Chapitre 18
Ma réponse a d'abord surpris Kaylan. Il a mis un moment à comprendre que j'étais tout à fait sérieuse, même si ma demande m'a moi-même surprise. Quelle meilleure façon de connaître quelqu'un qu'en découvrant l'endroit où il se sent le mieux ?
Kaylan m'a guidée à travers le dédale de tentes, me jetant de rapides coups d'œil de temps à autres, comme en espérant que je change d'avis. Cependant, même si j'en viens à me demander si c'est vraiment une bonne idée à mesure que les tentes se raréfient, je ne reviens pas sur ma décision. Kaylan a conscience que s'il veut gagner ma confiance, il ne peut pas refuser ma demande. C'est également pour moi une façon de vérifier ses véritables intentions.
À mesure que nous nous éloignons du centre du camp, le paysage se vide et les dernières traces de vie humaine disparaissent. J'en viens à me demander si nous ne sommes pas sortis du camp.
Soudain, Kaylan s'arrête et je fais encore quelques pas avant de m'en rendre compte. Lorsque je me retourne vers lui, il me dit :
— C'est ici.
Ici ? Je fais un tour complet sur moi-même sans distinguer plus que le vide à perte de vue. Le sable du sol trop sec vole sur mes pieds alors qu'un léger vent se lève et le ciel démesurément bleu n'en finit plus de s'étendre.
Kaylan doit percevoir mon trouble car il ajoute :
— Bien-sûr, ce n'est pas le bon moment.
Le regard qu'il me lance me conforte dans ma décision. Je sens dans ses yeux une peur nouvelle : celle de se dévoiler.
Je fais un pas dans sa direction et souffle :
— Et quel est le meilleur moment, dans ce cas ?
Son regard glisse le long de mon visage et s'arrête juste au-dessous de mon menton.
— La nuit. C'est ici que l'on voit le mieux les étoiles, loin des lumières et des bruits du camp. Ici, il n'y a que le silence. Aucun devoir à accomplir. Juste les étoiles et moi pour les contempler.
Il détourne son regard vers l'horizon vierge et j'en profite pour le scruter attentivement. Une mince estafilade, cicatrisée depuis longtemps, longe sa mâchoire. En plissant les yeux et aidée par le soleil, j'en distingue des dizaines d'autres, trop minces pour être remarquées au premier coup d'œil.
— Que regardez-vous ?
Je sursaute. Il me fixe à nouveau, en ayant cette fois retrouvé son assurance habituelle.
— Cela ne vous suffit-il pas de me laisser dans le silence après que je me suis ouvert à vous ? Avez-vous également besoin de me dévisager comme un inconnu ?
— Ce n'est pas-
Il ne me laisse pas finir et soupire :
— Laissez tomber. C'était stupide. Ce n'était certainement pas ce que vous attendiez de moi. Je vous présente mes excuses. Rentrons au camp.
Ses mots me laissent pantoise. Est-ce donc ainsi qu'il me voit ? Qu'il se voit ? Croit-il à ce point que ce qu'il pense n'a aucune importance aux yeux des autres ?
Je ne devrais certainement pas m'en faire pour lui, pas me sentir si impliquée auprès de ses pensées. Surtout, je ne devrais pas autant désirer apprendre à le connaître.
Il commence à s'éloigner, sans même se retourner pour vérifier que je le suis.
— En fait, je comprends.
Kaylan s'arrête net.
— Je vous demande pardon ?
Il ne s'est pas retourné entièrement, mais je sais son attention portée sur moi alors je laisse les mots franchir mes lèvres :
— Quelque part, on est coincé dans un rôle depuis toujours instillé par le regard des autres. Lorsqu'on se retrouve seul, c'est un instant de liberté à la fois terriblement effrayant et tout à fait grisant. Le seul moment où toutes nos perceptions ne sont pas influencées par les autres autour de nous. L'unique temps durant lesquels nos paroles, nos actes et nos ressentis ne sont pas décryptés par des dizaines de regards. Et la nuit nous permet de dissimuler au reste du monde l'obscurité qui se trouve au fond de nous.
Cette fois, c'est Kaylan qui reste silencieux. Durant mon discours, il a fini par se retourner tout à fait face à moi. Il me fixe à nouveau, d'une façon bien trop profonde pour me laisser de marbre. Mon cœur bat trop vite dans ma poitrine, tandis que le fil invisible qui me relie désormais à Kaylan me semble tirer trop fort.
Je détourne les yeux avant lui et la sensation s'estompe en un instant. Je hais ce lien.
— Je n'aurais pas dit mieux. Vous avez une façon de manier les mots tout à fait spectaculaire, Aaliyah.
