Un loup noir avançait lentement dans la forêt, se faufilant silencieusement dans la dense végétation. Ses pattes laissaient de petites empreintes sur le sol boueux du bord d'un ruisseau. Il leva la truffe, ferma les yeux et tendit les oreilles. Seul le bruissement des feuilles parvint à celles-ci, faisant grogner de satisfaction l'animal qui reprit sa route.

Il ne faisait qu'un avec la nature, et c'était de loin la sensation la plus plaisante au monde. Il accéléra, se mettant à trottiner dans les sous-bois sans pour autant se redresser, restant au ras du sol et dans le sens inverse du vent. Il ne devait pas se faire repérer, personne ne devait savoir qu'il était là.

Les autres devaient être encore en train de faire la fête, à danser et s'empiffrer tout en félicitant les novices promus. Encore une fois, il n'en faisait pas partie et pourquoi ? Parce que le monde était répugnant, injuste et ridicule. Sa queue remua de gauche à droite, comme pour chasser les mauvaises pensées qui ne cessaient de lui prendre la tête.

Au final, il préférait la solitude plutôt que de souffrir dans ce monde d'hypocrites.

Ils avaient beau lui sourire, jamais il n'avait été accepté. C'était devenu une évidence à ses yeux. Il avait le sentiment de ne clairement pas avoir sa place dans la meute. D'être un loup solitaire, jeté par sa différence, fuit à cause de son caractère et craint pour sa force.

C'était ce que Sehun avait déduit, il faisait peur à tout le monde et personne ne voulait de lui chez les guerriers. Le loup grinça des dents, quoiqu'il fasse, il était toujours mis de côté. Peu importe les efforts, rien ne tournait en sa faveur, jamais il ne serait reconnu et jamais il ne serait aimé par les autres. Après tout, ce n'est pas lui qui avait un problème, mais bien les autres qui refusaient de le comprendre. C'est exactement ça, personne ne pouvait et voulait comprendre. C'était les autres, et uniquement les autres, le problème !

Un frottement se fit entendre sur sa gauche, figeant l'animal aux poils d'ébènes. Il tendit la truffe et renifla l'air. Une charmante odeur se faufila dans ses narines, faisant gargouiller son ventre trop peu rempli. Un lièvre était là, à quelques mètres de lui et il comptait bien en faire sa proie.

L'animal aux poils foncés se tournait lentement dans la direction du petit lièvre qui était occupé à se laver les oreilles à l'aide de ses pattes avant. Vérifiant toujours qu'il était en sens inverse du vent, le loup se tassa sur lui-même dans les hautes herbes, ses griffes raclaient le sol tandis qu'il avançait rapidement en direction du gros lapin. Il avait faim, très faim.

Les duels qu'il avait fait auparavant lui avaient creusé l'estomac et il ne semblait le remarquer que maintenant. L'odeur alléchante que dégageait l'animal avait réveillé tous ses sens et le faisait saliver. Son instinct de chasseur avait pris le dessus. Il continuait alors de s'approcher pas à pas de sa proie, jusqu'à l'entrevoir entre les brindilles d'herbe. Il ralentit subitement et s'arrêta, attendant l'instant idéal. Le corps tendu, prêt à bondir, Sehun attendait.

Le lièvre entendit alors un bruissement dans son dos, il releva la tête et fut surpris de découvrir la grande bête noire. Il n'eut pas le temps de détaler dans les fourrés pour sauver sa vie, car son prédateur avait déjà abattu sa patte sur son corps avec assez de force pour le tuer sur le coup.

— Trop facile, souffla Sehun, légèrement déçu par le lièvre qui n'avait pas eu le temps de s'enfuir.

Il lui en voulait, même s'il n'y était pour rien. Il lui en voulait tout de même.

Il en voulait au monde entier.

Il s'acharna alors durant de longues minutes sur le cadavre avant de rageusement le prendre dans sa gueule pour aller le manger un peu plus loin. Il s'étala lourdement sur le bord du cours d'eau, s'affairant à remplir son ventre.

Il était le monstre, le dominant, celui qui ôtait la vie, celui qui se nourrissait de ses victimes. Il était un loup et était le plus dangereux prédateur que les animaux de cette forêt pouvaient avoir.

Sehun, on s'était promis de toujours sourire. Aurais-tu rompu cette promesse ?

Être loup c'est être au dessus des autres, c'est être un chasseur, un tueur. Être loup c'est être maître des bois. Sehun adorait et pour rien au monde il ne changerait ça.

Il se sentait libre, en quelque sorte. Libéré de cette souffrance continue qui lui collait à la peau. Libéré de cette sensation étouffante de rejet. Certes il était libre, mais un détail faisait mouche. Il était encore et toujours seul, car dans la forêt, il était encore plus craint que dans le village Hwajae.

