Chapitre 5 - Mon trésor
«Jack,
Comme tu l'as deviné, tout te dire maintenant ne serait pas bénéfique pour toi. Je suis donc dans l'obligation de me taire mais c'est comme si on m'enfonçait un couteau dans le cœur. Je vais arrêter ici sinon je vais finir par tout te déballer.
Effectivement je connais pas mal de choses sur toi mais moins que tu ne sembles le penser. Nous n'avons jamais approfondi notre connaissance de l'autre. Dans un sens, nous avons l'opportunité de le faire ici, autant en profiter. Qu'en penses-tu? Je vais commencer par répondre à ta question sur ma famille.
Je n'ai jamais connu mon père comme tu le sais. Enfin si mais j'avais deux ans quand il est parti de la maison et mes souvenirs... disons que c'est plutôt le néant. Je refuse d'en savoir plus sur lui. En nous abandonnant, il a fait une croix sur nous. Il nous a laissé un vide que nous ne pourrons jamais comblé. Nous manquions surtout d'une figure paternelle même si je me suis efforcé de jouer ce rôle auprès de Tonio.
Être mère célibataire n'était pas évident déjà à l'époque et encore moins avec deux garçons en bas âge. Entendre pleurer maman tous les soirs me fendait le cœur. Elle pensait être discrète mais pas une larme ne m'a échappé. Un soir, je devais avoir 5 ans, je n'ai plus rien entendu. Intrigué, je suis allé dans sa chambre. Elle était recroquevillée dans les couvertures. Elle serrait un oreiller contre elle dans un sanglot silencieux. Celui-là plus que les autres m'a retourné. Je me suis avancé, sans un mot, les joues humides. Après m'être glissé sous les draps, je l'ai prise dans mes bras jusqu'à ce qu'elle se calme. C'est à ce moment-là que j'ai décidé de prendre soin d'elle. Et j'ai toujours veillé à ce que mon frère et maman ne manquent de rien.
Je me suis vite investi dans la cuisine aussi. On est d'accord, un petit bout ne sait pas cuisiner comme un adulte mais j'ai essayé de me débrouiller comme je le pouvais. Si je voulais manger autre chose que des plats carbonisés, je n'avais pas le choix. J'ai donc appris à utiliser une casserole et pas seulement pour l'utiliser comme un tambour.
En grandissant, j'ai commencé à faire des petits boulots à gauche à droite. Ça allait de la tonte de la pelouse à la promenade de chiens. Ça ne me rapportait pas grand-chose mais tout ce que je gagnais, je le donnais pour la famille. En grandissant, j'ai pu passer à du travail plus rémunérateur ce qui m'a permis d'économiser pour prendre mon envol plus tard.
Le plus important dans tout ça, c'est l'amour qui nous lie. Nous n'avions pas grand chose mais maman nous a donné tout l'amour dont une mère est capable. Nos liens sont solides et ce malgré la distance qui nous sépare à l'heure actuelle. La séparation a été difficile pour tout le monde mais elle était nécessaire. Surtout pour moi. J'avais besoin de prendre un peu de distance. J'avais et j'ai toujours l'envie de fonder ma propre famille et Tonio devait prendre les rênes de sa vie.
Je te vois d'ici en train de forcer ta mémoire afin de retrouver des traces de ce que je viens de t'écrire. Je t'arrête tout de suite. C'est un sujet que nous n'avions pas abordé lors de nos conversations. Tu avoueras que ce serait trop simple si je te donnais directement des indices. Finalement, je vais peut-être finir par me prendre au jeu... en fait, non. L'attente me paraît déjà interminable. Je ne vais pas prolonger le supplice plus que nécessaire.
C'est vrai que nous ne sommes pas à égalité. Je détiens des informations sur toi alors que l'inverse n'est plus vrai. Ceci étant, j'ai bien envie de te redécouvrir depuis le début. Que dirais-tu de faire comme si nous avions tous les deux perdu la mémoire?
Une autre de tes propositions me chagrine un peu: celle de se rencontrer. Il est trop tôt pour moi. Je ne veux pas voir dans tes yeux que je suis un parfait inconnu pour toi. Ce serait me demander plus que ce que je suis prêt à endurer. Mais pouvons-nous garder cette option au chaud?
À ton tour de me raconter un petit morceau de ta vie. Dis-moi la première chose qui te passe par la tête. Peu importe si c'est comique ou non. Tant que ça vient de toi.
