❧ Chapitre 26 ❧
« Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est trop molle et trop dure ;
J'ai grands ennuis entremêlés de joie. »
- Louise Labé
Toutes sortes de scénario se jouent dans mon esprit alors que la panique me gagne. L'idée folle de supplier Northwood à genou me prend mais je me force à retrouver mon sang froid, je refoule mes larmes. Aydan a besoin de moi.
— Relâchez-le tout de suite, l'avertis-je alors que ma voix se brise sur le dernier mot, arrachant un ricanement à notre ennemi.
— Et que feras-tu sinon ?
— Je jure que je vous tuerais de mes propres mains, crachais-je entre mes dents serrées, toute la haine dont je suis capable reflétée dans mes prunelles.
— Dois-je te rappeler qui d'entre nous a eut l'avantage la dernière fois que nous nous sommes vu ? me nargue-t-il avec un haussement de sourcil accompagné d'un sourire jubilatoire. Je me rappèle encore de ta fine gorge sous mes doigts et de la peur dans tes yeux de...
— Assez ! hurlé-je de rage en m'élançant, les bras en avant, mon attention seulement centrée sur ce monstre avec l'irrésistible envie de lui lacérer le visage de mes ongles.
Une simple inclinaison du visage, c'est tout ce que lui inspire ma fureur, ce qui ne la fait que redoubler d'intensité. Alors que j'avance encore d'un pas, la torche semble sur le point de lui glisser des doigts. Ma respiration s'interrompt aussi vite que mon coeur lâche. Marie-Anne surgit à mon côté et me barre le passage de son bras pour m'empêcher de commettre une nouvelle erreur. L'image la plus parlante de la situation serait certainement celle d'un chat s'amusant à torturer une pauvre souris jusqu'à ce qu'il décide de la dévorer par lassitude. Je suis impuissante, une fois de plus, face à un homme qui veut me rabaisser, me détruire, me tuer.
— Il ne faudrait surtout pas que ma main ne faiblisse, n'est-ce pas ? Oh mais ce bout de bois est drôlement lourd, dites-moi, me nargue-t-il en feignant à plusieurs reprises de perdre la torche qui lui glisserait des mains. À chaque fois un sursaut me saisit et j'avance de quelques centimètres alors qu'il me défit à coup de rictus narquois et de ricanements de faire un pas de plus.
— Si vous lâcher ce flambeau, je vous jure que je vous tue !
— Pas si je le fais d'abord Elie, se reprend-t-il avec un sérieux contrastant avec son fou rire quelques secondes auparavant. Son regard de boue se fait perçant et je le défi de la même manière.
Des pas lourds et précipités se font alors entendre dans l'escalier derrière moi. L'idée effroyable que cela ne soit autre que l'homme de main de Northwood qui aurait eut raison de Monique me terrifie. Marie-Anne me tourne alors le dos, prête à faire face à l'intrus pour me protéger. Même Northwood, que je ne quitte pas des yeux, semble intrigué par la scène et le suspense qui s'est abattu sur la pièce. C'est seulement quand j'entends la voix affolée d'Henry qui interpelle son père que je relâche un peu la tension qui me faisait carrer les épaules. Le grand blond vient alors se placer à ma droite et fait face à son géniteur, chose qu'il a dû redouter toute sa vie.
— Père, arrêtez !
Bien que son regard noisette ait remarqué Aydan, Henry se force à accorder toute son attention à Northwood. Cela lui en coûte et je le vois. C'est comme si mon ennemi venait d'être désarçonné pendant une seconde an voyant son fils, avant de passer outre et de reprendre contenance.
— Alors tu es avec eux mon fils ! s'indigne-t-il. Tu m'as trahi !
— Non Père, je n'ai simplement jamais haït quelqu'un pour sa différence... Aydan à toujours été mon ami et je ne vous laisserais pas le tuer pour satisfaire vos fantasmes insensés !
— Tout ceci est ton héritage Henry, que tu le veuilles ou non, s'énerve le quinquagénaire en agitant la torche en direction du bûcher. Tuer ces abominations est notre devoir !
— Non : un devoir que vous vous êtes vous-même inventé Père !
Henry avance d'un pas, précautionneusement. J'observe la partie d'escrime verbale qui se déroule devant moi sans mot dire : briser la bulle qui entoure le père et le fils pourrait être dangereux pour Aydan.
— Tu n'es qu'un ingrat, tu ne comprends pas que tout ceci nous dépasse, argumente l'homme en blanc -couleur très inappropriée pour lui.
— Je comprends avant tout que tuer des hommes, des innocents est contre-nature... Je vous en prie, lâchez cette torche et arrêtez tout ceci ! Devenez quelqu'un de bien !
La colère et le feu dansant dans les yeux de Northwood semblent vaciller un court instant. Le discours de son fils à peut-être fonctionné. Son visage ridé se ferme, ses sourcils se froncent alors que je crois voir une hésitation dans les plis incessants de ses lèvres. Mais alors que l'espoir s'était insinué beaucoup trop vite dans mon esprit, Northwood perd toute émotion, retrouve un visage impassible en direction de son fils.
— Ta mère était la seule personne à voir le bien en moi, soupire-t-il avec calme avant de reprendre avec plus de force : Et cette partie est morte avec elle !
Il crie ces derniers mots avec une telle rage qu'elle me fait presque reculer. C'est alors que la scène semble se dérouler au ralentis, je ne suis plus que des yeux apeurés, un corps inerte et stoïque, un esprit absent, dépourvu de toute conscience. Les doigts de Northwood se détachent un à un du manche en bois qui laisse tomber la flamme dansante sur quelques brindilles fragiles. Un bruissement de semelles grattant la terre se fait entendre à côté de moi et j'aperçois Henry, le corps penché en avant, les bras tendus, s'avancer vers son père. Le choc de leur deux corps se réverbère en ondes qui les font basculer en arrière en un nuage de poussière rouge. Le son mat renvoyé par le fracas du bois et l'embrasement de ce dernier me glace. Se répandant comme une trainée de poudre, l'étincelle, d'abord timide, se transforme en flammes de plus en plus hautes avant de constituer un brasier autour d'un corps inerte, celui d'Aydan. La peur me paralyse seulement jusqu'à ce que je me rappèle ce qu'Aydan représente pour moi. C'est alors que mes pieds s'élancent en courant, me remémorant tous les moments que nous avons partagé jusque là. La fumée s'est déjà formée et ondule en volutes grises se repliant sur elles-mêmes. Marie-Anne me rejoint et l'âpreté de la fumée s'infiltrant dans notre gorge nous arrache une quinte de toux au même moment. Aydan est toujours inconscient et les flammes auparavant minimes s'élèvent autour de lui, nous séparant toujours plus. Il sera brûlé à haut degré si nous ne faisons pas vite... à moins que la fumée ne l'intoxique avant, songeais-je.
— Marie-Anne, crié-je au dessus des grognements des deux hommes se battant derrière nous. Il nous faut de l'eau et vite !
Mon amie hoche la tête, les yeux plissés à cause du brouillard toxique qui s'est formé autour de nous, puis s'en va. La chaleur qui émane du feu s'intensifie et me brûle presque lorsque je cherche à tendre les bras au-dessus des flammes. Voir Aydan si proche de moi et pourtant si loin me vrille l'estomac et mes yeux affolés tentent de trouver une solution. À ma gauche, Henry semble avoir pris l'avantage sur son père en le secouant pour lui faire retrouver un semblant de lucidité. Le convaincre ne semble plus suffisant et Northwood à davantage l'air d'un animal poussé dans ses derniers retranchements plutôt qu'un homme sain d'esprit. Son fils lui hurle de se calmer, d'arrêter cette folie, d'être là pour lui mais rien ne semble y faire. Le meilleur ami d'Aydan tente de se contenir, de le ménager en tentant de trouver la moindre lueur de raison dans les yeux de son père, ce qui m'apparait comme peine perdue. Je cours derrière Aydan, là où les liens sont noués au poteau. Mes doigts tremblants tentent tant bien que mal de tirer sur les lourds noeuds alors que mon coeur manque de s'arrêter : le feu redouble et la corde ne semble pas se dénouer. Respires Elie, tu vas y arriver, m'intime Cécilia au fond de moi. Je m'exécute et m'oblige à me concentrer. Le premier noeud se défait puis le deuxième : c'est alors que le corps lourd d'Aydan penche en avant, prêt à tomber dans les flammes lui arrivant désormais aux hanches.
— Aydan ! Est-ce que tu m'entends ? crié-je pour lui faire reprendre conscience, en vain.
