Ils étaient une fois
Il ouvrit les yeux.
Elle s'était jetée du haut de la falaise, la Fille de la Nuit. Un grand sourire aux lèvres, le cœur emplit de joie, elle s'était laissée tomber dans les bras de la mort.
Papillonnant des paupières, il passa une main sur son visage. Il faisait jour dehors. Les rayons malades de décembre s'immisçaient entre les lourds rideaux qui recouvraient les carreaux glacés. Son téléphone vibra. C'était son frère qui l'appelait.
Elle avait préféré le sommeil éternel à son amour. Il avait préféré sombrer avec elle plutôt que de la laisser s'envoler seule.
Avec un soupir fatigué, il ignora son portable qui continuait à pleurer sur le bois de sa table de nuit et se leva. Il était encore tôt, mais déjà les gens s'agitaient dans la rue. Traînant des pieds jusqu'à la fenêtre de sa chambre, il recouvrit ses épaules d'une longue couverture. Il avait fait un cauchemars.
Dans la vie comme dans la mort, ils ne seraient pas séparés. Elle ne fermerait pas les yeux. Il ne lui lâcherait pas la main.
D'un geste discret de la main, il repoussa son rideau pour observer à l'extérieur. Sa voisine s'en allait déjà. Debout sur le pas de sa porte, elle tentait tant bien que mal de retrouver ses clefs dans son large sac à dos. Elle était si jeune. Où était ses parents ? Avait-elle au moins fini le lycée ? Depuis le début de l'année, ces questions sans réponses le tracassaient. Il n'arrivait pas à savoir qui elle était. Les gens qui la connaissaient lui répétaient à chaque fois le même mot. Un seul et si insignifiant mot pour la décrire : Bipolaire.
Il ne voulait pas croire que cet adjectif, aussi pauvre que malveillant, était le seul capable de la définir. Elle était laide, et pourtant, son visage aux traits particuliers lui plaisaient. Il aimait ses yeux, et l'immuable sourire, presque enfantin, illuminait son visage.
« Je nous sauverai. Je nous le promet. »
Il avait rêvé d'elle. Il avait rêvé de leur vie. Il avait rêvé de leur mort.
Ecarquillant brusquement les yeux, il se jeta sur le tas de vêtement qui gisaient, endormis, au pied de son lit. Il s'habilla rapidement. Son cœur battait si fort qu'il l'assourdissait. Il n'entendait rien d'autre que ce chant, violent et affolé, rien d'autre que ce sentiment d'urgence qui s'était emparé de lui. Sans même prendre le temps de se couvrir, il se précipita dans les escaliers, les dévalant quatre par quatre. Il se jeta contre la porte de son immeuble et jaillit dehors, les cheveux en pagaille, les pieds nus dans la neige.
Il ne la laisserait pas s'échapper. Pas encore. Il ne la laisserait pas sombrer dans la peur et le désespoir. Il se laisserait pas ses envies méchantes la priver d'air.
Il saisit sa main. Elle le dévisagea, surprise. L'Insatisfait et la Fille de la Nuit se rencontraient ce matin là, sous le regard étonné de la ville.
- J'aimerais que l'on parle. Toi et moi. Et personne d'autre.
Elle sourit. Elle était comme dans son rêve. Joyeuse malgré la douleur, souriante malgré le froid de la société et des autres.
- J'aimerais t'emmener avec moi ... pour visiter un endroit. N'importe lequel ! Tu es d'accord ?
Ses yeux s'allumèrent brusquement. Abrutis par les médicaments, les moqueries et les mines réprobatrices, ils avaient perdu leur couleur, mais il savait comme la leur redonner. Il n'avait peur de rien, à part qu'elle le repousse, qu'elle l'ignore, qu'elle ne se souvienne pas. Mais il était prêt à tout. Il ne l'abandonnerait pas cette fois.
Il lui raconterai ce rêve incroyable, où il se jetait sous les roues d'une voiture dans un quartier aux ruelles sombres. Ce rêve où elle se penchait au-dessus de lui dans l'ambulance, où elle venait lui tenir compagnie, où elle lui prit la main. Ce rêve où ils s'étaient échappés de leur misérable quotidien pour aller découvrir les campagnes de Normandie. Ce rêve où elle avait laissé ses envies méchantes prendre le dessus. Ce rêve où il l'avait regardé droit dans les yeux pour lui dire « Je t'aime ». Ce rêve qui avait faire d'eux un seul et même corps.
- Pourquoi pas. Mais d'abord, met des chaussures, tu vas attraper froid.
Il sourit. Transporté par une vague d'euphorie, il remonta chez lui, sauta dans ses baskets usées, saisit son blouson de cuir et redescendit à toute vitesse à l'extérieur. Elle l'avait attendue. Comme elle l'attendrait toute sa vie. Le sourire aux lèvres, les prunelles scintillantes, elle prit son bras et ils s'éloignèrent d'un pas décidé vers le futur.
Ils étaient deux. Deux corps infectés par la solitude et l'envie. Deux corps attirés par leur dissemblances colorées. Deux corps en chemin pour le destin, main dans la main. Ils étaient deux, et ils trouvèrent, en leur amour, la vie. Ils étaient cette fois, l'Insatisfait et la Fille de la Nuit.
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