11 : Les enfants perdus
" Ne renonce pas aux fantômes. "
TW : meurtre
À peine Holdo avait terminé sa phrase que Rose avait sauté du lit sans hésiter. L'affaire que la commissaire lui avait confiée quelques jours plus tôt se concrétisait, alors elle se devait d'être à la hauteur. Si bien qu'elle s'était vêtue à la va-vite, mais chaudement, et n'avait donc pas pris la peine de remettre son uniforme. Son arme, son insigne, sa voiture et elle fut rapidement sur la scène de crime.
Seulement, les mots de sa patronne n'étaient pas aussi terrifiants que ce qui l'attendait sur les lieux. Malgré la nuit avancée et la faible lumière d'un lampadaire plus loin sur la jetée, elle distinguait précisément le cadavre. Ainsi, Rose avait déjà failli à sa mission.
C'était sa première enquête, celle qui la sortirait du bureau à la lumière aveuglante de l'hôtel de police et la ferait monter en grade, en honneur, en respectabilité. Et c'était surtout son premier mort. Si elle s'était naturellement préparée à cette confrontation, inévitable une fois qu'on intègre la brigade criminelle, elle n'avait jamais imaginé qu'il puisse un jour s'agir d'un enfant.
Assise en retrait sur un banc derrière l'équipe affairée autour de la victime, elle se fit la réflexion qu'en plein jour, son corps laiteux et son short océan auraient créé un contraste saisissant avec le rouge si particulier des vieilles usines de Red Hook. Cependant, dans la pénombre, sans toutes les lampes des techniciens braquées sur lui, il était à peine discernable. Ce fut d'ailleurs grâce à cela que l'alerte avait été donnée. Un docker se baladant sur les quais avait trébuché dessus.
« Rose ?! Est-ce que ça va ? lui lança Finn en accourant à ses côtés. La brune était paralysée, sa respiration avait un rythme irrégulier et elle ne pouvait fixer autre chose que le macchabée. Elle tenta de bégayer quelques chose. C'est ton premier ? » reprit son collègue.
Rose hocha la tête et réussit à tourner son regard vers lui. Finn lui offrit une main réconfortante sur son épaule puis lui narra sa première expérience de ce type. Il ne s'éternisa pas longtemps et ne dévoila pas non plus le fait qu'il avait réussi à se créer une carapace face à cette vision à cause du Premier Ordre. Il tenta de lui assurer que cette nausée, cet effroi face au sang et à la finitude d'un être finiraient par passer, pire qu'elle s'y habituerait. Bien sûr, après des années de loyaux services, dans un camp comme dans l'autre, il ne réalisa pas le cynisme de ses propos.
Rose s'y refusait. Jamais elle ne s'habituerait à voir la mort en face, jamais elle n'accepterait que des enfants meurent ainsi.
La commissaire Holdo repéra l'état de sa jeune recrue et vint auprès d'elle. Elle prit la place de Finn qui retourna aider les techniciens.
« Je suis désolée, balbutia Rose.
— Tu m'aurais vue sur ma première affaire.
— Justement, vous vous êtres trompés sur mon compte, cheffe, c'est le premier et je...
— Premièrement, l'interrompit-elle sur un ton autoritaire et pourtant chaleureux. Je ne me trompe jamais, surtout en ce qui concerne mon équipe. Ensuite, c'est vrai que c'est dur pour un début, peu d'officiers peuvent se vanter d'avoir démarrer si fort. Mais, je t'ai mise sur cette affaire parce que je sais que tu as les épaules.
— Com... comment vous faites ?
— Tu crois qu'après toutes ces années, ça ne me fait plus rien ? Qu'ils se ressemblent tous ? Bien au contraire. J'y pense tous les jours. C'est ce qui me donne la force de me lever chaque matin, se confia-t-elle.
— C'est pas top comme première impression sur le terrain, marmonna la brune en remarquant un duo de collègues plus expérimentés se moquaient d'elle.
— N'y prêtes pas attention, t'auras d'autres occasions de leur montrer ce que tu vaux, rétorqua Holdo en se levant. Rose fut sur le point de réfuter son discours, incertaine de son avenir dans le service avec une telle sensibilité, mais la commissaire poursuivit sans attendre. Tu vas devoir te montrer deux fois plus forte et plus intelligente qu'eux, travailler deux fois plus, ne pas avoir froid aux yeux. C'est injuste, mais tu vas le faire pour toi, pas pour eux. Pour ta sœur. Et pour ce gosse, elle émit un hochement de tête en direction du mort.
— Vous croyez qu'un jour je gagnerais leur respect ? ajouta Rose, debout à son tour, remontée à bloc.
