrait son crâne, il décida de se rendre à l'hôpital à pieds, engourdi par tous ces trajets passés assis. Il était inutile de raser les murs ici, New York grouillait de gens comme lui, des ribleurs², et personne ne connaissait son visage, son nom suffisait pour qu'il soit craint. Il se demandait parfois à quoi il ressemblerait, quel accoutrement il porterait aujourd'hui si le pensionnat n'était pas un tas de cendres. Si les choses s'étaient déroulées autrement, s'il avait suivi sa formation jusqu'au bout, serait-il plus puissant aujourd'hui ? Ou moins déchiré ? Un tas de cendres, quel gâchis.
Il pénétra aisément dans l'enceinte de l'hôpital, grandement désert à cette heure matinale. Le soleil comptait se lever d'ici une petit heure, c'était largement suffisant pour sa visite. Il espérait seulement qu'elle n'était pas réveillée. Son état l'affectait déjà suffisamment, il ne manquerait plus qu'elle meurt de le revoir. Enfin pour cela, il fallait déjà qu'elle le reconnaisse et dix ans c'était long quand on les passait à attendre quelqu'un. Il se dirigea vers l'un des ascenseurs et se félicita à nouveau de s'être énervé au téléphone la veille, Bazine s'était sentie obligée de lui donner le numéro de la chambre. Chambre 227 qu'il se répétait dans la cage d'acier et quelle allure il avait là dedans. Les parois réfléchissantes lui rendirent volontiers ses cernes. Chambre 227. Une semaine de vacances et c'était la gueule qu'il avait, il prolongeait la provocation jusqu'au bout. De toute manière, que ce soit d'un côté ou de l'autre du pays, au bord de la mer ou plongé dans le noir, Kylo Ren ne dormait plus depuis longtemps. Il trouva la chambre rapidement. Il semblait n'y avoir personne chargée de surveiller les allers et venues devant celle-ci, alors il entrouvrit doucement la porte et constata par chance qu'elle dormait bel et bien, certainement assommée par les médicaments. Il l'observa longuement, debout, et bloqua son cerveau afin que les souvenirs ne ressurgissent pas. Ainsi, tout ce qu'il se permit de noter était que ses cheveux étaient détachés et qu'il les avait rarement vus dans leur entièreté, toujours élégamment coiffée. Avait-elle véritablement attendu tout ce temps, avait-elle pleuré son absence pendant toutes ces années ? Il en doutait fortement.
Il jeta un oeil à la pancarte au bout de son lit. Il y était inscrit que sa dernière prise de médocs remontait à ce matin et que la dose semblait avoir été augmentée. Il garda en tête l'idée de demander à l'organisation d'accéder à son dossier médicale. Bazine lui avait simplement raconté qu'elle avait été admise ici suite à plusieurs malaises survenus ces derniers mois, ainsi qu'une fatigue aiguë. Pour elle, il n'y avait pas de quoi s'alarmer, c'était sans doute dû à son âge avancé. Mais c'était la seule réelle nouvelle qu'il ait reçu d'elle en dix ans, l'unique opportunité de la revoir après ce qu'il avait fait. Avant ça, elle était une étrangère pour lui, il ne la rencontrait que sur des écrans dans toute la ville lors de ces discours ou actions au Sénat. Leia Organa était Sénatrice et présidente du parti de La Résistance, et non sa mère. Il prit place dans le fauteuil près de son lit, une tâche de suie au milieu de cette pièce aseptisée, il écouta sa respiration sans bouger. C'était pourtant l'occasion d'enfin lui dire, de lui révéler la vérité sur le fardeau que les Skywalkers traînaient derrière eux mais rien ne sortit de sa bouche. Il ne trouva ni la force ni l'envie, persuadé que ça ne servait à rien, la confiance n'était pas quelque chose que l'on accordait à Kylo Ren, et encore moins de la part de sa famille. Il ne reviendrait certainement pas la voir, ni à l'hôpital ni chez elle. Alors sans bruit, il pria pour qu'elle se rétablisse vite. Cette famille empilait suffisamment les morts.
