-- Chapitre 3 - réécrit
Elle pénètre l'antichambre et emprunte une longue série de marches qui s'enfoncent plus loin sous les fondations de la capitale themysienne. Chaque marche lui à la pression des pieds de la visiteuse dont la descente l'amène devant une arcade ouvrant sur une salle plongée dans un noir abyssal. Son approche de l'arcade active la lente illumination des murs de la grande salle ainsi que d'étranges pilonnes régulièrement disposés.
* * *
Simon dépose ses affaires sur son bureau après avoir salué les collègues qui terminent leur garde de nuit. Le rapide clapotis des gouttes de méthane qui s'abattent sur les volets est encore plus assourdissants dans les locaux aériens de la police. A peine prend-il place sur sa chaise que la sonnerie de son téléphone résonne à réveiller les morts qui dorment quelques niveaux plus bas dans les tiroirs de la morgue. Le lieutenant sursaute et décroche au plus vite.
« Taylor j'écoute, énonce-t-il machinalement.
- Monsieur Taylor ?
- Oui, que puis-je pour vous.
- Je suis inquiète. Ma fille n'est pas rentrée hier soir.
Une explosion de sanglots trop audibles le fait écarter l'écouteur du combiné de son oreille en grimaçant.
- Pouvez-vous d'abord me dire qui vous êtes ?
- Oui... pardon, répond la femme. Je suis Mallaury Colbert.
- D'accord. Et comment s'appelle votre fille ?
Le lieutenant entend comme un grognement étrange que même un animal en souffrance ne pourrait pas faire, rapidement suivi par un barrissement étouffé dans un mouchoir, puis la femme lui répond.
- D'accord. Pouvez-vous me l'épeler ?... F... R... E... E... Y... A. D'accord. Freeya, comme la déesse scandinave sur Terra ?
De nouveaux sanglots explosent à l'autre bout du fil. Simon a l'impression que cet appel dure depuis une éternité et laisse échapper un soupir d'exaspération.
- Non monsieur Taylor, dit enfin la femme pris d'énervement. Mon mari et moi voulions l'appeler comme sa grand-mère... Mais les autorités nous l'ont interdit. Alors nous avons dû déformer l'orthographe du prénom...
- D'accord, madame Colbert. Je comprends. Ne vous énervez pas, s'il-vous-plaît. Dîtes-moi plutôt pour quelle raison votre fille était sortie hier et pour quoi on doit s'inquiéter de son absence.
- Elle devait passer du temps à la bibliothèque de son école pour préparer un examen de fin de semestre. Je crois qu'il s'agissait de géothermologie... ou de fluidique quantique appliquée... ou alors de psychohistoire. Ecoutez, je ne sais plus très bien quelle matière elle devait réviser.
- La matière n'est pas ce qu'il y a de plus important à l'heure actuelle. Devait-elle vous appeler après ses révisions ?
- Oui... en effet. Elle devait appeler à la maison pour que mon mari ou moi allions la récupérer... Mais elle n'a jamais appelé. Mon mari est allé la chercher à la bibliothèque et... et... elle n'y était pas...
Nouvelle explosion de sanglots entrecoupés de grognements étranges. Simon pose le combiné sur son épaule et jette un œil alentour. Ses collègues de la nuit sont partis et ceux de la journée arrivent petit à petit. L'effluve du café arrive quant à elle à ses narines, lui donnant presque l'envie de raccrocher au nez de cette femme désespérée par le manque de nouvelles de la part de sa fille.
- Ecoutez, madame Colbert. Que diriez-vous que l'un de nos agents passe vous voir dans la matinée afin d'enquêter sur l'absence de votre fille ?
- D'accord... Mais à condition que ce soit vous...
- Pourquoi ?
- C'est bien vous qui avez résolu l'affaire des sœurs Heliott ?
- Euh... je ne...
- Merci monsieur Taylor. Mon mari et moi vous attendons. »
Simon n'a pas eu le temps de démentir. Quel étrange appel. Il reste hébété sur sa chaise quelques secondes avant de se lever et se diriger vers la source de cette odeur de café qui lui chatouille les narines depuis un petit moment.
