Une enveloppe rouge
Mycroft se réveilla brutalement, un goût de fer dans la bouche, dans une pièce qu'il prit au premier abord pour une sorte de cave tant il faisait sombre. Il y avait un bruit de fond régulier, une sorte de roulement puissant qu'il ne put identifier d'abord et qui soudain lui parut très familier.
Je suis au bord de la mer
Et l'absurdité de sa situation le fit presque rire. Il se redressa un peu, essayant de collecter les maigres éléments qu'ils avaient en sa possession pour comprendre de quoi il retournait. Il porta machinalement la main à son cou. Le souvenir d'une piqure lui fit froncer les sourcils.
J'ai appelé Greg. Je me souviens l'avoir appelé. Mais après ?
Le trottoir était venu à sa rencontre, bien plus durement qu'il ni s'y attendait. Il était à genoux. Une nausée violente l'avait saisi. Soudain, le bitume noir était en haut et les lumières des candélabres se trouvaient sous lui.
À moins que cela ne soit le contraire ?
Il se souvint de la sensation d'une main puissante qui l'empêchait de tomber complètement. On lui parlait en français. On l'allongeait sur une banquette de cuir. Et puis plus rien. Maintenant il était là, on l'avait conduit dans cet endroit contre sa volonté, mais pourtant, il était allongé sur ce lit, sans aucune contention. Et quelqu'un, son ou ses ravisseurs, l'avait enveloppé d'une couverture.
Mycroft s'assit sur le lit; sa tête tournait un peu. Il se frotta prudemment la nuque pour découvrir une trace légère qui ne lui faisait plus vraiment mal. Il se tâta les côtes, le ventre, les cuisses. Il n'avait rien. On ne l'avait pas blessé. Il était absolument indemne. On l'avait enlevé; c'était une certitude. Mais on avait pris soin de lui. C'était évident. Il y avait même un verre d'eau posé sur le chevet.
Mycroft se mit debout prudemment et se rattrapa au mur toute proche. Il sentit un léger vertige le faire vaciller et il crut qu'il allait tomber. Mais la sensation disparut rapidement et il se pensa assez fort pour faire quelques pas dans cette chambre sombre, sans fenêtre. À tâtons, presque en aveugle, il fit le tour de la pièce. Un lit, un fauteuil, une petite table composait un mobilier rudimentaire. Une porte se trouvait dans un coin. Il fit jouer la poignée doucement. Elle n'était fermée à clef. Le bruit de la mer était assez assourdissant pour étouffer tous les sons environnants mais Mycroft devinait , à travers la porte, autre chose qu'il ne pouvait pas encore identifier. Il relâcha la poignée prudemment, attentif à ne produire aucun grincement. Les anciens réflexes de terrain revenaient très vite.
Plus tard. Je sortirai plus tard
Pourquoi pensait-il qu'il y avait dans cette pièce sombre dans laquelle il avait été placé contre son gré quelque chose d'incongrument réconfortant ?
Réfléchis, Mycroft Holmes, réfléchis. Pour une fois, mets ce cerveau qu'on dit brillant à ton propre service.
Mycroft se contraignit à revenir s'asseoir sur le lit et à tenter de rassembler dans une tentative désespérée de lucidité ce qu'il comprenait de la situation.
Pourquoi n'ai-je pas peur ?
Le kaléidoscope de ses sensations et de ses souvenirs faisaient lentement sens. Sous le bruit des vagues qui semblaient s'être calmées, il distingua pendant quelques instants des notes de musique qui passaient sous le seuil de la porte et une voix grave qui chantait en français un air qui paraissait un peu ancien. Il distingua alors quelques paroles : « Que serais-je sans toi, qui vins à ma rencontre ... j'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson ...».
Mycroft sentit un tremblement le saisir et machinalement, il attrapa la couverture de laine qui tout à l'heure le recouvrait, la porta à ses épaules et, ce faisant, en respira la fragrance délicate. Il comprit soudain avec acuité pourquoi cette chambre lui paraissait, contre toute attente, accueillante. Il rapprocha le tissu de son visage et huma plus profondément. C'était, il ne pouvait en douter, du vétiver.
Greg
Il ne sut dans l'instant qui suivit ce qui, du soulagement ou de la sidération, devait l'emporter. Mais soudain, plus forte que tout, une vague de colère inouïe le submergea. Il se leva, se dirigea vers la porte, l'ouvrit d'un coup. Ces pensées et ce sentiment de rage ne l'empêchèrent pas de remarquer immédiatement une silhouette tapie dans un coin d'ombre, assise au fond d'un fauteuil. Il ne put éviter un léger sursaut lorsque l'homme se leva et s'avança vers la lumière, posant sa liseuse et ses lunettes. Le diplomate, tout de même stupéfait de l'audace de ses kidnappeurs, se trouva face à un visage qui lui parut presque familier, illuminé par un magnifique sourire.
"Bonjour, M. Holmes. Mon nom est Gabriel, mais je vois que vous n'êtes pas surpris...Mon cousin m'a dit qu'avant que je puisse vous parler, vous sauriez sans doute déjà où vous êtes et qui je suis. Il ne se trompait pas. Mais il ne se trompe jamais une fois que sa conviction est faite. Bon. Vous avez un coin cuisine, un coin salle de bains et il y a tout ce qu'il faut si vous avez faim ou soif. Vos affaires...
Mais Mycroft, sous le coup de la colère froide qui l'avait envahi, le coupa brutalement :
-Puis-je savoir ce qui vous a pris à tous? Vous vous rendez compte que vous êtes complices d'enlèvement avec franchissement d'une frontière, de séquestration, que sais-je encore... -car nous sommes en France, n'est-ce pas ? Dans votre maison d'enfance ? Greg m'en avait parlé il y a quelques temps déjà, mais là n'est pas la question, parce que je vous garantis que lorsque je serai rentré chez moi, tout le monde, je dis bien tout le monde, cher monsieur, devra répondre de ses actes!"
