Chapitre 27
Remake de Rocky version Wish
Amélie
Personne ne chante de tout le trajet. Les souvenirs de la veille hantent encore nos esprits, alors le Eminem habituel s'est plutôt changé en Billie Eilish voire en Tom Odell. Ça ne me dérange pas car l'humeur joyeuse n'est pas au rendez-vous. Qui voudrait chanter à pleins poumons une chanson joyeuse quand ta meilleure est au fond du trou ? Pas moi, en tout cas.
***
Après notre nuit agitée par les réveils brutaux et angoissés de Charline, nous avons décidé d'un commun d'accord de raconter le tout à mes parents. De l'avis de Baptiste, ce sont les plus adultes mais surtout les plus avisés à nous aider. Papa n'a rien dit mais a pris Charline dans ses bras. Maman a pleuré avant de se joindre à leur étreinte. Il faut dire qu'ils connaissent Charline depuis autant d'années que moi, c'est presque comme leur deuxième fille alors je n'ose pas imaginer ce qu'il se passait dans leur tête .
Comme j'ai une dernière petite régate avant la semaine prochaine, maman s'est proposée pour s'occuper de Cha' en mon absence, qui n'est clairement pas en état de concourir. Au programme : Mean Girls et pop-corn supplément caramel voire Bridget Jones si le cœur y est. Évidemment, j'aurais largement préféré rester avec elles pour réconforter ma meilleure amie et lui tirer gentiment les vers du nez, mais Baptiste m'a vite rappelé à l'ordre. Je ne peux pas manquer cette compétition. Que je le veuille ou non, elle reste inscrite sur ma page de coureur et ça me fait une différence au classement national.
Alors, à contre-cœur, j'ai abandonné ma meilleure amie aux mains de ma mère qui m'a promis de lui tirer les vers du nez à ma place, et d'aller au commissariat de police si elle le souhaite. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte de la chance d'avoir mes parents.
Baptiste m'a proposé de conduire jusqu'au club des Crevettes Bleues, le nôtre, pour assister à la compétition sans me soucier de mon état psychologique. L'intention m'a touché, bien que son état ne soit pas mieux que le mien.
En arrivant, nous avons joué les meilleurs acteurs. Un sourire par ci, une blague par là, tout roulait jusqu'à ce qu'Achille vienne discuter de la soirée d'hier, remerciant Baptiste de l'avoir organisé. Pas étonnant de voir Livia avec lui, mais rappeler ces dernières heures n'est pas quelque chose à faire pour gagner des points auprès de son beau frère.
— Merci, a-t-il simplement répondu avant de se détourner.
Je les ai suivis et nous nous sommes inscrits. On m'a demandé tout un tas de papier dont je n'en avais rien à faire puis un bon en papier pour prendre une crêpe gratuite à la fin de la régate. À la première occasion, je l'ai donné à un autre coureur.
Mais alors que je me dépêche de rejoindre les conteneurs pour gréer ma voile, Lays m'interpelle quelques minutes. Emmitouflé dans sa salopette rembourrée, il doit crever de chaud sous ce soleil. Il m'explique le parcours de prévu de quelques détails sur ma course pour être plus efficace mais honnêtement je ne l'écoute que d'une oreille. Comme nous sommes plusieurs supports en courses — planche, catamaran, optimist et laser —, le monde afflue de partout et j'ai perdu Baptiste de vue. Je cherche une tête aux cheveux noirs dépassant tout le monde mais rien. En plus, de l'angle où je suis, je ne vois pas l'entièreté de la terrasse où sont réunis les planchistes.
— Amélie, tu m'écoutes ? Je dis ça pour toi, hein, mais ne va pas faire la folle cette fois. Je ne veux vraiment pas que tu te blesses avant la vraie compétition qui importe.
— Oui, oui, excuse-moi Lissandre, je suis un peu distraite aujourd'hui.
— Je vois ça... Quelque chose dont je devrais être au courant ?
Je secoue la tête sans hésiter, même si l'idée de mentir à Lays me déplaît. Mais après tout, ce n'est pas de moi qu'il s'agit mais bien de Charline. Je n'ai aucun droit quant au fait de parler de sa vie à quelqu'un sans qu'elle ne le veuille. J'ouvre la bouche pour le rassurer une dernière fois mais un homme se met à crier vers la terrasse. Comme un seul homme, nous nous tournons vers l'endroit entouré de conteneur pour y voir une troupe de personne avec leurs téléphones brandis en l'air pour filmer quelque chose.
Mon instinct me souffle de courir dans le tas.
Lissandre comme moi avons la même idée et nous précipitons dans la foule, essayant de se frayer un chemin entre les corps d'adolescents qui essayent de filmer la scène. Quand j'arrive à m'extraire au premier rang, ma mâchoire se décroche toute seule. Le nez en sang, Baptiste frappe quelqu'un au sol malgré Sacha qui tente de l'écarter. Figée devant son poing écorché qui se lève pour frapper à nouveau l'homme à terre, Lissandre me pousse pour venir en aide à Sacha. Les deux coachs attrapent chacun un bras de Baptiste qui semble hors de lui, les yeux noirs de rage. Il suffisait que quelqu'un aide Sacha pour que d'autres hommes — coachs ou non — viennent séparer les garçons qui se battent. Un homme de la cinquantaine relève celui qui était à terre, et même de dos, je reconnais ses cheveux bruns un peu longs et son corps fin mais athlétique. Le sourcil explosé tout comme sa lèvre et un méchant coquard à l'œil, Adam se tourne vers moi sans le vouloir. Quand mon regard croise le sien, il sourit.
Ce mec ignoble me sourit de ses dents blanches légèrement ensanglantées.
Je m'avance, ignorant le monde qui filme toujours autour de nous, lève la main et lui donne la gifle la plus violente dont je suis capable. Le visage d'Adam se tourne avec le choc, mais son putain de sourire reste plaqué sur ses lèvres.
Je vais le tuer.
Je m'apprête à frapper de nouveau quand quelqu'un me saisit par la taille pour m'entraîner en arrière. J'essaye de me débattre mais la personne est bien plus forte que moi.
— Lâchez-moi putain, je vais lui faire bouffer ses dents ! crié-je, folle de rage.
— Amélie, arrête de te débattre s'il-te-plaît, je ne te lâcherai pas.
Je reconnais la voix de Lucas, le membre du club Vent d'Ouest, et arrête de me débattre progressivement. Le pauvre n'a rien demandé, ce n'est pas sur lui que je devrais me défouler mais sur l'idiot qui a fait du mal à Charline. Lucas met quelques minutes avant de me lâcher, quand il est sûr que tout le monde est retourné à ses activités mais surtout qu'Adam est loin de moi et Baptiste.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demande-t-il finalement en passant une main dans ses boucles brunes. Je te connais et il en faut beaucoup pour t'énerver autant.
— Ça ne te regarde pas, craché-je en étant assise sur un bloc de béton.
Lucas ne dit rien de plus et se contente de soupirer avant de rejoindre Jocelyn, sa coach, qui discute avec Sacha. Je profite de son inattention pour m'éclipser et chercher Baptiste qui ne doit pas être très loin. Je sens encore l'adrénaline parcourir mes veines et la chaleur dans ma paume de main, souvenir satisfaisant de la baffe à Adam.
Je ne le trouve ni sur la terrasse, ni vers la cale alors je tente l'endroit des inscriptions mais rien. Au milieu de tout le monde, je tourne sur moi-même pour tenter d'apercevoir quelque chose quand des voix que je reconnais se font entendre. Je lève la tête pour observer l'étage de notre club, et sur la terrasse il y a bien Baptiste, Lays et ce que je devine être le comité de course. Ils discutent, non, se hurlent dessus avant que le comité ne rende un verdict et que tout le monde se disperse. Je me dépêche de rejoindre l'un des escaliers pour attendre Baptiste en bas, mais quand ses yeux verts tombent sur les miens, il se détourne. Son nez ne saigne plus, mais sa pommette est légèrement gonflée à cause d'un coup qu'il a dû se prendre. Il essuie sa moustache avec nonchalance avant de me dépasser sans même s'arrêter.