Quand il revient à son bureau le mug plein à ras bord du lixiviat caféiné, il y voit un dossier aussi volumineux que l'encyclopédie sur les coléoptères du mont Dunistareh qui occupait une place de choix dans la bibliothèque de son père, grand amateur de la faune et de la flore themysienne. Il prend place à nouveau sur sa chaise en espérant que le téléphone ne sonne pas. Il ne peut s'empêcher de marquer une pause et de le regarder pratiquement une minute durant. Un léger cliquetis venant de sa montre le fait reprendre son activité initialement prévue, à savoir vider son mug et consulter ce dossier.
Jamais il n'avait vu une chose pareille : une banque pillée par des androïdes armés jusqu'aux dents... enfin façon de parler... puisque les androïdes en question n'ont pas de bouche mobile et donc pas de dents... Une des choses les plus troublantes n'est pas seulement les androïdes, mais la banque qui a été attaquée : la Central Themys Bank. Celle-là même où presque tous les habitants de la planète ont leurs comptes. La première banque ouverte sur Themys lors de la création du système économique local et indépendant de Terra.
Le lieutenant referme le dossier et le fixe en se perdant dans ses pensées jusqu'à ce qu'un bruit sur le montant de sa porte de bureau le fasse revenir à la réalité. Simon lève les yeux et voit son supérieur dans l'encadrement de porte.
« Bonjour chef, que voulez-vous ?
- Je vois que vous avez parcouru ce dossier.
- Oui. Et qu'attendez-vous de moi ? Je vous rappelle que je ne peux pas quitter ce bureau.
- Oui, je le sais. Mais votre expertise pourrait être utile même depuis ce bureau. Et puis, vous avez une nouvelle coéquipière qui arrive ce matin. Elle pourra se charger de l'enquête sur le terrain.
- Euh... d'accord...
- D'ailleurs, Simon, vous devriez vous raser un peu. Cette barbe n'est pas du meilleur effet.
- Euh... oui capitaine. J'y vais de suite.
- Attendez. Avant de vous laisser, je dois vous avertir que j'ai eu un appel de la part de SupChronics.
- Que veulent-ils ?
- Il semblerait que leur secteur juridique demande des explications au sujet de la détention de leurs créations.
- Vous voulez dire que les robots qui ont fait le coup à la CTB ont été conçu par SupChronics ?
- Oui. Ils m'ont aussi envoyé un très long courriel que je viens à peine de terminer de lire dans lequel ils expliquent le travail attendu de l'agent en charge de l'enquête.
- Vous voir en discuter avec moi ne préfigure rien de bon pour moi. Pourtant, il est fait mention dans ce dossier que les robots ont fait plusieurs victimes, dont deux qui sont décédées. L'une sur place, et l'autre peu de temps après alors qu'elle était en salle d'opération.
- Oui, je suis au courant. Le témoignage des agents qui sont intervenus coïncide avec ce que les caméras de sécurité ont filmé.
- Vous ne trouvez pas que les pontes de SupChronics exagèrent ? J'ai déjà le sentiment qu'il y a anguille sous roche. Capitaine, je demande l'autorisation de ne pas être en charge de cette enquête.
- J'aimerai exaucer votre souhait. Mais ces mêmes pontes ont expressément demandé à ce que vous preniez l'enquête en main.
- Mais... on ne peut pas les laisser décider comme ça !
- Désolé Simon, j'ai les mains liées sur ce coup-là.
- Bon d'accord. Mais je dois aussi enquêter sur la possible disparition d'une jeune fille. J'ai reçu un appel de sa mère il y a quelques minutes. Elle était très inquiète. Je dois la rencontrer plus tard dans la matinée.
- C'est noté. Mais retenez que l'affaire de la banque est votre priorité.
- Bien chef. Puis-je aller me raser ?