Je me fige. C'est la première fois que je l'entends prononcer mon nom et dans sa bouche, il est si... Stop. Je m'oblige à détourner mes pensées. Hors de question de jouer à ce jeu-là.
— Rentrons. Il fait trop chaud.
Je le dépasse à grandes enjambées, le laissant sciemment hors de ma vision. Je n'ai pas menti, il fait trop chaud. Seulement, je ne sais pas si c'est uniquement la faute du soleil.
Alors que nous nous approchons du centre du camp, Weylin déboule devant nous.
— Salut les tourtereaux !
Je mentirais en disant qu'il m'a manqué.
— Alors, on est allé faire quoi loin des oreilles indiscrètes ?
Son clin d'œil appuyé dans ma direction fait soupirer Kaylan.
— Weylin, va donc chercher des ragots ailleurs, nous sommes occupés.
L'intéressé s'esclaffe.
— Quoi ? Vous ne voulez pas m'inclure à vos jeux ? Je suis un adulte aussi, vous savez !
Il fait un pas vers nous mais titube et fini par s'écrouler par terre, incapable de retrouver son équilibre, sans que Kaylan ou moi n'esquissions le moindre geste.
Vu l'odeur infecte dégagée par l'énorme rot qu'il lâche au moment de toucher le sol, je parierais qu'il a un peu trop abusé sur la boisson.
Kaylan grimace et se pince le nez.
— Je lui ai déjà dit de ne pas boire plus d'un verre par jour, mais il n'écoute rien. C'est pire qu'un gamin. Vous voyez pourquoi je refuse de tomber enceinte de cet idiot.
La réplique provient de Nephtys, qui apparaît à côté de nous pour relever son âme-sœur. Décidément, ces deux-là n'ont vraiment rien en commun.
— Besoin d'aide ?
Nephtys secoue la tête pour refuser ma proposition. Avec adresse, trahissant des mouvements savamment répétés, elle accroche le bras de Weylin à son cou et attrape sa taille.
— Quand il est comme ça, il a tendance à dire tout ce qui lui passe par la tête. Je ne conseille ça à personne. Surtout pas à toi. Je ne voudrais pas te faire fuir à cause d'un crétin pareil.
Kaylan n'esquisse pas un geste et observe Nephtys s'éloigner tant bien que mal en soutenant son compagnon peu collaboratif. De mon côté, je lui adresse un sourire d'encouragement et me félicite intérieurement de ne pas avoir hérité d'une âme-sœur comme la sienne.
Kaylan et moi nous apprêtons à repartir à notre tour lorsque la voix d'Alora résonne :
— Ah, Kaylan ! Je te cherchais.
Kaylan étant plus grand que moi, elle ne me distingue pas tout de suite et semble surprise de ma présence. Elle incline tout de même la tête et je lui réponds de la même façon. Décidément, nous croisons tout le monde aujourd'hui.
— Alora.
Kaylan salue sa consœur avec un déférence que je n'avais pas encore saisie chez lui.
— Je souhaiterais t'entretenir de l'affaire qui nous occupe en ce moment.
Le regard de l'ainée glisse sur moi.
— En privé, si possible.
Kaylan lui adresse un hochement de tête.
— Un instant.
Il se tourne vers moi et demande :
— Souhaitez-vous toujours rentrer chez vous ? Si c'est le cas, je peux vous faire raccompagner dès à présent. La route sera longue, mais vous serez de retour chez vous tôt demain matin à l'aube.
Je lève le regard vers le ciel. Le bleu éclatant s'est assombri et il me semble que les heures sont passées trop rapidement depuis ce matin. Il n'est pas si tard, mais c'est la seule excuse que je trouve pour ne pas avouer ce que je pense vraiment :
— Non. Il est tard, je préfère voyager de jour. Si ça ne vous ennuie pas.
Kaylan hoche la tête et je crois percevoir une lueur de soulagement dans ses iris. Après m'avoir saluée, il s'éloigne avec Alora et leurs murmures s'échappent bientôt hors de ma portée.
La vérité, c'est que je n'ai pas envie de rentrer dans la ville que j'ai habitée toutes ces années. Cet endroit commence à me plaire et, si j'ose me l'avouer, je m'attache de plus en plus aux gens qui m'entourent.
Seul le visage de Mayleen, incrusté dans ma rétine, menace de me faire changer d'avis.
~~~
Voilà enfin un chapitre où Kaylan accepte de se dévoiler un peu ! Il lui en a fallu du temps à ce bougre, ça ne va pas être facile xD
Je suis sûre que ce serait un très bon joueur de poker en même temps 🤔
Sans parler du duo Weylin / Nepthys qui me fait toujours mourir de rire 😂
La bise !
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