❧ Chapitre 29 ❧
« Mieux vaut avoir aimé et perdu ce qu'on aime que de n'avoir jamais connu l'amour. »
- Lord Alfred Tennyson
Aydan me rejoint rapidement au pied du lit. Il porte une chemise, enfilée à la hâte tout à l'heure si bien qu'il n'a pas pris la peine de la fermer, laissant ainsi voir la peau nue de son abdomen musclé. Le blanc de sa chemise contraste étrangement avec sa peau noircie par la suie. Après avoir brièvement laissé Cécilia prendre le dessus, me voilà de retour pour dire au revoir à Aydan, mon âme-soeur. Voir seulement la peine immense dans ses prunelles brunes me donnent envie de m'apitoyer de plus belle mais ma volonté de profiter de ce dernier moment avec lui me donne la force de me retenir.
— Comment te sens-tu ? m'interroge-t-il en s'agenouillant auprès de moi, l'air optimiste. Marie-Anne m'a dit qu'elle avait soulagé un peu tes blessures.
— Mieux, dis-je et je le vois soupirer de soulagement. Maintenant que tu es avec moi.
À ces mots, il me sourit et c'est l'une des dernières choses que je veux voir en ce monde. J'ai enfin le courage de formuler l'un de mes souhaits les plus chers :
— Allonges-toi près de moi. Je te veux à mes côtés.
Il me regarde tendrement et opine du chef, résolu à accomplir ma dernière volonté. Il se lève et s'assoit à mes pieds avant de se frayer un chemin jusqu'à moi. Je peux sentir son torse dans mon dos alors qu'il se colle à moi, savourant la proximité de nos deux corps sur le flanc, les jambes repliés. Je prends son bras et l'enroule autour de ma taille. Nos corps s'emboitent à la perfection. Je regarde droit devant moi et me détend grâce à la chaleur rassurante qui se dégage de son corps. Il cale son menton dans le creux de mon cou, me faisant fermer les yeux de bonheur.
— Merci, chuchoté-je.
— J'aimerais tellement rester ainsi pour toujours, toi et moi serrés l'un contre l'autre, murmure-t-il contre ma peau.
— Moi aussi Aydan.
Ma main se referme sur la sienne posée sur mon ventre. Je veux quitter ce monde ainsi.
— Ne me quitte pas Elie, gémit-il soudain, la voix se brisant sur mon prénom, me tordant les entrailles. Je ne supporterais pas de te perdre, pas après t'avoir retrouvé... C'est injuste !
Les mots sont lourds sur ma langue pourtant je trouve la force de les prononcer, pour lui.
— Tu sais...parfois j'ai l'impression que tout ceci, ce voyage en 1920, n'a été rien d'autre que mon purgatoire personnel. Une parenthèse enchantée, merveilleuse que n'a servit que de transition à ma mort. Et si tout cela n'avait jamais eut pour but que de me faire accepter ma mort plus facilement en m'accordant un délai supplémentaire grâce à des amis formidable, un amour parfait et une famille ? Tout ceci n'est peut-être qu'un mirage, une invention de mon esprit pour quitter ce monde plus facilement, qu'en sais-je ?
Les mots buttent sur ma langue mais parviennent tout de même à construire clairement mon idée. Je sens Aydan secouer la tête derrière moi.
— Non Elie, tout cela est bien réel, crois-moi. Sinon, comment expliquerais-tu la réalité des sentiments que j'ai pour toi, de la tristesse qui m'a déchiré le coeur quand j'ai cru t'avoir perdu ?! Je suis certain d'être aussi réel et vivant que tu l'es en ce moment entre mes bras... Ce ne peut être un purgatoire, comme tu dis, car je sais ce que j'ai vécu, ce que j'ai enduré et ce qui m'a permit de faire face : toi. Je t'aime Elie et je sais que ce que nous vivons est aussi vrai et réel que nos peaux qui se touchent à cet instant ou la profondeur de mes sentiments.
