Un début de nuit sous les étoiles
Une soirée de fin d'hiver en 1600. Une ruine hors les remparts de Rome. Une mousse encore tiède comme litière, la rondeur d'un bout de colonne à moitié enfoui dans le sol comme oreiller inconfortable...
- Tu penses à quoi ?
- Tu sais, avant, des gens pensaient que les étoiles étaient des trous percés dans le ciel qui permettaient, la nuit, de voir un peu de la lumière de Dieu...Ils disaient aussi que la pluie était " l'eau d'en haut", qui tombait par ces trous...
Elle se rapproche de lui et pose confortablement sa tête au creux de son épaule gauche. Quand elle ne bouge plus, sa main repose sur le torse, et son genou sur le bas-ventre du jeune homme.
- Parle encore...
Une flèche de feu parcourt tout le corps de l'adolescent. Elle y déclenche un mouvement de panique général, dont la conséquence immédiate, et par trop évidente, soulève le genou de Monnica.
- (Oh non..pas ça...)... La Genèse... c'est le début de la Bible...et c'est ce que je préfère...Quand Dieu crée le monde...
- ...
(Ce n'était pas possible qu'elle ne sente pas les à-coups de son cœur qui résonnent jusque dans son sexe.)
- ... Ça raconte comment Dieu a créé le monde en sept jours. D'abord la terre et le ciel...Puis la lumière...
Il lève le bras droit, tend la main vers les astres, et fait claquer le bout du majeur sur son pouce :
- « Que la lumière soit » et la lumière fut.
Dans le même mouvement, l'autre main a entouré l'épaule de la jeune femme, sur l'étoffe rugueuse de la couverture.
Monnica se contorsionne, réussit à tirer le haut de la couverture coincée sous la main posée sur elle, et le redépose par-dessus. Puis elle refait son nid avec la même intimité.
- Continue...
Chaleur accueillante, main glissant en avant de l'épaule et bouts des doigts à la naissance du sein. D'une voix peu assurée, il reprend :
- Dieu décida alors d'appeler la lumière : jour, et les ténèbres : nuit. Le lendemain, il créa le firmament, c'est à dire le ciel et c'est là qu'il sépara les eaux.
Il récite de nouveau :
- « il sépara les eaux qui sont sous le firmament d'avec les eaux qui sont au-dessus du firmament ». C'est pour cela que j'ai dit les "eaux d'en haut"...
- ...
La tempête intérieure s'apaise et son reflux progressif lui rend une respiration presque normale ! Surtout ne pas bouger. Surtout ne pas penser à la douceur molle sous les doigts.
- Encore...
- Après...Dieu fait la mer et la terre ferme... Puis la nature : les plantes, les arbres, les fruits... Au quatrième jour, Il remplit le ciel de...de... « luminaires » : la lune, le soleil, les étoiles...
- Tu te trompes...
- ... Non, pourquoi ?
- Tu dis qu'il a fait le soleil bien après la lumière du jour, et puis aussi.. comment il a pu faire le jour et la nuit si y avait pas de soleil et de lune...Y a quelque chose qui va pas... T'as dit quel jour?
- Euh..attends...le quatrième
- Tu vois bien, c'est pas possible, si y avait pas de soleil, y avaient pas de jours !
Désidérius sourit. Il avait osé poser les mêmes questions à un frère, pendant un moment de détente sous le cloître. Celui-ci avait répondu que c'était comme ça, et qu'on ne devait pas chercher à tout comprendre. Un autre frère qui avait entendu, dit qu'il ne s'agissait pas des mêmes lumières, car celle du premier jour était la lumière divine chassant les ténèbres impropres à l'avènement de la vie. Un troisième, se penchant au plus près du petit groupe, murmura un drôle de mot. Les deux autres réagirent brusquement et entraînèrent le chuchoteur avec moult cris et mouvements de bras...Laissé seul, Désidérius s'était répété ce mot aussi amusant à dire qu'à entendre : Zimzum.
Avant qu'il ne tente une réponse, Monnica dit, avec un petit haussement d'épaule :
- Bon, c'est pas grave...et après ?
- Après... Les poissons, les oiseaux, les autres animaux et puis le 6ème jour : nous, les hommes et les femmes.
- Ah oui, la femme avec une côte de l'homme c'est ça ?
- Non, ça c'est dans la deuxième Genèse...
- Ah bon..Y en à deux ! Alors c'est fini, la première?
- Non, il reste le 7ème jour, celui où Dieu se repose.
- Le dimanche ?
- Non pas tout à fait. En fait, pour les juifs qui ont écrit la Bible, le jour de repos c'est le samedi. Il l'appelle shabbat.
- Y a vraiment des choses bizarres...
Elle se redresse et, dans l'obscurité naissante, plonge au plus prêt son regard dans celui de Désidérius.
- Et le Paradis, avec Adam et Eve, t'as rien dit...
- C'est un autre texte, juste après les deux gén...
- A la messe le curé nous en parle souvent du Paradis.
- Avec le serpent...
- Oui, le serpent qui oblige Eve à donner la pomme... D'ailleurs là aussi il y a un truc bizarre...
- Ah oui ?
- Ben oui. Dieu punit tout le monde... et il dit au serpent qu'il sera obligé de ramper sur le sol... C'est bien ça ?
- Oui, et alors ?
- Ben comment il était avant le serpent, s'il rampait pas ?
Elle reprend sa place vivement, pendant que Désidérius, de nouveau, tarde à proposer une réponse.. Et, en fait, il n'en trouve pas !
D'autant plus que maintenant la main recouvre le sein entier.
La Bible s'efface de ses pensées aussi vite que le sang galope sa marée montante.
Après un moment de silence, elle l'interroge avec sérieux :
- Donc, même si tu dis qu'il y a deux créations...c'est bien Dieu qui a créé les femmes ?
Un souffle, plus qu'une réponse :
- ...Oui...bien sur...
- Alors, pourquoi il nous aime pas ?
L'étonnement de Désidérius, puis ses capacités de réflexion, se noient quand le barrage de la raison se rompt.
Sa main soulève des tissus légers et la texture du téton révèle enfin l'utilité noble de ses doigts.
Mais Monnica retire sa jambe et s'assoit. Désidérius se croit condamné aux enfers. Alors qu'il va bafouiller des excuses, elle écarte la couverture. Il sent alors une douce caresse descendre son torse. Avec patience, sa braye est ouverte et ses chausses écartées.
Monnica écoute les gémissements enfantins de Désidérius avec une tendre, mais appliquée, complicité. Ils guident sa main pour que le plaisir varie et dure. Quand elle sait que le moment va jaillir, elle forme de la paume de son autre main une coquille pour se protéger.
Lorsqu'ils sont de nouveau l'un contre l'autre dans la moiteur de la couverture, elle lui dit tout bas :
- tu m'en veux pas ?
Désidérius, qui pense avoir été initié au bonheur parfait, ne sait quoi répondre.
- ... tu comprends, je voudrais rester pure pour quand je me marierai.
Non, Il ne comprend pas de quoi elle parle...
Deux secondes plus tard elle dort !
Il plie son bras libre derrière sa propre tête et, avec une lassitude bienheureuse, replonge dans l'univers.
Il se dit que Giordano Bruno a bien eu raison de lui dire de sortir de la ville et de prendre de la hauteur. La masse des étoiles, toujours plus dense à chaque instant, lui donne une sorte de vertige à l'envers. Bien mieux que tous les arguments du Nolain (1), cette sensation bizarre concrétise sa fameuse théorie de l'infinité de l'univers.
Il regarde Rome, percée maintenant de touches de lumières tremblantes.
La lune éclaire les pâturages qui descendent du monte Mario, où ils se sont installés, et allume des reflets sur le Tibre.
A droite, la masse sombre du château Saint Ange, même vue de loin, inquiète. Une pensée pour son mentor.
Il sourit cependant, se disant que changer de hauteur de vue est aussi une définition possible de ce qui vient de lui arriver pour la première fois. Pas sur que le Nolain apprécierait !
Monnica bouge en dormant. Elle rêve. Chaque geste devient caresse indolente et innocente.
Le corps d'une femme vaut peut être tous les infinis.
Mais la nuit s'annonce froide et des hurlements soudains accréditent les rumeurs de loups affamés par l'hiver. De plus, même si, pendant le jubilé de cette année 1600, les gardes pontificaux effrayent les mendiants, voleurs, et autre faune de la nuit, mieux vaut éviter toute rencontre. Y compris d'ailleurs celle des gardes !
La peur le saisit et, Désidérius le sait, elle va vite se transformer en panique. Respire...Respire... La voix d'Alito résonne dans sa tête. Chasser les images terribles qui ne demandent qu'à ressurgir : la fumée du bucher, les têtes de sa belle-mère et de sa sœur qui tombent... celle de son frère...non ! Respire lentement, gonfle bien ton ventre, voilà, expulse... la voix grave s'impose. Désidérius ne redeviendra pas Bernardo cette nuit. Pas maintenant. Pas après sa première expérience sexuelle.
Enfin première ... à deux... le sourire revient..
Pressé de ne plus se sentir seul et de partir, il extrait lentement son bras endolori par le poids de sa compagne, replie la couverture. Une dernière respiration appliquée puis il secoue doucement Monnica.
Elle se réveille sans étonnement et sans pudeur aucune. Quel spectacle !
Une fulgurance le traverse : il ne sera pas moine.
(1) Un des surnoms de Giordano Bruno, né à Nola, en Italie
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