Devant la situation, Mycroft avait retrouvé toute sa superbe. L'homme effondré depuis plusieurs jours par la rupture amoureuse, déstabilisé temporairement par le lieu et la personne restés un instant inconnus, avait laissé la place à l'habitué des jeux de pouvoirs qui n'avait pas l'intention de se laisser dicter sa conduite. Le ton glacial, le visage tendu et le regard acéré en aurait effrayé plus d'un. Mais son interlocuteur, visiblement prévenu, ne se laissa pas impressionner.
-Greg m'avait averti que vous risquiez de ne pas être très content, mais au vu de ce qu'il m'a expliqué, vous n'aviez guère le choix... Vous pouvez jeter un oeil à ce dossier -il désigna une liasse posée sur un meuble-, les photos et les autres documents vous montreront le genre de personnes qui vous suivaient depuis quelques jours. Et ce n'est pas tout, mais il vous faut voir ça vous-même, et Greg doit vous parler de certaines choses, aussi. Il est sur la plage, au bout du chemin. Il va revenir. Vous êtes libre de vos mouvements, naturellement, même de rentrer en Angleterre, mais je doute que le comité d'accueil y soit très sympathique..."
Le visage de Gabriel se fit plus sérieux, le ton un peu plus solennel.
"Il n'a pas entrepris tout ça à la légère, vous savez...Je connais mon cousin, on est bien d'accord que c'est une tête brûlée, mais il ne se fixe pas ses objectifs au hasard, et vous savez sans doute comme moi qu'il est extrêmement obstiné pour les atteindre. Je vous laisse, parlez-vous avant de décider quoi que ce soit."
Gabriel sortit après lui avoir laissé un jeu de clés, et Mycroft se laissa aller à la colère en frappant le dossier d'un coup de poing rageur. Greg avait planifié son enlèvement avec son cousin français, et surtout avec l'aide d'Anthea. Il ouvrit pourtant le dossier et poussa un long soupir à sa lecture. Il y avait les éléments liés aux dangers menaçant sa vie, ainsi que des papiers d'identité au nom de deux personnes inconnues mais comportant sa photographie sur l'un et celle de Greg sur l'autre. Il trouva aussi des documents concernant des transferts d'argent de leurs comptes bancaires vers ceux de leurs nouveaux alter ego. Greg et Anthea avaient eu raison pour le danger immédiat, évidemment, mais de là à organiser tout cela, sans même lui en parler? Il aurait fait son affaire de ce tortionnaire! Et qu'avaient-ils prévu à ses dépends pour la suite? Visiblement, il ne s'agissait ni plus ni moins que d'une fuite où n'avait nullement son mot à dire. Inconcevable. Inadmissible. Il allait régler cela. Le plus tôt serait le mieux. Son coeur sauta dans sa poitrine quand il aperçut au milieu de divers papiers, une enveloppe rouge dont il ne connaissait que trop bien le contenu. Mais au moment où il allait la saisir, il entendit le bruit d'une moto au-dehors et, quelques instants plus tard, la porte s'ouvrit lentement. Dans l'encadrement, les cheveux ébouriffés par le vent, apparut Gregory Lestrade, un sourire incertain aux lèvres. Il resta immobile quelques instants sur le seuil, puis s'avança vers Mycroft, un sourire désarmant aux lèvres.
- « Ah, tu es réveillé... C'est très bien. Comment te sens-tu, mon amour ? »
Le ton n'était pas des plus assurés, mais le regard était franc. Mycroft lut immédiatement les intentions de Greg, comprit ce qu'impliquaient les choix de cet homme terriblement obstiné, devina surtout l'amour jamais disparu. Pourtant, il se raidit, se composa le visage le plus fermé qu'il put et adopta le ton le plus froid qu'il était possible.
« Alors comme ça on est en France ? Tu m'as drogué, tu as décidé, tout seul, de m'emmener sans autre forme de procès, de me soustraire contre ma volonté à tout et à tout le monde ? Les actes dont je dois répondre devant des juges, mon travail, mes collègues, mon frère, rien de tout cela ne compte pour toi ? Ma vie t'importe donc si peu ? »
Bien sûr, Greg s'attendait à une réaction de cet ordre-là. Bien sûr, il avait préparé tout un argumentaire pour, espérait-il, faire entendre raison à Mycroft. Mais les derniers mots transpercèrent son coeur, coupant net toute réflexion ordonnée. La colère le submergea, et l'explication calme et posée qu 'il s'était promis d'offrir ne fut rapidement plus qu'un lointain souvenir. Il ôta sa veste et s'approcha en quelques enjambées rapides de Mycroft qui resta parfaitement immobile.
« Tu veux qu'on parle des décisions prises par un seul pour tout le monde? Tu veux vraiment qu'on en parle ? »
La voix de Mycroft, cinglante, claqua dans la pièce, tel un couperet.
- « Peut-être, oui, parce que celle-là, je ne crois pas qu'elle soit la meilleure, vois-tu ? »
-« Vraiment ? Tu ne penses pas que j'ai eu comme la sensation de ne pas vraiment avoir d'autre choix? Parce que pour ce qui est de ta vie, tu sais, je n'en donne pas cher si tu continues comme ça! Le problème, ce n'est pas seulement les seconds couteaux qui convoitent ta place ou les barbouzes à qui tu as mis le holà quelquefois. Encore que, pour ton information, il y en avait encore un après toi l'autre soir , à Londres près du Bussey ! La voix de Greg se cassa alors qu'il poursuivait. Mais est-ce que tu réalises que ça fait des années que tu meurs à petit feu à cause de tout ce qui te la pourrit, ta vie? Et qu'est-ce que tu crois que ça me fait, à moi, d'assister à ce spectacle quasiment tous les jours depuis que j'ai compris? »
Mais Mycroft rétorqua d'un ton glacial :
-« Tu ne comprends rien, justement ! Pour le coup, je crois que c'est bien moi qui n'ai pas de leçons à recevoir sur la façon de contrôler sa vie ! J'ai des responsabilités, figure-toi ! Je ne sais pas pour toi, mais en ce qui me concerne, je ne peux pas tout envoyer promener comme ça ! »
Cette fois, les mots eurent l'effet inverse. Greg se sentit envahi par une immense tristesse à la vue de l'homme qu'il aimait. Un observateur inattentif aurait eu l'impression que Mycroft n'avait pas bougé d'un iota, mais un regard amoureux ne pouvait manquer la crispation soudaine des doigts et le léger tremblement de la lèvre inférieure.