Un bon quart d'heure plus tard, il fit bien de vérifier son téléphone car un message de Hux y était affiché. Ils étaient en route pour venir le récupérer, il serait bientôt l'heure de rendre des comptes. Il n'était pas inquiet à ce sujet, les remontrances, les coups, il avait l'habitude puis il était de toute façon essentiel à l'organisation, il avait été choisi et y occupait un rôle bien trop important pour être évincé à cause d'une mission ingrate. C'était seulement un moment pénible à passer. Il bénéficia encore de quelques minutes auprès de sa mère et retrouva un peu son rôle de fils avant d'en reprendre un plus indigne. Une pensée étrange lui vint avant de quitter les lieux, il espérait qu'elle ouvre les yeux. Juste une seconde pour qu'il puisse vérifier qu'il possédait toujours les mêmes iris, à défaut d'avoir perdu la douceur de son regard. Il chassa vite ces idées idiotes et sortit de la chambre délicatement. Il appela de nouveau l'ascenseur et pendant cette attente il jeta un dernier coup d'oeil à la porte de la chambre. Une silhouette se tenait devant désormais. Kylo se doutait bien que quelqu'un devait la surveiller en permanence et il trouvait drôle qu'il s'agisse de lui. Le temps n'avait pas les mêmes effets sur tout le monde, car il n'avait pas changé. D'ailleurs, il le dévisagea avec ses grands yeux ahuris à travers sa monture dorée, il était en effet difficile de croire à ce que le vieil homme découvrait à l'instant. Un fantôme. Il le reconnut de suite, même dissimulé sous une capuche et il comprit très vite ce qu'il faisait ici. C3PO eut un rapide mouvement de tête afin de vérifier que Leia allait bien, qu'il ne lui avait rien fait et lorsqu'il s'apprêta à se jeter dans la direction du jeune homme, un café en main et si désireux de lui parler, Kylo Ren avait fixé son index sur ses lèvres et toisa celui qui lui faisait la lecture autrefois. L'autre comprit la nuance de la menace derrière ce geste et il lui donna raison. Il ne fallait pas qu'elle apprenne sa venue.
Une voiture l'attendait devant l'enceinte de l'hôpital comme prévu, et à côté de cette carcasse aux vitres teintées, un corbillard aurait été plus discret. Il souffla et y monta à l'arrière avec flegme. Au volant, le rouquin se recoiffait dans le rétroviseur tandis que Bazine à sa gauche, tapotait sur une tablette.
« Alors, on s'octroie des vacances ? Hux se tourna vers Ren. Ce dernier l'ignora, apparemment il se croyait toujours aussi drôle.
— Pourquoi je t'ai manqué ? se moqua Kylo.
— Le patron était bien remonté hier, il va sûrement te donner d'autres corvées, attaqua Armitage Hux, déjà énervé.
— Comme celles que tu fais tous les jours pour lui ? rétorqua Kylo sans même lui adresser un regard. Armitage serra les dents d'agacement. Il aurait préféré que Ren ne réapparaisse pas, qu'il reste brûler au soleil au milieu du désert duquel il revenait.
— Tu feras moins le malin quand on sera rentré, il t'attend. A cause de tes conneries, on a un déserteur à gérer, renchérit le roux tout en démarrant la voiture.
— Tu imagines peut-être que c'est suffisant pour qu'il t'offre une promotion, mmh ? Un déserteur ça signifie un larbin de moins dans les pattes...» il usa de sarcasme, pas très enclin au travail d'équipe ni aux délires de Hux.
