Le doute et la compassion
Basilique Aracœli, possession des Franciscains, au sommet du Capitole.
Le doute est un parasite, dont on ne sait comment il a bien pu vous pénétrer !
Peut-être était-ce un matin, en montant l'immense escalier de marbre, construit deux cent ans plus tôt comme ex-voto parce que Rome avait été épargnée de la grande peste ?
Un pied posé sur une marche, l'autre qui se lève : un moment de liberté de l'esprit dans lequel s'engouffre une remarque, une ridicule petite remarque.
Comment le Ciel pourrait être remercié d'avoir sauver Rome ?
Si ce sauvetage est Sa volonté, alors la peste est Sa volonté. Dieu accepterait, (déclencherait?) la mort de centaines de milliers de ses enfants et épargnerait (oublierait?) Rome ? Mais c'est impensable?
Remercié de quoi : d'avoir tué des autres mais pas nous, romains ? (1)
Ou peut-être était-ce un autre matin, en nettoyant la petite chapelle qui abrite le Bambino ?
Cet enfant sculpté dans un morceau d'olivier par un frère franciscain, à Jérusalem, on ne sait plus quand. Envoyé par bateau à un autre frère, on ne sait plus qui. Le bateau fait naufrage, mais la sculpture s'échoue sur une plage au pied de ce frère destinataire, on ne sait plus où.
L'enfant sculpté est là, dans la petite chapelle. L'enfant sculpté est devenu l'enfant Jésus.
Un fois par an, à la porte de l'église, on tend le Bambino bien haut, devant la foule qui se presse au pied de l'escalier !
Vénération ou idolâtrie ?
On vient chercher le Bambino en carrosse pour l'emmener au chevet de malades fortunés ou de femmes en couches. On le quémande en donnant bijoux et pierres précieuses que les frères attachent ou cousent sur le tissu, brodé de fils d'or, le recouvrant.
Bijoux et pierres sont revendus une fois par an pour faire la charité.
La fin justifie t-elle les moyens ?
Le doute est un parasite dont on ne guérit pas. Il s'installe. Il se répand.
Le jeune prêtre n'a quasiment pas dormi.
Au pied de l'autel d'une chapelle latérale, il est allongé, les bras en croix, face contre terre : « Jésus, aide moi ! »
Le soleil de l'aube peine à percer les vitraux ! La fraîcheur matinale, presque identique à celle du marbre, enveloppe l'homme désemparé, qui parle au Silence.
- "Jésus, toi seul peut m'écouter ! Toi seul peut comprendre ce combat qui me déchire! Tu sais oh combien je suis attaché à toi ! Mais... comment te dire, sans t'offenser... je ne sais plus... je n'y arrive plus... J'ai douté, Jésus... des questions sans réponses m'ont assailli et me gardent prisonnier. Je doute encore.
J'ai cru pouvoir m'exorciser moi-même en allant vers les plus meurtris de tes frères en amour.
Je confesse les suppliciés, je brandis devant eux la croix de Ton sacrifice.
Tous ces gens, enfermés, torturés, battus, tués, dans Ta ville. Toutes ses souffrances...
Ils ne sont plus jugés au nom des hommes mais en Ton nom. On brûle, on coupe les têtes, on écartèle, tout ça pour que les corps ne se relèvent pas quand Toi Tu décideras de la résurrection des âmes...
Mais, en recherchant abnégation et miséricorde, ne suis-je pas, en réalité, qu'un acteur de ce spectacle divertissant une foule avide de frissons ?
Jésus, Tu n'as été qu'amour. Tu es amour. Tu as donné Ta vie pour nous sauver tous. Et moi, pauvre homme ridicule, je transforme ce pardon, cette promesse de Toi, en déculpabilisation collective.
Je doute, Jésus, je doute de n'être que le jouet d'un rite païen et animal, auquel j'apporterais Ta caution ! "
Le jeune prêtre se relève après un long moment. Le Silence, les colonnes antiques de toutes les formes, ramassées dans le forum romain, le plafond magnifique tout neuf, offert, lui, par le vainqueur de la grande bataille navale du Lepante sur les infidèles, se gardent bien d'une réaction quelconque.
Il faut s'occuper. Travailler. Ne plus penser.
Une porte grince. Une silhouette élégante entre timidement.
Une jeune femme, au visage caché par un voile finement ouvragé, s'approche.
- Mon père, je souhaiterai me confesser, mais je vois que...
Elle cherche du regard aux alentours.
Le jeune prêtre est habitué. Son âge inquiète. Le pardon, pour rassurer, nécessite du volume, de l'embonpoint paternaliste, rompu à toutes les ambiguïtés humaines.
Elle s'assoie lourdement sur une chaise au bord de l'allée, enferme son visage dans ses mains gantées. Après quelques instants, elle relève la tête, soulève le voile et découvre un visage noyé de larmes et marqué d'ombres.
- Je n'en puis plus...et... vous êtes si jeune.
- Sachez, madame, que si vous souhaitez vous confesser à un prêtre plus âgé, je peux aller chercher un frère à notre couvent. La porte est juste là !
L'échange de regard surprend la jeune femme. Cet homme, ce prêtre a quelque chose de profond qui ne peut naître que d'une grande souffrance. Son sourire, ténu et tendre, exprime la compassion.
- Je suis désolée. Mon père acceptez moi en confession.
Il écoutera le lourd vécu , dénouera les hontes, séparera la responsabilité du subi, bénira et transmettra le pardon divin.
Mais, compte tenu des aveux hérétiques qu'il aura aidé à expurger de la conscience brisée, cette bénédiction et ce pardon le perdront.
En tant que prêtre, en tant que franciscain.
Mais pas en tant qu'homme.
Car le doute est un parasite qui ne semble infecter que ceux et celles qui veulent devenir des hommes et des femmes affranchis !
(1) On devrait sourire aujourd'hui, avec une certaine compassion, face à ces croyances d'un autre âge !
Cinq siècles plus tard, en 1949, sera édifié un monument grandiose "Le Christ Roi" sur la rive gauche du Tage, face à Lisbonne. Ce monument de 110 m, dont 28m pour la statue, est une offrande à Dieu pour le remercier d'avoir accepter le vœux de 1940 de l'épiscopat portugais et, donc, de ne pas avoir engager le pays dans la seconde guerre mondiale !
Peut être que les populations sacrifiées, n'avaient proposé, elles, que 109 m !
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