Malade
- Qu'est-ce qu'un corps étranger ?
Elle marche, seule, dans l'immense campagne. Le voyage est terminé, la voiture s'est arrêté, le garçon s'est envolé.
- Je ne sais pas.
Il dort, le visage dans l'herbe. La poitrine soulevée par les vents, il tente de se changer en poussière. Il s'est enfuit, comme à chaque fois. Il a honte.
- On parle de corps étranger pour qualifier tout objet non organique, dont la taille dépasse le millimètre, retrouvé dans le corps.
Elle ne dit rien, elle écoute le vent la bercer doucement. Elle ne sait pas où elle est. Mais elle s'en moque, elle n'a pas de chemin, pas de route à retrouver, alors elle s'assoie par terre, et elle attend. Il va revenir, elle le sait bien. Elle se demande s'il pleure, là où il est, s'il a peur ou s'il a simplement froid.
Les yeux rivés sur l'horizon, elle patiente. Elle connait ces longues heures de solitude où seul le monde lui tiens compagnie. Elle connait ses murmures sur le bout des doigts, mais elle ne les comprends pas. Loin de tous, loin du bruit, de la ville et de ses gens pressés qui s'acculent dans les métros, qui s'ennuient au boulot, qui se meurent au fond de leur lit sans sommeil à lutter lorsque sonne le réveil, elle rêve. Loin des autres, elle rêve.
Elle rêve d'un univers ni blanc, ni noir, d'un très long couloir. Elle rêve d'un endroit où sa double personnalité ne soit pas régulée par des dizaines de cachets. Elle rêve de ne plus avoir à pleurer, lorsque la nuit vient déverrouiller son esprit embrumé par les vicieux remèdes qu'on la force à avaler, qu'on lui impose sans discuter. Elle rêve de ne plus être contrôlée, de pouvoir être ce qu'elle est, de pouvoir dire non, de pouvoir apprendre pour la premier fois à rire, à aimer. Elle rêve et l'horizon qui s'ouvre à elle semble lui faire la promesse silencieuse d'un après, d'un maintenant, d'une valse avec le temps.
Elle laisse alors s'échapper son envie, si méchante soit-elle, elle se laisse être elle-même. Et seule dans les grandes prairies, elle apprends à apprécier ses phobies. Ce n'est plus lui qu'elle attends, mais sa nouvelle vie.
- Je parle de corps étrangers pour qualifier toute personne différente, dont l'esprit dépasse la norme, perdu dans la société.
Il pleure, sur le rebord de son monde. Il se meurt mais jamais ne succombe. Il y a trop de choses qu'il veut, qu'il délaisse, qu'il blesse, qui prennent feu. Il y a trop de choses qui lui échappent, qui glissent entre ses doigts, laissant sur le bout de ses lèvres, un parfum de défaite. Il pleurs, mais il s'en moque. Se armure se fissure laissant apparaître sous ses airs méprisants la détresse d'un enfant.
Il n'est pas comme les autres. Il n'est ni fort, ni beau, ni grand, ni comme il faut. Il n'est pas comme les autres, et cela le rend malade. Il vomirait sa différence s'il en était capable.
Le vent caresse son visage recouvert par la rosée, il est épuisé. Cela fait trop longtemps qu'il traîne derrière lui ses casseroles cabossées, il ne veut plus avancer. Allongé contre la terre, contre l'essence de ses misères, loin de tous, loin de ceux qui le maudisse, il rêve.
Il rêve d'une mort si douce, délicate, d'une fleurs qui s'ouvre pour l'avaler. Il rêve d'une fin digne d'un roi, d'un crépuscule sans foi ni loi. Il rêve d'un autre lui-même, d'un nouveau départ. Il rêve d'un monde qui ne le laisserait pas à l'écart. Et plongeant dans la honte de n'être qu'un esprit mourant, il rêve d'un second présent. Comme si toute sa vie n'avait été qu'un mirage, il rêve d'un autre virage, qui le ramènerait vers un lumineux demain, qui reforgerait son destin.
Soudain, son visage aux couleurs de l'orage s'impose a sa pensée. Et si elle était ce tournant, ce changement de route ? Et si elle était la réponse à tous ses doutes ? Le corps abîmé, le cœur déchiré, il n'y a plus qu'elle qui compte dans sa nouvelle vie.
- Qu'est-ce qu'un corps étranger ?
C'est une personne malade. Malade d'amour, malade de haine. Malade de vivre et d'être elle-même.
Ils sont malades. Mais ils sont en vie.
Ils sont malades. Et ils cherchent la mort.
Ils sont deux corps infectés par la solitude et l'envie.
Ils sont deux êtres que tous ignorent.
Corps étrangers plongés dans l'absence.
Corps étrangers dans leur propre existence.
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