Son détachement totale vis à vis de sa propre faute irrita le conducteur mais il se ravisa de continuer à lutter, au grand bonheur de Bazine qui n'eut pas besoin d'intervenir. Elle l'avait pourtant maintes fois répété à son camarade et il le savait pertinemment que ça ne servait à rien de se confronter à Kylo Ren, mais c'était plus fort que lui. Il fallait toujours qu'il le provoque, à ses risques et périls, car derrière la gueule d'ange de Ren, et il l'avait souvent vu se manifester, grondait une colère insoupçonnée et dévorante. Hux était parfaitement conscient que malgré son erreur, il ne s'attirerait pas les faveurs du patron, au contraire, il allait justement avoir davantage de boulot. Le trajet jusqu'à leur base se fit en silence, Bazine se débrouilla pour effacer la dernière heure sur les caméras de surveillance de l'hôpital. Cette visite était un épisode hors du temps, un minuscule instant pendant lequel Ben Solo était sorti de sa cage avant de retourner six pieds sous terre sans laisser de trace.
≈
Retrouver les longs couloirs sombres et les ascenseurs sans miroirs de leur quartier général lui confirma qu'il n'était pas fait pour les destinations ensoleillées. Il ne se sentait pas non plus comme à la maison, un concept trop abstrait pour quelqu'un qui n'avait jamais vraiment connu de foyer, mais il avait ses marques dans cet endroit, aussi sordide était-il. Ça lui suffisait, son rang dans l'organisation lui permettait d'avoir son propre confort, bien qu'il y avait toujours trop d'agitation entre ces murs. Il n'avait jamais la paix. Il ne serait jamais en paix. Alors, ce fut insouciant et apathique qu'il pénétra accompagné de son escorte dans la grande salle où paressait le patron la plupart du temps. Le cul vissé sur ce qu'il aimait appelé son trône, son crâne luisant lui était peut-être aussi large que son égo. Snoke se plaisait parfaitement dans cette vie sans scrupules, de malfrat, il y baignait depuis des décennies. Déjà à l'époque du pensionnat, son poste d'enseignant était une bonne couverture. Surtout, il endossait son rôle de leader à merveille, il devait être biologiquement constitué pour la passivité car diriger et se vautrer dans le luxe que lui rapportait les activités de l'organisation étaient ses passe-temps favoris. Kylo Ren le trouvait souvent ridicule dans ses apparats en satin mais il avait du respect pour ce qu'il avait bâtit et lui était reconnaissant, le Premier Ordre représentait bien trop à ses yeux. C'était également le cas pour l'affreux, qui ne daigna pas bouger de son fauteuil lors de l'arrivée de ses disciples, jusqu'à ce qu'il découvre que quelqu'un d'autre régnait au-dessus de lui.
« Enfin ! lança Snoke face à Kylo Ren quelques mètres devant lui. Un jour de plus et je t'aurai toi aussi considéré comme un lâche !
— La mission a été accomplie et je suis là, alors qu'est-ce que ça peut bien faire que...
— Prends pas ce ton là avec moi ! Tu ressembles à ton père avec cette insolence ! » l'interrompit son supérieur en se levant brusquement.
Ren retira sa capuche et plongea ses deux orbites funèbres dans celles plus claires de celui qui venait de l'insulter. Pouvait-il faire quoi que ce soit sans être sans cesse comparer à son père ? Il n'avait plus rien d'un Solo depuis des lustres et il se demandait même souvent si il avait vraiment hérité quelque chose de cette famille. Provoquer la mort de son géniteur n'avait apparemment pas été suffisant pour Snoke, le jeune homme devait constamment faire ses preuves alors qu'il était sans aucun doute son meilleur cavalier.
« Bon laissez nous. Sortez tous ! ordonna Snoke à Hux et Bazine, son regard au dessus de l'épaule de Kylo.
— Quoi, c'est tout ?! Un de nos hommes s'est barré sous sa surveillance et il n'a droit qu'à un petit sermon ? protesta Hux outré.
— Justement, retrouve moi ce traître ! Vérifie si il est toujours en Californie ou si il est revenu dans les environs ou n'importe où ailleurs. Que ce soit vite réglé ! » s'exclama-t-il, ennuyé par cette tâche secondaire qui les mettait tout de même dans l'embarras.