— Tu te fous de moi là ? lâché-je sans comprendre à quoi il joue.
Lentement, il se tourne et dit dans un soupir.
— Arrête Amélie, ne commence pas, ce n'est pas le moment.
— Donc tu te fous bien de moi.
— Toi aussi tu l'as frappé !
— Mais je m'en contrefiche de ça, merde !
Il fronce les sourcils d'incompréhension et regardant rapidement autour de lui mais heureusement, personne ne semble se préoccuper de notre conversation.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé là-haut ? demandé-je en référence au comité et le coach qui discutaient avec lui.
Il ouvre la bouche pour parler avant de se raviser, puis passe une main dans sa nuque en fuyant mon regard, encore une fois. Je m'approche de lui d'un pas lourd, bien remontée en le pointant d'un doigt menaçant.
— Baptiste Lorenzo Antonio Abbelli, tu vas répondre merde !
— Mais comment tu connais mes prénoms ?
— Ce n'est pas la question !
— Ne t'énerve pas...
J'éclate d'un rire sans joie en lui désignant ma personne des deux bras. J'ai vraiment l'air d'être en situation où je ne m'énerve pas ? J'ai toutes les raisons de m'énerver.
— Ils vont suspendre ma licence... dit-il tout bas.
Mon cœur loupe un battement.
— Pardon ? Répète, je n'ai pas entendu.
— Ils vont surprendre ma licence ! dit-il plus fort en serrant les mâchoires.
— Plus fort !
— ILS VONT SUSPENDRE MA PUTAIN DE LICENCE POUR LA FIN DE LA SAISON, T'ES CONTENTE ?
Cette fois, je suis en colère. Je ferme les yeux, inspire un bon coup et serre le poing pour calmer les tremblements qui parcourent mes membres.
— Quand ça ? demandé-je calmement.
— Le plus vite, dans la journée sûrement. Je ne peux plus concourir.
Je ne peux plus concourir...
Ces mots mettent un petit moment à monter à mon cerveau avant que je ne comprenne. Il ne peut plus faire de régate sans licence. Et sans ça, il ne peut pas venir avec moi la semaine prochaine pour tenter d'accéder aux championnats du monde lui aussi. Choquée, je ne trouve pas quoi répondre. La colère que je ressens se mue en inquiétude car depuis des mois maintenant, il est mon pilier pour tenir la cadence. Alors même si Charline revient dans ma vie, elle ne sera pas en capacité de me soutenir et c'est légitime.
— Je suis désolé Amélie, je ne pensais pas que ça irait jusque là... Je voulais vraiment courir avec toi, surtout aujourd'hui mais tu comprends mon point de vue quand même ? Ce type s'est pointé comme une fleur alors qu'il a tabassé Charline hier soir ! Il ne se planque même pas et s'en vante presque ! Il sait qu'elle est avec nous et il me l'a bien fait comprendre avec son sourire à la con. Ce putain de sourire... Je ne pouvais pas le lui laisser sur le visage.
Tout ce que me dit Baptiste rentre par une oreille et ressort par l'autre. Beaucoup trop d'émotions se bousculent dans mon corps pour que je sache comment réagir. Il s'approche de moi en tendant le bras pour prendre ma main, mais je me détourne vivement en levant les yeux sur lui. Il semble vraiment sincère quand il dit qu'il est désolé, mais c'est trop.
— J'ai besoin d'air, soufflé-je en faisant demi-tour.
Baptiste ne dit rien. Il ne cherche pas à me suivre ou quoi que se soit. J'avance rapidement vers la terrasse où les voiles et wishbone volent puis la cale pour sentir le vent dans mon cou, mais surtout pour profiter de l'espace et du peu de personne qui s'y trouve. Tout en bas, j'aperçois les deux tresses caractéristiques de cette idiote de Noémie face à moi. Elle me sourit doucement de sa grosse bouche rouge cerise, mais pas un sourire narguant comme elle en a l'habitude. Non. Noémie me sourit avec toute l'empathie dont elle est capable comme si elle avait tout compris, avant de reporter son attention sur sa planche orange et blanche.
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