Il enserre d'autant plus ma taille de son bras et je ferme fort les paupières pour profiter de ce moment. Il enfouit son visage dans mon cou comme pour humer mon odeur et me serre davantage contre lui pour s'imprégner de ma présence, de la chaleur que je dégage. Je ne veux pas le quitter !
— Je t'aime aussi Aydan, ne l'oublie pas, murmuré-je les yeux grands ouverts cette fois. Je veux que cet amour te permette de tenir et que tu sois heureux une fois que je serais partie. Promets-moi de veiller sur James, Monique, Marie-Anne et Henry !
— Je te le promets, assure-t-il d'une voix claire bien que chargée de larmes que je jurerais prêtes à jaillir. Quand j'aurais empêché ma mort en 1990, je te promets de prendre soin de ta famille jusqu'à ce que je parvienne à te faire revenir.
À la pensée d'Aydan quarantenaire, je souris. Mais ce sourire s'estompe bien vite lorsque je comprend que je ne partagerais jamais plus sa vie, du moins tel que je l'ai fait jusqu'à maintenant. Les deux adolescents que nous sommes aujourd'hui ne se rencontreront plus jamais après ce jour.
— Tu sais si, murmuré-je difficilement, hésitante. Je...je comprendrais si tu voulais partir...
— Non Elie, je ne t'abandonnerais pas, tranche-t-il, sans appel. Je suis là, je ne te laisserais pas !
Je lui en suis reconnaissante et je souris, rassurée. Il s'éclaircit la gorge avant de rompre le silence.
— J'ai souvent rêvé de ce que notre vie aurait pu être si...
Il n'a pas besoin de finir sa phrase, je le comprend. Si tu ne mourrais pas. Mon corps est engourdi, comme anesthésié bien que la douleur se réveille dans mon abdomen et mon ventre. Ce que j'adore être dans ses bras...
— Continues, l'invité-je en fermant les yeux, serrant sa main dans la mienne.
— Nous aurions d'abord visité la France comme je sais que ta famille vient de là-bas, chuchote-t-il d'un air de conteur, son souffle faisant voleter les cheveux sur ma tempe.
— Tu t'en souviens ? souris-je, étonnée, les yeux toujours fermés.
— Bien sûr que je m'en souviens, rit-il. Tout ce qui te concerne est intéressant à mes yeux.
Je m'empêche de fondre à ses paroles : quel charmeur ! Je souris mais cette fois-ci moins longtemps, plus tristement à l'idée de le perdre.
— Paris, la Riviera française : nous aurions pris du bon temps dans les cafés et sur la plage. Puis nous aurions embarqué à bord de l'Orient Express jusqu'à Munich, Vienne et Constantinople où il parait que la nourriture n'a pas son pareil dans le monde entier.
Je ris et je l'entends soupirer joyeusement à ce son.
— Ensuite, nous serions partis pour Londres où je t'aurais fait visiter les galeries d'art, Harrod's -encore à ses débuts- et Buckingham Palace. J'y ai même encore mon logement à Belgravia, nous aurions pu nous y poser et profiter de la vie londonienne. En été, nous aurions visité la campagne anglaise, nous nous serions baigné dans la mer d'une de ces stations balnéaires à la mode sur la côte sud et nous aurions profité de notre cottage dans les vallées verdoyantes au printemps.
À chaque nouvelle idée, les images -ou plutôt les illusions- de notre vie se dessinent sous mes paupières closes. Cette vie aurait été parfaite, avec lui, je le sais. J'aurais tellement voulu le connaitre en 2020 ! Un silence s'abat soudain entre nous, chacun dans ses propres pensées à nous imaginer filer le parfait amour à travers le monde. Soudain, je sens le brun embrasser délicatement ma nuque en s'accrochant toujours plus à moi. Je soupire de bonheur autant que de déchirement.
— Ne pars pas Elie, ne m'abandonne pas, murmure-t-il faiblement, tel un enfant, le visage enfouit dans mon cou.
— Aydan...
