Chapitre 26
Je fini par me relever et vais m'installer sur mon lit, face à Kaylan. Si la distance entre nous est loin d'être idéale pour une soirée confessions, me tenir loin de lui m'aide à calmer mon cerveau qui repasse en boucle les images de son torse nu et la sensation de sa peau sous la mienne.
À ma gauche, la lueur de la bougie vacille légèrement, modifiant les ombres à sa guise. Je cesse mon observation lorsque Kaylan reprend la parole.
— Sûm et moi avons été élevés par deux femmes. Deux âmes-sœurs puissantes, qui se vouaient, aussi loin que je m'en souvienne, un amour inconditionnel qu'elles nous partageaient sans limite.
Il semble chercher ses mots un moment, explorant du regard le plafond en toile de la tente.
— Sûm et moi ne sommes pas frères à proprement parler : nous ne partageons aucun sang.
Le regard de Kaylan dévie sur moi, sans doute pour surveiller ma réaction. Je reste pourtant de marbre, empêchant sciemment mes yeux de s'ouvrir trop grands.
— Ma mère a rencontré, ou plutôt trouvé, mon géniteur à l'occasion d'une visite impromptue dans un camp militaire voisin. L'histoire s'est répétée quelques années plus tard, avec la mère de Sûm. Leurs désirs n'allaient nullement vers les hommes, bien sûr. Ce n'était qu'une façon pour elles de donner naissance aux meilleurs guerriers qui soit en s'assurant des gènes qui leur seraient transmis.
Cette fois, je ne retiens pas ma question :
— Vos mères n'ont couché avec ces hommes que pour vous donner les meilleures caractéristiques physiques ?
Un léger sourire triste lui échappe, qu'il réfrène presque aussitôt.
— C'est à peu près cela, oui. Avant moi, c'était elles qui géraient l'administration du camp. J'imagine qu'elles ont voulu s'assurer que leur descendance serait capable de faire de même.
Je lui adresse un léger sourire.
— Visiblement, elles ont réussi.
Son regard, qui voletait auparavant d'un coin à l'autre de la tente, s'arrête sur moi. La légère surprise qu'il exprime chasse une seconde émotion, plus subtile, que je ne parviens pas à saisir.
— Sans doute n'ont-elles pas trop mal calculé leur coup, en effet.
Je ne sais pas si sa réponse traduit un manque de confiance en lui ou simplement une certaine modestie et il reprend son récit avant que je ne puisse trouver une réponse.
— Leur amour n'avait d'égal que leur pouvoir. Ensemble, elles faisaient des miracles. Je n'exagère pas en disant cela.
Il a sans doute ajouté cette dernière précision en voyant mon rictus moqueur, cependant je ne renchéris pas.
— Elles se sont entraînées pendant des années, Sûm et moi à leurs côtés, pour être prêtes le jour où la place de deux mages se libèrerait. Et c'est arrivé. Le jour pour lequel elles s'étaient préparées toute leur vie a fini par survenir.
Sa voix s'éteint. Je ne résiste pas à l'envie d'en savoir plus :
— Que s'est-il passé ensuite ?
Son regard se voile.
— Elles sont parvenues à la dernière épreuve et ce fut effectivement la dernière pour elles. L'ultime passage où elles se sont tenu la main avant de périr.
Le silence empli la tente. Je n'ose pas renchérir. Comme pour chasser cette idée trop violente de son esprit, Kaylan continue son récit :
— Alora a pris le relai dans notre éducation, elle a pris en main notre avenir ainsi que la vie du camp sans se plaindre un seul instant, jusqu'à ce que je sois assez grand pour m'en occuper. Vous vous demandiez pourquoi Alora suscitait un tel respect, en voilà la raison.
Nos regards se percutent. Je m'accroche au sien comme à la dernière étoile dans la nuit, le seul qui puisse me dire si je me trompe de chemin ou pas. Suis-je seulement censée le croire ? Après toutes les vérités qu'il m'a cachées, ai-je encore le droit de penser qu'il ne me dissimule rien derrière ces mots ?
— C'est pour ça, n'est-ce pas ?
Ses lèvres s'étirent en une moue interrogatrice.
— C'est pour cela que tu tiens tant à participer à ces épreuves, toi aussi. Pour venger vos mères. Pour prendre la place qu'elles n'ont jamais pu avoir.