À la fin de sa mission à Anaheim, Kylo avait une fois de plus fait preuve de colère. Son nom de famille maudit était encore prononcé dans tous le pays et il n'avait pas apprécié l'entendre à tout bout de champ dans la bouche de l'homme avec qui il était censé effectuer une vulgaire transaction. Alors il l'avait tué. Il l'avait tué pour faire taire les voix. Mais dans sa folie, un des hommes de main de l'organisation s'était enfui, ses affaires avaient été retrouvées jetés dans une poubelle. Ren n'en avait informé Snoke que bien plus tard, ses vacances déjà entamées. Ça ne l'atteignait en rien, ce genre de type était nombreux au sein du Premier Ordre, de la simple main d'oeuvre, parfois de la chair à canon, engagée pour surveiller, accompagner, protéger. Kylo Ren n'avait pas besoin de tout cela et il considérait que c'était un luxe inutile que l'organisation s'offrait, recruter de pauvres gens pour en faire des robots obéissants. Ainsi, il était complètement indifférent au sort de ce garçon en fuite, qu'on le retrouve ou non ou du risque qu'il les dénonce. Le Premier Ordre était une entité bien trop puissante et à la fois un mirage pour la plupart des gens. Donc s'il venait réellement à parler, soit on le prendrait pour un fou soit il irait en prison pour y avoir participé mais il n'y aurait aucune enquête. De toute façon, existait-il quelque chose qui puisse profondément atteindre Kylo Ren ?
Hux renifla exaspéré et sortit de la pièce. Ren s'en sortait encore alors qu'il avait désobéit. C'était certainement ce qui l'horripilait le plus, sa face blême, son expression blasée, son insensibilité. Le roux était persuadé que son manque d'intérêt envers lui cachait de la condescendance, du mépris. Ce n'était pas complètement faux, Kylo ne l'appréciait pas particulièrement, néanmoins c'était la même chose pour l'ensemble des membres de l'organisation. Il n'en faisait pas partie pour se faire des amis. Kylo Ren n'avait pas d'amis. En réalité, il s'en foutait royalement. Ça ne le faisait pas jubiler plus que ça de savoir qu'il était privilégié par rapport à Armitage, de le voir aussi souvent ravaler sa fierté et sa dévotion pitoyable ou que le patron lui accordait davantage de faveurs. Snoke était peut-être plus clément envers lui et ses sauts d'humeur mais il était en revanche bien plus violent. Il l'avait toujours été et plusieurs fois cet épouvantail pensait avoir réussit à dompter la bête à l'intérieur du gamin. Or, comme ce moment précis face aux deux trous noirs au milieu de son visage, il ne faisait qu'attiser sa rage.
« Bien, maintenant que tu es tout à fait reposé, les choses sérieuses peuvent reprendre. prononça-t-il avec une ironie qu'il ne maîtrisait pas.
— De quoi s'agit-il ? Où dois-je me rendre ? répondit Ren les bras croisés dans le dos en bon soldat. Et un sourire glauque se dessina sur le visage de son chef.
— Les élections approchent et nous allons un peu étendre nos perspectives. D'ici quelques temps, nous apporterons notre aide à un nouveau parti qui grâce à notre appui deviendra le premier du pays, expliqua-t-il solennellement, il s'y voyait déjà.
— Et un parti dirigé par qui au juste ? Kylo détestait le ton mystérieux et théâtrale que Snoke avait tendance à prendre.
— Comme le reste de l'organisation, tu le sauras en temps voulu. Ça va complètement changer le sort de la ville, voire du pays et il sera impossible au parti de La Résistance d'y survivre, Snoke fit bien évidemment allusion à Leia.
— C'est trop dangereux de s'attaquer directement à elle, vous le savez, répondit-il mais il était simplement hors de question que quelqu'un d'autre que lui s'en prenne à elle. Et il n'était toujours pas prêt à passer ce cap.
— Et toi tu sais que ça finira par arriver, relança Snoke menaçant. Mais rien ne presse, nous devons rester discret et procéder par étapes. Comme tu le sais, elle se retire de la vie politique et quitte même la ville. Sa demeure de Chandrila va être mise en vente et d'après mes sources, Luke est de retour. Il s'occupe de la succession, qui sera rapide puisqu'il ne reste plus aucun héritier.. » poursuivit-il, cette fois il laissa s'échapper un rire.