- Oui bien sûr. A plus tard, Simon. »
Le capitaine Fitzgerald retourne dans son bureau d'un pas traînant.
Simon a du mal à digérer ce qui vient de se dire. Aux dernières nouvelles, ces machines humanoïdes sont supposées obéir aux lois de la robotique édictées par leur concepteur. Alors pour quelles raisons ces machines ont-elles commis ce crime ? Simon n'arrive pas à comprendre la situation et souffle d'exaspération. Il se sent vraiment dépassé. Depuis qu'il lui à télécharger la véritable recette, le seul androïde qu'il peut supporter est son HAL2001 qui lui fait ce délicieux cappuccino tous les matins avant de partir au boulot.
Six heures moins le quart. Il est censé rencontrer sa nouvelle partenaire dans très peu de temps. Son regard se porte sur la fenêtre de son bureau et voit les premiers rayons de lumière de la journée profiter d'une accalmie pour effleurer le sommet de la Centrale. Cette immense tour abrite à son sommet ni plus ni moins que la source du dôme de protection qui englobe la ville. Tout ce qu'il sait à son sujet est qu'il est la conception phare de SupChronics. Décidément ! Ils sont de partout, se dit-il. S'approchant de la fenêtre, son reflet apparaît et lui montre la barbe de deux jours qui lui a valu une remarque de la part de l'Ours. Il prend alors son rasoir et se précipite dans les sanitaires pour hommes.
Une dizaine de minutes plus tard, il retourne à son bureau avec le sentiment d'un travail bien fait, mais surtout avec la peau du visage qui respire enfin l'air frais. De loin, il voit une femme blonde, grande et élancée, discuter avec l'Ours. Le déclic ! C'est sa nouvelle partenaire. Il se dépêche et vérifie rapidement s'il est présentable en vérifiant l'état de son nœud de cravate, sa chemise et sa veste qu'il rajuste rapidement d'un geste sec.
Il entre dans son bureau. Le capitaine et la nouvelle se tournent vers lui.
« Ah ! Simon ! Où étiez-vous bon sang ? Cela fait plus d'une demi-heure que nous vous attendons.
- Ah bon ?
Simon est quelque peu surpris. Il ne comprend pas. Il lui semblait qu'une dizaine de minutes seulement s'était écoulé.
- Ce n'est pas grave. Je vous présente mademoiselle Katelyn Masson. Elle nous vient directement de l'académie.
- Euh ... enchanté de faire votre connaissance Katelyn.
- Le plaisir est pour moi monsieur, fait la jeune femme. J'ai beaucoup entendu parler de vous.
- C'est... vrai ?... lui retourne un Simon décontenancé.
- Oui. J'ai étudié toutes vos affaires notamment celle des sœurs Heliott. »
Simon a du mal à comprendre. Quelles affaires ? D'aussi loin qu'il s'en souvienne, il a presque toujours travaillé derrière ce bureau. Pourquoi tout le monde semble d'un coup le lier à l'affaire Heliott qui défrayait les chroniques il y a de ça quelques années ?
« Euh... vous devez sans doute vous...
- Simon, arrêtez de faire le modeste, fait l'Ours, aidez-là à s'installer et rejoignez-moi dans mon bureau une fois que vous aurez fini.
- D'accord chef », répond le lieutenant.
L'Ours sort du bureau et le voilà seul avec cette belle femme blonde dans son bureau, enfin... leur bureau ! Dehors, l'orage reprend de plus belle et les lames inclinées des volets de l'immeuble se baissent à nouveau pour protéger les vitres qui ne sont étrangement pas conçues pour résister aux pluies acides. Le doux spectacle qui s'offrait à Simon il y a dix minutes ... ou une demi-heure, il ne sait plus, a complètement disparu pour laisser place au déchaînement des éléments de la nature themysienne.
