Chapitre 21
Marathon Remember Me feat N'oublie Jamais
Baptiste
J'éteins ma clope contre le muret à l'entrée de notre maison, balance tout dans la benne à ordures et prends mon courage à deux mains. Les bras chargés de friandises toutes plus caloriques les unes que les autres, je toque à la porte des Marceau avec un peu d'anxiété.
Quand j'ai reçu un message sur les réseaux sociaux de Charline, j'avoue avoir été un peu surpris. Alors quand je l'ai lu et que j'ai découvert la vraie inquiétude qu'elle éprouve envers son amie, je n'ai pas trop réfléchi. Quoi de mieux après une engueulade qu'un bon film et des cochonneries ? De quoi nourrir Amélie en douce sans qu'elle ne trouve mon comportement bizarre. J'espère.
En vrai, je n'ai pas remarqué de comportement suspect de sa part, mais je me dis que Charline est la mieux placée pour connaître les habitudes de son amie. Alors je m'exécute gentiment.
Sophie, la mère d'Amélie, m'ouvre sans cacher la surprise sur mon visage quand elle me voit. Je cligne plusieurs fois des yeux pour m'adapter à sa tenue flashy puis la salue correctement.
— Oui, bien sûr qu'Amélie est là, me répond-elle après que je lui ai posé la question. Je te préviens, elle est un peu bizarre ce soir, pas très en forme en tout cas.
J'acquiesce et entre quand elle m'y invite, ignorant le sourire qu'elle ne contient même pas. Les parents adorent les ragots, je m'en rends de plus en plus compte.
— Je ne te montre pas où elle loge, il me semble que tu le sais.
— Oui, merci madame Marceau.
— Ma doue benniget ! Sophie ! Mon prénom suffit, tu vas me faire avoir une attaque !
Je la dévisage quelques secondes, incapable de comprendre ce qu'elle vient de me dire mais finis par m'excuser. Décidément, ils sont étranges ces bretons. Je m'éclipse rapidement pour rejoindre la chambre d'Amélie tout en veillant à ne rien perdre de mon butin sur la route. La drôle de porte m'accueille avec ses extravagances si bien que j'ai presque envie de saluer chaque petit papillon qui semble voler dans un ciel rose. Je me retiens et toque à la porte, où j'entends de la musique émaner par le bas. La musique continue même si j'entends plusieurs « boum », un « merde » et quatre « fait chier ». La porte s'ouvre sur une Amélie décoiffée, en pyjama qui se compose d'un short jaune et d'un débardeur mettant en valeur ses seins plus que je n'aimerais mais surtout, elle a les yeux injectés de sang et les pommettes gonflées.
Je montre mes bras chargés de nourriture en essayant d'ignorer son décolleté qui semble attirer mes yeux à cause d'une magie noire, et elle me sourit timidement en me laissant passer.
— Comment tu vas ? demandé-je en allant tout poser sur son bureau.
— Ça va, me ment-elle sciemment d'une petite voix.
Je me retourne, sourcils levés, croise les bras sur ma poitrine et attends. Amélie se tasse sur elle-même, croisant ses jambes avec nervosité. Je sais qu'elle tente de ne pas pleurer parce que je vois ses dents mordre sa lèvre inférieure, légèrement tremblante.
— Amélie, tu as le droit de pleurer, dis-je doucement. Tu étais en train de le faire en plus, j'en suis persuadé.
— C'est faux, continue-t-elle de mentir en évitant mon regard.
— C'est les poneys alors ? C'est vrai que dans ce quartier plutôt loin des campagnes, j'ai croisé au moins six chats qui ressemblaient à de réels chevaux.
Elle lâche sa lèvre pour esquisser un sourire, ce qui me fait immédiatement en faire de même.
— Comment tu as su ? me questionne-t-elle tout doucement en tirant sur son bas pour cacher ses cuisses.
Une part de moi est persuadée qu'elle est gênée que je la vois comme ça. Plusieurs fois elle m'a fait comprendre que son corps n'était pas un sujet très facile à aborder. Quel con j'ai été, la voir si vulnérable me pince le cœur si fort que j'ai envie de la prendre dans mes bras pour la rassurer. Je regrette tellement de lui avoir suggéré cette immondice il y a quelques semaines. Je ne sais même pas si ce n'est pas la plus belle femme que j'ai croisée depuis très longtemps.
Je me mets une gifle mentale pour arrêter de la reluquer comme un putain de morceau de viande, elle est bien plus.
— En fait, je ne vais pas te mentir mais c'est Charline qui m'a envoyé un message. Elle est inquiète pour toi et...
— Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? m'interrompt Amélie d'un ton acerbe.
Étonné, je la dévisage un instant et suis surpris de voir tant de colère dans ses yeux noisette. Droite, tendue à l'extrême, elle a l'air sur la défensive mais aussi très remontée contre sa meilleure amie. J'ai l'impression d'avoir en face la Amélie à qui j'ai volé un bout de tarte.
