❧ Chapitre 2 ❧
« La mort, ce serait le rêve si, de temps en temps, on pouvait ouvrir un oeil. »
- Jules Renard
Marie-Anne m'aide à m'habiller. Ma tenue est constituée d'une robe blanc-crème s'arrêtant mi-mollet, d'un gilet beige à manches trois-quart et d'une paire de salomés blanches aux lanières noires à talons. Pour la coiffure, Marie-Anne remonta mes longs cheveux bruns en un chignon discret sur le côté. Elle m'appliqua une couche de rouge à lèvre rouge sur les lèvres et une légère touche de phare à paupière noir sur mes paupières. Mon visage n'a pas changé depuis 2020. Je restais mon regard dans le vague avec pour seule question : Qui est cette Cécilia que tout le monde croit que je suis ?
— Voilà, vous êtes très belle Madame.
— Merci Marie-Anne.
Je dois maintenant aller rejoindre « mon frère » ou du moins le frère de Cécilia comme promis il y a quelques dizaines de minutes. À cette pensée ma respiration s'accélère et la température de la pièce semble augmenter, qu'est-ce que je fais ici ? Si c'est un rêve, je le trouve particulièrement long.
Je descends donc les marches une à une avec une boule au ventre grandissant de plus en plus à chaque seconde. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir dire ? Et si je lui disait la vérité, peut être me croirait-il ? Non il me prendrait pour une folle et je n'ai pas envie de finir dans un asile psychiatrique des années 20, ça hors de question. Aller Elie ! Courage ! Tout va bien se passer et avec un peu de chance il ne posera pas de question personnelles.
Je prends le même chemin que mon frère auparavant dans la matinée et arrive dans un gigantesque salon aux couleurs beige et or avec un piano reposant sur une plateforme en marbre, un coin salon avec un sofa blanc aux fils d'or, deux fauteuils dans le même coloris et une table basse où repose un service à thé et des verres remplis d'un liquide orangé. Au milieu de tout ça, j'aperçois deux silhouettes se tenant debout et discutant activement. Je remarque rapidement que c'est le frère de Cécilia et un autre homme qui est dos à moi : il est habillé d'un costume noir qui lui va parfaitement bien et de chaussures blanches vernies. Soudain le frère me remarque et arbore le même sourire que précédemment qui d'ailleurs ne semble jamais le quitter.
— Cécilia te voilà enfin ! Je te présente Monsieur Aydan Costerhidge, dit-il pendant que son invité se tourne pour me faire face.
Le jeune homme qui se trouve devant moi est juste renversant. Il me détaille attentivement de ses prunelles d'un brun aux nuances ambrées tandis qu'il replace une mèche de ses cheveux châtains impeccablement coiffés sur le côté. Je le vois rire devant mon visage ébahit, ce qui me fait rougir violemment.
— Enchanté Mademoiselle, me confie le dénommé Aydan en embrassant le dos de ma main.
— Euh moi de même, balbutiais-je.
Je m'assois sur le sofa alors que les garçons prennent place chacun sur un des fauteuils opposés. Je n'ose pas quitter des yeux le service à thé disposé sur la table basse en face de moi de peur de croiser le regard du jeune homme que je sens d'ailleurs peser sur ma personne. Qu'a-t-il à la fin à me dévisager de la sorte ?
— James, vous ne m'aviez pas dit que vous aviez une si jolie soeur, me complimenta indirectement Aydan me faisant rougir encore plus au passage.
Ce Aydan à décidément un don pour me faire me sentir mal à l'aise. Je ne suis pas habituée à autant de compliments, surtout de la part d'un garçon. Enfin grâce à lui je peux maintenant mettre un nom sur « mon frère » qui s'appelle donc James. Prénom qui je dois le dire lui va plutôt bien avec sa carrure élancée, son sourire charmeur constamment collé à ses lèvres, ses cheveux bruns coiffés en arrière et ses yeux bleus que nous avons en communs.