-« Mais tu le voudrais, n'est-ce pas? Tu te rends compte, quand même, de tout ce que tu essaies de contrôler, au détriment de ta propre santé...pas seulement physique, Mycroft...depuis tout ce temps? A la limite, ça n'a presque pas changé depuis qu'on a commencé à sortir ensemble...Toujours cette tristesse au fond de tes yeux, quoi qu'on fasse, même quand je te serre contre moi, même quand on fait l'amour... Toujours cette impression que tu es en sursis, que tu ne peux jamais laisser de côté un instant ton frère, ta soeur dont je ne pouvais pas deviner l'existence mais qui dévorait bien la tienne, ton travail où tu dois garder un œil sur tout le monde et faire tes choix impossibles sur ce qui fera le moins de morts entre deux options aussi intenables l'une que l'autre... »
-« Greg, s'il te plaît, arrête ... », tenta Mycroft, d'une voix sourde.
Mais Greg était lancé, et c'est d'une voix maintenant hantée qu'il continua :
- « Non, pas maintenant... Je ne crois plus à ce que tu me racontes, là. C'est peut-être présomptueux de ma part, mais tu dois le savoir, j'ai cette quasi-certitude que dans le fond tu veux vivre, et aussi que tu m'aimes et que tu veux continuer avec moi. Vivre, mon amour...faire des projets - et j'en ai, pour nous, des projets, tu sais...voyager, repartir à zéro, faire ce qu'on aime vraiment... On peut, mon chéri...-" - tous les deux, ne pas être d'accord, rediscuter, s'engueuler peut-être, recommencer, et s'aimer toujours plus... Je crois que tu as compris que c'est toujours ce que je veux, et peu m'importe le prix à payer... Et si je me trompe, eh bien cela n'a pas plus d'importance que ça, parce que ce que je voulais d'abord et avant toute chose, c'est t'arracher à ton monde de morts et de spectres. Peu importe que tu m'en veuilles, qu'à cause de ce que j'ai fait tu ne veuilles plus entendre parler de moi, j'aurai au moins essayé ça. Il doit y avoir par ici des papiers pour reprendre le ferry vers l'Angleterre, tu peux repartir, mais j'ai tellement peur que tu en meures, mon amour... ».
Greg avança encore, posant sa main sur le bras de Mycroft et cherchant son regard. La tristesse, le vide...La froideur polaire avait disparu, pourtant... Mais il n'y eut aucune étincelle, aucun mouvement. D'un geste rapide, et alors que Mycroft n'avait rien vu venir, saisissant l'enveloppe rouge qui était restée en évidence sur la table, Greg fit demi-tour, reprit sa veste et sortit en claquant la porte. Ecoutant la moto s'éloigner, Mycroft se trouva à nouveau seul, et ce fut avec la plus grande difficulté qu'il se ressaisit. Sa première idée fut de se mettre à la recherche de ces documents dont Greg lui avait parlé. Repartir... Il s'approcha d'une pile de dossiers posée sur un meuble.
Sois honnête, Mycroft. Tu cherches juste ce papier pour rester concentré sur quelque chose, il ne faut pas que tu penses à ce qu'il t'offre, c'est impossible, ce n'est pas pour toi, mais tu...
Perdu dans ses pensées, Mycroft prêta à peine attention au son d'une voiture dont le moteur ralentissait à l'extérieur.
Les portières avant claquent, deux passagers. Pas besoin de se demander qui...
On tambourina à la porte, et on n'attendit pas d'y être invité pour entrer. Un long manteau, un désordre de boucles brunes et un sac jeté n'importe comment virevoltèrent soudain autour de Mycroft.
- « Salut, frangin! Il était vraiment si urgent que tu révises ton français ? »
John suivait de près, comme d'habitude, un sourire chaleureux aux lèvres et la main déjà tendue en guise de salut.
Mycroft ferma les yeux
Oh Seigneur, comme si j'avais besoin de cette tornade maintenant ...
Il réalisa que son frère continuait à tourner autour de lui en le regardant sous toutes les coutures.
-« Mais tu m'as l'air en forme, dis-moi ! C'est que ça te réussit quand on te force à dormir un peu, j'y penserai à l'occasion... », jeta Sherlock, l'air faussement moqueur.
John, entré à la suite de Sherlock, était jusqu'alors resté silencieux. Il savait bien que le détective, même si la menace du chirurgien était écartée, n'en demeurait pas moins profondément inquiet, du tour que prenaient les événements. Dans le même instant, il se dit que Sherlock n'aurait peut-être pas l'occasion de tester cette méthode sur son frère avant un bon moment, et qu'il ne voulait décidément rien entendre de cette histoire.
Ce n'est même plus qu'il ne comprend pas ce qu'il y a entre entre eux...ce n'est pas possible qu'il ne le comprenne pas après ce que nous...il ne veut simplement pas en entendre parler, il a peur de perdre son frère...