Snoke n'invoquait jamais les Skywalkers comme la famille de Kylo Ren parce qu'il n'en était plus un depuis longtemps. Cela avait été sa mission première, l'arracher à cette lignée gangrenée par le tourment et en faire un ange de la mort. Ce fut un succès, Ren n'était désormais qu'un orphelin, il n'avait ni famille ni nom, que ceux qui lui avaient été attribués dix ans plutôt. Ainsi, Leia Organa n'était pas sa mère pour le Premier Ordre, elle n'était que l'ennemi. La souveraine d'un parti d'illuminés, fondé sur des espoirs et des idéaux révolus que Snoke comptait éradiquer pour de bon.
« Dans la journée, tu te rendras chez elle. Découvre tout ce que tu peux sur son programme, ses projets au sénat, qui elle compte nommer à la tête du parti. Et brûle tout ce qu'il peut rester du pensionnat... Luke y sera certainement, trouve aussi où il vit désormais et n'en laisse aucune trace.. » développa l'affreux d'un ton autoritaire.
Il n'arrivait plus à quitter son sourire morbide, la perspective de voir un Skywalker périr des mains de leur fardeau le faisait jouir. Il savait que sa demande atroce s'apparentait à une blessure sanguinolente qui ne guérirait jamais, comme celles qu'il lui infligeait autrefois. Un parricide de plus afin d'asseoir davantage son pouvoir, son ascendance sur le jeune homme, afin qu'il devienne enfin sa seule figure paternelle. Son but ultime était d'éliminer tout lien qui unissait encore Kylo à son ancienne vie, et en lui ordonnant ainsi de tuer, il le dépouillait aussi toujours un peu plus de son humanité. Ce n'était qu'une question de temps avant que la noirceur n'envahisse totalement son coeur. En choisissant Luke comme cible, Snoke appuyait sur un point sensible, une douleur encore vive, il ne s'agissait que d'un levier à actionner pour voir Ren passer à l'acte froidement car il venait de lui offrir la possibilité de se venger.
« Oh une dernière chose, déclara Snoke alors que Ren avait acquiescé sa demande et se dirigeait vers la porte. Provoque moi encore une fois de cette manière, et je te traquerai comme le bâtard que tu es...»
Un bâtard. Le fils d'un bon à rien et d'une noble. Le fils de rien, voilà ce que venait d'insinuer son patron à son encontre et le regard terrifiant du jeune homme que cette menace de trop venait d'engendrer fit comprendre à Snoke qu'il avait raison de rester sur ses gardes. Un jour, la bête le bouffera tout cru.
☯
Il avait vraiment tardé à se lancer dans cette nouvelle mission. Il était resté toute la matinée dans ses appartements pour récupérer ses affaires, ses gants de cuir qui recouvraient maintenant ses mains et l'empêchaient de faire preuve de délicatesse, son casque jonché sur sa tête alors qu'il était en route pour Chandrila sur sa bécane. C'était une sensation étrange de retrouver une telle vitesse, de reprendre un rythme effréné après une petite semaine hors du temps à vivre un peu plus au ralenti. Il avait tout fait ce matin pour repousser le moment où il remettrait les pieds dans sa maison natale. Les quelques souvenirs de lui-même dans cet endroit qu'il avait s'étaient cristallisés dans son esprit et se fissuraient chaque jour un peu plus. Et ils ne relevaient pas tous d'une joie évidente, après tout, le pire avait commencé là bas. Alors, il ne parvenait pas à calmer le flot d'émotions en effervescence dans sa tête, lui qui exprimait chacune d'elle de manière totale et brute d'habitude. Il y avait l'appréhension et l'impatience de revoir la demeure, puis de la répulsion, de la rage concernant son oncle mais aussi un mauvais pressentiment. La demande de Snoke n'impliquait pas seulement Luke, il avait bien trop insisté sur le pensionnat. Kylo n'arrivait pas à s'enlever de la tête cette histoire de parti que le Premier Ordre comptait soudainement soutenir. Cela prenait une tournure beaucoup plus obscure qu'à l'accoutumée pour n'être qu'un hasard, ça ne ressemblait pas aux plans de l'organisation. De plus, il ne supportait pas les secrets, ça l'avait rongé toute sa vie. Ainsi, il savait que cette visite chez Leia ne se passerait pas comme prévu. Même s'il mourrait d'envie d'en finir avec cette rancoeur, cette trahison de la part de son oncle, il devait d'abord obtenir des réponses à ses questions, ce qui signifiait de ne pas l'éliminer tout de suite.