— Merci, dis-je timidement à notre invité qui ne cessait de me sourire.
— Oh vous savez Aydan c'est de famille, plaisanta James pour se complimenter. D'ailleurs racontez à Cécilia votre incroyable histoire.
— Elie, dis-je précipitamment. Appelez-moi Elie, confiais-je honteuse d'avoir exprimé ma pensée aussi fort ce qui me valut un regard d'incompréhension de la part de James qui n'avait sûrement jamais entendu sa soeur mentionner un tel surnom.
— Et bien, commença Aydan, en 1890 mon père, héritier de la société de mon grand-père décida de parcourir le monde pour découvrir toute ses richesses. Lors de son voyage, il rencontra ma mère avec qui il m'accueillit quelques années plus tard. À mon seizième anniversaire, je décidais de retrouver la famille de mon père qui se trouvait ici, à la Nouvelle-Orléans. Maintenant je suis le dernier membre de la famille Costerhidge ce qui fait de moi le plus riche homme de la ville.
Il avait fait tout son récit sans perdre mes yeux de vue ainsi que son sourire éclatant fièrement plaqué sur son visage. Je ne pouvais m'empêcher de le trouver beau. James se leva en direction d'un bar que je n'avais pas remarqué dans le fond de la pièce. Il en revint avec une bouteille d'un liquide indéfinissable et une boîte en fer. Il posa le tout sur la table devant nous et ouvrit la boîte sans pour autant nous montrer son contenu. Brusquement, il me tendit un fume-cigarette déjà préparé. Je m'enfonçais dans le dossier du sofa pour m'éloigner le plus possible de cette drogue que je trouve répugnante.
— Que t'arrives-t-il Cécilia ? Tu ne rates jamais une occasion de fumer, s'étonna James.
— Oh euh... C'est juste que j'ai réalisé cette nuit que ces choses vous rongent les poumons jusqu'à totalement les détruire, le saviez-vous ? Vous devriez arrêter, le conseillais-je en éloignant le fume-cigarette de ma vue.
Aydan éclata de rire devant l'air hébété de James. Jamais je ne toucherais une cigarette de ma vie, c'est contre mes principes et puis je n'ai que 16 ans. Peut-être que cette Cécilia fume à cet âge mais pas moi. Je ne me détruirais pas la santé !
— Changeons de sujet, déclara James. Aydan, avec votre allure et votre héritage vous devez être très convoité par de belles et jeunes demoiselles, je me trompe ?
— Non c'est vrai, dit-il dans un rire tout à fait charmant, mais je ne leur prête aucune attention. J'attends de trouver celle qui fera chavirer mon coeur, avoua-t-il avec une voix presque imperceptible, son regard toujours fixer au mien.
— Vous savez surement que notre famille fait partie des plus riches de la ville ; avec la votre bien sûr, se vanta mon frère. Un mariage entre nos deux familles scellerait une alliance formidable et permettrait à nos deux entreprises d'agrandirent leurs zones de commerce ne croyez-vous pas ?
Aydan sembla prit de cour par sa proposition désignant notre possible union mais reprit vite contenance. J'avais atterris dans un univers parallèle et on organisait déjà mon mariage. C'en est trop ! Je prend le verre posé devant moi et vide entièrement son contenu sous le regard des deux hommes. Le liquide brun me brûle la trachée ce qui me fait tousser tellement fort que je crois ne plus pouvoir m'arrêter.
— Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Ce n'est pas du jus de pomme !
— C'est du whisky très chère. Vous aimez d'habitude. Avec cette Prohibition, l'alcool est moins cher. Pour notre plus grand bonheur, se réjouit mon frère en reprenant place sur son fauteuil.