— Mieux que ça, tu gagneras leur confiance. Fais en sorte qu'ils soient prêts à te suivre n'importe où et quoi qu'il arrive, termina Holdo. Comment crois-tu que j'ai réussi à gérer tout un commissariat ? »
Rose afficha un sourire que Holdo partagea. Grâce à la petite brune, majeure de sa promo à l'académie et qui avait tant insisté pour intégrer son équipe, elle n'était plus la seule femme de la brigade. Après l'avoir bien observée pendant cette dernière année, la légendaire commissaire Amelyn Holdo, resterait à jamais sur ses positions. Rose Tico était faite pour ce métier. Et cette affaire, aussi dure soit-elle, ne pouvait qu'être bien menée avec une femme aussi entière.
Ainsi, Rose regagna la scène de crime et laissa sa patronne et Finn examinaient le corps avec les techniciens, tandis qu'elle inspectait les alentours à la recherche d'indices. Un dernier regard au jeune garçon à moitié nu et parsemé de sang et elle lui fit la promesse de trouver son bourreau.
≈
Une bonne heure plus tard, toute l'équipe était réunie au commissariat. Dans la salle de réunion, Holdo avait rapidement inscrit les principales informations concernant l'affaire et cette nouvelle victime encore inconnue. Elle avait ressorti le dossier et de savoir que sans cette découverte, il aurait certainement pris la poussière, la dégoutait parfois de son propre travail. Mais cette fois, il fallait résoudre cette affaire coûte que coûte.
En effet, les premières constations démontraient des similitudes avec les précédentes scènes de crime. C'était sans aucun doute le même mode opératoire, la même cause de décès et le même profil d'enfant. Seulement, Holdo ne comprenait pas pourquoi presque six mois s'étaient écoulés avant que l'assassin ne récidive, alors que l'hiver dernier, les morts pleuvaient.
« On est maintenant à cinq cadavres en moins d'un an. Le procureur est au courant et a mis toutes les équipes possibles sur le coup, en particulier la nôtre. L'affaire passe en priorité, je vous veux tous dessus en plus des affaires en cours. On va tout reprendre à zéro, éplucher chaque dossier, chaque témoignage. On a forcément loupé quelque chose. En attendant les résultats de l'autopsie et des analyses, on va se répartir les tâches. D'ici la fin de la semaine, je veux du nouveau pour établir le profil de l'assassin. » expliqua Holdo d'une traite, résolue et opiniâtre.
Elle confia à un groupe l'enquête de voisinage, à un autre de chercher l'identité du gamin et de rester à l'affut sur les trouvailles éventuelles du labo, puis à Rose, Finn et Mitaka de relire encore tous les dossiers de l'enquête comme la commissaire leur avait demandé quelques jours auparavant. Maintenant, ils savaient tous quoi chercher, ils avaient un élément concret vu de leurs propres yeux avec lequel effectuer une comparaison. Rose Tico avait saisi la frayeur derrière l'autorité et le dynamisme de sa cheffe. Un tueur en série ainsi libre dans la nature et sur lequel il n'avait pour l'instant rien, n'était sans doute pas bon pour la réputation d'un commissariat, encore moins pour celui de la ville géré par une femme. De plus, un tueur d'enfant.
C'était d'ailleurs un point que la jeune policière ne comprenait pas. Il y avait déjà eu quatre enfants retrouvés morts dans les rues de New York, et avant cette nuit, elle n'en avait jamais entendu parlé. Aucun média, aucun réseau social, aucun politique n'avaient prononcé un mot sur l'affaire. Et ça lui paraissait improbable. Finn revint s'installer à ses côtés et face à Mitaka avec une thermos de café, dont ils feraient très bon usage pendant plusieurs heures.
« Hey, murmura Rose à ses collègues, une pochette déjà dans les mains, comment ça se fait qu'on s'y attaque que maintenant ? Comment vous aviez procédé pour les précédentes victimes ?
— Malheureusement, on a fait l'erreur de les traiter un peu trop au cas par cas, si bien qu'on a pas vu les similitudes tout de suite. Des meurtres d'une telle violence en plein New York, c'est pas arrivé depuis longtemps, tu vois. En plus, ça a été très compliqué d'identifier les enfants, c'est aussi pour ça que...»
Finn ravala sa salive, honteux d'admettre la manière dont cette histoire avait été mal traitée pour bien trop de raisons Cependant il n'y en avait qu'une qui puisse le mettre dans cet état et qui ne plairait pas à Rose.
« Que quoi ?! insista-t-elle.
— Qu'on s'est pas inquiété ! intervint Mitaka nonchalant. À chaque fois, c'était un gosse des rues, de ces merdeux qui traînent n'importe où et font n'importe quoi. Le premier comico qui s'en est chargé s'en foutait pas mal. Et nous, bah... On a longtemps cru à des bagarres qui tournaient mal, voilà tout. » finit-il en laissant reposer sa tête sur son poing.
La brune n'en revenait pas. Les propos de ses camarades l'avaient clouée sur sa chaise. Elle savait que l'affaire leur était tombée dessus à une période un peu sombre et chargée et les élections n'avaient rien arrangé. Mais elle n'avait pas imaginé un tel manque de considération. Découvrir la manière dont ces gamins, même morts, étaient jugés lui donna la nausée.
Cette fois, ce fut à elle-même qu'elle se promit de mettre un terme à tout ça.
☯︎
Du lundi, Rey et Kaydel fixaient toutes deux l'écran de l'ordinateur de la boutique et la blonde scrollait lentement la page d'un article. Après la manière dont Halloween s'était terminé, l'antiquaire avait passé le reste du weekend cloitrée chez elle à ressasser au fond de son lit ou devant son bureau. Avoir retrouvé Kylo dans un bar était une première chose qui l'avait grandement perturbée, elle qui ne le prêtait qu'à des univers sombres, sordides et dissimulés. Et de surcroît, sa menace ne quittait pas ses pensées. Néanmoins, rien n'avait changé, ces angoisses ne l'avaient pas faite changé d'avis, elle ne lui céderait pas. Du moins tant que Lando restait en dehors de cette histoire.
De plus, était venue s'ajouter la nouvelle épouvantable qui avait glacé Brooklyn. Rey ne parvenait pas à retrouver ce sentiment en elle, à mettre des mots dessus, mais les brèves images de la scène de crime montrées au moment de l'annonce avaient réveillé quelque chose en elle. Elle avait pensé à sa fameuse trop grande curiosité, un peu morbide pour le coup, mais c'était finalement plus profond que ça. La brune avait résisté depuis à mettre son nez dedans afin de ne pas avoir les deux pieds dans des affaires crapuleuses et macabres. Seulement ça lui trottait dans la tête.
Et Kaydel n'aidait pas à calmer le jeu. Rey la regardait, obnubilée par ce qu'elle lisait et l'écoutait avec attention. D'une façon différente, mais tout autant que la brune, elle avait été assez secouée par cet incident. La blonde était une dure à cuire, pas facile à émouvoir à bien des niveaux, mais comme tout le monde, son armure pouvait contenir quelques failles. Ainsi, savoir qu'à quelques rues de chez elle, on avait pu assassiner un enfant avec tant de violence remettait en question ses préoccupations.
« C'est fou quand même, ça ne serait pas la première victime ! constata Kaydel sans quitter les yeux de sa page internet.
— Qu'est-ce qu'ils disent ?
— Il s'agirait d'un jeune garçon blanc... Il a été retrouvé sur les quais de Red Hook à peine vêtu. Et... ça relancerait une enquête en cours depuis février, Kaydel énuméra les seules infos présentes dans l'article.
— C'est un gosse du quartier ? demanda Rey.
— Non, on sait pas d'où il vient. Le mec qui l'a trouvé l'avait jamais vu. Les flics non plus. Et j'ai regardé sur le site du journal de Poe, il n'y a rien.
— C'est pas étonnant, son journal ne couvre pas ce genre d'affaire, et en ce moment avec les élections, à part un scandale politique, rien d'autre ne les occuperait, ajouta Rey en retournant à son bureau.
— J'espère que la police va vite attraper ce taré, le gamin avait l'air pas mal amoché sur les photos qu'on a vu samedi... d'ailleurs avant ça on en entendait pas parler et là d'un coup le soir-même ça passe aux infos, songea la blonde.
— Je suis d'accord avec toi, c'est bizarre... peut-être que la police considère qu'il vaut mieux avertir les gens, histoire qu'on fasse attention à nos enfants, lança sa collègue sans grande conviction.
— Mmh... d'après l'article, les premiers enfants retrouvés vivaient tous dans la rue ou dans des foyers.
— C'est donc ça ! Les sans-abris n'intéressent personne, encore moins les enfants... déclara Rey avec une amertume non dissimulée. Kaydel avança dans sa direction et s'assit sur le bord de la table.
— Tu dis ça par rapport à toi ? osa Kaydel avec une œillade empathique.
— Ouais, soupira la brune. Enfin, que moi je n'ai pas été aidée à l'époque ne veut pas dire que ces enfants étaient dans le même cas... J'espère aussi qu'il n'y aura pas d'autres morts. » termina-t-elle en souriant à son amie.