Bien à toi,
Olivier»
Nous avons eu des vies complètement à l'opposé. J'ai beau avoir eu mon père, je n'en ai pas été plus heureux. Au contraire, je dirais même que j'aurais pu m'en passer.
Il a été élevé à la dure et a du prendre des responsabilités très jeune. Prendre en charge sa famille dès son plus jeune âge a sans doute forger son caractère. Ça me donne encore plus envie de découvrir quel homme il est devenu aujourd'hui. Je suis admiratif.
- Jack? me crie Lucas, me faisant sursauter.
Mince, il ne doit pas tomber sur la lettre. Je la plie et la range dans l'enveloppe avant de la cacher en-dessous de mon oreiller. Mon ami débarque cinq minutes plus tard. J'ai eu chaud.
- Hey salut. Tout va bien?
- Oui pourquoi ça n'irait pas?
- Je n'en sais rien. Tu as l'air étrange, me dit-il en souriant. Bah, laisse tomber. Je me fais sans doute des idées.
- Ok. Alors que puis-je faire pour toi?
- C'est plutôt l'inverse. Je dois t'emmener chez le médecin. Tu t'en souviens quand même? me dit-il en riant.
- Mais ce n'est qu'à 14h00. Et il est... dis-je en me tournant vers le réveil.
- 13h00. Comme prévu. Tu es sûr que ça va? me demanda-t-il en fronçant les sourcils.
- Oui, soufflais-je. Je ne m'étais pas rendu compte de l'heure, c'est tout. Aide-moi à m'installer s'il te plaît.
Après cinq bonnes minutes, mes fesses sont enfin dans le fauteuil roulant. Dire que je serai heureux de m'en débarrasser serait un euphémisme.
- Prêt? me demanda-t-il une fois dans le salon.
- Je prends ma veste et c'est bon.
- Génial. Tu as bien tous les papiers?
- Oui papa. On peut y aller.
Nous arrivons enfin. Pas que le trajet me soit paru long, au contraire. Je me marre toujours bien avec mon collègue mais j'ai vraiment envie d'être tranquille. J'espère que le médecin aura de bonnes nouvelles pour moi. Après un bon quart d'heure dans la salle d'attente, c'est à mon tour.
- Bonjour Jack, me dit le médecin en serrant ma main valide.
- Bonjour docteur.
- Comment allez-vous?
- Vous voulez dire à part mes plâtres et mon irrépressible envie de fracasser un fauteuil? Tout va bien, lui répondis-je en souriant.
- J'imagine que ça ne doit pas être facile, me dit-il contrit.
- Dites-moi que vous avez de bonnes nouvelles. Je n'en peux plus, soufflais-je.
- Je ne peux rien vous dire pour l'instant. Vous allez devoir passer des radios afin de nous assurer que tout se remet en place normalement. Mais je dois vous poser quelques questions avant.
- Allez-y. Plus vite c'est fait mieux c'est.
Il me fait passer un petit interrogatoire avant d'en arriver au point qui fâche.
- Et votre mémoire? Quelque chose vous est revenu depuis votre retour?
- Non et franchement le fait de ne pas pouvoir revoir les photos me rend dingue. J'ai l'intime conviction qu'Olivier fait partie de ma vie et que nous sommes proches mais ça s'arrête là.
- Avez-vous revu votre ami depuis?
- Non, il ne supporte pas mon amnésie. Il la comprend mais il en souffre beaucoup.
- Je vois. Écoutez, vous allez passer les radios et je vous revois dans mon bureau juste après, me dit-il en poussant mon fauteuil à l'extérieur. J'aimerais m'entretenir avec un collègue.
- Très bien. À tout à l'heure.
Ce que j'aime les hôpitaux! On a juste l'impression d'être plus malade en sortant qu'en y entrant. C'est sidérant le nombre de personnes que j'ai pu voir en train d'éternuer, de tousser ou encore de faire d'autres choses auxquelles je ne veux même pas penser. L'après-midi passe lentement. L'attente pour passer les examens est énorme. C'est là qu'on comprend pourquoi on nous appelle des patients! Parce qu'il faut en avoir de la patience. Lucas essaie de me distraire comme il le peut mais je suis d'une humeur massacrante. Au bout d'une heure et demi, on vient enfin me chercher pour passer l'examen. Merci mon Dieu.
Après une vingtaine de minutes à m'être fait photographier de tous les côtés, je suis de retour dans le bureau du docteur, prêt à entendre le verdict.
- Vous revoilà Jack. J'ai vos radios sous les yeux, me dit le médecin en regardant l'écran sur lequel elles sont posées.
- Et ça donne quoi?
- Ne soyez pas impatient comme ça, me dit-il en riant. J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Je commence par laquelle?
- On va dire la bonne.
- Vous allez pouvoir enlevez vos plâtres. Les os se sont bien ressoudés. Aussi bien pour votre bras que pour votre jambe. Je ne vous cache pas que le fait que vous étiez en bonne santé avant l'accident a grandement facilité les choses.
- Génial! lui dis-je soulagé. Mais qu'en est-il de la mauvaise nouvelle?
- Vous allez devoir faire de la rééducation. Vous ne pourrez pas reprendre le sport tout de suite.
- Et mon travail? Je ne peux pas rester absent trop longtemps.
- Vous pouvez y retourner tant que vous ne faites rien de physique. Gérer l'accueil ou vérifier si la salle est en ordre ne posera aucun problème. Et restez assis le plus souvent possible.
- Merci docteur. Vous avez autre chose à me dire? lui demandais-je en voyant qu'il hésitait.
- Oui, une petite chose. J'ai parlé de votre cas à l'un de mes confrères. Au sujet de votre amnésie. Et nous sommes tombés d'accord. Il serait peut-être temps de vous laisser l'accès aux photographies de votre ami. Vous êtes adulte et donc à même de gérer les conséquences. Dans un premier temps, il est possible que rien ne vous revienne. N'essayez pas de forcer, cela vous provoquerait des maux de tête voir des migraines. Allez-y doucement.
- Vous êtes sérieux? lui demandais-je ahuri.
- Tout à fait!
- Merci docteur. Vous ne pouvez vous imaginer à quel point je suis soulagé.
- Je crois que si Jack, me dit-il en regardant sa montre. J'ai encore un rendez-vous. Je vous laisse rejoindre le service d'orthopédie pour qu'ils puissent vous enlevez vos plâtres. Je vous revois dans un mois pour un contrôle. Prenez rendez-vous avec ma secrétaire en sortant.
- J'y vais tout de suite. Merci encore.
- Alors? me demande Lucas. Tu as l'air bien heureux tout d'un coup.
Je lui explique tout de A à Z en me rendant au secrétariat.
- Donc, tu peux enlever tous tes plâtres?
- Ouaip! Et attends, tu veux savoir la meilleure?
- Vas-y, tu en meurs d'envie, me dit-il en riant.
- Je vais enfin pouvoir ouvrir cette fichue caisse, lui dis-je en riant. Elle ne me narguera plus.
- C'est génial! Je suis content pour toi, me dit-il en poussant mon fauteuil pour ce qui est, j'espère, la dernière fois.
Nous sommes rentrés tard à mon appartement. Lucas est vite retourné chez sa petite famille. Je me dirige vers le Saint-Graal, mes jambes un peu vacillantes. L'émotion m'étreint quand mes mains se posent sur le couvercle. Deux choses peuvent se produire: la première, je retrouve la mémoire en voyant les photos. La deuxième, je ne me souviens de rien. Une boule d'angoisse se forme dans mon estomac. Ai-je vraiment envie de savoir? Si je ne le faisais pas, je serais un lâche.
Mes doigts se referment sur les bords. Millimètre par millimètre cette caisse s'apprête à me livrer ses secrets. Mes nerfs sont à vif, mes yeux fermés. La délivrance est toute proche. Je mets sur le côté ce que j'ai en main. Je n'ai plus qu'à baisser le regard et je serai fixé...
-----------------------------
Jack va-t-il recouvrer la mémoire si vite? Je sais, vous ne m'aimez pas beaucoup. Il vous faudra attendre le prochain chapitre (peut-être) pour le savoir.
Olivier nous en dit un peu plus sur son enfance. Cette dernière n'a pas été très drôle et pourtant il s'en est trouvé plus fort. Les quelques indices que Jack nous a laissé ne me disent rien qui vaillent en ce qui concerne la sienne...
A vos claviers les amis, dites-moi ce que vous pensez de l'enfance d'Olivier, des nouvelles de Jack mais aussi dites-moi s'il va retrouver la mémoire en voyant leurs souvenirs.
Bisouilles.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro