Les paysages défilaient derrière la vitre sale. Cela faisait plus d'une semaine qu'ils roulaient sans direction. Ils avaient volé dans les supermarchés, ils avaient siphonné les voitures pour un peu d'essence. Leur quotidien ne se résumait plus qu'à une chose, rouler. Rouler aussi vite que leur moteur le leur permettait.  Rouler aussi loin que s'étendaient les routes désertes ou complètement bouchées du pays. Rouler, toujours et encore, sans jamais s'arrêter.

Concentré sur le chemin de béton qui jaillissait devant en un éclair noir, l'Insatisfait goûtait au plaisir de la liberté. Il aimait sentir tourner sous ses doigts crispés le volant, appuyer sur la pédale de l'accélérateur et se propulser en avant pour avaler le plus de kilomètres possible. Assise à ses côtés, silencieuse mais constamment parée de son plus beau sourire, elle observait le monde derrière la petite fenêtre du passager. Parfois, il la regardait, du coin de l'œil, et il croyait voir flotter sur son visage un ennuis profond.

Le voyage était trop long.

Et bientôt, il se lassa aussi de rouler sans but, sans jamais savoir où aller. Il prenait des chemins différents, ne faisant même plus attention aux panneaux. Il ne savait pas où il allait.

La liberté ne résidait en aucun lieu.

Alors il arrêta la voiture, comme ça, sans un mot. Il se détacha et sortit pour redécouvrir la sensation de l'air contre sa peau. Puis il s'en alla.

Il était perdu, l'Insatisfait. Seul au milieu des plaines de Normandie, avec un véhicule et une inconnue comme unique passagère, il se sentait abandonné par tous. Et il aimait ça.

Il fit un pas, puis deux. Ses chaussures usées s'enfonçaient dans l'herbe haute, si vert qu'elle paraissait artificielle. Il inspira avec force.

Ce monde était faux, artificiel, fabriqué de toute pièce par l'Homme et sa vicieuse perfection. Il ne voulait pas de cette contrefaçon comme décor à sa vie. Il ne voulait pas de cette illusion de liberté qu'il avait ressentit en s'échappant de l'hôpital. Qui l'avait quitté avant même de le satisfaire.

Il fit un pas, puis deux. Poussé par une violence perfide qui comblait son esprit, hurlant à s'en déchirer la voix pour le sortir de sa torpeur, il se mit à courir. Il ne devait pas rester immobile, ou bien l'amertume même de son existence lui brûlerait le corps, calcinant son être fragile vif. Il ne devait pas rester là, ou bien la grandeur des près fluorescent l'engloutiraient, comme la ville l'avait fait, avant qu'il ne tombe sur elle.

Elle. Il fallait qu'elle patiente dans la voiture, toute une vie si elle le souhaite. Mais il devait la laisser là, seule, au milieu de nulle part. Il ne supporterait pas de l'entendre crier son nom, il ne supporterait pas de l'entendre l'appeler encore une fois, pour l'extraire de sa colère. 

Il voulait tout casser, s'envoyer en l'air en un superbe feux d'artifice. Il voulait se couper les ailes et s'écraser au sol. Mourir de froid plutôt que d'aller se brûler le cœur contre ses journées d'erreurs. Il devait s'en aller. C'était tout. 

L'Insatisfait disparut dans la campagne.