Chapitre 9 - Tourner au vinaigre
En moins d'une heure, c'est le chaos dans tout l'hôpital. Les blessés légers nous aident à transporter à l'étage les personnes souffrant de maladies graves et celles dont le pronostic vital est engagé. J'ai dénombré de mon côté au moins douze décès. En soignant un combattant civil, j'apprends que les selcyns sont venus en grand nombre dans leurs petits vaisseaux en forme de suppositoires dorés (comparaison trouvée par Mei). Ils ont détruit dix tourelles sur la vingtaine que compte le camp, et un nombre impressionnant de drones. Trois appareils ennemis se sont crashés. Pour deux d'entre eux, l'envahisseur aux commandes a pu s'éjecter. Un vaisseau plus grand reste en retrait du cœur du combat, n'intervenant que pour évacuer les pilotes. Chaque drone qui essaye de s'en approcher se fait pulvériser.
— Un vaisseau plus grand ? Comme ceux qui se sont posés en Europe ? demandé-je.
— Je ne les ai jamais vus, mais c'est bien possible. Ce truc fait au moins cent mètres de long !
— Si j'avais une seconde à moi, j'irais jeter un œil. Mais on dirait que cette fois, les aliens ont volontairement visé des civils, dis-je avec amertume en utilisant pour la deuxième fois ce terme que je trouve pourtant dégradant.
— Nous pensons tous que c'est vous, les rescapés de Faraday, qui les avaient attirés. Ils ont canardé le quartier résidentiel, provoquant l'effondrement de trois bâtiments. Puis certains envahisseurs sont restés en position stationnaire au-dessus des malheureux qui fuyaient la zone.
— Pour les abattre, j'imagine.
— Non, m'affirme l'homme. Ils les ont juste regardés fuir jusqu'ici. Au moment où j'ai été touché, pendant que je tentais de redresser une tourelle, ils repartaient en direction du gros vaisseau.
Le récit de l'homme me laisse d'abord perplexe. Pourquoi provoquer des blessés volontairement, puis les regarder fuir sans ciller vers... Soudain, je réalise le but de la manœuvre et écarquille les yeux d'effroi.
— Ils vont attaquer l'hôpital ! Ils voulaient repérer notre centre de soin et maintenant que c'est fait, ils vont envoyer leur vaisseau-mère pour détruire le bâtiment !
— Vous pensez ? me demande l'homme avec inquiétude.
— Ils nous prennent pour cible au même titre qu'une base militaire. Bon sang, on doit évacuer le bâtiment !
— Ça fait du monde, marmonne mon patient en regardant autour de lui. Mais écoutez, il n'y a plus de bruit dehors. Vous vous êtes trompée doc, ils sont partis.
En effet, le calme envahit de manière inquiétante les lieux, uniquement interrompu par des gémissements de douleur et des sanglots. Je m'immobilise. Un nuage doit passer au-dessus de nous, car la pièce est progressivement plongée dans la pénombre. Un nuage, ou autre chose... Je m'approche de l'entrée dévastée du bâtiment et passe ce qui était il y a moins d'une heure une porte pour m'avancer dans la rue. Purée de chiotte... J'en reste sans voix.
— Lily ! me crie Mei.
Mais je l'entends à peine. La tête relevée, je fixe la menace qui me surplombe sans parvenir à prononcer le moindre mot. Un engin métallique large comme un terrain de foot et haut comme trois étages surplombe le camp, et l'hôpital en particulier. Sa carrosserie gris foncé est si brillante que je dois forcer sur mes yeux pour en distinguer les reliefs. De la forme d'un trapèze, l'engin semble posséder des sortes de hublots opaques et quatre propulseurs silencieux dégageant une faible lumière bleutée. Une vingtaine de suppos dorés l'entoure. Je fais encore deux pas en avant, subjuguée. J'ai la sensation étrange d'être observée avec attention.
— Lily ! Nom d'un chien, Lyna ! Dégage de là ! Les IAM autonomes arrivent !
Je reprends mes esprits sous les cris paniqués de mon amie. Les IAM autonomes ne sont plus fiables à cent pour cent depuis que les logiciels d'ajustement ont disparu, et ils confondent parfois alliés et ennemis. Ils ne sont envoyés que lors d'attaque en distanciel. Je cours me réfugier dans le bâtiment, juste à temps. Les mini chars et les robots envahissent rapidement la rue, prêts à tirer sur quiconque s'approchera d'eux. Ils se positionnent dans un ballet surréaliste, appuyés par les drones encore en fonctionnement. Un bruit strident se fait alors entendre, presque aussitôt suivi par une aveuglante lumière rouge. De nouveau, je m'accroupis et me bouche les oreilles tout en fermant les yeux. Un enchaînement d'explosions fait vibrer chaque cellule de mon corps sans toutefois recouvrir l'horrible son. Quand le silence revient, je me rapproche prudemment des fenêtres brisées.
— Purée de...
— Tous les robots ont été détruits, commente Mei à mes côtés. Bon sang, mais qu'est-ce qu'ils nous veulent ?
— Regarde, fais-je en lui montrant le vaisseau noir. Une lumière blanche est apparue à l'avant de l'appareil.
— C'est quoi ce truc, on dirait une colonne...
Nouveau bruit strident, mais celui-là ne dure que deux ou trois secondes, juste le temps pour moi d'agripper le bras de ma meilleure amie. Puis une voix grave et puissante en provenance de l'engin noir nous parvient.
— Nous demandons votre attention. Nous voulons le docteur Lyna Ferrat. Merci de nous la livrer. Si vous refusez, nous détruirons votre ville ainsi que tous vos appareils de défense. Le docteur Lyna Ferrat. Nous demandons votre attention. Nous voulons le docteur Lyna Ferrat. Merci de nous la livrer. Si vous refusez...
Avec Mei, nous nous dévisageons. Son visage exprime une terreur sans nom, le mien ne doit pas être plus joyeux. Ses lèvres articulent silencieusement une lettre : K. Ce type a la rancune tenace, il est venu me chercher jusqu'ici. Bon sang, si je me rends, je vais me faire torturer à mort. Mais si je reste cachée, je condamne le plus important camp d'Hanoï. Mon amie secoue ses cheveux noirs en signe de désapprobation. Ses yeux si fins me semblent deux fois plus grands qu'à l'ordinaire tant elle les ouvre.
— Le docteur Lyna Ferrat. Nous demandons votre attention. Nous voulons...
Combien de temps vont-ils diffuser ce message ? J'avance timidement vers la sortie quand Mei m'attrape fermement le bras.
— Non !
— Oh que si ! rugit une voix derrière nous.
Le Général Lee nous rejoint en courant. Il a l'air furax, comme toujours depuis que nous sommes ici. Il faut dire que le manque de réactivité de Faraday-5 pour évacuer le personnel essentiel (dont sa seigneurie lui-même) le met hors de lui. Il traverse au pas de course la grande salle. D'où sort-il ? Il n'était pas sur le terrain à combattre avec ses hommes et les civils ? Je ne m'attarde pas sur la question, je déteste cet homme, mais ma situation est trop désespérée pour creuser le problème.
— Vous avez entendu ? Sortez, ils vous attendent. Vous devez mettre fin à ce carnage. Une vie pour des milliers d'autres, Docteur Ferrat.
— Il est hors de question de livrer Lyna à ces fous ! hurle Mei. Vous l'avez obligée à faire des expériences sur l'un d'eux, vous croyez qu'ils vont lui faire quoi maintenant ?
— Fermez-la, mademoiselle Yang !
— Pas question ! Vous n'assumez pas vos erreurs et c'est mon amie qui va payer pour vous ! Vous avez ramené un selcyn sur Faraday-4, vous nous avez exposés au danger sans même nous consulter ! C'est de votre faute tout ça !
Mei est hystérique, je n'en crois pas mes yeux. Dans le bâtiment, tout le monde nous regarde. Bien, donc je dois maintenant choisir entre me faire tuer par Lee pour avoir rompu le secret défense, ou me faire torturer par K. Le général se met à rire comme un dément. Ce mec a pété un plomb, ma parole. Toute humanité a déserté ses veines. Puis il dégage mon amie avec brutalité et m'attrape avec guère plus d'égard. Il me traîne dans la rue. Mon instinct prend alors le dessus. Mes deux dernières années de boxe se rappellent à mon bon souvenir et je colle un pain monumental dans la face de rat du général. Il recule, surpris et le nez en sang. Ça fait un bien fou ! Je m'apprête à lui porter un deuxième coup, mais malgré sa cinquantaine passée, Lee est vif. Et il n'a pas obtenu ce grade par hasard, il m'en offre la preuve. Il m'esquive et me tacle d'un violent coup de pied. Je recule et le regarde en serrant les poings.
— Allons, vous êtes sérieuse mademoiselle Ferrat ? Vous pensez vraiment pouvoir me battre ? Vous êtes aussi stupide que vous en avez l'air, croqueuse de singes.
— Ce n'est pas l'envie de vous frapper qui me manque ! grimacé-je, écœurée par ces propos racistes. Alors, ça y est, vous allez m'exécuter ?
— Je n'en aurai pas besoin. Si vous refusez de vous rendre, c'est les survivants du camp qui vous tueront pour assouvir leur vengeance. Je ne manquerai pas de leur faire savoir que vous faisiez la conversation avec l'ennemi, lui dévoilant ainsi votre identité. Et je n'oublierai pas d'ajouter que vous avez volontairement bloqué la fermeture des issus sécurisées du labo pour faciliter son évasion.
Je sens le sang quitter mon visage. Je le regarde, interloquée.
— Vous n'êtes qu'un menteur ! gronde Mei en sautant à mes côtés.
— Vraiment ? ricane Lee. Demandez donc à votre grande amie, cette traîtresse. Le labo était sous vidéo surveillance. Je sais tout !
— Lily, parle...
Mais je ne peux rien répondre, je continue de fixer Lee avec toute la rage possible.
— Docteur Lyna Ferrat, nous allons venir vous chercher. Approchez-vous de six pas et demandez aux autres humains de s'éloigner. Docteur Lyna Ferrat, nous allons...
— Mais merde ! Vous devez toujours tout répéter dix fois ! hurlé-je, à bout de nerfs.
— Lily, non...
— Désolée Mei, sangloté-je en me précipitant dans ses bras. Je t'aime de tout mon cœur, sans toi, je serais morte depuis longtemps. Tu as été la sœur que je rêvais d'avoir. Ne pleure pas ma biche, je vais bientôt rejoindre Saïd.
— Non, non... Je pars avec toi...
— Hors de question, tu restes ici avec Adèle et Gatien.
— Je me fiche d'eux, c'est toi que je veux... tu es tout pour moi, ma Lily, ma seule famille...
— Mei...
Je regarde d'un air navré les larmes de mon amie. Ses paroles me touchent. Je lui rappelle qu'elle est la personne la plus forte que je connaisse, et que tout ira bien pour elle, qu'un avenir meilleur l'attend une fois que j'aurai éloigné K d'ici. Mais elle ne m'écoute pas et continue de m'agripper avec ferveur. Je la repousse et recule de six pas. Elle me rejoint instantanément. Inutile de préciser que le général grande-gueule -petit-attribut est déjà bien loin.
— Va-t'en, Mei ! intimé-je avec plus d'ardeur.
— Non. JE PARS AVEC ELLE ! se met-elle à hurler en direction du vaisseau.
Immédiatement, la lumière blanche de tout à l'heure se concentre pour devenir éblouissante. Quand je peux de nouveau la regarder, elle forme une sorte de tunnel qui relie le vaisseau au sol. Et quatre hommes sont apparus à ses pieds. Deux ne bougent pas, tenant fermement leurs armes, tandis que l'autre binôme s'approche de nous. Leurs visages n'expriment ni peur, ni colère, ni aucun autre sentiment. Ils sont parfaitement neutres. De type caucasien, l'un a les cheveux clairs et tressés en arrière à la mode viking, l'autre les a noirs et courts. Mis à part cette différence capillaire, ils possèdent en commun une carrure robuste et une taille supérieure à la norme. Ils ne portent pas d'arme. Mais le blond tient un petit boîtier. Il regarde Mei et demande d'une voix atone :
— Veuillez tendre votre bras.
— Pourquoi ? couine faiblement mon amie.
— Si vous souhaitez nous accompagner, vous devez vous soumettre au test.
— OK, marmonne-t-elle en ignorant mes mouvements de tête désapprobateurs. Voilà.
Le selcyn place le boîtier sur son avant-bras, et après une seconde, Mei le retire brutalement. Une goutte de sang perle à présent sur sa peau. Je comprends : le type analyse son sang.
— Que recherchez-vous ? demandé-je en tendant le bras à mon tour.
— Pas vous, Docteur Lyna Ferrat, me fait le brun. Vous n'avez pas besoin d'être testée. Suivez-nous.
— Votre amie ne peut pas venir, rajoute le blond.
— Pourquoi, elle est malade ?
— Je viens ! clame l'intéressée d'une voix plus assurée.
Le blond lui reprend le poignet et pose à nouveau le boîtier métallique noir contre sa peau. Cette fois, Mei écarquille les yeux.
— Sois forte, me souffle-t-elle avant de tomber au sol, inconsciente.
Je crie son nom et commence à me baisser pour la rejoindre, mais le brun m'attrape par la taille. J'essaye de me défendre en cognant avec mes quatre membres : mon ravisseur ne réagit pas. Sa force est incroyable. En quelques mouvements, il m'éjecte sur son épaule et je sens l'incroyable pression de ses bras autour de mes jambes. Je continue de me débattre avec mes bras. Je dois retrouver Mei, je dois la sauver !
— Vous l'avez tué, bande d'enfoirés ! hurlé-je, désespérée. Monstres ! Lâchez-moi !
— Non, répond simplement le brun.
Mais je me fiche de ce qu'il peut me dire, Mei est ma meilleure amie, je dois l'aider. Je tambourine son dos en grognant.
— Sayan ! fait mon ravisseur avec une légère pointe d'agacement.
Je n'ai rien compris, je m'en fiche. Je ne lâcherai rien ! Le blond m'empoigne fermement le bras et pose son truc métallique dessus. Non, non non ! Je sens une piqûre et me fige. Au loin, j'aperçois Gatien qui me regarde depuis une fenêtre en hauteur. Puis plus rien.
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