Je n'ai que la force de prononcer son prénom. Les syllabes restent coincées dans ma gorge si serrée qu'elle en est douloureuse. Les larmes glissent d'elles même sur mes joues. Mon bras valide trouve immédiatement sa joue derrière ma tête. Il presse sa peau davantage contre la mienne, savourant ce contact.
— Tu sais pourquoi je t'aime ? me demande-t-il soudain sans pourtant attendre de réponse, la résignation dans son timbre grave.
— Je n'ai pourtant jamais rien fait en ce sens, dis-je le plus naturellement du monde. Nos sentiments se sont développés d'eux-mêmes...
— Et c'est pour cela que tu es si merveilleuse Elie : il est si difficile de ne pas t'aimer -et pire-, de te détester. J'ai pourtant essayé lorsque j'ai cru que tu m'avais trahie mais je n'ai jamais pu, se confie-t-il. J'aime ta manière de toujours trop remercier les gens même pour les choses les plus insignifiantes, le courage dont tu as toujours fait preuve face à Northwood ou encore ton ingéniosité face aux problèmes nouveaux. La manière dont tu te mord la lèvre inférieure quand tu es concentrée, ta mine dégoutée quand tu bois de l'alcool ou à la vue du café, rit-il, taquin, la manière dont tu tritures tes doigts lorsque tu es nerveuse. Et j'adore entendre ton rire lorsque je fais une blague... ta petite moue enfantine quand tu dors, la sérénité qui se dégage de ton visage lorsque je joue du piano, la manière dont le soleil pare d'or tes cheveux et tes yeux sous le coucher du soleil... C'est comme ça que je me souviendrais de toi Elie. Tu es la plus belle chose qui me soit arriver dans ma si longue vie...
Je sens plusieurs perles d'eau tièdes s'écraser sur ma nuque et ma joue. Ses larmes auxquelles se mêlent les miennes. Jamais je n'ai entendu pareille déclaration.
— Si tu souffres..., dis-je faiblement, la gorge nouée.
— Je souffres aussi, complète-t-il soudain, ce qui pourtant s'accorde parfaitement à notre situation. Si tu m'aimes Elie...
— Je te donnerais ma vie Aydan, achevé-je le plus naturellement du monde en pensant à ce qui m'arrivera dans quelques minutes.
Le silence nous engloutit. Notre promesse me donne davantage de confiance face à la perspective de mon sort prochain. Cela m'aide à ne plus avoir peur en mon destin. Aydan est là, à mes côtés et rien de mauvais ne peut m'arriver. Mais c'est à ce moment que toute la douleur précédemment enfouie grâce au sort de Marie-Anne se réveille et me submerge. Un spasme secoue mon corps et du sang jaillit de mes lèvres. Aydan sort d'une main tremblante un mouchoir de sa poche et essuie le sang glissant de mes lèvres à ma joue sous l'effet de la gravité. Je n'arrive pas à respirer, à exprimer les mots qui me chatouille la langue. C'est insupportable.
— Pas déjà... regrette-t-il tout autant que moi.
Je serre la main d'Aydan à m'en blanchir les jointures tandis que la douleur prend d'assaut mes muscles, mes os, me transit de froid. Je gémis. Cette souffrance m'apparait comme une vague venant de s'échouer sur mon corps puis, celle-ci se retire et je ne ressens plus rien. Je suis libérée de cette vague. C'est alors cela qu'Aimée à ressentit dans ses derniers instants. Je relâche la main de mon âme soeur, je libère Aydan. C'est d'une voix claire et sereine que je lui promet ceci :
— Nous nous reverrons dans l'au-delà Aydan, je t'y attendrais, à jamais...
Ma vision se trouble, j'expire lentement. Je me retrouve sur le pas de la porte de chez moi. Aydan me quitte sur le seuil tandis que je me jette dans les bras de mes parents à l'intérieur, un immense sourire éclairant mon visage sous la lumière du soleil couchant.
Bonjour à tous ! Voilà le dernier chapitre de Contre le temps : 20's avant l'épilogue ! J'espère qu'il vous aura plus en ce début de vacances d'été que je vous souhaite excellentes !
À bientôt pour la fin des aventures d'Elie,
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro