Chapitre 35 - Jack
Une lettre de Jack m'attendait au courrier ce matin mais je n'ai pas encore eu le temps de l'ouvrir. La surprise a été totale et pourtant j'aurais dû m'y attendre. Après tout, c'était notre moyen privilégié pour communiquer quand il avait perdu la mémoire. Confortablement installé dans mon canapé, une tasse de thé en main, je découvre ses écrits et je suis plutôt étonné de la taille. Qu'a-t-il pu avoir à me raconter qui prennent autant de lignes?
«Mon cœur (ai-je encore le droit de t'appeler ainsi?),
J'en reviens à ce moyen archaïque, mais au combien discret, pour communiquer avec toi. Je n'en peux plus de ne pas avoir l'occasion de te voir sans les autres, tout ça parce qu'un crétin en a décidé autrement. Mais ta vie et celles de nos amis valent bien ce sacrifice qui est, somme toute, temporaire.
Il est peut-être temps que je t'explique mon histoire, la vraie, celle qui m'a poussé dans les bras d'un gars comme Antoine. Je t'ai déjà parlé de mon enfance, de la réaction de mes parents face à mon homosexualité et du fait que mon père m'ait jeté à la rue à l'âge de 17 ans. Je ne vais pas t'en dire plus de ce côté-là. De toute façon, que pourrais-je rajouter? Les faits sont là, je ne vais pas faire de fioritures autour d'une réalité déjà bien assez inconcevable.
Tant que nous sommes enfants, nous ne faisons pas de différences réelles entre les garçons et les filles. J'avais des amis des deux sexes sans faire de distinction. Bon, autant être honnête, jouer à la poupée n'a jamais été mon fort mais j'ai eu la chance d'avoir des amies qui préféraient jouer aux petites voitures. En grandissant, mes amis ont commencé à parler des demoiselles d'une toute autre manière. Je ne comptais plus le nombre de fois où ils me vantaient la poitrine ou le postérieur de telle ou telle nana. Pour ma part, je m'en moquais comme de l'an 40. Pour moi, Marie, par exemple, était restée un être asexué, peu m'importait ses formes. Les gars me charriaient mais je n'en avais cure. Ce sujet ne m'intéressait pas. J'étais bien trop occupé à étudier et à essayer de faire plaisir à mon père pour me laisser distraire.
Nous avions sport deux fois par semaine. Nous nous changions dans les vestiaires comme d'habitude quand j'ai remarqué quelque chose d'anormal: mon corps réagissait bizarrement. Les dernières années étaient encore en train de se changer et l'un deux était torse nu. Il était assez bien foutu et mon regard avait été attiré par ses pectoraux. Quand je me suis rendu compte que je le matais ouvertement, j'ai détourné les yeux et j'ai dégluti mais c'était trop tard. Le bas de mon corps s'était éveillé. Au début, je me suis dit que ce n'était rien, que c'était une coïncidence. J'ai essayé d'oublier et de passer à autre chose. C'est vrai, pourquoi aurais-je eu une quelconque réaction à cause d'un gars alors que je n'en avais aucune avec les représentantes du sexe féminin? Ce n'était ni logique, ni normal. Je devais me faire des idées.
Je n'ai plus eu de signe de vie de mon anatomie pendant un certain temps et j'avais mis ce qu'il s'était passé sous le coup de mon imagination. Je me suis focalisé sur les cours et je n'y ai plus songé. Jusqu'à ce que je recroise la même personne dans les vestiaires. Je suis rentré chez moi complètement sonné. Ce n'était pas réel, ça ne pouvait pas l'être! Et je ne pouvais en parler à personne, j'avais bien trop honte.