- « Sherlock... »
Le détective fit comme s'il n'avait pas entendu et continua :
- « Ton cher Lestrade s'est affolé un peu vite, on a neutralisé toutes les menaces ou presque! On va aller trouver ta petite camarade Alicia et lui expliquer que Moran fait des siennes en essayant de t'envoyer du monde, elle va nous régler ça en moins de deux, je suis sûr! Elle n'a certainement pas envie que toute la presse se mette à en parler...Tu sais où est ton policier préféré? Préviens-le qu'il peut faire vos valises et rentrer! Frérot ! Tu m'écoutes? Vous n'avez tout de même pas l'intention de partir en cavale pour le restant de vos jours ? »
Les yeux de Mycroft semblèrent soudain s'éclairer, et un léger sourire se forma même sur ses lèvres. Il regarda son frère, droit dans les yeux :
- « En cavale? Non, je serai un mauvais fugitif, j'aurais trop mauvaise conscience à l'idée que les lois de mon pays me reprochent en permanence de m'être soustrait à elles. Et Greg...Comment puis-je lui demander d'envoyer aux quatre vents tout ce en quoi il a cru toute sa vie? »
-« Ah! Tu vois, John, triompha Sherlock en se tournant vers le médecin, je connais bien mon frère, pour finir ! Allez, si on retrouve rapidement ton soupirant, on peut attraper le train de... »
L'air profondément absorbé, presque rêveur, Mycroft continua, sans tenir compte des mots de son frère. Il semblait presque se parler à lui-même, comme si c'était lui qu'il cherchait finalement à convaincre.
- « Et pourtant, il l'a fait...il est prêt à ce qu'on abandonne tout, et qu'on recommence une vie qui serait la nôtre, cette fois... »
-« Arrête avec ça, Mycroft, prononça lentement Sherlock qui sentait déjà sa gorge se nouer à ces propos. Tu as toujours eu le choix de ta vie et de tes actes, et tu sais très bien que tu as pris beaucoup de décisions juste pour toi, pour assurer ta position là où tu es, et certainement pas parce que tu y étais obligé... »
A ces mots, Mycroft ne put s'empêcher de rétorquer :
- « ...Et bien sûr, il ne te vient pas à l'esprit que pour pouvoir veiller sur tout le monde, il fallait que je... Oh, ça suffit, j'ai eu cette conversation des dizaines de fois avec les parents...et de toute façon, tu n'as plus besoin de tout ça - et Eurus non plus, d'ailleurs. Je crois que tu peux être fier du chemin que tu as parcouru, et tu n'es plus seul pour le poursuivre, n'est-ce pas ? »
- « Mycroft ... »
Sherlock ne remarqua pas que John s'avançait vers lui tandis que Mycroft poursuivait :
-« Et Greg me dirait sans doute que je veux faire face à des lois qui ne m'ont pas protégé, qui ne nous ont pas protégé depuis le début de tout ça. Il a des doutes sur la vie et les combats qu'il a choisis...Il en a toujours eu un peu avec les marchandages qu'il voyait dans la police, mais depuis qu'il connaît le monde qui est le mien... »
Le détective coupa brutalement son frère. Il semblait à la fois perdu et presque en colère :
- « Et qu'est-ce qui vous protègera, après? Et c'est quoi de toute façon, cet « après » que vous envisagez ? C'est un moment, le temps que tout se calme? C'est pour toujours ? Mais enfin, à quoi tu penses ? »
Sherlock crut que sa perception de la réalité était définitivement altérée lorsqu'il vit les yeux de son frère s'embuer de larmes alors qu'il secouait légèrement la tête:
- « Qui aurait cru que de nous deux tu serais un jour la voix de la raison? Et que j'aurais le plus grand mal à l'écouter ... »
- « Mais qu'est-ce que tu racontes, appelle Greg tout de suite ... »
Sherlock avait haussé la voix et saisi son frère par l'épaule. John s'approcha à son tour.
-« Sherlock...laisse-le décider ... »
- « Mais décider quoi, John ? Il n'y a pas de choix à faire, on rentre ! »
- « Bien sûr que si, il y a deux solutions ! Ce n'est pas simple, mais il doit choisir, et il doit choisir seul ! répliqua John, la voix soudain plus impérieuse, en posant sa main sur le bras de Sherlock pour l'éloigner doucement de son frère. Il sentait le détective vibrer de frustration et d'incompréhension mêlées. Ce fut Mycroft qui reprit alors la parole, l'air soudain plus déterminé.
- « Merci, John, mais je crains que vous n'ayez tort. Je n'ai pas réellement le choix, en effet, si je veux continuer à vivre...Pas à cause des menaces directes, de Moran,... qu'Alicia et les autres seront obligés de surveiller, bien sûr, mais de tous ces fantômes...Tout le sang sur mes mains alors que je ne le voulais à aucun prix, toute la souffrance que j'ai causée...Il faut que je vive avec ça, et moi seul, je ne peux pas... » La voix de Mycroft s'était faite plus sombre et plus basse. « Je mourrai, tu sais, Sherlock, avec ces spectres qui me poursuivent, qui s'attacheront où que j'aille au moindre de mes pas... En devenant quelqu'un d'autre, peut-être...quelqu'un de meilleur, enfin j'essaierais, cela deviendrait possible, je crois... Je n'ai pas d'autre choix que d'y croire...En devenant cet autre moi-même, ailleurs, qui sait si je ne porterais pas mieux le poids de toutes ces fautes? Et surtout...je ne serais plus seul... Je le sais déjà, j'aurais un tel soutien pour porter ce fardeau... »
- « Et toi qui m'as toujours dit que... » , coupa Sherlock, surpris de cette confession à laquelle il ne s'attendait pas.
- « ...que se préoccuper des autres ne donnait aucun avantage? L'une de mes plus grandes surprises de ces derniers mois, tu peux me croire, a été de découvrir que je m'étais trompé à ce sujet...C'est avec stupéfaction que je me sens reprendre ces forces qui commençaient, je te l'avoue, à me manquer, jour après jour, près de lui... Alors voilà, je... »
- « Tu veux aller le retrouver? Et si on a négligé quelque chose? S'il y a encore quelqu'un au MI-5 qui...c'est bizarre que nous n'ayons aucune nouvelle d'Alicia, tout de même... Et tout le reste? Tu es prêt à tout envoyer aux quatre vents, alors ? » Et il y avait comme une sorte de désarroi dans le ton de Sherlock.
- « Je n'aurais pas dit ça il y a quelques heures, mais oui, je ne peux l'être davantage, mon cher frère... Ne vous inquiétez pas, nous reviendrons ici tous les deux dès que possible, mais ce ne sera pas pour préparer un retour à Londres... »
Interdit, sans pouvoir esquisser le moindre mouvement, Sherlock regarda son frère passer son manteau et se diriger vers la sortie.
- « Mais tu ne sais même pas où il est allé ... »
- « Bien sûr que si, je le sais... ou ...je l'ai compris ..."
Mycroft sourit à son frère en refermant lentement la porte.
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Greg avait abandonné sa moto sur un chemin qui menait aux dunes et qu'il connaissait depuis toujours. Il l'avait tellement parcouru avec Gabriel quand ils étaient jeunes. Leurs premières cigarettes, leurs premières amours, leurs fous rires, leurs rêves ... Mais aujourd'hui, c'était en larmes que Greg s'étaient dirigé vers la plage. La mer grise, toute proche, était presque montée à la hauteur des dunes et des hautes herbes salées. Épuisé, Greg se lova dans un creux de sable, abrité du vent et des embruns. Il sortit de sa veste l'enveloppe rouge qu'il avait glissée dans la poche et la posa à côté de lui. Il avait l'esprit vide et ne pouvait détacher son attention de cette enveloppe que lui avait remise Anthéa, avant de quitter Londres.
- « Vous auriez dû l'avoir au moment de votre dîner à Dartford, lui avait-elle dit. M. Holmes m'avait demandé de l'aider à en choisir le contenu...et après...tout ce qui est arrivé, il voulait que je la détruise. Je n'ai pas pu. Elle est à vous, depuis le début », avait-elle ajoutée en baissant la voix.
Greg ferma les yeux. Quels étaient les mots que Mycroft avait préféré lui écrire, ceux dont il savait qu'il n'était parvenu à prononcer ?
Mais à ce moment précis, il ne put ouvrir l'enveloppe rouge , la remit dans sa veste et les larmes jaillirent à nouveau, dans un flot continu, sans se tarir. Elles s'écoulaient sans discontinuer et il avait beau, d'un geste rageur, frotter ses yeux, elles revenaient sans cesse, comme l'expression du désespoir qui l'avait saisi au moment où il avait laissé Mycroft dans la maison de son enfance.
C'est fini. Comment avons-nous pu en arriver à cet effroyable gâchis ?
Il avait cru qu'il allait pouvoir le convaincre. Il avait cru qu'il allait pouvoir l'apprivoiser.
Mycroft, mon oiseau sauvage.
Il se morigéna lui-même. Quel fou il avait été ! Il comprenait maintenant que son entreprise avait été vouée à l'échec avant même n'avoir commencé. Il avait été le seul à rêver cet avenir à deux, loin de tout ce qu'ils avaient pu être auparavant, l'un et l'autre. Il avait été le seul à croire qu'ils pouvaient recommencer. Jusqu'au bout, devant Mycroft, il avait fait face mais maintenant qu'il se retrouvait seul, il avait abandonné sa garde, et comme le ressac de la mer à jamais en mouvement, ses larmes allaient et revenaient sans s'arrêter.
Progressivement cependant il se calma. Le vent était tombé. Il faisait presque tiède à l'abri de la dune. Recroquevillé dans un creux un peu plus profond qu'un autre, il commença, comme un gosse, à faire glisser le sable entre ses doigts. Il ne voulait plus penser. Il s''était juste réfugié dans la douceur infinie de ce sable blanc du nord. Sans avoir conscience vraiment de ce qu'il faisait, à genoux, il se mit à creuser à mains nues ce qui ressemblait aux douves des châteaux qu'ils construisaient avec Gabriel pendant leurs vacances d'été. Une muraille suivit bientôt, puis une autre. Une tristesse immense nouait sa gorge; il avait l'impression d'étouffer. Mais il continuait sa tache, avec une espèce de rage et malgré les sanglots qui le secouaient de temps à autre, le château s'élevait, tourmenté et bizarre, aux tours déjà abolies par le sable qui ne cessait de glisser.
Je suis pathétique
Qu'avait-il devant lui, comme avenir ? se prit à songer Greg. L'idée d'un futur sans Mycroft lui était inconcevable... Revenir à Londres ? Faire amende honorable ? Retourner au Yard tous les matins ? Il en était désormais incapable. Greg se leva et contempla son œuvre de sable qui commençait déjà à s'affaisser.
Voilà à quoi ressemble ma vie
Détournant ses yeux, il fit quelques pas vers la mer qui continuait de monter dans un mouvement inéluctable. Il regretta soudain de ne pas avoir son appareil photo avec lui pour pouvoir saisir l'instant précis où le flot vient mouiller le rivage et mouler des formes étranges sur le sable sec. Les couleurs étaient parfaites. Du vert étonnamment clair et surtout un gris intense et irisé.
Regarde-moi, Myc, je veux voir tes yeux quand tu te donnes à moi.
C'était cela maintenant sa vie ? Plus jamais, il ne verrait les yeux gris de Mycroft s'assombrir au moment du plaisir partagé ? Une douleur brutale lui vrilla la poitrine. D'une voix rendue rauque par les larmes versées, il se mit à fredonner, sans y songer, les paroles de cette ancienne mélodie française qu'il aimait tant, qu'il chantait souvent et que Mycroft avait fini par savoir par cœur lui aussi.
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre Que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant
Alors qu'il répétait sans fin les deux premiers vers en regardant la mer, il sentit, bien qu'aucun bruit ne l'eut prévenu, bien qu'il était à mille lieues d'imaginer qu'il n'était pas seul face à cette mer immense, bien qu'il pensait confier son désespoir aux vagues dans le plus grand secret, une voix murmurer dans un souffle à son oreille et répondre avec douceur, en fredonnant aussi :
J'ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j'ai vu désormais le monde à ta fa ç on
Il n'eut pas besoin de se retourner et resta face à la mer. Mycroft l'enlaçait déjà et dévorait de ses lèvres sa nuque. Greg se sentit attiré, enserré par des bras puissants qui l'empêchaient presque de respirer. La fragrance de bergamote, si douce, si familière l'enveloppa et, de nouveau, des larmes jaillirent sous ses paupières qu'il avait maintenant fermées, attentif seulement à la chaleur de l'étreinte dans laquelle il désirait, plus que tout, se perdre. Il chancela sous la force de l'émotion qui, comme les vagues recouvrant maintenant la plage, le submergeait, le laissant plus incertain que jamais.
Des paroles qu'il ne comprenait pas bruissaient, indistinctes, autour de lui. Tels les essaims d'oiseaux sauvages assourdissent le rivage, telles les paroles de Mycroft l'encerclaient dans une caresse infinie. Progressivement, le silence se fit en lui. Il sentit les lèvres chaudes s'appuyer longuement sur sa nuque dans un baiser plus intense. Un mot, un seul parvint à sa conscience.
- « Greg ... »
- « Ne dis rien de plus, je t'en supplie », murmura-t-il. Il s'arracha à l'étreinte et il se retourna enfin vers Mycroft. Ce dernier avait dû quitter la maison brusquement, car malgré le vent et la fraicheur, il n'avait pas de veste et les rafales s'engouffraient dans sa chemise blanche. Il avait le souffle court, comme s'il avait couru jusqu'à la plage. Au moment où il allait reprendre la parole, Greg souffla, la voix basse.
-« Alors comme ça, tu es venu...tu es là... contre vents et marées . .. ? »
Comme Mycroft restait silencieux, Greg, les yeux rougis, s'éloigna de quelques pas. Le bas de son jean était trempé par l'eau qui avait monté sur la rivage. Il semblait perdu et frissonnait violemment sous la morsure du vent. La mâchoire tendue à l'extrême, les poings serrés, il faisait face à Mycroft à quelques pas de lui.
Mycroft se rapprocha alors de Greg. Il prit ses deux mains dans les siennes et l'attira vers lui, comme s'il craignait que Greg soudain ne se dérobe. Leurs regards ne se quittaient plus. Celui de Greg portait une interrogation douloureuse, chancelante, insupportable. Celui de Mycroft révélait désormais une assurance absolue.
J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson
Quand Greg fut à ce point si proche que Mycroft pouvait entendre le souffle de sa respiration, alors il osa lui lâcher les mains et glissa les siennes sous sa chemise. Sa main rencontra alors l'enveloppe rouge, toujours cachetée, que Greg avait gardée contre son coeur. Un sourire interrogateur traversa son regard; il reprit l'enveloppe et murmura :
« Plus tard, ensemble ... »
Ses mains glissèrent vers les hanches de Greg et le tinrent, immobile. Les paroles devenues inutiles, leurs lèvres se trouvèrent, d'abord hésitantes, cherchant dans une caresse légère un espoir encore fragile. Ce fut Mycroft qui, le premier, entrouvrit sa bouche et permit à Greg de venir plus intimement, avec une force grandissante. Il pouvait encore goûter les larmes salées qui avaient coulé sur son visage.
Greg ... J'ai tout appris de toi, comme on boit aux fontaines
En un instant, ils ne furent plus qu'un enchevêtrement de bouches, de caresses, de lèvres, de baisers, de mots indistincts. Ils se tenaient plus étroitement enlacés qu'ils ne l'avaient jamais été, leurs hanches soudées. Leurs mains étaient partout, comme s'ils se découvraient une première fois, avec fièvre, dans une incohérence brûlante qui les submergeait l'un et l'autre.
Ce fut Greg qui, le premier, à bout de souffle rompit leur étreinte. Silencieux, il entraîna Mycroft et, quittant l'extrême bord du rivage, le mena vers les dunes, vers ce château de sable charmant, aux tours maintenant de guingois. Mycroft s'agenouilla tout près. Ses doigts trouvèrent un coquillage fragile qu'il plaça de travers sur un des donjons qui menaçaient de s'écrouler.
Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne
Il attira Greg vers lui dans un mouvement avec une douceur infinie, sans plus le quitter du regard. Sa main trouva sous la chemise entrouverte par le vent le chemin du coeur et s'y posa, puissante et totalement sereine.
- « Tu ne me l'a dit qu'une seule fois, à Dartford tu sais, Myc ? », murmura alors Greg.
Mycroft ne répondit pas tout de suite mais un sourire espiègle éclaira soudain son visage.
« ...Dit quoi, mon amour ? »
- « Tu es ... tu es ... incorrigible, Mycroft Holmes », reprit Greg, la voix encore chancelante.
Mycroft se rapprocha davantage encore et dans l'oreille, comme s'il allait lui glisser un secret par eux seuls partagé, quand soudain, venu de nulle part, le vrombissement de l'hélice d'un hélicoptère se fit entendre au-dessus de leurs têtes. Il ne leur fallu qu'une seconde pour comprendre.
- « On dirait que les choses sérieuses vont commencer. Les chiens de garde du MI5 débarquent », cria Mycroft pour couvrir le bruit assourdissant qui les enveloppait, alors que des jets cinglants de sable produits par le rotor les frappaient maintenant de tous cotés.
Deux agents lourdement équipés se tenaient sur les patins, prêts à sauter dès qu'ils en auraient la possibilité.
- « Pas question de nous laisser rembarquer vers Londres, hurla Greg en pointant son arme vers le ciel pour faire diversion, on sait pourquoi vous êtes là, mais on ne part pas avec vous. On part seuls, libres, et tous les deux, ou on ne part pas ! Aucun de nous deux ne veut plus jouer à vos jeux sordides ! - Ils ne nous lâcheront pas. Vite, ma moto est par là, lança-t-il alors à Mycroft. Suis-moi, continua-t-il en montrant le chemin par lequel il était arrivé un peu plus tôt.
En un instant, Greg avait enfourché sa moto, l'avait démarrée. Il répéta, d'une voix tendue par l'urgence.
- "Vite, Myc, vite".