Kaydel la rassura sur le fait qu'elle s'en était très bien sortie malgré cette partie de sa vie. Elle savait pertinemment ce que Rey avait vécu, sans forcément en connaître tous les détails ni les acteurs principaux de son récit qu'elle avait dû brodé à contre-cœur. Mais cela suffisait à Kaydel pour savoir que parler d'enfant, de solitude lui était toujours difficile. Cependant, le sourire solaire de son associée réchauffa son cœur un peu trop noirci ces derniers temps.
Sa journée terminée et la boutique fermée, Rey retrouva son cocon juste au-dessus. Malheureusement il n'était toujours pas aussi douillet qu'elle le souhaitait chaque fois qu'elle y rentrait le soir. Après des semaines en boucle sur la broche, l'homme à la canne et Kylo Ren, l'enfant venait s'ajouter à la sombre bobine qui tournait sans arrêt dans sa tête. Il était arrivé comme une bombe et l'inquiétait désormais bien plus que ses souvenirs ou les menaces d'un voyou.
Le journal écouté samedi soir n'aurait jamais dû procéder de cette manière, mais c'était fait et comme des milliers de gens, elle avait vu la silhouette mutilée du petit garçon, sûrement une photo fuitée, et qui la marquerait un moment. Cependant, il ne s'agissait pas seulement d'un choc suite à des images violentes ou un sentiment d'insécurité grandissant, quelque chose l'avait réellement perturbée dans ce qu'elle avait vu. Rey ne parvenait pas à mettre le doigt dessus, c'était comme si cela lui était familier.
Elle tenta alors de retrouver les photos diffusées pour comprendre ce qui la bouleversait tant. Il était fort probable qu'elles soient compliquées à retrouver, la police n'avait certainement pas apprécié se faire doubler ainsi, mais ça ne coûtait rien de d'essayer. Ce genre de recherches devenait une habitude, tout comme les notes improbables dans son journal. Voilà qu'elle entamait une page sur cette histoire. En réalité, ce n'était pas uniquement pour s'en souvenir ni marquer un événement particulier, mais plus pour mettre les choses au clair dans son esprit et laisser une trace. Il y avait aussi, profondément en elle, cet espoir qu'un jour ses parents puissent lire toutes ces pages.
Évidemment, elle ne retrouva pas les photographies dans leur intégralité. En revanche, elle remit la main sur l'article lu par Kaydel et à son tour, elle l'étudia attentivement. Tous les éléments listés par son amie ce matin, elle les annota dans son carnet. Maintenant, elle n'avait plus qu'à attendre, avec un peu de chance la police ne mettrait pas longtemps à déterminer l'identité du garçon. Néanmoins, ce n'était pas tellement l'origine du jeune homme qui l'inquiétait, mais davantage la cause de la mort et la mise en scène de celle-ci.
C'était ça, ce point-là qui la titillait depuis samedi soir, il y avait quelque chose dans les blessures, dans la manière dont le corps avait été déposé, exposé si soudainement qui l'interpellait. Seulement, pour en avoir le cœur net et confirmer son intuition, il lui serait nécessaire de revoir les photos, voire le cadavre.
Puis, elle se souvint que Finn travaillait désormais sur le terrain. Sans trop réfléchir à la tournure dont prenait sa curiosité, elle composa le numéro du policier. Face aux trop longues sonneries d'attente, elle se remémora ses propos sur le Premier Ordre et la façon dont il vivait constamment avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Finn était sur ses gardes partout où il allait, de peur de voir surgir un sbire de l'organisation, mais il était aussi terrifié que cette partie de sa vie se révèle à ses collègues et donc à la justice. Rey avait même appris qu'il avait dû changer d'adresse et afin de pouvoir bouger facilement, il logeait donc temporairement dans le gymnase.
« Allo ? Rey ? Est-ce que tout va bien ? finit-il par répondre, un brin d'inquiétude dans la voix.
— Bonsoir Finn ! Oui, tout va bien, j'espère que je ne te dérange pas, tu es au commissariat ?
— Non tu ne me déranges pas du tout et... j'en pars justement, il ne s'attendait pas à son appel, mais il s'en réjouit, au point d'en bégayer un peu. Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu as trouvé quelque chose ?
— Non pas vraiment... En fait, je t'appelle pour tout autre chose. elle hésita à lui parler des articles sur les incendies qu'elle avait trouvé, mais Kylo n'était pas le sujet et elle n'avait pas envie d'entendre le policier l'insulter.
— Oh... ses sourcils se froissèrent, bien que quelque part en lui un espoir vit le jour. Je t'écoute.
— Euh... je suppose que t'es au courant de.. l'incident de samedi.
