-   Et maintenant on fait quoi ?

-  Comment ça, « on » ? 

-  Ben, je vais pas te laisser tout seul quand même. 

-  Je n'ai besoin de personne.

-  Ça, je l'avais bien compris. 

-  Tu m'agaces. 

-  Je sais. 

-  Rentre chez tes parents, petite fille modèle. 

-  Non. 

-  Pourquoi ? 

-  Parce que je n'en ai pas envie. 

-  Même si tu sais pertinemment que tes parents te disputeront lorsque tu rentreras ? 

-  Ils ne remarqueront même pas mon absence. 

-  Tu mens ! 

-  Mes parents ne m'aiment pas. C'est aussi simple que ça. 

-  Pourquoi tu dis ça ? 

-  Parce que c'est la vérité. 

-  T'es bizarre. 

-  Et alors ? 

-  Et alors rien. T'es bizarre et c'est tout. 

-  Et toi ? Tes parents ne viennent pas te voir ?

-  Occupe toi de tes affaires ! 

-  Monsieur n'aimerait-il pas ses parents ? 

-  J'en ai pas ! Voilà pourquoi ils ne viennent pas. 

-  Excuse-moi. 

-  J'en m'en fiche de toute façon. J'ai jamais voulu avoir de parents. 

-  Excuse-moi, je n'aurai pas dû ...

-  Mais puisque je te dis que je m'en fous ! T'es bouchée ou quoi ? 

-  Non. Je t'entend très bien. Un peu trop d'ailleurs. Tu me casses les oreilles.

-  T'es pas obligée de m'écouter. T'es même pas obligée d'être là !

-  C'est vrai. Mais je suis là, et je t'écoute. 

-  Pourquoi ? 

-  Occupe toi de tes affaires. 

-  Tu m'énerves. 

-  Je sais. 

-  Et alors, maintenant on fait quoi ?

-  Je sais pas. 

-  Moi non plus. 

-  Tu sais quoi ? T'as qu'à rentrer chez toi, pour reprendre ta petite vie parfaite, et me foutre la paix ! 

-  Non. Je ne rentrerai pas. 

-  Fais comme tu veux, de toute façon je m'en fous. 

-  Tu te fous de beaucoup de choses. 

-  Pas faux. 

-  Tu ne devrais pas. 

-  Eh, "Jo la Morale", tu me lâches maintenant ? 

-  Non. 

-  Pourquoi ? 

-  Dis-moi, si je pars, est-ce que tu vas mourir ? 

-  Mourir ? Qu'est-ce que tu racontes ? 

-  L'accident. C'est pas la voiture qui t'as pas vu, hein ? C'était toi. 

-  Moi ?

-  Tu veux te suicider ? 

-  Oui. 

-  Pourquoi ? 

-  Ça te regardes pas ! 

-  Bien sûr que si ça me regarde ! Ça regarde tout le monde ! 

-  Absolument pas ! Ça ne regarde que moi, et ce foutu Dieu qui n'a pas voulu me donner une vie correcte ! Je ne demandais pas la lune, moi. Je ne voulais pas être riche, pas être beau, pas être grand, fort, courageux ! Je ne voulais pas être parfait, avoir une vie parfaite, dans un monde parfait. Moi, ce que je voulais, c'était simplement une famille qui m'aime, des parents qui soient présent pour moi, et un grand frère sur qui je puisse compter ! Et le résultat ? Tu sais comment est ma vie aujourd'hui ? Je n'ai aucune famille, je suis le fils de deux inconnus qui ne s'aimaient pas et qui ne m'aimaient pas, qui ont oublié jusqu'à mon existence. Je vis seul, avec mon grand frère qui se bourre la gueule toute la journée et qui, lorsqu'il rentre le soir, n'est même plus capable de me reconnaître. Tu vois quelle est ma vie ? Tu vois quelle est cette putain de vie qui ronge tout mon être ? Qu'est-ce que tu réponds à ça, hein ? Qu'est-ce que tu en penses maintenant ? 

-  Que Dieu n'existe pas.

-  Ma mort ne regarde que moi, et moi seul. Je refuse d'avoir à rendre des comptes à qui que ce soit sur mes agissements, et sur tout ce qui aura été ma vie. Je refuse d'expliquer pourquoi je veux mourir. 

-  C'est pourtant ce que tu viens de faire. 

-  Tais-toi ! 

-  Non. Je ne me tairais pas. Je ne peux pas me taire. 

-  Il le faut pourtant, il le faut, sinon tu risques de le regretter. 

-  Tu me menaces ? 

-  Peut-être. Tout dépend de ce que tu comptes faire. 

-  Ce que je compte faire ? Mais c'est pourtant claire. Je vais te sauver. 

-  Tu n'y arriveras pas. 

-  Bien sûr que si ! 

-  Je refuse, tu m'entends, je refuse que tu t'interposes entre moi et ma mort !

-  Je me moque bien de ce que tu refuses. Tant que je serai en vie, tu le seras aussi !

-  Mais pourquoi diable, tu t'acharnes comme ça ? Qu'est-ce qui a ? Qu'est-ce que j'ai de si précieux à tes yeux ? On se connaît à peine et ...

-  Oui, on se connaît à peine. Oui, tu es quelqu'un d'inutile, de minable, de faible. Tu es arrogant, tu es exécrable, tu es insolant, misérable, complètement infâme, tu es une ordure sans pareil, une petite garce, un avorton sans cervelle, un fou, tu es le pire des idiots, tu es le roi des emmerdeurs ! Mais je te le jure : je t'empêcherai, par tous les moyens, de perdre la vie. 

-  Pourquoi ! 

-  Parce que si tu meurs, je meurs aussi. Parce qu'une nuit, je me suis retrouvée debout au milieu de ma chambre, sur un tabouret ridicule, la corde au cou, les orteils dans le vide. Parce que cette nuit là, j'ai renoncé, oui, j'ai abandonné mes rêves. Parce que je n'ai pas réussi à sauter dans le vide, à faire tomber cet ignoble tabouret, à tendre cette si belle corde. Parce que je n'ai pas réussi à mourir. Parce qu'aujourd'hui encore, je suis en vie, et que j'en suis heureuse. Parce que lorsque la voiture t'as percutée, je me suis demandé : « pourquoi pas moi ? ». Parce que lorsque je me suis penchée au-dessus de toi, j'ai lu sur ton visage la déception, cette déception que j'ai ressentis lorsque j'ai retiré la corde, lorsque je suis descendue de ce tabouret. Parce que j'ai vu mes traits se peindre sur ton visage. Parce que la première fois que j'ai passé la porte de cet chambre d'hôpital, je me suis dit que plus jamais, je ne devais laisser quelqu'un mourir. Pas même moi. Parce que maintenant que je sais pourquoi tu souffres, pourquoi tu meurs, je veux trouver le moyen de t'aider. Parce que, c'est décidé, je vais te sauver. Peu importe ce que tu en penses. Peu m'importe ce que tu veux. Je te sauverai. Je te le promet. Et on vivra, tous les deux, jusqu'à la fin, jusqu'à ce que l'on soit vieux et fripés, que nos dents tombent, que nos os craquent, et que ce Dieu qui n'existe même pas, ait enfin décidé de nous envoyer en Enfer, pour que l'on paye par la douleur, la simple idée de vouloir nous ôter nous-même la vie. Je nous sauverai. Je nous le promet.