D'un coup d'accélérateur brutal, il lança la moto à une allure folle en zigzaguant à travers les dunes; l'hélicoptère avait repris un peu d'altitude quand le pilote avait compris la manoeuvre de Greg, mais restait cependant très près des deux fugitifs. La force du rotor produisait d'immenses gerbes de sable qui semblaient enfermer la moto dans un piège sans issue. Mycroft, à l'arrière, haletait lourdement. Sa respiration rapide brûlait le cou de Greg, qui maintenant, conduisait la moto à une vitesse encore plus folle entre les hautes dunes herbeuses.
- « Greg ... Greg ... ? hurla Mycroft ... Arrête, arrête ... tu vas nous ... »
Mais le policier donna un coup d'accélérateur supplémentaire.
- « Tiens-toi, Myc, on va les semer ... » Mycroft aurait juré qu'il y avait presque de l'allégresse dans la voix de Greg.
Mon amour ... Espèce de fou...
Sur la plage, ce n'était plus qu'un chaos de sable, de bruit et de vent. La moto virevoltait dans les dunes tandis que l'hélicoptère se rapprochait, dardant son museau vers le sol, le train déjà sorti, les deux agents prêts à bondir.
Mycroft, serré étroitement contre Greg sentait le coeur du policier battre à tout rompre tandis que lui-même balançait de tous côtés pour épouser les mouvements fous de la moto.
- « Nous y voilà , cria soudain Greg.
Un dernier virage en épingle auquel il avait contraint l'hélicoptère désormais en rase-motte avait soulevé une gerbe de sable encore plus épaisse épaisse. Mycroft entendit alors comme un bruit sourd au dessus-d'eux. Le sable s'était engouffré dans les grilles d'entrée d'air de la turbine et le rotor s'était brusquement arrêté. Tournant la tête vers l'arrière, Mycroft vit que le pilote était contraint de poser en urgence son appareil; les deux agents avaient eu beau sauter au moment où l'hélicoptère se posait, ils étaient déjà distancés alors que Greg accélérait de nouveau et que la moto disparaissait derrière une dune plus haute qu'une autre. A une allure encore plus rapide, tournant brusquement le guidon, Greg quitta alors la plage pour rejoindre une petite route goudronnée et, durant ce qui paru être une éternité à Mycroft, il lança son engin droit devant, sans jamais se retourner. Il avait juste saisi les mains de Mycroft qui enlaçaient sa taille, et l'avait attiré plus étroitement encore vers lui, plaquant durement son dos contre sa poitrine.
Ils furent soudain, sans que Mycroft ne l'eut vraiment saisi, le long d'une autre plage, au fond d'un creux abritée par quelques dunes plus hautes. De frêles esquifs se balançaient, accrochés à leur bouée, à peine éclairés par les dernières lumières du jour qui commençaient à tomber. Greg ralentit la moto et s'approcha près d'une bâtisse silencieuse et solitaire, à laquelle s'accrochait un petit ponton flottant. Presque à l'arrêt maintenant, il poussa du pied une porte branlante à l'arrière du bâtiment et les fit entrer.
Le silence qui les enveloppa, une fois la moto éteinte, fut plus assourdissant encore que le vacarme effroyable qui les avait laminés depuis que l'hélicoptère s'était lancé à leur poursuite. Toujours silencieux, Greg prit la main de Mycroft qui vacillait en descendant de la moto, et d'un doigt posé sur sa bouche, en lui faisant le signe de se taire, il l'entraîna vers une porte au fond du garage vers la pièce principale du bâtiment.
C'était en toute évidence un club de voile. Des cordages, soigneusement enroulés, occupaient toute une partie de l'espace tandis que des embarcations d'enfant étaient alignées en face de la porte principale qui donnait sur l'avant, vers la mer. Un parfum de sel et de corde embaumait ce lieu endormi. Il y avait des trophées posés sur une étagère et des fanions qui attestaient la fierté des victoires passées. Une bannière « Coupe franco-britannique, Août 1980 », un peu poussiéreuse était accrochée à l'un des murs, comme la trace jamais oubliée d'un été glorieux. Le règlement du club et des régates trônait sur un comptoir dans un cadre de bois surmonté des drapeaux français et anglais, qui se faisaient fièrement face. « Que le meilleur gagne, dans le strict respect des lois de la voile » : telle était la devise du club inscrite au-dessus de la porte du hangar.
- « C'est là que tu faisais de la voile avec Gabriel, lorsque tu étais enfant », n'est-ce pas ? murmura Mycroft, sa main toujours étroitement tenue par celle de Greg, brûlante, sous l'effet de la poursuite mortelle à laquelle tous deux venaient d'échapper.
- « Mon brillant Mycroft, toujours égal à lui-même ... » chuchota Greg en le regardant, sans finir sa phrase, les yeux rieurs.
- « Et c'est là que, à douze ans, tu lui as révélé que tu serais policier au Yard parce que tu mettais les règles, l'ordre et la loi plus haut que tout ... je me trompe peut-être ? »
- « Tu es incroyable, Myc ... Oui, plus haut que tout sauf ... toi » et il l'attira vers lui dans un baiser ardent. « Personne ni rien ne t'enlèvera à moi. » Ce fut comme un refrain, une promesse de certitude quand Mycroft répéta « Ni personne ni rien ne t'enlèvera à moi non plus, tu le sais maintenant ».
