NASH

[Couxou, tput va bien, ne t'unquyete oas]

Je relis le message qu'Holly m'a envoyé, une bonne dizaine de fois. Elle est complètement bourrée, et je n'aime pas ça quand je ne peux pas au moins avoir un œil sur elle.

J'enfile un jean et un sweat à la va-vite, en n'oubliant pas de fermer mon appart à double tours. Je prends le tram afin de me rendre dans cette baraque que j'aimerais pourtant effacer de mon esprit.

Bordel Holly, tu sais que je n'aime pas te savoir dans cet état, sans que tu sois avec moi...

Après être descendu du tram et marché quelques minutes, je fais le tour de la maison, et entre par les grandes baies vitrées à l'arrière. Les étudiants sont déchaînés sur le rock, je comprends sans tarder que c'est la personne que je suis venue retrouver, qui s'occupe de la musique. Derrière l'enceinte, accompagnée d'un type aux cheveux blonds, de dos, Holly est morte de rire en mimant la guitare électrique et lui la batterie. Je l'observe, hilare et m'approche, soulagé qu'elle n'ait rien.

— Nash ? Bordel, mec, ça fait plaisir ! Ça fait un moment qu'on ne s'est pas vu ! lance le type en m'apercevant.

Je fronce les sourcils un instant, avant de finir bouche bée.

— Lucas ? Ça fait un bail ! Ça fait quoi, trois ans ?

Il rit en hochant la tête puis me fait une accolade. Lucas était mon équipier de basket, en première année de lycée, il a déménagé et on ne s'est plus revu.

— Qu'est-ce que tu fous là, tu fais tes études ici ? m'interroge-t-il.

— Ouais, et toi, t'es revenu dans le coin ?

Je jette un œil à Holly, toujours dans son délire de Rhapsody.

— Yep, j'ai voulu revenir. Je suis loin de mes parents, mais je me sens nulle par plus à ma place qu'ici !

— Tu pratiques toujours le basket ? demandé-je alors que mon regard ne cesse d'aller et revenir entre Holly et lui.

— Non. Enfin, plus en équipe en tout cas. Je manie le ballon quand j'en ai envie, mais plus de compet', m'annonce-t-il.

— Je ne comprends pas, tu ne voulais pas finir pro ? l'interrogé-je en remarquant la petite déception dans le ton qu'il a employé.

— Je me suis pété le genou en seconde année de lycée, le doc m'a dit de faire gaffe alors... m'avoue-t-il en laissant sa phrase en suspend.

Je grimace en imaginant ce qu'il a dû ressentir en tirant un trait sur son rêve.

— T'inquiète, maintenant, je peux fumer autant que je veux et boire sans prendre le risque de me prendre une soufflante par le coach, déclare-t-il en m'octroyant d'un clin d'œil. Et toi, du coup, le basket ?

Je sais qu'il dit ça pour plaisanter et ne pas s'attarder sur le sujet, mais je connais Lucas, son plus grand rêve était de finir professionnel, ç'a dû être compliqué pour lui ces dernières années...

— Fini aussi, je joue quand j'en ressens le besoin, mais je n'ai plus le temps de jouer en club, lui expliqué-je.

—  Faudra qu'on se fasse une partie un de ces quatre !

— Ouais, carrément !

Il hoche la tête et porte son attention à ma petite blonde vénitienne, complètement déchaînée. Je souris, Lucas le remarque.

— Tu connais Holly ? me demande-t-il surpris. 

— Ouais, cette folle furieuse me sert de meilleure amie, ricané-je.

Il se marre.

— Ça pour être folle furieuse, je ne te le fais pas dire. Elle n'arrête pas depuis tout à l'heure, m'indique-t-il.

Quand Holly est lancée, on ne l'arrête plus mon pote !

— Tu sais si elle a beaucoup bu ?

— Ouais, pas mal, elle a aussi fumé quatre ou cinq taffes d'un joint, m'informe Lucas.

Je lui adresse un regard en biais.

— Elle n'a pas fumé de la merde mec, il n'y a aucun risque, j'ai géré ! me rassure-t-il en me montrant le joint qu'il tient entre deux de ses doigts.