— En effet, mon équipe est même dessus, mais pourquoi tu veux savoir ça ?
— Est-ce que vous avez déjà des pistes ? Tu sais qui est la victime ? elle enchaîna les questions. J'ai vu la photo du corps, et il y a quelque chose de bizarre, il faudrait juste que...
— Rey ! Rey ! il émit un petit rire. Je vois que ta curiosité n'a aucune limite ! C'est super que tu t'inquiètes pour cette histoire, mais tu te doutes que je ne peux rien te dire. L'enquête est en cours. Et même si je le voulais, c'est pas le moment pour moi de faire de vagues. Je profite d'un peu de sursis le temps que le Premier Ordre est occupé...
— Oui je comprends, mais peut-être...
— Je suis désolée, Rey, l'interrompit-il avant qu'elle ne lui demande l'impossible. En plus, je t'ai déjà embarquée contre l'organisation, il faut d'ailleurs qu'on se concentre dessus, donc j'ai pas envie de te mêler aussi à une affaire criminelle... je te mets déjà suffisamment en danger, avoua le policier.
— T'en fais pas, tu ne me forces à rien. Merci quand même. Merci pour... ta gentillesse, dit-elle après une inspiration, pas d'un naturel si mielleux avec un homme.
— Je t'en prie. Fais attention à toi, Rey.
— Toi aussi Finn. »
Elle raccrocha, frustrée, bien qu'elle s'attendait à cette réponse. Cependant, elle était toujours assez surprise du comportement du garçon, elle ne comprenait pas pourquoi il se montrait si compréhensif et aimable envers elle, alors qu'il lui en avait tant voulu de l'avoir empêché d'attraper Kylo. En tout cas, c'était bien plus agréable que la communication qu'elle avait essayé d'instaurer avec ce dernier.
Ensuite, elle abattue une autre carte et appela un autre acolyte qui, lui, était un peu plus libéré d'une hiérarchie ni sous le joug d'une organisation criminelle. Lorsque celui-ci décrocha, à l'inverse de Finn, Rey saisit qu'elle appelait finalement à une heure tardive, sa voix laissait paraître qu'il était en train de manger et elle l'entendit demander à BB8 d'arrêter d'aboyer.
« Rey, je suis journaliste, évidemment que je suis au courant pour ce meurtre. Un truc pareil, ça émeute une ville entière... même New York, répondit Poe Dameron après les questions de la jeune femme. Pourquoi ça t'intéresse ?
— Je sais pas... je... t'as des infos là-dessus ?
— Non, j'ai assez à faire avec la violence du monde politique, tu peux me croire. Mais tu penses que c'est lié au Premier Ordre ?
— Peut-être... c'est juste qu'il y a quelque chose qui m'a intrigué quand j'ai vu la photo du corps. J'aurai voulu en être sûre, admit-elle.
— Oui en effet, ça va être compliqué pour le moment, la police essaye de se montrer vigilante sur cette histoire. Si vraiment c'est important, la première victime remonte à plus de six mois, elle a sûrement été identifiée, expliqua Poe.
—D'accord, je vais regardais de ce côté, Rey n'y avait pas pensé.
— Je t'avoue qu'avec l'organisation je suis assez occupé, mais j'ai des contacts chez des journaux quotidiens, je vais me renseigner. D'ailleurs, tu sais les archives nationales ré-ouvrent demain. On pourra s'y rendre avant la fin de la semaine, ajouta-t-il.
— Super, tiens moi au courant. Merci Poe. » elle mit vite fin à la discussion.
Elle suivit rapidement les conseils de son ami. En effet, elle écuma jusque tard dans la nuit les archives des journaux locaux, des sites d'actualités et autres sources. Remarquant les points divergents entre les articles, Rey conclut que la presse tout comme la police avait longtemps cru à différents meurtres, sans lien les uns avec les autres et surtout à des règlements de compte entre gamins de quartier. Puis, elle dénicha l'identité de la première victime.
C'était une fille.
Elle était âgée de quatorze ans au moment des faits, brune, les cheveux longs, de taille moyenne et menue, elle s'était échappée du foyer dans lequel elle vivait. Devant sa photo d'identité de piètre qualité dans un article, le sentiment étrange que Rey avait ressenti samedi soir lors de l'annonce, revint. Encore une fois, quelque chose l'intriguait, l'interpellait. Mais sans savoir quoi. Seulement une impression, une intuition. Et l'homme à la canne jamais très loin dans ses pensées.