Kylo Ren pénétra dans l'allée menant à la maison. Le brouillard était bien tombé, sa toiture sombre n'était désormais plus visible de loin. Il dissimula comme il le put sa moto derrière un buisson mais conserva son casque. Il s'avança jusqu'à l'entrée du sentier et remarqua deux voitures garées devant la baraque. Celles des employés étaient à leur place de l'autre côté, et le style particulier d'un des deux véhicules fit immédiatement comprendre au jeune homme de qui il s'agissait et ça ne l'enchantait guère. Sa mission fut ainsi gradée d'une difficulté supplémentaire. Snoke revendiquait une confrontation musclée, persuadé que tout pouvait s'obtenir par la force quand ce n'était pas grâce à l'argent, mais Kylo se ravisa et décida que ce serait pour une prochaine fois, c'était trop risqué. Dévoiler à son oncle qu'il était toujours vivant entraînerait obligatoirement la mort de ce dernier. En revanche, une seconde personne ça faisait beaucoup pour une seule journée, un autre membre de la famille qui plus est. Ainsi, il était nécessaire que sa présence passe complètement inaperçue, un simple courant d'air. Un fantôme. Il pria pour qu'aucune modification n'ait été apportée à la maison et qu'elle soit restée comme dans son souvenir, parsemée de passages insolites. Il contourna la demeure sans s'attarder sur les éventuels changements du terrain ni sur sa façade décrépite de couleur blanche, enregistrer ce genre d'insignifiants détails ne lui apporterait rien car il savait que tôt ou tard, il la réduirait en cendres.
À l'arrière de la maison se trouvait encore cette porte singulière et étroite en contrebas qui menait à la cave. Il l'emprunta afin de s'introduire à l'intérieur du manoir. La pièce était évidemment sombre et poussiéreuse, les bouteilles de vin restaient nombreuses mais éparpillées, les réceptions ne se faisaient plus ici. Lui il se souvint de ces soirées interminables qu'il passait enfermé dans sa chambre ou seul dans le jardin après avoir fait bonne figure devant des inconnus et ne recevant aucune sympathie des autres enfants. Il avait toujours détesté ces fêtes. Il réussit à atteindre le rez-de-chaussée non sans peine, les portes grinçaient atrocement et le parquet se faisait vieux. Ensuite, alors qu'il rasait un énième mur afin d'accéder au bureau de sa mère, il reconnut les voix de Luke et de Lando un peu plus loin, ils parlaient justement d'elle. La seule information qu'il se laissa le temps de capturer fut que son état s'était aggravé très vite puis il se remit en jambes. Ces gens n'étaient pas de sa famille, Kylo Ren n'en avait pas. C'était une banale mission comme tant d'autres auparavant, dans une vulgaire maison appartenant à une figure politique quelconque et non celle dans laquelle il avait vécu pendant dix ans. Désormais dans le bureau, il était une tâche noire et visqueuse au milieu d'un sérieux bordel. Il y avait des dossiers et des livres dans tous les coins, ainsi que des cartons et la pièce venait d'être fouillée, toutes les armoires étaient ouvertes. Si bien qu'il n'eut pas besoin de chercher longtemps, l'objet de sa quête dominait une pile d'autres dossiers. Il lui suffit de dégainer son téléphone et de prendre silencieusement en photo le maigre contenu de la pochette. En revanche, il ne parvenait pas se concentrer bien longtemps sur ce qu'il était inscrit sur ces pages, son regard jugea un petit cadre enseveli sous des documents et, devinant parfaitement ce que la photo à l'intérieur représentait, son casque noir et argent étouffa un grognement. Dans un geste brusque, il dégagea le mont de papiers, certains volèrent jusqu'au sol, et la contempla, serrée dans ses larges mains. Il fut consterné devant les visages heureux emprisonnés dans ce cliché et sa présence sur cette table étira tout son être entre le dégoût et la désolation. Il sentit Ben Solo tendre une main entre les barreaux de sa prison. Ainsi, sans tarder, Kylo reposa délicatement le cadre face contre et referma également le dossier.