Cette fois je ris de bon coeur avec notre invité. J'avais bu du whisky pour la première fois de ma vie et une douce chaleur commençait à prendre place en moi, surement les premiers effets de l'alcool. Et mon frère qui ne trouvait mieux comme sujet de conversation que la Prohibition qui consiste à interdire la production, la vente et la consommation d'alcool dont le but serait de réduire la criminalité du pays. D'après lui, cela ne la rendrait que plus active. C'est à ce moment là que je voudrais connaître par coeur l'histoire de ce pays quelque soit l'époque... Peu à peu mon sourire s'efface pour laisser place à de la tristesse : je ne reverrais jamais mes parents, Anna ma meilleure amie, mes grand-parents, ma maison, mon école... Et surtout je ne connaîtrais jamais le futur que me réservait ma vie d'avant : l'obtention de mon diplôme, un métier, une famille... Je n'aurais jamais droit à ça en 2020. Maintenant je suis coincée dans cette maison immense en 1920 avec un frère négociant ma main, l'homme le plus riche de la ville et ma solitude. Je sens une larme couler sur ma joue et je me précipite de ravaler mes sanglots avant que quelqu'un ne s'en rende compte.
— Tout va bien Elie ?
Aydan vient de m'appeler par mon vrai prénom. C'est très gentil de sa part mais je m'aperçois également qu'il a remarqué mon chagrin. Je me ressaisis avant que mon maquillage ne coule et esquisse un sourire qui se veut forcé.
— Oui j'ai juste besoin de prendre un peu l'air, dis-je en me levant vers je-ne-sais où.
— Je vous accompagne, m'annonce le jeune homme en se redressant.
— Profitez-en pour faire plus ample connaissance, s'exclame James.
Nous quittons la pièce pour arriver à l'entrée de la bâtisse où une magnifique porte blanche se tient. Je l'ouvre précipitamment et sors la première vite suivie d'Aydan. L'air frais emplit mes narines et m'apaise immédiatement. En face de nous se trouve un balcon de pierre offrant une superbe vue sur l'ensemble du jardin constitué de haies taillées et d'arbres aux feuilles brunes. En plein été ! J'ai du mal à croire que nous nous trouvons à la Nouvelle-Orléans. De chaque côté du balcon se trouvent des escaliers permettant d'accéder aux jardins. Tout à coup, une idée me traverse l'esprit. Je m'empresse de descendre les marches et laisse à peine le temps à Aydan de me rejoindre. Je cours maintenant à travers les jardins, Aydan à ma suite.
— Attrapez-moi si vous le pouvez, criais-je en me retournant.
— Attention j'arrive, l'entendis-je dire.
Je ris comme une enfant sous l'adrénaline. J'ai de l'avance mais mes chaussures ne me permettent pas d'aller plus vite encore. Je décide donc de tourner à droite en direction d'un grand arbre au large tronc où je pourrais facilement me cacher. Je suis à présent derrière et attend de voir si le jeune homme me trouve. J'essaye de calmer ma respiration pour ne pas me faire prendre quand j'entend enfin les pas rapides du garçon. Je perçois ses foulées s'éloigner me faisant esquisser un sourire victorieux. Je lève la tête et constate que le ciel est d'un bleu éclatant malgré quelques nuages éparses. Sous cet arbre aux feuilles volants au vent, je pourrais oublier le temps d'une minute mes problèmes et cette partie de cache-cache. A propos de ça, je dois changer d'endroit. Je commence à courir vers un autre arbre quand je percute de plein fouet quelque chose ou plutôt quelqu'un. Aydan me rattrape avant que je ne tombe à terre. Mes mains sont sur son torse tandis que les siennes me maintiennent par la taille. Nous restons plantés là au milieu du jardin à nous observer attentivement, moi à contempler ses iris ambrées et lui à détailler chaque parcelle de mon visage. Les secondes passent et nous ne bougeons toujours pas. Je sens nos visages se rapprocher l'un de l'autre et nos lèvres ne sont plus qu'à quelques centimètres de distance...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro