Chapitre 5 - Filer à l'anglaise
Entraînée par la foule, je me laisse porter tout en cherchant désespérément une tête connue. Soudain, une main m'agrippe et me tire sur le côté jusqu'à un bureau du département défense.
— Lily ! s'écrie Saïd. Je t'ai retrouvée !
— Dieu merci, tu es là ! m'exclamé-je, soulagée. Tu as trouvé Mei ?
— Non, mais je l'ai trouvé, lui...
Il me fait un signe de la tête et je réalise que Gatien se tient légèrement en arrière
— Bon sang, mais que se passe-t-il ? grommèle-t-il en lançant un regard noir à mon ex.
— Les aliens sont au-dessus de nous, fait Saïd sans lâcher ma main.
— Qu'est-ce qu'ils foutent ici, ces enfoirés d'extraterrestres ! Comment ils nous ont trouvés ?
Je pense à mon patient selcyn. Ce ne peut pas être une coïncidence. Les scans n'ont pourtant pas révélé la présence de puces de géolocalisation. Se pourrait-il que ça nous ait échappé ? Une sorte de traceur dont la technologie nous le rend indétectable ? Quoi qu'il en soit, je n'ai aucun doute : les selcyns sont ici pour récupérer leur blessé et le venger. Mon malheureux cobaye me l'a confirmé de son hochement de tête. A-t-il une importance particulière à leurs yeux, comme une sorte de commandant ? Je ne l'ai vu que nu et balafré, et mis à part ce reste de tatouage de tête de félin, je n'ai repéré aucun signe distinctif sur lui.
Saïd a probablement fait le rapprochement car il élude la question de Gatien pour nous exposer les faits.
— Ils sont venus avec une espèce de foreuse et un vaisseau de combat. On a déjà lancé les IAM pour contre-attaquer, mais ils sont venus nombreux.
IAM pour intelligence artificielle militaire, ce qui inclut les drones et tous les robots à usage défensif ou offensif. Certaines de ces machines n'ont pas besoin de pilotes, elles sont complètement autonomes. Elles sont aussi rares et précieuses, même si ces derniers temps, les ingénieurs les réparent à la pelle. Cette technologie était en plein essor à la veille du Grand Chaos. Mais le président des sept États-nations n'a mis en place que peu de stocks dans les bases Faraday. Il faut donc récupérer les IAM lors d'expéditions extérieures et laisser les ingés les remettre en état de marche.
— Ça a un rapport avec ta mission classée secret défense, n'est-ce pas ? demande brusquement Gatien en me faisant sursauter.
— Je n'en sais rien, réponds-je.
— Bien sûr que si, tu sais !
— Détends-toi, mec ! lui intime Saïd. Dès qu'on met la main sur Mei, on fonce en salle de briefing. Lee va avoir besoin de tous ses...
Une énorme explosion l'interrompt. Une partie du couloir menant à l'ascenseur s'effondre, laissant apparaître un amas de fils électriques, pour la plupart sectionnés. Presque aussitôt, le message d'alerte cesse, et la lumière se met à clignoter. Le silence se fait, mais ne dure pas. Les cris d'affolement se mettent très vite à résonner et un mouvement de panique gagne l'allée. Depuis le bureau, nous l'observons, sidérés. Dans toute cette pagaille, j'aperçois Mei.
— Elle est là ! crié-je aux garçons. Je dois la rejoindre.
— Dans cette marée humaine, c'est trop dangereux ! estime Saïd. Tu vas te faire piétiner.
— Je ne laisserai pas Mei, tu le sais !
— OK, c'est parti. Tu viens, l'aiguilleur ?
Gatien grommèle un truc qui ressemble à un oui, et nous voilà à nous jeter dans la mêlée. La foule est si condensée que nous sommes obligés d'avancer sans pouvoir nous échapper et en nous tenant fermement les mains. Les premiers réfugiés se heurtent à une paroi qui refuse de s'ouvrir et les suivants, entraînés par l'inertie de la foule, viennent s'écraser sur eux. Des plaintes étouffées émergent de cet immense amas humain qui se compresse sur lui-même. Je me sens de nouveau tirée sur le côté, mais il m'est très difficile de m'extraire. Je ne veux pas mourir étouffée ! Heureusement, Gatien insiste et je finis par me retrouver dans la cage d'escalier. Les garçons sont là, ainsi que Mei et Adèle. Je saute dans les bras de ma meilleure amie, les larmes aux yeux.
— T'es là, petite oie blanche ! me lance affectueusement Mei.
— Oui, purée ! Je suis tellement contente de te voir ! Et que fait-on maintenant ?
— Les ascenseurs sont en panne, explique Saïd. Le générateur de secours a été bousillé. Les selcyns sont déjà dans l'enceinte. Deux choix s'offrent à vous les filles : la planque ou l'évacuation.
— Un bunker dans un bunker, non merci, dis-je en grimaçant.
— On se tire de là ! renchérit Mei.
— Dans ce cas, vous allez prendre les escaliers et prier pour qu'une navette d'évacuation soit toujours disponible.
— Mais sans courant, elle ne fonctionnera pas ! se lamente mon amie tout en regardant avec effarement la foule se piétiner.
— Les navettes sont autonomes, la rassure Adèle, la mécano.
— Tout à fait, confirme Saïd. Allez-y, vite !
— Et toi ?
Mon ancien compagnon m'adresse un sourire rassurant.
— Avec Gatien, on doit rejoindre les forces de défense.
— Il est trop tard pour les repousser, tu l'as dit, ils sont déjà dans l'enceinte ! Escortez-nous jusqu'aux navettes au moins !
Saïd regarde Gatien et je remarque que ce dernier est trop heureux d'approuver. Je comprends tout à fait qu'il ne soit pas chaud pour rester dans cette zone de guerre. Nous nous engouffrons donc, comme bien d'autres, dans la minuscule cage d'escalier, le cœur battant à tout rompre. Les échos métalliques des pas précipités s'immiscent dans ma tête comme de minuscules coups de couteau, et après quelques minutes, je transpire à grosses gouttes. Nouvelle détonation suivie d'un crissement terrible : le haut de l'escalier se détache et des débris commencent à pleuvoir au milieu des gémissements apeurés.
— Bon sang, mais comment peuvent-ils être si rapides ! grogne Saïd. Je savais que c'était une mauvaise idée de ramener l'un d'eux ici !
— Ramener qui ? demande Gatien en haletant.
Mon ex ne prend pas la peine de répondre à la question. Le flot humain sort précipitamment de ce lieu exigu pour arriver sur le long et étroit quai du niveau -5 avec, de part et d'autre, les voies magnétiques sur lesquelles patientent les navettes pour Hanoï.
— Celle-ci m'a l'air endommagée, constate Adèle en bonne ceinture jaune qu'elle est.
Nous regardons l'engin de gauche, mais je crois qu'à part elle, aucun de nous ne voit de défauts. Nous lui faisons tout de même confiance et grimpons dans celle de droite.
— On va ressortir et aller faire notre boulot, maintenant qu'on vous sait en sécurité, insiste Saïd.
— Qu'est-ce qu'on peut dire pour vous retenir ? l'interroge Mei.
— Absolument rien. Bonne chance, on se retrouve à Hanoï !
Ma gorge se serre et je n'arrive qu'à prendre les mains de Saïd en silence. Ses yeux me transpercent, nous avons tant partagé que je me sens mal de le laisser ici. J'ai envie de me blottir contre lui, mais au lieu de ça, je le lâche. Puis je me tourne vers Gatien et l'enlace mollement. Enfin, je me recule et marmonne un bonne chance peu intelligible.
Les garçons sautent en dehors de la navette. Au même moment, un ronronnement léger se met en route. Les portes du wagon coulissent, piégeant sur les quais une centaine de personnes n'ayant pas eu le temps d'embarquer.
— Qui a fermé ces fichues portes ! hurle Mei.
— C'est moi ! clame une voix pleine d'autorité.
La totalité des passagers se retourne comme un seul homme vers le Général Lee. Ses traits tirés lui donnent un air de mort-vivant. Plus personne ne pipe mot. Mei et moi serrons les poings. Visiblement, son sens du devoir n'est pas aussi développé que celui de ses hommes. Que vont faire Saïd et Gatien si cet enfoiré est ici ?
— Par ordre du général, nous quittons immédiatement la base, clame un de ses gradés d'une voix grinçante. Attachez-vous.
Bien évidemment, nous n'avons pas le temps de nous trouver une place que la machine se met en route dans un quasi-silence. Sans surprise, je finis à terre et je surprends cette peste de Mei me tirer la langue. J'hallucine ! Quand enfin j'arrive à m'assoir, je ferme les yeux. La navette relie Faraday-4 au nord d'Hanoï, à quarante kilomètres de là, en moins de quinze minutes, le temps de me calmer avant d'affronter l'extérieur.
Après deux ans passés dans la sécurité d'un habitat enterré, j'appréhende de devoir revivre à ciel découvert. D'autant plus que je ne garde pas d'excellents souvenirs de Yubei. J'espère que ce déménagement ne sera que provisoire et que nous pourrons réintégrer Faraday-4 rapidement. Mais je ne me fais guère d'illusions. Les protocoles de sécurité nous sont régulièrement rappelés : une base découverte et une base fichue.
Un bip discret signalela fin du voyage. Nous sommes encore dans une gare souterraine. L'ensemble despassagers, une grosse centaine, peut-être deux, sort en traînant la patte. Jesuis alors prise d'un sentiment d'urgence. Je saisis la main de Mei et coursvers la sortie, talonnée par Adèle. Je monte les marches trois par trois pourensuite sprinter dans un long couloir. Une dernière porte à digicode nous barrela route. Je tape mon matricule et elle s'ouvre instantanément. Je reprends macourse, toujours en tenant mon amie. Quand enfin j'aperçois le bleu du ciel, jeralentis. J'attends d'être complètement sortie pour enfin m'arrêter. La têtelevée vers les quelques nuages, j'inspire profondément l'air extérieur.J'espère que les garçons s'en sortiront et que mon patient retrouvera lessiens. Ces deux souhaits sont-ils compatibles ? Mei me fait signe et je tournemon regard vers la direction indiquée. Au nord, un lointain panache de fumée habillele ciel. Faraday-4 est tombée.
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