La présence inattendue de Lando l'obligeait à revenir dans la nuit ou la prochaine afin de chercher davantage, il avait bien choisi son jour pour venir prendre le thé avec un vieil ami. Et quelle hypocrisie ce dernier faisait preuve, pensa Kylo. Dix années terré dans un trou paumé loin de tout pour expier sa soi-disante culpabilité à un quelconque Dieu et le voilà de retour parce que sa jumelle était malade, le voilà soudainement enclin à s'occuper de la paperasse et à renouer comme si rien ne s'était passé. Encore une fois, il reprit son calme tandis qu'il se mut vivement mais sans bruit dans les couloirs jusqu'à la laverie, là se trouvait l'escalier de secours, son seul moyen de monter à l'étage sans être vu. Pour cela, il avait précautionneusement vérifié que la gouvernante était toujours sur la terrasse. Même elle qui l'avait partiellement élevé, il choisit de l'ignorer. Pourquoi s'infliger tant de peine et essayer de se souvenir alors que le petit garçon qui avait grandi en ces lieux était mort. Il n'existait plus que Kylo Ren et lui-même n'était qu'un spectre subsistant uniquement dans les flammes qu'il provoquait. Encore une fois, ces gens ne représentaient rien à ses yeux. C'était ce qu'il se répétait peut-être depuis qu'il avait posé le pied sur le gravier dans l'allée, celui-là même contre lequel il s'était plusieurs fois écorcher le genou. Puis plus fort lorsqu'il découvrit que ni le mobilier ni la chaleur de la maison n'avaient changé. Enfin les murmures dans sa tête s'étaient transformé en cris. Snoke hurlait dans sa tête qu'il n'était rien afin d'annihiler toute émotion, pour lui permettre de ressortir indemne de cet endroit, sans se retourner, sans regrets. Or ça ne fonctionnait pas aujourd'hui, alors à la place il se mit bêtement à compter les marches de l'escalier qu'il monta lentement, ça commençait à l'ennuyer de se cacher ainsi. Quelle vie de merde il avait emprunté pour devenir un intrus dans sa propre maison et ressentir autant d'amertume. Finalement, il aurait préféré une franche confrontation, en finir et foutre le feu comme d'habitude. Cette demeure comportait trop d'éléments qui lui déclenchaient des souvenirs ou relançaient des douleurs profondes. Son psychisme était plus que jamais scindé en deux et les deux parties s'affrontaient violemment, l'une comme l'autre pouvait céder à tout moment.
Il posa le pied sur une treizième marche après un pallier lorsqu'il entendit des pas autres que les siens. À cet instant, son cerveau se mit en alerte car ils ne venaient pas d'une des personnes présentes plus bas mais d'une tierce juste au dessus. Sa main gauche agrippée à la rambarde, il releva la tête et ce qu'il y vit confirma ses précédents soupçons.
Si Kylo Ren n'avait pas été privé de coeur, il aurait volontiers cru voir un ange.
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¹Bazine Netal : dans SW, espionne du Premier Ordre présente dans l'épisode 7 au château de Maz Kanata, elle prévient ses supérieurs de la présence du droïde BB-8.
²Ribleur : qui parcoure les rues la nuit
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Maintenant que nos deux protagonistes se découvrent, je peux le dire.
Je dédie cette histoire à Zoé.
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