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Finalement, l'identité d'une des victimes ne lui apportait pas de claires explications. Toute la journée, dans sa boutique, Rey y avait repensé et elle en avait un peu parlé à Kaydel, elle aussi inquiète pour la vie du quartier. Elle n'avait pas pu s'empêcher de taquiner son amie sur l'appel passé à Finn, mais Rey avait fait mine de ne rien entendre. La blonde était dans une période où elle souhaitait à tout prix caser Rey, lassée de la voir toute seule et convaincue qu'elle avait tant d'amour à donner. La brune était d'un avis tout à fait contraire, et de toute façon, n'avait pas la tête à cela.
Pourtant, Kaydel ne la lâcherait plus si elle apprenait que sa collègue repensait au regard de Kylo. Il avait partagé la même lueur qu'elle au moment de l'incident le soir d'Halloween. Elle l'avait vu être aussi ébranlé qu'elle face à ce terrible événement. Si bien qu'en définitive, l'idée que le Premier Ordre, et notamment lui-même, puisse être mêlé à cet assassinat d'enfant ne lui avait même pas traversé l'esprit. Et elle espérait vraiment ne pas se tromper.
Elle réalisa qu'elle n'avait toujours rien dit à son amie sur lui, sur qui il était réellement. Et même si elle en mourrait d'envie et que Kaydel ne méritait pas tant de cachoteries, son amie n'avait rien à faire dans une telle histoire. Rey avait peur de la mettre en danger, mais aussi de se compromettre elle-même. Si tout ça avait un lien avec l'homme à la canne, c'était à elle seule de s'en sortir. Et cela valait également pour le Premier Ordre, Kaydel devait continuer d'ignorer son existence.
Rey l'enviait tellement parfois.
En fin d'après-midi, les filles avaient décidé de fermer plus tôt. Malheureusement, retrouver le corps d'un enfant dans de telles circonstances ne facilitait pas les affaires, les gens ne se bousculaient plus trop dans les rues ces derniers jours. Alors Rey se précipita à la mairie.
Elle ne pouvait pas attendre que Poe se libère pour avoir accès aux archives nationales. Elle était persuadée que, contrairement aux municipales, elle y trouverait quelque chose sur son passé, sur le fantôme. Mais également sur les enfants. Dameron prenait suffisamment de risque avec son enquête sur le Premier Ordre, d'ailleurs si Finn ne l'avait pas calmé, il aurait été capable d'infiltrer leurs rangs sous-couverture. Aucun des garçons n'était concerné par la vie de la jeune femme, c'était simplement un mauvais pressentiment qu'elle devait confirmer.
Si ces archives contenaient des informations sur sa vie avec l'homme à la canne, elles révéleraient peut-être aussi quelque chose sur ses parents.
C'était si étrange. Elle s'était parfaitement faite à son existence sans filiation, sans parents. Pendant très longtemps, ça lui avait même semblait être une normalité, jusqu'à ce qu'elle soit confrontée au monde réel. Elle avait très vite intégré les propos du fantôme, oscillant entre l'espoir que son père et sa mère reviennent la chercher et une haine viscérale à leur égard pour l'avoir abandonnée. Et pourtant, encore aujourd'hui, il lui fallait trouver une réponse. Rien que le nom de l'un d'eux suffirait, car même ça, elle ne s'en souvenait pas.
Arrivée dans le hall de l'hôtel de ville, elle savait pertinemment qu'il ne lui serait pas simple d'entrer aux archives sans Poe. Tout en marchant vers un guichet, elle réfléchit à une liste de justifications à fournir si son statut de doctorante ne suffirait pas. Elle n'avait pas la patience d'entamer des démarches administratives uniquement pour fouiller dans des cartons poussiéreux, même pour ses parents.
Néanmoins, sa fin de journée fut plus fâcheuse que prévue. Rey pensait que négocier avec la mairie serait ce qu'elle avait de plus pénible à faire aujourd'hui, ignorant que Kylo Ren y travaillait.
Évidemment, le hasard faisait toujours bien les choses et il apparut à son tour dans l'entrée. Il se dirigea vers un des postes d'accueil, remonté furtivement de sa grotte pour déposer des documents, mais soudainement il maudit le destin. Une force supérieure s'acharnait décidément sur lui, c'était pas comme si sa vie était déjà un bordel sans nom depuis des semaines. Il fallait en plus que sa route croise sans cesse celle de cette antiquaire.
Il l'observa longtemps.
Ses jambes fines bien ancrées dans le sol, galbées dans une paire de collants noirs, droite comme un piquet dans ce même manteau de laine beige qu'elle portait lors de leur première rencontre. Ses cheveux beaucoup plus arrangés que pendant leur bagarre au pensionnat. En revanche, elle dégageait toujours la même détermination, celle qui ne la quittait jamais, même lorsqu'elle buvait trop.