J'agrippe ses bras in extremis et le tire difficilement en arrière. La chaleur ambiante et la fumée s'affaissant contre le plafond en volutes ne font que rendre la tâche plus difficile, pourtant je parviens à le ramener vers moi et le tirer par les épaules en dehors du bûcher, non sans faire rouler plusieurs planches enflammées avec nous. Je le tire à l'écart du brasier, ses pieds traçant deux sillages sous mes yeux. Son corps est lourd et l'épaisse fumée m'arrache une quinte de toux.
— Allez Aydan, imploré-je en l'asseyant, réveilles-toi s'il-te-plait.
Je rejoins le sol à mon tour, consciente que je ne pourrais pas porter Aydan dans les escaliers. Je place sa tête sur mes jambes repliées et prend son pouls : il est trop faible. C'est alors comme si mon corps réagissait avant ma tête, j'entrecroise mes doigts et commence un massage cardiaque.
— Je t'en pris Aydan. (J'exerce une série de pressions sur son torse.) Ne me laisses pas. (Une nouvelle série de pressions.) Tu ne peux pas me laisser. (Une autre). Pas comme ça.
Soudain, un grognement attire mon attention : Northwood vient de frapper Henry au visage, qui se tient la mâchoire, laissant alors à notre ennemi l'occasion de renverser son fils et de le surplomber.
— Arrêtes de te mettre en travers de mon chemin, le met-il en garde, la respiration sifflante et la voix rauque.
J'observe désormais avec attention la scène qui se joue sous mes yeux : Northwood est au-dessus de son fils, le poing levé au dessus de sa tête, prêt à frapper. Alors que je crois la partie en mauvaise posture pour mon ami, Henry se contente de fixer son adversaire, la mine résignée :
— Pensez à mère, articule-t-il les dents serrées, à bout de souffle, la voix résolue mais ferme, sondant une dernière fois les yeux de son père. J'ai besoin de vous...
Alors que j'aurais imaginer voir Northwood se radoucir face à cette supplication presque enfantine, celui-ci ne semble que légèrement desserrer le poing et relâcher les épaules.
— Tu ne me laisses pas le choix, fils... fait-il d'un air de condoléances.
Au moment où le poing allait s'abattre avec violence sur son visage, Henry trouve assez de force en lui pour saisir la main de son père à la volée et la maintenir au dessus de sa tête, leurs deux corps entrant en contact dans un tremblement frénétique. C'est alors que Northwood comprend sa défaite : son fils se relève avec une facilité déconcertante -presque comme s'il n'avait fait jusque là que s'inhiber. Bloquant l'une des mains de son père, il lui assène un coup puissant de son autre poing. Le corps du quinquagénaire bascule en arrière puis s'effondre sur le sol, inconscient. Je m'autorise enfin à respirer alors que le meilleur ami d'Aydan trouve assez d'énergie pour se relever, non sans darder un regard peiné sur son géniteur, étalé sur la terre battue qui à fait virer à l'orange sale son costume précédemment immaculé. Je me re-concentre sur Aydan alors que je crois voir du coin de l'oeil Henry asseoir son père contre le tombeau de sa mère. Les pressions que je m'acharne à donner sur la poitrine de mon âme-soeur semblent inefficaces : ses yeux que j'aime tant n'ont pas ne serait-ce que cillé. Des larmes dévalent mes joues avant même que mon corps ne comprennent qu'il est trop tard et ne s'arrête. Henry s'agenouille en face de moi, le corps inerte de son meilleur ami étant le seul obstacle entre nous. Lui non plus n'ose rien dire. Je prends alors le visage délicat du brun entre mes mains et ne peux que constater son relâchement et sa mollesse.
— Aydan...
Ma voix se brise sur le mot le plus beau que j'ai jamais prononcé. Je colle mon front contre le sien et prie pour que le feu n'ai pas eut le temps d'accomplir son ouvrage irréversible. Sa mine tranquille pourrait très bien laisser penser qu'il dort paisiblement, mais les hématomes, les plaies sèches et la suie sur sa peau blanche trahissent leur morbidité.
— Je t'aime, haleté-je, les sanglots déformant mes traits et les paupières fermées à en voir des points danser devant mes yeux.
La main chaude et réconfortante d'Henry trouve mon épaule et la presse délicatement. Le feu crépite toujours derrière nous, rendant l'air de plus en plus irrespirable et piquant les yeux. Je relève la tête et admire chacun de ses traits pour les graver dans ma mémoire : une petite cicatrice près du sourcil gauche, ses pommettes hautes, son nez fin, ses lèvres charnues, une mâchoire carrée. Je me redresse et aperçois le regard perdu d'Henry qui semble contempler le corps inerte de son ami sans le voir. Lui aussi à perdu un être cher aujourd'hui.