Tous deux frissonnaient encore, dans l'ivresse de ce moment où ils avaient échappé à leurs assaillants. Leurs yeux allaient et venaient sur les voiles, les cordages, les ancres de marine, tandis que leurs deux coeurs commençaient à battre au rythme des vagues toujours recommencées. Ils se retrouvaient seuls et traqués, ils le savaient, mais cela leur importait si peu à côté des horizons qui s'ouvraient maintenant devant eux, et vers lesquels ils voulaient, c'était une certitude désormais, davantage à se lancer. L'effervescence de la poursuite courait dans leurs veines et ce fut dans un mouvement incontrôlable qu'ils se jetèrent l'un contre l'autre, leurs bouches se cherchant avec frénésie et passion. Mycroft le premier commença à déshabiller Greg qui avait chancelé sous l'ardeur de ses caresses. En un instant, ils se débarrassèrent de leurs vêtements qui leur étaient devenus une entrave insupportable. Ils se laissèrent glisser, maintenant nus l'un contre l'autre, sur un ballot de voiles, dans un désordre réciproque de lèvres qui allaient partout, et qui, chaudes et soyeuses, effleuraient les parties les plus intimes de chacun. Greg surmontait son amant. Dans un souffle, il lui demanda de s'offrir à lui plus complètement encore et, comme Mycroft acquiesçait, l'enveloppa tout entier de sa bouche brûlante. Il avait agrippé les hanches de Mycroft, qui allaient et venaient, de plus en plus vite, de plus en plus fort, heurtant le fond de sa gorge. Il eut soudain comme une supplique presque désespérée.
- " Arrête Greg , je ... , pas tout de suite ... encore ... je ... ".
Mais les derniers mots moururent dans sa gorge parce que Greg l'embrassait de nouveau sur ses lèvres et que lui, avait glissé sa main, entre eux deux, pour le prendre et caresser l'endroit le plus sensible. Greg laissa aller un gémissement quand il sentit les doigts de son amant s'enrouler autour de lui et enfonça plus durement encore ses hanches contre Mycroft, en leur imposant une friction et un rythme délicieux.
- " Myc, je peux te toucher ... plus ... ? demanda alors Greg. Sa seule réponse fut les jambes de son amant qui s'ouvrirent pour lui, dans un geste si amoureux que Greg faillait perdre le contrôle de lui-même. Brûlant de désir, il se glissa en lui avec le plus de douceur que sa fougue ne pouvait en ménager à ce moment précis.
- Ca va ... ? s'assura-t-il en regardant Mycroft.
Les yeux de ce dernier s'étaient assombris sous la force des vagues de plaisir qui montaient en lui à chaque poussée un peu plus forte de Greg. Chaque mouvement de hanche, chaque élan les faisaient gémir ensemble davantage. Ils se regardaient avec passion, leurs bouches indissociables. Ce fut Mycroft qui en mordant les lèvres de Greg les amena en même temps au paroxysme de plaisir, dans un cri partagé. Et comme Greg le disait toujours à ce moment-là, encore une fois ce furent ces mêmes mots qui franchirent ses lèvres.
- Je t'aime, Myc ... »
De longues minutes s'écoulèrent avant que ni l'un ni l'autre ne put reprendre son souffle. Mycroft posa alors une pluie de baisers sur le torse de Greg qui le surmontait encore alors que ce dernier avait posé ses lèvres dans le cou de Mycroft sans pouvoir s'en détacher. Greg se dégagea doucement, la respiration encore affolée. Mycroft protesta.
- « Non, reste, s'il te plait, reste ... »
Greg allongé sur le côté maintenant caressait tendrement le torse trempé de Mycroft qui reposait à côté de lui.
- « Je sais ce que tu vas dire ... », murmura Greg, au bout de quelques instants.
- « Ah oui ... ? Et je peux savoir quoi peut-être, espèce de flic-qui-sait-toujours-tout ? demanda Mycroft, amusé.
- « Pas besoin de le dire ..., » chuchota Greg, et il ramena avec douceur en souriant pour lui-même sur son amant un pli de voile pour le protéger du froid.
Sans en avoir conscience, ils glissèrent dans le sommeil, encore enlacés l'un contre l'autre. L'aube réveilla Greg le premier. Mycroft dormait encore, drôlement entortillé dans la voile blanche, s'agitant un peu, sur le point de se réveiller lui aussi. Pris par le froid du petit matin, Greg retrouva ses vêtements abandonnés la veille à la hâte et se rhabilla rapidement. Il prit alors la veste de Mycroft pour l'étendre sur lui quand l'enveloppe rouge glissa au sol hors de la poche dans laquelle elle avait été placée. Greg la saisit lentement. Même froissée, elle était toujours cachetée. Le policier s'assit contre le ballot de toile et regarda l'enveloppe longuement, la triturant entre ses doigts, soudain tremblants. Ses souvenirs le ramenèrent à Dartford, à cette nuit où Mycroft lui avait avoué son amour pour la première fois. Mycroft avait préparé cette lettre pour lui ... Mais maintenant, à l'idée de découvrir ce qu'elle contenait, il avait soudain peur.
- « Et si tu l'ouvrais, s'entendit-il dire à côté de lui. Mycroft s'était réveillé et le regardait tendrement.
Très lentement, Greg décacheta l'enveloppe rouge. C'était une photo d'un voilier qu'il avait prise, un dimanche de septembre où ils étaient allés tous les deux à Brighton. Greg avait su capturer la grâce infinie du bateau qui se rapprochait du rivage. C'était comme la promesse du retour tant espéré après les mois de mer et de séparation, comme l'espérance d'un amour qui allait renaitre à lui-même.
- " Regarde derrière ... continua Mycroft, je ne pensais pas quitter Londres quand je l'ai écrite, mais ça ne change rien ".Greg exhala un soupir profond et retourna la photo. Il découvrit alors quelques lignes que Mycroft avait rédigées d'une main frémissante, pour leur dîner prévu ce soir-là, à Dartford où il avait cru que tout était fini et qu'en un instant, il avait pensé ce plan pour le sauver des griffes qui s'apprêtaient à le détruire, pour le sauver de lui-même, pour l'amener ici dans les dunes de Dunkerque. Greg se mit à lire, le cœur battant la chamade. Et au fur et à mesure qu'il lisait, à travers ses larmes, il sentait la main de Mycroft caresser la sienne avec douceur et il percevait l'assurance de leur amour partagé.
Je veux passer le plus de temps possible avec toi. Je veux m'endormir en ne r e gardant que toi. Je en veux plus voir d'autres yeux que les tiens en me réveillant le matin. Je veux qu'on vive ensemble, là o ù tu le dé cideras.
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