— Eh bien, elle s'inquiétait parce que tu n'as pas mangé ce midi et elle a vu que je te parle à la voile. Elle se souvient aussi que tu lui aies parlé du voisin con qui s'appelle Baptiste alors elle a fait le lien.
— C'est tout ce qu'elle t'a dit ?
— Oui, c'est tout. Je ne suis pas là pour faire la nounou, je veux juste voir si mon amie allergique aux poneys n'est pas en train de mourir étouffée dans sa morve.
Les épaules de la rose se baissent un petit peu et son air triste refait surface. Je m'approche pour l'enlacer de mes bras, et elle me laisse faire, toute molle. Je passe mes bras autour de ses épaules et elle pose ses mains dans mon dos. Je sens quelques soubresauts, m'indiquant qu'elle s'est remise à pleurer sur mon torse mais je la laisse faire.
Enlacés l'un contre l'autre, personne ne parle et la musique résonne autour de nous. Quand ses pleurs diminuent, je l'entends marmonner les paroles de la musique comme si elle ne pouvait pas s'en empêcher. Je souris doucement et complète avec elle quand mon moment préféré arrive.
— Elle pleut, nous disons à l'unisson.
Surprise, elle s'écarte de moi sans me lâcher, un petit sourire sur ses lèvres humides. J'écarte une mèche rose collée sur sa joue et la place derrière son oreille.
— Tu connais Nekfeu ? demande-t-elle.
— Bien évidemment. Tu n'as toujours pas compris que je connais toutes les chansons de l'univers entier ?
Un léger rire sort de sa bouche et j'en profite pour la libérer entièrement de mon étreinte. Amélie se laisse faire et recule pour essuyer ses joues. J'en profite pour attraper un paquet de gâteaux posé sur le bureau, enlève mes chaussures rapidement et m'élance sur le lit aux draps roses. Je prends une position loufoque, un peu à la Rose dans Titanic, et bouge de hauts en bas mes sourcils ce qui fait un peu plus rire Amélie.
— Bon, qu'est-ce que tu faisais avant que je ne débarque ? Hormis pleurer toutes les larmes de ton corps parce que je te manquais trop.
Amélie se pose contre la tête de lit, visiblement à l'endroit où elle a passé toute la soirée car on dirait un petit nid. Elle attrape une console sur sa table basse et me la tend sans un mot. Je l'attrape et regarde le jeu ouvert puis ma bouche s'ouvre en « o », toute seule.
— Je reviens.
Je me lève, me précipite hors de la maison sous les yeux ébahis de ses parents, retourne dans ma chambre puis reviens en courant vers Amélie. J'ai mis moins d'une minute à faire l'aller-retour et mon état doit être catastrophique pour qu'elle éclate de rire comme ça. J'écarte les mèches noires qui commencent à m'emmerder puis me rassoie où j'étais. J'allume Animal Crossing sur ma console, tout sourire, puis montre à Amélie mon exploit.
— Tu joues à ça, toi aussi ?
— Tu crois que je fais quoi en attendant les remises de médailles en compétition ? J'ai toujours ma Switch dans ma voiture, au cas où. Bon, on mange, on écoute de la musique, et on joue surtout ! Pas une crise de larmes sinon je te prends dans mes bras et tu regretteras.
Amélie attrape la couverture rose qu'elle met sur ses cuisses avec précaution et attrape sa console pour jouer. Je lui lance un gâteau à la figure qu'elle rattrape avec dégoût, mais un regard noir de ma part suffit à la faire changer d'avis. Elle l'ouvre et mord dedans avant d'avaler le tout, une grimace en prime.
— Amélie, dis-je doucement en attrapant sa main pour ne pas la brusquer. Faut que tu manges, qu'est-ce qu'il se passe ?
Les larmes que je ne voulais plus voir se mettent à dévaler ses joues à nouveau. J'essaye de les essuyer avec panique ce qui la fait ricaner mais je suis totalement déboussolé.
— Merde, désolé je ne voulais pas te faire pleurer !
— Ce n'est rien.
Elle s'essuie en continu mais les larmes n'arrêtent pas de couler. Même elle, elle commence à s'agacer de ne pas gérer ses propres émotions. Je serre un peu plus sa main et me retiens de l'enlever quand je reçois une décharge.
Foutue électricité statique.
— Y a des jours où c'est plus dur, arrive à bégayer la rose en riant de honte.
— Comment ça ?
— Bah, j'avais des problèmes avec la nourriture au collège et au lycée, dans le sens où je ne mangeais pas. J'étais beaucoup plus grosse que maintenant et...
— Tu n'es pas grosse, je la coupe avec le visage dur.
Amélie hausse les épaules avec nonchalance avant de poursuivre, s'accrochant à ma main.
— Et parfois ça revient, ça ne passe pas. Je n'arrive pas à avaler quelque chose que ça soit solide ou liquide, j'ai envie de tout recracher ou d'aller vomir, comme si j'avais fait quelque chose de mal.
