Spiritualité païenne
D'une trappe, creusée dans le sol, sort une fumée noire. Elle s'élève mollement, large et épaisse, aspirée dans l'énorme trou béant de la voute.
Un chant grave, à peine mélodique, fait le silence puis emplit l'espace.
La voix rebondit sur les restes de murs et colonnes. L'écho ajoute encore aux frissons intérieurs que peu peuvent dominer.
Dans ce décor de ruines, les longues notes les plus basses s'assimilent au son de la trompe qui abattit les murs de Jericho.
Mais, ici, ce sont les esprits et les cœurs qui se fissurent !
La voix s'éteint peu à peu.
Le silence inquiète les spectateurs. Les corps se rapprochent.
Il fût des temps où il n'y avait pas de temps,
Il fût des espaces sans bords, sans haut ni bas.
Nos deux esprits y erraient leurs plénitudes.
Les mots, fortement mais lentement énoncés d'on ne sait où, rebondissent à leur tour. La fumée s'intensifie.
Le chant reprend en quelques longues vibrations soutenues.
Un nouveau silence intrigue plus, maintenant, qu'il n'inquiète.
Il advint que chacun, de l'autre fût conscient,
et qu'ainsi, à lui même, il se révéla !
La conscience créa la béatitude.
La fumée noire se dissout, poussée par une autre moins sombre.
Une voix aiguë se mêle avec la voix grave antérieure, dans un nouveau chant.
Quand elles se taisent, le récitant reprend.
Nos deux esprits se cherchèrent jusqu'au nadir,
mais, dans le vide, aucun écho ne revient.
La connaissance créa la solitude.
La longue plainte éthérée d'une viole transperce l'espace et les peaux, arrachant quelques larmes.
De l'envie de l'autre à travers soi : désir,
De l'envie de soi à travers l'autre : besoin,
le besoin de l'autre crée l'incomplétude.
La viole fouille à nouveau les cœurs. Les frissons se concentrent dans un endroit précis du cerveau. Les corps ne pèsent plus.
La fumée est maintenant blanche.
Des dernières notes et du silence qui suit nait une ultime émotion.
Du rien vint le silence d'une prière,
L'Infini s'émut, se rétracta d'un dedans,
fit que nos esprits y deviennent des âmes.
Un bruit de glissement sur le sol, au dessus de la trappe.
En son centre, la fumée blanche se sépare, monte en deux colonnes distinctes, avant de se réunir quelques mètres plus haut. Dans le vide ainsi créé, deux colombes s'envolent.
De toutes rencontres, ce fut la première !
Dans l'absence de temps, il y eut un avant,
l'avant de ce présent où nous nous croisâmes.
Les deux voix chantées se mélangent alors dans une nouvelle mélodie plus joyeuse.
Mais, après quelques minutes, elles se séparent et redeviennent mélancolie.
Nous fumes donc pâmoison intemporelle.
Mais nous voulûmes plus : nous voulûmes être.
Pour nous voir, pour nous toucher, pour nous espérer.
La fumée s'estompe, disparait, découvre un haut et large rideau blanc. A sa base deux masses informes créent un relief dans le tissu.
L'Infini reprit sa divine truelle.
Grand Architecte, il conçu le paraitre.
Pensant à un Tout, femme, homme, il nous crée !
Le rideau se fend et écarte légèrement ses deux pans l'un de l'autre, chacun recouvrant, alors, une des formes en relief.
Une main puis un bras, issus des moules de tissus, se cherchent dans le vide central.
Des coups de tambourin irréguliers enflent peu à peu.
Les mains s'agitent, se trouvent, se touchent, se serrent.
Le grondement ralentit, ralentit... jusqu'à sonner des coups régulièrement espacés.
Les formes se déploient avec lenteur. Les courbes de deux corps sculptent le tissus, avant qu'ils ne pivotent tous les deux.
Les deux autres bras apparaissent et se cherchent à leur tour. Les mains se nouent.
Nos mains et nos bras en rond firent l'espace.
Les battements de nos deux cœurs firent le temps.
Notre première union fit le mouvement.
Les pans de rideau tombent. Un homme et une femme nus, le visage entièrement caché par des masques colorés, font lentement les deux petits pas qui les séparent et s'enlacent.
Les torses des spectateurs, disséminés dans les ruines, s'avancent comme par réflexe. Des murmures, des exclamations spontanées, comblent le silence qui résonne encore malgré l'arrêt soudain des tambourins à leur paroxysme. Certains, d'étonnement ou de ravissement, baissent la baguette et tombe le masque qu'elle tient.
Pas de chute ! Juste le choix d'une grâce !
Celle, voulue, de nous trouver complètement.
Celle, espérée, de préférer ce présent.
Les mains du couple lisent le corps de l'autre puis, dans une danse rythmée par les nouveaux coups d'un seul tambourin, chacun tourne sur lui-même et autour de l'autre.
Nous devinrent donc créateurs à notre tour :
devenus humains, nous inventâmes l'Amour !
Le couple s'enlace, se caresse et échange un long baiser. Venue de nulle part, une boule de feu apparait au dessus de lui.
Dans l'imparfait des corps, fût alors déposé
une étincelle d'âme éternelle.
La boule de feu monte et s'envole par le large trou de la voute.
Ainsi, quand l'Amour s'exalte dans le charnel,
le plaisir rejoint divine félicité !
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