Elle semblait mécontente de ce que l'hôtesse d'accueil lui disait, leur échange ne s'améliora pas malgré la carte que l'antiquaire sortit. Kylo tenta alors d'approcher discrètement, dos à elle. Il parvint à entendre que la conversation portait sur les archives nationales, et malheureusement, la jeune femme n'était pas tombée sur la plus accueillante des employés de la mairie. Pourtant, Rey paraissait capable d'insister jusqu'à la fermeture. D'ailleurs, celle-ci n'allait pas tarder et de nouveau, Kylo refusa de laisser passer l'occasion. Avec un peu de chance, il pourrait l'emmener au Premier Ordre ce soir.
Il s'apprêta à aller la chercher, empoigner son avant-bras et la traîner avec lui aux archives en quelques secondes, prétextant qu'il la connaissait, capable même d'aller jusqu'à dire à cette Karen ou Kristen de l'accueil qu'elle était sa copine. L'important était d'éviter l'esclandre et de se faire repérer, une menace susurrée à l'oreille et l'envie de se faire remarquer lui passerait.
Seulement, elle se retourna avant même qu'il ait eu le temps de bouger. Son corps se couvrit d'une certaine mollesse et elle semblait naturellement frustrée et ronchonne. Il l'aperçut souffler et cacher ses mains dans les poches de son manteau.
Encore une fois, comme si malgré elle, tout la ramenait à lui, ses yeux trouvèrent les siens.
Elle n'en pouvait plus. Elle tombait sur lui partout où elle allait, il la traquait peut-être, avait même sûrement son adresse. Sans bouger, Rey le suivit du regard déposer des dossiers à un bureau puis avancer vers elle. La jeune femme le fixa si longuement de ses yeux verts qu'il fut bloqué un instant, incapable de parler. C'était une réelle surprise de le voir ici, dans l'impossibilité de se camoufler d'obscurité. Elle voyait enfin son visage en plein jour et ne put faire autrement que de le détailler, incapable elle aussi de réagir alors qu'elle aurait dû partir.
Puis son regard se baissa sur le badge qu'il portait autour du cou, une carte avec une photo certainement pas récente, un nom et une fonction inscrit grossièrement sous un logo. Ses iris firent des allers-retours entre l'insigne et ses yeux à lui. Elle comprit, et c'était tout autant surprenant que son visage à la lueur du jour.
« Suis-moi. »
Sa phrase avait davantage sonné comme une invitation qu'un ordre. Il n'attendit même pas son approbation et retourna vers l'ascenseur. Il n'était pas sûr de lui sur ce coup, mais il entendit tout de même ses bottines à talons frappaient contre le sol derrière lui. Elle avait pourtant toute la capacité de s'enfuir, d'appeler à l'aide, il ne pourrait même pas la retenir sans griller sa couverture.
Le passage dans l'ascenseur fut insoutenable. Il était convaincu, qu'une fois seuls dans la cage, elle lui balancerait des avanies et autres noms d'oiseaux, pour lui assurer qu'elle n'avait aucunement peur de lui. Quant à Rey, elle aussi croyait qu'il en profiterait pour la menacer davantage, voire pire, car elle se jetait inévitablement dans la gueule du loup. Pourtant, elle ne semblait pas nerveuse ni apeurée, Kylo discerna un certain contrôle chez elle, et même un peu de curiosité. Son regard signifiait clairement qu'elle n'appréciait pas sa compagnie, or elle le suivit sans un mot dans les archives.
« Ça devient délicat de se croiser partout comme ça... commença-t-il agacé.
— J'ignorais que tu travaillais ici. J'avais même pas envisagé que tu puisses avoir un... emploi, répondit-elle sarcastique.
— Tu devines bien qu'il s'agit d'une couverture, que tu participes à foutre en l'air !
— C'est pas mon problème ! Je savais pas que je te trouverais ici, et je m'en fiche si ça t'embête ! » s'emporta-t-elle.
Elle se laissa tomber sur le rebord d'une table, mentalement épuisée. Mais que croyait-il ? C'était facile pour lui cette situation, il avait tout un arsenal pour la menacer à tout bout de champ, il pouvait s'en prendre à elle ou à ses proches à n'importe quel moment, et même s'il n'était toujours pas décidé à agir, elle en avait assez de vivre avec cette peur.