Je me tais, sentant que ça lui fait du bien de tout déballer à cœur ouvert. Je me doute de la difficulté que ça doit être de se livrer autant à quelqu'un qu'on ne connaît pas depuis si longtemps, mais au fond de moi je suis très touché par son geste.
J'ai des amis, j'en ai déjà eu des plus proches comme les deux guignols en Italie, mais je ne suis pas sûr de mettre autant confié à quelqu'un ou qu'on m'ait confié tant de choses. C'est une première pour moi, et j'avoue ne pas trop savoir quoi faire hormis fermer ma bouche et écouter.
J'ai un peu trouille de dire une connerie aussi, je reconnais.
— Tu vois, quand t'aimes pas un aliment mais que tu es invité quelque part, c'est mal poli si tu ne manges pas ? Ça bloque dans ta bouche, tu prends de l'eau pour que ça passe mais tu sens tout le poids de l'aliment descendre dans ta gorge. Et bah c'est comme ça avec moi. Parfois tout va bien, je me sens bien dans ma peau et tout roule, et y a des semaines comme maintenant où je ne peux pas me voir dans un miroir et je n'arrive pas à manger.
— Il faut quelque chose pour déclencher ça ? demandé-je avec prudence, mettant toute la bienveillance dont je suis capable dans ma voix. Enfin, je veux dire, tu mangeais hier, je veux savoir si j'ai fait quelque chose de mal.
Elle ricane doucement, remonte son regard vers moi et ose enfin me regarder pour de vrai. Je souris légèrement pour la mettre en confiance, mais j'avoue que je ne sais pas trop si c'est une bonne idée. J'ai vraiment peur d'avoir dit ou fait quelque chose de mal.
— Non, tu n'as rien fait de mal. Le pire, c'est que jamais de la vie je ne t'aurais parlé de ça si Charline était à mes côtés. Je me sens mal, ça arrive d'un coup, sans prévenir. Mais surtout, je me sens mal de mettre tant de choses sur tes épaules...
— De quoi tu parles, Amélie ? Si tu crois que ça m'embête de venir te voir parce que tu vas mal, tu te trompes totalement.
Elle retire avec délicatesse sa main de la mienne pour se prendre la nuque à deux mains.
— J'ai l'impression de te prendre en pansement et je déteste ça, avoue-t-elle dans un souffle. T'es arrivé au bon moment, t'as commencé à me parler réellement quand Charline s'éloignait de moi alors que je te détestais ! Tu ne mérites pas d'être pris en pansement comme ça.
— C'est tout ?
Amélie redresse sa tête, surprise de ce que je lui dis.
— Amélie, je le sais très bien, mais je préfère me savoir en pansement plutôt que tu sois seule avec tes idées noires. Pansement n'est pas forcément un qualificatif négatif. Je le sais depuis le début que c'était le cas, tu me détestais et tu t'es laissée attendrir super rapidement. Attention, je ne dis pas que tu as tort, j'ai été con mais je le pense vraiment quand je m'excuse du comportement que j'ai eu. Seulement voilà, je sais. Je ne suis pas aveugle. Et je suis d'accord. En vrai, j'aime bien passer du temps avec toi, même si t'es un peu bizarre de temps en temps. Je n'ai pas réellement d'amis en France pour le moment alors savoir que je peux traîner avec toi le temps que ça durera, c'est ok. On est amis.
Les larmes d'Amélie cessent enfin de mouiller ses joues si bien que j'ai presque envie d'embrasser ses yeux de ce cadeau merveilleux. Elle hoche la tête plusieurs fois comme pour se convaincre elle-même de ce que je viens de dire avant de souffler un bon coup. J'attrape la console qu'elle a abandonné sur le côté, la lui donne et prends la mienne.
— Allez, viens visiter mon île, déclaré-je en lui donnant un coup d'épaule.
Elle remonte son débardeur, replace la couverture qui avait un peu glissé et se décide enfin à rallumer sa console. Je la regarde faire, heureux de la voir enfin sourire un peu.
Amélie attrape un petit gâteau d'une main tremblante, et le mange doucement à son rythme. Je l'ignore pour ne pas lui mettre la pression, et me contente de jouer avec elle toute la soirée jusqu'à ce qu'elle s'endorme vers 22 heures. Comme la dernière fois, je la borde doucement, éteint sa partie de jeu et la musique qui tourne encore. Je ferme le store et la laisse dans le noir, son souffle régulier emplissant la chambre.
Je descends avec précaution au-cas-où ses parents se soient couchés mais ils sont tous les deux enlacés dans le canapé. Leurs têtes se tournent comme un même homme vers moi, et je me sens rougir, gêné. Je les salue brièvement en fonçant vers la porte d'entrée pour éviter cette situation cocasse, mais sa mère m'interpelle. Je me tourne vers elle, main sur la poignée, mais elle ne me dit rien de méchant, au contraire, elle me remercie. Je hoche la tête et quitte la maison, le cœur battant la chamade.
Une clope, il me faut une clope.
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