Il leva les yeux au ciel, apparemment même sous sa forme animale aucun de ses soucis ne semblait vouloir le laisser en paix.

Le loup se leva et gratta le sol à l'aide de ses pattes avant pour y déposer le cadavre et repartit après l'avoir rebouché.

Il continua sa route, se laissant porter par son instinct, tombant toujours un peu plus amoureux de la sérénité qui régnait dans la forêt.

Mais comme à son habitude, le plaisir était toujours de courte durée. Il put sans peines reconnaître l'odeur épicée de son mentor s'approcher. Il s'arrêta et s'assit au sol, rien ne servait de fuir le plus vieux. Sehun savait pertinemment que Chanyeol ne le laisserait pas tranquille avant de lui avoir touché deux mots. Et de toute évidence, le sujet abordé serait source de conflit.

Le noiraud était en colère contre Chanyeol. Le rouquin lui donnait toujours de l'espoir, l'épaulait et le conseillait sans jamais qu'il ne reçoive de mérite de la part des autres membres de la meute, encore moins de ZiTao. Avec Chanyeol, c'était toujours des promesses en l'air, cinq putains d'années sans avoir de récompenses.

Tout était de la faute de ce médiocre mentor qui lui répétait qu'il était "surprenant" et bien entendu "le meilleur". Mais meilleur aux yeux de qui ? Seulement Chanyeol apparemment.

Ce n'était pas suffisant, Sehun voulait être reconnu par tous, aimé par tous. Il voulait tout et tout de suite.

Un loup brun bondit aux côtés du noiraud qui ne bougea pas d'un poil. Chanyeol mordilla gentiment l'oreille du plus jeune, comme pour le taquiner, faisant grogner Sehun qui voulut rejeter son mentor. Mais avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, le plus vieux lui ordonna de le suivre d'un bref coup de museau sur le flanc. Baissant la tête comme un louveteau qui venait se faire punir, il suivit à contre cœur le loup brun, appréhendant la prochaine discussion qu'il allait avoir avec lui.

Quelques minutes plus tard, les deux loups s'arrêtèrent dans une clairière que Sehun ne connaissait que trop. Le loup brun bondit dans les hautes herbes, retrouvant sa forme humaine. Chanyeol passa une main dans sa chevelure de feu et attrapa des vêtements de change qu'il laissait toujours dans un sac caché dans un trou proprement creusé par ses soins. Il lissa son éternel manteau de cuir marron le temps que Sehun reprenne également forme humaine, atterrissant sur ses deux pieds non loin de son mentor. Les deux jeunes hommes continuèrent leur chemin dans un silence presque glaçant, Sehun en avait les poils hérissés sur ses bras.

Chanyeol s'assit alors sur une souche de bois, indiquant à son novice de s'installer au sol face à lui. Sehun obtempéra, ne voulant tendre encore plus l'atmosphère. Sehun était un monstre, mais en cet instant même, il avait l'impression d'être ridicule face au sérieux de son mentor.

— Tu es bien obéissant dis-donc, constata le grand aux cheveux orangés tout en détaillant du regard le plus jeune.

Sehun ne répondit pas, préférant le silence aux réponses inutiles.

— Comment vas-tu ? reprit le plus âgé en regardant avec insistance son cadet. Il guettait la moindre de ses réactions.

— Je suis au summum de la joie vois-tu.

— Ne me mens pas.

— Comment veux tu que ça aille Chanyeol ? Avec toi tout à l'air si simple. Si facile d'accès. Ça fait cinq ans que ça dure, cinq ans que j'espère, cinq ans que je me ramasse la gueule. Je suis censé faire quoi moi ? Même en travaillant dur, je ne suis pas pris. Je ne comprends pas, je ne comprends rien. Et tout ça, c'est de ta faute ! Avec tes grands sourires à la noix et ton espoir à la con, déballa le plus jeune d'une traite.

— Oh, je vois. Tu refuses encore de voir la vérité en face.

— Quelle vérité ? Ne fais pas celui qui me connait Chanyeol, parce que tu ne sais rien de ma vie, cracha le plus jeune en foudroyant du regard le plus grand.

— C'est exactement de ça que je te parle Sehun. Le problème c'est toi. Toi et ta rage. Toi et ta vie. Personne ne connaît rien de toi, certains guerriers te veulent dans nos rangs parce que tu es fort, tu pourrais être utile. Mais d'autres, comme ZiTao, te voient comme dangereux. Dangereux parce qu'imprévisible. On ne sait jamais à quoi s'attendre avec toi.

Il déglutit, marquant un temps.

— Tu es une bombe Sehun, on ne sait pas à quel moment tu vas exploser. Que feras-tu une fois dans nos rangs ? Tu suis la meute ou tu te rebelles ? Chanyeol se racla la gorge, pensif. J'avoue que même moi je ne sais pas ce que tu choisirais. Tu peux être un atout comme un danger pour la meute.

Il avait fait en sorte de le secouer avec ses mots. Il fallait que Sehun se pose des questions. Tout rejeter sur les autres ne l'aiderait jamais à vivre correctement au sein de la meute. Voilà des années déjà qu'il s'isolait de ses confrères, il fallait qu'il retisse un lien avec le sang de leur histoire. La meute Hwajae n'était pas si détestable, il restait emmuré dans une vision erronée de sa réalité. Incapable d'avancer et passer outre les tumultes de son passé.

— Attends, c'est moi le problème ? s'offusqua le noiraud. Personne ne fait d'efforts, personne ne me parle, personne ne me comprend. Tu sais quoi ? J'avais un minimum d'estime pour toi, je me disais que je pouvais te considérer comme différent des autres, peut être comme un ami ? Mais tu es comme les autres Chanyeol. Tu ne fais pas d'efforts non plus apparemment. Tu ne veux pas comprendre.

— T'es borné sérieux ! Chanyeol râla, tournant en rond. Tout ce que tu trouves à faire c'est un petit numéro pour retourner la situation contre moi. T'as rien pour te défendre, tu débordes de colère et tu nous la balances constamment au visage ! T'as jamais été seul, tu passes ton temps à ignorer ceux qui font plusieurs pas vers toi ! Tu créer ta solitude. Ouvre les yeux bon sang !

— Si Baekhyun et Taeyeon sont là, c'est seulement parce qu'il s'agit de ton meilleur ami de sa fiancée, rien de plus.

Chanyeol tiqua et lui lança un regard noir. Ils s'étaient déjà de nombreuses fois disputés à ce sujet. Le jeune mentor avait tout fait pour aider son élève, mais jamais Sehun n'avait voulu prendre la main qu'il tendait perpétuellement en sa direction. Il commençait à s'épuiser, le mur entre lui et Sehun semblait infranchissable.

—  Ça va faire sept ans que je t'épaule et t'encourage, sept ans que j'essaye de briser ta foutue carapace pour que tu vives. Parce que ce que tu fais Sehun, ce n'est pas vivre. Je ne te forcerai jamais à me suivre ou changer parce que je le veux. Je te demande juste de méditer sur mes paroles. Pour ne fois, en ces sept ans de travail commun, j'aimerai que tu prennes le temps d'intégrer chacun de mes mots. Est-ce que tu veux bien m'écouter ?

Il s'accroupit à sa hauteur, le regardant droit dans les yeux.

— Je te promets qu'ensuite je n'en parlerai plus et n'aborderai plus le sujet. C'est à toi de voir, soit tu prends mon discours comme un énième sermon inutile et ennuyeux, soit tu y vois une dernière porte de sortie. S'il faut alors j'attendrai que tu sois prêt, mais je ne pourrai pas indéfiniment te courir après. On souffre tous de cette situation.

Sehun se contenta de silencieusement acquiescer. Il n'avait clairement pas l'air concerné, ce qui irrita un peu plus Chanyeol. C'était l'impuissance qui le rongeait toujours plus et le rejet qui déchirait lentement son cœur. Il aurait aimé que les choses soient différentes, il aurait aimé bravement remplir le souhait d'un de ses amis parti bien trop vite.

— Tout ce que tu fais est contradictoire. Tu repousses le monde mais tu aimerais qu'il soit tout de même là. Tu ne peux pas avoir les deux Sehun. C'est soit l'un, soit l'autre. Si ZiTao refuse ta promotion, c'est parce que tu n'es pas intégré dans la meute, tu te contentes de t'entraîner sans participer à la vie Hwajae. Tu méprises tout ce qui bouge. J'ai essayé, durant des années de t'ouvrir les yeux, de t'apporter de l'aide. On était tous des gosses à l'époque, on a tous tenté de se serrer les coudes. Tu n'as jamais voulu de nous, aujourd'hui je ne sais plus quoi faire. Je ne vais pas te forcer. Tout ce que j'ai tenté de faire c'est être un soutien, une présence sur qui tu peux laisser reposer tes doutes, être comme un frère pour toi.

Sehun baissa la tête, afin de regarder ses pieds.

— J'ai peut être été maladroit dans les démarches, j'ai peut être été trop envahissant... Peut-être même que je n'ai été d'aucune aide. Je m'inquiétais simplement pour toi, j'ai juste tenté d'être là, avec les moyens du bord. Nous avons toujours été très proches de ta famille. Tu n'es pas le seul à souffrir de leur décès, à quatre, on pourrait avancer et vivre pleinement ! Je ne parle pas de les oublier, je parle d'accepter ce qu'il s'est passé.

Le noiraud lui lança un regard vague. Il y avait une pointe de mélancolie dans ses prunelles sombres. Une douleur profonde que Chanyeol avait toujours tenté de faire sortir, sauver ce petit garçon de ses démons qui rongeaient aujourd'hui sa vie d'adulte.

Sehun balaya ses propos d'un geste de main, il semblait soudainement fatigué.

— J'ai déjà fait mon deuil Chanyeol.

La nouvelle tomba durement dans l'oreille du plus âgé. Il ouvrit la bouche mais la referma aussitôt. Beaucoup de questions se bousculaient dans sa tête. Si ce deuil n'était pas la raison de son renfermement, qu'avait-il bien pu arriver à son élève pour qu'il se protège ainsi du monde ?

— Est-ce que tu te sentirais capable de partager avec moi ce qui ne va pas ? J'ai fait des conclusions hâtives, je m'excuse, je n'ai pas eu la meilleure des réactions.

Seul le silence lui répondit, Sehun avait toujours la tête vissée en direction du sol et semblait ne pas vouloir la relever.

— T'excuse pas, j'ai mes torts aussi. J'aurai pu en parler pour que tu arrêtes de tout ramener à mes parents. Mais, il releva la tête, les joues légèrement rougies, j'ai toujours apprécié t'entendre parler d'eux. Quand tu parles de tes souvenirs, j'ai l'impression qu'ils sont encore là, j'aime beaucoup me rappeler de la chaleur de leurs bras quand tu les évoques.

Un petit soufflement de nez satisfait lui répondit. Chanyeol s'asseyait à ses côtés, un fin sourire sur les lèvres. Il passa une de ses mains dans les cheveux du noiraud et les ébouriffa vigoureusement.

— Je ne suis pas certain de réussir à tout raconter mais je veux viens tenter de t'en dire plus, souffla-t-il si bas qu'on aurait pu ne jamais l'entendre.

Le sourire du rouquin s'agrandit, il lui serra fortement l'épaule.

— Je ne te force en rien, tu n'es pas obligé d'en parler maintenant, Chanyeol faisait de grands gestes. Je suis rassuré et à la fois encore plus intrigué, mais je peux attendre encore.

— Non, tu as raison.

Sehun poussa sur ses talons pour se relever et épousseta son pantalon. La brise fraîche venait décoiffer ses cheveux et il se permit un tout petit sourire. Ce n'était pas une grande esquisse, ça ressemblait plus à une grimace peu assurée. Voilà longtemps déjà qu'il n'avait pas tenté d'exprimer quoi que ce soit, ça lui faisait bizarre de vouloir répondre aux avances de son mentor.

— Je ne promets pas de changer en un clin d'oeil, mais je te l'accorde, j'ai été dur avec vous alors que vous faisiez de votre mieux.

— Que dis-tu de rentrer ? Nous aurons tout le temps de discuter autour d'un bon chocolat chaud !

Le noiraud acquiesça lentement.

— Je ne promets pas d'avoir encore envie d'en parler une fois arrivé.

— C'est pas grave, tu as déjà fait beaucoup aujourd'hui. On y ira à ton rythme. Je suis désolé d'avoir voulu te faire cracher le morceau comme ça, j'étais irrité et j'ai agi par impulsion. Ce n'était pas très intelligent.

Chanyeol se gratta l'arrière du crâne tandis qu'ils prenaient tous les deux le chemin du retour.

Sehun balaya ses excuses d'un mouvement de bras. S'il n'avait pas craqué, peut-être qu'il n'aurait pas réalisé à quel point il rendait la situation compliquée pour les autres également. Il travaillerait dessus dans son coin. Taeyeon, Baekhyun et Chanyeol subissaient certainement son humeur désagréable, ça il pouvait le comprendre. Mais concernant le reste de la meute, il n'était pas certain d'être l'unique raison de tous ces regards et toutes ses rumeurs qui roulaient sur son dos.

— T'es un peu comme un coquillage. Un coquillage renfermant une perle qui n'attend que de s'épanouir.  

— Tu viens de me comparer à une huître ?

Le ton du plus jeune se fit un peu rieur et le mentor s'arrêta pour le dévisager en roulant des yeux.

— Je venais de faire une superbe métaphore... il grommela en enfonçant ses mains dans ses poches.

Sehun ricana et continua sa route, une esquisse inconsciente sur les lèvres. Peut-être que la brève amorce de discussion qu'il avait eue lui avait déjà ôté un grand poids. Il pouffa de rire, accélérant sous le regard attendri du plus vieux.

C'était la première fois qu'il entendait Sehun rire. Les choses progressaient lentement.

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Les choses avancent tout doucement héhé !
Merci d'avoir pris le temps de lire ce chapitre, on se retrouve mardi prochain sans fautes !!
Bonne soirée, Winnie.