Un minimum rassuré qu'elle n'est pas fumé n'importe quoi, je me plante devant elle et l'attrape par la taille alors qu'elle saute sur le rythme des guitares électriques.

— Nash ! s'exclame-t-elle en traînant sur la dernière syllabe de mon prénom.

Elle est complètement défoncée.

— Holly, l'imité-je.

— Tu ne devais pas venir, qu'est-ce que... dit-elle en ne terminant même pas sa phrase.

— Je suis venu pour m'assurer que ma folle de meilleure amie soit toujours en vie, après m'avoir envoyé un message douteux.

Elle fronce les sourcils alors que je lui plante l'écran de mon téléphone devant le nez. Elle se concentre pour tenter de lire son propre texto.

— Désolé, se retient-elle de rire.

Je secoue la tête, exaspéré, plutôt amusé par la situation.

— Ah, j'ai oublié les présentations ! Lucas voici Nash, Nash voici, euh, Lucas, annonce-t-elle.

Lucas et moi nous regardons avant d'exploser de rire sous le regard incompris de Holly. Elle-même dépassée par la situation, lève les yeux au ciel, puis lance la musique suivante alors que la précédente se termine.

En entendant les premières notes, elle croise mon regard et m'adresse un sourire lourd de sens.

— Non Holly...

Elle hausse un sourcil.

— J'ai dit non, répété-je.

Elle semble se foutre royalement de ce que j'en pense, elle attrape ma main, et m'entraîne sur les notes de Jailhouse Rock de Elvis Presley.

Elle étend ses bras des deux côtés de son corps, en position avion et pivote de droite à gauche, sur le rythme de la musique. Au refrain, elle se plante devant moi, avant de sourire de toutes ses dents, et de me pointer du doigt en ondulant des épaules. Mine de rien, même saoule, elle danse bien. C'est l'un de ses plus grands talents, elle danse n'importe comment, mais elle gère.

Elle tourne autour de moi, je lui tends ma main afin de la faire tourner sur elle-même, elle manque de perdre l'équilibre. Je la rattrape sans difficultés, elle reprend ses mouvements sans perdre une minute.

La musique se termine pour qu'une nouvelle débute : Get Busy de Sean Paul.  À ce moment précis, je sais qu'on est en train de la perdre.

Elle se tourne vers moi.

— Maintenant, t'es obligé ! me supplie-t-elle.

Je l'analyse une seconde et ne rivalise pas plus longtemps face à son visage d'ange.

Les étudiants commencent à entamer une danse corps à corps. Durant nos premières vacances d'été ensemble, Holly m'a appris quelques pas. Je jette un coup d'œil en direction de Lucas, qui m'a l'air d'avoir trouvé sa partenaire.

Face à moi, Holly emmêle ses jambes aux miennes, je me cale sur le même rythme que le sien. Mes doigts ancrés à ses hanches, elle alterne son poids d'une jambe à l'autre, alors que nos bassins se percutent doucement pour mieux s'éloigner. Ses yeux brillants rencontrent les miens tandis que nos deux souffles se mélangent. Nos lèvres sont proches, nos fronts se touchent presque. Ses iris descendent jusqu'à ma bouche puis reviennent s'enliser dans les miens.

Bon sang que cette fille me rend dingue.

Je laisse le rythme nous emporter dans une danse qu'elle seule maîtrise le mieux. Nos palpitants sont sur le point de rompre, et nos respirations deviennent de plus en plus courtes. Délicatement, je replace une mèche de ses cheveux derrière son oreille, voyant qu'elle obstrue sa vision. Elle me sourit, puis s'éloigne de mon corps pour danser seule sur les dernières notes de la musique. D'un geste naturel, elle remonte les bras le long de son corps gesticulant, avant que ses mains ne s'emmêlent dans ses cheveux. Lorsque la chanson s'arrête, elle rive ses yeux dans les miens. C'est clair, cette chanson est carrément faite pour elle.

Bordel de merde.
J'ai failli craquer.