J'ai décidé de tenter des expériences pour en avoir le cœur net. J'ai demandé à Marie, ma meilleure amie de l'époque, si je pouvais l'embrasser sous prétexte que je voulais m'entraîner. Il n'y avait pas d'ambiguïté entre nous, elle n'y a donc vu qu'une occasion de m'aider. Elle a apprécié ce baiser me disant que j'étais très doué et si je n'avais pas été autant bouleversé, j'en aurais probablement été flatté. Mais le fait était là: je n'avais strictement rien ressenti! Pas le moindre début de quoi que ce soit. J'ai réessayé avec d'autres filles pensant que c'était à cause de notre lien. Au bout du dixième essai, j'ai du me rendre à l'évidence, aussi dure soit-elle: les filles ne me faisaient aucun effet, au contraire, les embrasser me donnait envie de vomir! J'avais encore un infime espoir alors je suis allé trouver un gars que je savais être gay. Enfin, c'est plutôt lui qui m'a trouvé au début. J'étais constamment perdu dans mes pensées, je n'avais plus le goût à rien. Je ne trainais même plus avec mes potes tellement j'étais mal à l'aise. Pendant la pause déjeuner, j'étais parti m'asseoir sur un banc quand il s'est approché de moi. Ça faisait quelques semaines qu'il m'observait et qu'il voyait que j'allais de plus en plus mal. Les premiers jours nous n'avons pas parlé, nous contentant d'être l'un près de l'autre. Il ne m'a jamais forcé à dire un seul mot, comme s'il savait. C'est peut-être ça qui m'a décidé à lui adresser la parole, va-t-en savoir! Quoi qu'il en soit, j'ai fini par lui avouer mes doutes et lui expliquer mes expériences. Un soir, nous sortions de l'établissement quand je lui ai demandé la même chose qu'à Marie mais cette fois-ci sans prétexte fallacieux. Il a à peine posé ses lèvres sur les miennes que j'ai su. La chaleur qui s'est répandue en moi, mes mains qui voulaient agripper son cou et ne plus le lâcher... Au moins, je ne pouvais plus douter. Je me suis enfui en courant, les larmes dévalant mes joues. Pourquoi moi? Ce n'était pas possible. J'ai passé des jours à pleurer silencieusement dans ma chambre pour ne pas alerter les parents. Ce n'était pas normal d'aimer quelqu'un du même sexe. Peut-être était-ce passager? Oui c'était sûrement une passe. C'est bien connu, tout le monde se cherche à l'adolescence. Ce sont les hormones qui nous travaillent.
J'ai occulté tout ça dans un coin de ma tête. Je suis même sorti avec quelques filles pour me prouver que j'étais normal. Mais le dégoût de moi-même s'est installé petit à petit. Je me supportais de moins en moins. Je ne mangeais plus, mes notes chutaient, je me terrais dans ma chambre. Ma mère s'inquiétait pour moi alors un soir, elle est venue me parler. Je n'en pouvais plus, j'ai éclaté en sanglot et lui ai expliqué. Tout. Elle a été géniale. Elle m'a réconforté en me disant que ça ne changeait rien pour elle, que j'étais son fils, peu lui importait qui j'aimais. Je me suis endormi dans ses bras, soulagé.
La réaction de mon père a été toute autre. Nous étions soudés, comme je te l'avais déjà expliqué. Mais quand il a su, il a pété un plomb. Il m'a insulté et traité de monstre, que je n'aurais pas dû naître, que je n'étais plus son fils. Mon monde s'est écroulé. Lui, qui me regardait encore avec amour une heure plus tôt, ne voulait plus entendre parler de moi. Avant de lui annoncer j'étais mal, mais à partir de ce moment-là, ma vie est devenue un enfer. Il en était même venu au point de me frapper parce que ma vue lui donnait envie de vomir.
Même la mort me paraissait plus douce que ce que j'étais en train de traverser. Être rejeté par une des personnes que tu aimes le plus au monde... J'aurais préféré ne jamais exister plutôt que d'affronter son regard plein de mépris à chaque fois qu'il me croisait. Mon cœur se brisait à chacune de ses réflexions pour finir en mille morceaux. Je n'en pouvais plus, je ne voyais pas pourquoi je devais vivre. Peut-être avait-il raison? Peut-être n'étais-je qu'une abomination? Et si lui, qui m'a aimé jusqu'à maintenant, ne voulait plus rien avoir à faire avec moi, qui voudrait de moi? Combien de fois n'ai-je pas songer à en finir, quitter cette vie qui ne mènerait probablement qu'à de la souffrance? J'ai échafaudé un nombre incalculable de plans pour mettre fin à mes jours mais j'ai toujours été trop lâche pour les mettre à exécution. Enfin, sauf cette nuit-là. La fois de trop comme on dit. Après une énième humiliation de mon paternel, j'ai lâché prise. En plus, mon secret venait d'être découvert au bahut. Je ne voyais pas d'autres solutions. Je me suis rendu au pont le plus proche. Les voitures passaient en-dessous à toute vitesse et n'auraient pas eu le temps de s'arrêter. J'avais déjà enjambé la rambarde quand quelqu'un ma retenu. Le gars avec lequel je discutais à l'école avait eu peur pour moi après ce qu'il s'était passé à l'école et quand ma mère lui a dit que j'étais parti en courant de la maison, il m'a cherché partout. C'est grâce à lui si je suis encore ici aujourd'hui. J'étais décidé à sauter et lui a me sauver.
Quand mon père a appris que tout le monde était au courant, il m'a mis à la porte en disant qu'il ne supporterait pas un pédé sous son toit un jour de plus. J'étais tellement abasourdi que je suis resté comme un con devant chez moi, mes affaires répandues sur la pelouse. Je n'ai réagi que quand Étienne est venu me prendre dans ses bras. Après m'avoir secouru une première fois, il a recommencé. Ma mère n'était pas d'accord avec la décision de mon père mais ce dernier n'en avait cure. En désespoir de cause, elle a appelé mon ami pour que je ne sois pas seul. Il a débarqué avec ses parents. Ils ont discuté sur le pas de la porte avec maman tandis que leur fils s'occupait de moi et m'installait dans leur voiture après avoir récupéré mes effets personnels. J'étais dans un état second. Je n'ai même pas de souvenir des adieux que nous avons échangé. Sebastian et Sophie m'ont accueilli chez eux et m'ont traité comme leur propre enfant.
Ça a été tellement dur après. À l'école, j'étais devenu la cible préférée de tous les coups foireux. Même mes amis m'ont laissé tomber comme si c'était contagieux. Je voyais bien le dégoût dans leurs regards. Les parents d'Étienne étaient aux petits soins avec moi et ont essayé de me soutenir mais je ne voulais plus rien. Je voyais tout en noir et je me laissais allé. Jusqu'au jour où Sebastian en a eu marre. Il m'a pris avec à la salle de sport et m'a dit de me défouler intelligemment plutôt que de me détruire. J'ai enfin trouvé la force de me reprendre en main. Je suis sorti avec quelque gars mais jamais rien de sérieux. Je ne m'assumais pas, ne m'acceptais pas comme j'étais. C'est dans cet état d'esprit que j'ai connu Antoine. J'étais une proie facile et lui un bon manipulateur mais je m'en suis rendu compte bien après son départ. Nous étions heureux mais je n'étais pas libre. Cependant, tout n'était pas noir. Il m'a appris à ne plus avoir honte et à aimer un autre homme. J'ai passé de bons moments avec lui mais rien d'aussi fort que ce nous avons partagé.
Sache que je serai toujours là pour toi et que si tu veux encore de moi après que cette affaire soit terminée, je serai là. J'aimerais tellement me dire que nous sommes ensemble et pouvoir te serrer dans mes bras. Mais je dois me rendre à l'évidence, ce sera possible uniquement quand mon ex et son complice seront en prison. J'ai tellement peur de te perdre. Je ne sais pas ce que tu éprouves pour moi en ce moment et je ne te demande pas de me le dire. Je veux juste que tu saches que je t'aime. J'espère simplement pouvoir te le répéter en face avant qu'il ne soit trop tard.
Ton Jack»
Les larmes coulent sans que je n'y puisse rien. Je n'aurais jamais pu m'imaginer l'enfer qu'il a vécu. Son père est vraiment une enflure de première! Quand je repense au moment où j'ai découvert que j'aimais les hommes, ce n'était rien comparé à lui. J'ai bien eu des difficultés à m'accepter mais le soutien de maman m'a aidé à affronter tout ça. Je me rends compte maintenant à quel point j'ai eu de la chance.
Je comprends mieux Jack après cette émouvante lettre. Mais où j'en suis avec tout ça? Je l'aime c'est certain. Suis-je assez fort pour supporter tout ça? Et avec mon «père»? Que vais-je faire? Dois-je lui laisser une chance?
Je ne veux plus ressentir ou réfléchir pour l'instant, je suis épuisé. Mettant la lettre précieusement dans son enveloppe, je me décide donc à faire quelque chose que je n'ai plus eu le loisir de faire depuis longtemps: j'allume la télévision et zappe jusqu'à ce que je trouve un truc bien niais qui me permette de m'évader.
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Voilà les p'tits loups un chapitre un peu plus calme, une petite pause pour tout le monde. Jack se dévoile à Oli comme jamais. Il montre son côté un peu plus vulnérable. Je ne trouve pas de mots pour qualifier les réactions de son père mais est-il vraiment possible d'en trouver? Comment peut-on abandonner la chair de sa chair, l'enfant qu'on a aimé, élevé, tout ça parce qu'il ne rentre pas dans un moule? C'est une chose que je ne pourrai jamais comprendre. L'amour ne doit pas être limité. Peu importe, que ce soit un homme ou une femme que votre coeur choisisse. Le plus important est de trouver la personne qui vous convienne. La personne, pas le sexe de cette personne.
Que pensez-vous de l'histoire de Jack les amis? Avez-vous une préférence pour le point de vue suivant?
Je vous souhaite un bon week-end à tous.
Bisouilles mes chatons.
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