Simon se retourne vers la jeune femme après une minute passée à contempler les volets baissés et imaginer un temps magnifique à la place de cette tempête qu'il commence à détester. Alors comme ça elle vient juste de sortir de l'académie ? Il commence à faire de l'ordre sur le second bureau en débarrassant les cartons pleins de papiers et vieux dossiers. Katelyn y dépose sa mallette, l'ouvre, et en sort une étrange capsule cylindrique ainsi que toute une flopée de figurines plus colorées les unes que les autres. Simon se demande ce qu'elle compte faire de ces bibelots et la voit les disposer savamment.
« Ah ! Euh... monsieur, j'espère que les figurines sur mon bureau ne vous dérangeront pas ?
- Non, c'est bon. Je n'ai pas l'habitude mais je pense pouvoir m'y faire, lui répond-il. Au fait, que contient cette capsule ?
- Ah ça ! J'y range mon ordinateur.
- Vous voulez dire... un ordinateur comme celui-ci ? Simon lui montre son vieil ordinateur de bureau qui date de l'ère des colons.
- Euh... Non, pas tout à fait. En fait... laissez-moi vous montrer. »
Katelyn prend la capsule et appuie délicatement sur un bouton situé à l'une de ses extrémités. La capsule réagit en émettant un faible halo bleu. Katelyn la positionne ensuite sur son bureau et une grille lumineuse émise par la capsule apparaît sur le bureau. Au bout de quelques secondes, un ensemble informatique semble se matérialiser de nulle part. Simon reste coi.
« Je pense que je dois vous expliquer ce qu'il vient de se passer, fais Katelyn.
- Euh oui, s'il-vous-plaît... je ne suis pas très au fait de la technologie moderne. J'ai déjà eu du mal à dompter mon ordinateur.
- Ce genre de capsules est comme une valise miniature. En appuyant sur le déclencheur situé au sommet, on met en route un processus de décompression et de conversion de données. En fait, on peut faire, sans faire un jeu de mots, une analogie avec l'analogique et le numérique. Vous voyez ce que je veux dire ?
- Pour le moment, oui. Vous me dîtes que cet ordinateur était rangé dans la capsule sous forme de données numériques, c'est bien ça ?
- Exactement. Mais pour cela, il faut d'abord numériser la matière... Malheureusement, je ne connais pas le processus...
- Laissez-moi deviner. C'est SupChronics qui a mis le processus et l'appareil au point ?
- Oui.
- Décidément, ils sont partout...
- Que voulez-vous dire ?
- Vous voyez ce gros dossier sur mon bureau ? Eh bien il s'agit de l'attaque de la CTB par un groupe d'androïdes qui a causé la mort de deux personnes, sans compter les blessés.
- Vous voulez dire que des robots auraient tué des humains ?
- Oui. Toutes les preuves vont dans ce sens. Et pourtant, les pontes de SupChronics ne sont pas satisfaits. Leur secteur juridique va même jusqu'à dénoncer une défaillance du système de surveillance de la banque. Mais là, on parle de la Central Themys Bank ! Il me semble savoir qu'elle est réputée pour avoir le meilleur système de surveillance de la planète...
- Après celui de SupChronics, coupa Katelyn. Je suis au courant... Une enquête approfondie est-elle prévue ?
- Malheureusement... oui. Et devinez qui a gagné le gros lot ? Moi... J'espère que l'Ours empêchera SupChronics de trop nous mettre les bâtons dans les roues.
- L'Ours ?
- Vous l'avez rencontré tout à l'heure, c'est le capitaine Fitzgerald. Vous comprendrez plus tard pourquoi on le surnomme ainsi. D'ailleurs, nous devrions aller lui parler, je le vois d'ici qui tourne en rond dans son bureau. »
Katelyn et Simon sortent l'un après l'autre de leur bureau en direction de celui du capitaine Fitzgerald qui semblait être perturbé par quelque chose des plus inquiétants.
« Au fait Katelyn, j'aimerais qu'on se tutoie et que tu m'appelles par mon prénom. Il n'y a pas besoin d'être formel pour pouvoir travailler efficacement en tandem.
- Oui, vous avez raison m... Euh ! Simon.
Mis à part le vous, c'est déjà un peu mieux comme ça. »
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