— Il faut que nous sortions d'ici, finit-il par dire, aussitôt saisi par la toux.
Mais un grognement provenant du corps nous fait soudain retrouver espoir : quand Aydan fronce des sourcils et cherche à retrouver son air par une inspiration profonde qui fait gonfler ses poumons d'un coup, mes pleurs n'ont pas encore cessés que je ris de soulagement. Ses paupières papillonnent faiblement et je retrouve ses prunelles d'ambre qui ravivent chacun de mes sentiments. À la vue de son meilleur ami, ce dernier retrouve son sourire et se redresse. Les deux jeunes hommes se prennent dans leurs bras et je m'autorise enfin à sourire. Puis Aydan se tourne vers moi, ses mains trouvent d'elles-mêmes ma nuque et rapprochent mon visage du sien. Ses doigts balayent les larmes de mes joues alors que je plaque mes lèvres sur les siennes. Le brun y répond instantanément et nos lèvres se rencontrent, se quittent, se retrouvent avec tendresse mais force. Je dois bien reconnaitre que ce baiser dépasse toutes mes attentes et je sens d'ailleurs qu'Aydan le prolongerait volontiers si nous n'étions pas tous les deux à bout de souffle. Un sourire soulagé fend son visage avant qu'il ne s'empresse d'ajouter :
— Je n'ai jamais voulu embrasser que toi, Elie... Je suis désolé, Aimée m'a piégé, elle s'est faite passé pour...
— Je sais Aydan, le rassuré-je d'un sourire qui se veut doux. Je suis désolée de t'avoir fait souffrir, ce jour-là, Cécilia a prit le pas sur moi en embrassant Henry, elle l'aime...
Son sourire se fait plus grand encore et je ris en collant nos fronts. Un poids immense s'envole de mes épaules, tout est arrangé. Je nous imagine couverts de sueur, de suie et de sang mais irradiant le bonheur.
— Je t'aime Elie, susurre-t-il pour nous deux seuls en frôlant mes lèvres à chaque mot.
— Je t'aime Aydan.
Notre bulle n'est brisée que par les pas précipités qui dévalent les escaliers. Nous nous orientons tous vers la seule entrée de la pièce et je suis heureuse de voir apparaitre Marie-Anne, un lourd sceau d'eau dans les mains. Derrière elle, Monique suit son exemple. Alors que mon amie renverse le contenu sur l'énorme bûcher, Henry s'empresse de prendre le lourd fardeau de sa tante pour achever d'éteindre les dernières flammes dans un nuage de fumée. Je me relève et aide Aydan à faire de même, ce dernier se tenant douloureusement les côtes, avant de passer un de ses bras autour de mon cou. Je souris à l'intention de mes deux amies sorcières et les remercie.
— Sortons de ce four avant de finir cuits comme des dindes à Noël, et à ce moment seulement tu pourras nous remercier ma petite Elie, bougonne Monique en cherchant à chasser la fumée autour d'elle.
Je ris et je suis heureuse de constater que cette réflexion arrache un sourire à chacun. Je distingue Henry se diriger vers son père pour le porter par les aisselles tandis que Marie-Anne l'aide en tenant les jambes. Je crois remarquer une sorte d'accablement chez le fils de Northwood et je me rappèle qu'il a beaucoup perdu en l'espace de quelques heures : son père et la fille qu'il aimait. Monique gravit les escaliers la première, vite suivie par Henry et sa nièce, tandis qu'Aydan et moi fermons la marche.
Quand j'aperçois la lumière du jour à la sortie du mausolée, je remercie tous les dieux. Nous laissons les corps inertes des sbires de Northwood et l'épais brouillard de fumée s'élevant des escaliers derrière nous. J'inspire profondément l'air frais de cette journée et je suis sure d'une chose désormais : tout est fini, Northwood a perdu.
Bonjour à tous chers lecteurs ! Après une longue absence me revoilà avec un nouveau chapitre ! Le premier tome de Contre le temps approche un peu plus à sa fin et j'ambitionne de le terminer d'ici cet été alors un peu de courage et de patience ! Et merci encore à vous d'avoir lu, j'espère que ce chapitre vous a plu !
À bientôt !
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