Il grimace et se rapproche du bord du lit. Un mouvement sans doute sans importance, mais que je ne peux m'empêcher d'identifier comme une tentative de se rapprocher de moi.
— C'est beaucoup plus complexe que ça, Aaliyah. Ses yeux trouvent les miens pour ne plus les lâcher.
— Cette vérité-ci est cependant beaucoup plus dure à admettre. Êtes-vous certaine de vouloir l'entendre ?
Je hoche la tête sans quitter son regard.
— Oui.
Il expire lentement et ferme les yeux une seconde. Une seconde de trop, qui rompt la magie et me rend ma concentration. Enfin, tout est relatif, puisque mes yeux glissent malgré moi le long de sa mâchoire pour se poser à la naissance de son torse ; son corps recouvert de tissus trop bien reproduit par mes souvenirs.
Sa voix me fait revenir au sujet qui nous préoccupe.
— Vous vouliez savoir ce que représentait le tatouage que Sûm et moi portons. Il vous faut avant tout savoir que chaque personne qui se bat pour notre cause porte le même.
Leur cause ? Mon froncement de sourcils ne perturbe pas Kaylan, qui continue :
— Une étoile noire. Symbole de notre objectif : celui de continuer à les faire briller.
L'idée me semble un peu contradictoire, mais pourquoi pas.
— Vous connaissez le mythe du Démon d'Obscurité, je présume ?
Je me retiens d'éclater de rire à cette question. Je referme ma bouche juste à l'instant où j'avise son air si sérieux.
— Qui ne le connait pas ?
Il acquiesce, plus par réflexe que par réel intérêt pour ma réplique, sans doute.
— Ce que vous ne savez probablement pas, en revanche, c'est que certaines personnes cherchent à le faire renaître.
Je manque de m'étouffer avec ma propre salive.
— Personne ne ferait ça !
Mon cri m'a échappé. Le regard de Kaylan se fait plus dur.
— C'est ce qu'on veut vous faire croire, en effet.
— Il n'y a rien à faire croire, puisque c'est un mythe comme tu le dis si bien !
Sa froideur apparente contraste avec le mélange d'émotions qui m'assaille.
— Toutes les légendes, tous les contes, toutes les histoires se basent sur la réalité, n'est-ce pas ?
Sa réponse me fige. Se doute-il un seul instant que ce sont ces pensées qui m'ont fait tenir pendant si longtemps ? Impossible. Même Mayleen l'ignore.
— Cela ne veut pas dire qu'elles la constituent entièrement.
— Certes.
Kaylan, qui s'était penché en avant, se redresse en retenant une grimace. Sa mâchoire se crispe mais il ne laisse rien paraître de la douleur qui l'a saisi.
— Les légendes sont faites de réalité. L'inverse est un peu moins vrai, quoique pas tout à fait faux. Regardez simplement le mythe des âmes-sœurs.
— Celui-ci est fondé sur des arguments valables et visibles.
Ma réponse ne le déstabilise pas un seul instant.
— Ah oui ? Et qu'est-ce qui vous fait dire que ce n'est pas le cas du Démon d'Obscurité ?
Je lui adresse un sourire suffisant.
— Parce qu'on ignore d'où il vient. Il est apparu un jour, sans qu'on n'en connaisse la raison et sans qu'aucune cause ne l'entraîne.
— Faux.
Kaylan a-t-il donc toujours réponse à tout ? Son air trop calme et sa façon de répondre comme s'il savait tout mieux que moi commence à m'exaspérer.
— C'est seulement ce qu'on a voulu vous faire croire.
— Dans ce cas, vas-y, dis-moi. Raconte-moi la vérité puisque tu sembles la connaître si bien.
Je le défi du regard, sachant très bien que cela ne sert à rien. Son implacabilité est trop tenance.
— Le Démon d'Obscurité est une création du Grand Mage. Celui-là même qui l'a détruit pour faire entrer son nom dans la légende. Dans l'Histoire avec un grand H. Un mage qui n'a sans doute pas apprécié que son nom soit rayé du Conseil et a trouvé une vengeance à la hauteur de sa perfidie.
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Ici, on construit des mythes pour les détruire et avoir des discussions pleines de piques avec ses protagonistes... 😌
Vous vous attendiez à ça ? Vous pensez que ces nouvelles informations vont faire changer d'avis Aaliyah ? Réponse au prochain épisode !
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