Elle souffla un coup, puis le toisa un moment. Rien chez cet homme ne lui paraissait logique, ce n'était que les montagnes russes en permanence. À l'instant, elle était finalement bien plus surprise qu'inquiète d'être avec lui dans cette pièce. C'était tout à fait déroutant de l'imaginer travailler à la mairie. Elle se demanda s'il la menait jusqu'au bout, s'il se rendait une fois par jour à la machine à café plus haut pour discuter avec ses collègues, s'il y avait quelqu'un dans l'hôtel qui s'était intéressé à lui. Peut-être qu'il usait d'un certain charme pour évoluer en ces lieux sans soucis, cela lui parut évident ainsi vêtu d'un polo et d'un blazer noir. En réalité, c'était perturbant pour elle de le voir dans de telles circonstances. Même si la teinte de ses vêtements ne changeait pas, sa tenue était beaucoup plus décontractée, avec ses baskets aux pieds et ses mains nues. Il était moins impressionnant, plus humain et abordable.
Cependant, sa blessure, bien que cicatrisée, était toujours visible et si elle lui rappelait qui il était vraiment, elle lui remémora aussi ce dont elle était capable sous la colère. Et ça ne lui plaisait pas. Il avait très certainement connu pire entre le pensionnat et le Premier Ordre, mais Rey ne pouvait s'empêcher de ressentir une forme de culpabilité, voire de l'empathie. Et pas seulement pour sa souffrance physique.
« Quoi ?! finit-il par lancer face à son trop long regard. Elle s'approcha un peu plus de lui.
— J'y suis vraiment allée un peu fort, déclara Rey en désignant du menton son visage.
— Tu t'es défendue... il ne sut pas quoi répondre, ça ne semblait pas lui plaire de l'avoir blessé ainsi. Kylo se surprit à se sentir touché qu'elle lui demande ensuite ce qu'il avait été de la douleur.
— Alors qu'est-ce tu fais au juste ici ? enchaîna-t-elle mal à l'aise en regardant autour d'elle.
— Je suis le mec des archives, c'est mon boulot. D'ailleurs, je t'ai entendu là-haut... Pourquoi tu tiens tant à te rendre aux archives nationales, tu penses trouver quoi encore ?
— Ça ne te regarde pas, se braqua la jeune femme.
— Ce serait plus simple que tu me dises qui tu es et ce que tu fous avec cette broche...
— Non, on n'aurait pas cette conversation si toi tu me laissais tranquille ! C'est juste une broche, comme tous les gamins de ton pensionnat en ont reçu, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que ça peut te faire ? répliqua-t-elle. Elle ne devait pas le laisser prendre le dessus.
— Une broche pour laquelle tu prends des risques inutiles ! Je t'ai déjà dit ce qui arriverait si tu ne me la rends pas, tu tiens vraiment à gâcher ta vie pour ça ?!
— Oui des menaces en l'air dans lesquelles tu stipules m'emmener je ne sais où, se moqua-t-elle.
— Tu devrais pas les prendre à la légère... articula-t-il en se rapprochant.
— Pourquoi tu ne les appliques pas alors ? elle croisa les bras sur sa poitrine et plongea ses yeux dans les siens, tout son être était dans un tourbillon de sentiments, mais rien qui ne relève de la peur.
— Pourquoi tu veux accéder aux archives ? » répéta-t-il, incapable de lui donner une réponse.
Elle mit du temps à répondre, si bien qu'il eût le temps de jeter un coup d'œil à sa montre. La mairie fermait. Puis, ses yeux retrouvèrent les siens, l'expression sur son visage s'était détendue.
« Je cherche des infos sur le gamin assassiné, elle refusa de lui dire qu'il y avait aussi une quête identitaire derrière.
— Oh, il mima un sourire, et je suppose que tu t'es mise dans la tête que le Premier Ordre avait quelque chose à voir avec ça, que j'étais le responsable ?!
— Non, justement, Kylo fut véritablement étonné de sa réponse franche et assurée. Il fit non de la tête lorsqu'elle lui demanda ensuite si elle devait au contraire y croire.
— En revanche... il se mordit la lèvre et fuit son regard un instant. Je peux t'aider, murmura-t-il.
— Pardon ?! elle décroisa les bras.
— Je peux t'aider pour cette histoire. » reformula-t-il avec sincérité.
Kylo vit les yeux de Rey s'élargir davantage. Sa proposition lui avait coupé le souffle, elle crut même à une plaisanterie. Seulement, le jeune homme était on ne peut plus sérieux. À son tour, il mit un pied dans la vie de Rey comme elle l'avait fait avec lui. Il ignorait dans quoi il s'embarquait et savait pertinemment qu'il s'agissait d'une très mauvaise initiative, mais c'était trop tard. Après tout ce qu'il avait vu au sein du Premier Ordre, après tout ce que lui-même avait dû faire, le meurtre de cet enfant lui paraissait si inhumain.
Un enfant auquel, malgré lui, il était lié.
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