La forêt des Âmes Perdues - II
Sherlock ne dormit pas réellement cette nuit-là.
Plongé dans ses pensées, il essayait en vain de trouver un moyen pour que John le reconnaisse. Et l'aime à nouveau. Si c'était possible.
Le petit matin le trouva allongé sur le sable de la berge, les yeux brûlant.
Il n'avait qu'une seule certitude.
C'était sa faute.
C'était sa faute s'ils s'étaient arrêtés dans la forêt. S'ils s'étaient disputés. Si John se retrouvait prisonnier d'un enchantement, à la merci d'une créature maléfique et gluante. Son John.
Et puis il y avait ce doute, lancinant, qui ne voulait le laisser en paix.
La sirène avait dit que John ne l'aimait plus, déjà, avant de perdre la mémoire.
Et s'il s'était montré trop insupportable ? Et si John en avait eu assez ? Et si...
-Tu pleures encore ? Murmura une voix, non loin de lui.
Il sursauta et se redressa pour voir l'objet de ses pensées, le buste hors de l'eau, en train de le dévisager d'un air indéchiffrable. Un sentiment de fraîcheur lui fit porter ses doigts à ses joues. C'était vrai. Il était en train de pleurer et il ne s'en était pas aperçu.
Honteux, il sécha ses larmes et sourit à la vision sortie des eaux. Le soleil du matin luisait sur la peau mouillée de John, plaquant ses cheveux blonds sur son crâne. Quelques pensées lubriques défilèrent dans son esprit. Il les chassa aussitôt, de peur de rougir, et se leva pour s'étirer.
Il ouvrit la bouche, par réflexe, mais aucun son n'en sortit. Lui qui aimait tant faire des discours à rallonge... Comment pouvait-il impressionner John dans cet état ?
-Je compte faire la rive nord du lac aujourd'hui, lança la sirène. Tu m'accompagnes ? Sauf si tu es trop occupé à bouder, bien sur, rit-il. Il se reprit soudain, un peu honteux de se montrer si familier avec quelqu'un qu'il venait de rencontrer. Enfin, ajouta-t-il, tu n'es pas obligé, bien sûr, si tu avais quelque chose à faire...
Sherlock lui sourit, puisque c'était la seule chose qu'il pouvait encore faire. Dieu qu'il avait envie de l'embrasser !
Mais, à la place, il sauta dans l'eau et se mit à califourchon sur sa branche, en attendant que la sirène le rejoigne.
*
Le soleil déclinait lorsque John, prit d'un élan, sauta pour s'asseoir à son tour sur la branche. Déséquilibré par ses jambes manquantes, il glissa, et serait retombé à l'eau si, dans un réflexe, Sherlock ne l'avait pas rattrapé.
Le détective apprécia en secret la présence du chevalier dans le creux de ses bras, comme son air embarrassé lorsqu'il s'écarta un peu.
Côte à côte, ils regardèrent le soleil se coucher sur le lac.
Sherlock sourit en songeant que c'était la chose la plus cliché qu'il ait pu faire avec John. Mais il s'en foutait. Tant qu'il était là, à vrai dire, il voulait bien faire n'importe quoi.
-C'est étrange, lança soudain John, alors que la nuit se coulait dans le ciel. Avec toi, je ne ressens pas le besoin de parler.
Un mince espoir serra le cœur de Sherlock.
Le chevalier tourna son visage vers le sien. Sherlock, le souffle court, approcha ses lèvres de...
-JOHN ! Hurla une voix familière.
Ledit John sursauta, glissa, et retomba dans l'eau.
Cette voix ! Il connaissait cette voix !
Sherlock tourna lentement, très lentement sa tête en direction de celui qui venait de parler.
La sirène verte lui lança un sourire pernicieux en sortant complètement son buste de l'eau.
-John ! Reprit-il en s'approchant du blond stupéfait. Mon amour ! Je t'ai cherché partout...
Le sang de Sherlock se glaça dans ses veines.
Cette voix, c'était la sienne.
Le sourire de John se fit soudain éclatant. Un visage venait soudain de s'imposer à la voix que lui chantait sa mémoire. Pourquoi avait-il cherché chez les hommes ? S'il était sirène, l'homme qu'il aimait l'était aussi certainement.
La créature approcha sa main du visage du chevalier...
Et Sherlock, dans un sursaut de rage, bondit de son embarcation pour lui sauter dessus, bien décidé à l'étriper.
-John ! Hurla la sirène qui lui avait volé sa voix lorsqu'il lui enfonça la tête sous l'eau.
L'appel à l'aide éveilla chez John une étrange réminiscence, un souvenir flou. Il se jeta sur celui qui osait s'en prendre à son aimé.
Appuyant sans ménagement sur les épaules de Sherlock, il lui enfonça la tête sous l'eau.
Le détective, suffoquant, agrippa les poignets de John.
La situation était surréaliste. John, son John, était en train d'essayer de le tuer.
Il savait qu'il n'aurait pas assez de tout le lac pour noyer sa peine.
Éberlué, John s'aperçut soudain de ce qu'il était en train de faire, et, en pleine confusion, lâcha les épaules de Sherlock, qui remonta à la surface en toussant.
Ils échangèrent un long regard.
-Ne t'approche plus ni de moi, ni de lui, lâcha celui qui avait été chevalier en passant son bras autour de la sirène verte.
Le cœur de Sherlock s'arrêta.
*
Allongé sur son bout de bois, au milieu du lac, les pieds et les mains trempant dans l'eau, Sherlock regardait le ciel.
Il avait perdu.
Il avait perdu John.
Il repassa en silence les souvenirs qu'ils avaient ensemble, les affaires, les moments intimes, les baisers, les mots doux...
Si encore il avait la certitude que John serait heureux... Mais avec cette créature, il parierait que non. Il avait condamné John. Il avait envie de mourir.
Il jeta un coup d'œil au soleil.
Il ne lui restait que quelque heure, de toute façon, avant que son délai ne prenne fin, et qu'il se change en écume de mer. Quelques heures à vivre. Pour quoi faire ?
Il ferma les yeux.
*
John n'arrivait pas à sourire. Quelque chose n'allait pas.
La sirène verte darda sur lui un regard plein de convoitise, qui le mit mal à l'aise.
Il ne comprenait pas. Quand la sirène parlait, il reconnaissait sa voix, il savait qu'il l'aimait, mais dès qu'il était silencieux... Ses pensées revenaient d'elles-mêmes à l'inconnu muet. Il avait failli lui faire mal. Il n'avait voulu que défendre celui qu'il aimait conte une attaque injuste mais... Mais ça le blessait, à un point qu'il n'aurait pas cru possible. Il avait failli le tuer. Le tuer. Il s'imagina soudain son visage mort, immobile, et se dépêcha de chasser de ses pensées cette abominable image.
C'était comme si sa mémoire se souvenait de quelqu'un, et son cœur d'un autre...
-John... murmura à son oreille la voix familière. Tu penses encore à lui ?
Le regard coupable du blondinet apprit à la sirène qu'il avait raison. Ça l'énerva. Il ne restait que quelques heures avant que le sortilège ne soit irrémédiable, mais il n'aimait pas prendre de risques.
-Mon bien aimé, susurra-t-il en posant ses mains sur son torse.
L'appellation parue étrange à John, comme s'il n'avait jamais entendu cette voix prononcer ces mots-là.
-Tu n'as pas oublié notre mariage, j'espère ? Reprit la perfide créature.
-Notre... quoi ?
-Ce soir, mon amour, à minuit...
-Je suis désolé, je... je suis un peu confus...
-C'est normal, ne t'inquiète pas. Reste là, réfléchis-y, reprends-toi... Après tout, ce soir, tu m'appartiendras pour toute l'éternité...
John lui jeta un regard effrayé. Il n'aimait pas la tournure de sa phrase.
-Je vais te laisser seul, d'accord ? Roucoula encore la sirène. Prends ton temps.
Et sans attendre de réponse, il disparus en trois coups de queue, laissant derrière lui un John complètement perdu.
*
Un clapotis alerta Sherlock, qui rouvrit aussitôt les yeux, dans l'espoir de voir John...
Mais le visage qui sortit de l'eau était tout autre.
Il voulut lui lancer quelques remarques acerbes, mais, encore une fois, aucun son ne sortit de sa gorge, et il dut se contenter de foudroyer du regard celui qui l'avait dépouillé de tout.
-Tu as perdu, ricana la sirène en posant son menton sur le bout de bois qui lui servait d'embarcation. John est à moi. Pour toujours.
Sherlock serra les poings, fou de rage et de tristesse.
-Je peux encore abréger tes souffrances, murmura la sirène d'une voix soudain douce. Tu n'as plus envie de vivre. Tu n'as pas envie non plus de devenir écume de mer.
Il tendit une main aux longs doigts pâles.
-Viens avec moi. Laisse-toi sombrer, Sherlock. Je t'emmènerais dans les abysses...
Sherlock desserra les poings, sa colère se transformant lentement en immense désespoir.
-Laisse-moi te guider, murmura la sirène. Ce sera comme s'endormir... Se reposer...
Sherlock glissa sa main dans celle de la créature. Sa voix était si envoûtante... douce... Il avait raison... Il avait envie de dormir... Il voulait effacer de son esprit le visage de John le regardant comme un inconnu... c'était trop douloureux...
-Tu ne veux plus ressentir de peine, susurra la sirène.
Non... il ne voulait plus souffrir... il ne voulait plus rien... que dormir.
La sirène referma sa main et l'attira soudain à lui. L'eau froide l'enveloppa soudain, collant ses habits à sa peau, inhibant lentement ses sens.
Des bras encore plus glacés l'entourèrent.
Il n'eut pas le temps de prendre la moindre inspiration avant que la créature verte ne plonge.
Il regarda d'un air absent les rayons de soleil traverser la surface de l'eau, et puis s'éloigner... s'éloigner ...
Il avait mal. Ses poumons brûlaient atrocement.
Sa vue se voila. Il lui fallait de l'air.
Il inspira.
Il voulut hurler lorsque l'eau froide pénétra dans ses poumons, mais aucun cris ne sortit de sa gorge.
Il sentit à peine son corps heurter le fond du lac.
Le monde s'effaça lentement de sa conscience.
Le dernier visage à disparaître fut celui d'un chevalier blond aux yeux doux...
*
John décida de suivre la sirène verte. Il ne connaissait même pas son nom ! Comment pouvait-il ignorer le nom de la personne qu'il aimait ?
Quelque chose n'allait pas. Son cœur lui lançait des appels de détresse, et il n'arrivait pas à savoir pourquoi.
Un visage tournait dans son esprit. Mais ce n'était pas celui d'une sirène. C'était celui d'un homme. D'un homme aux cheveux bruns, bouclé, à la peau pale et au regard triste.
Il prit garde à laisser quelques mètres de distance entre la sirène et lui, et sortit la tête de l'eau pour écouter.
-Tu ne veux plus ressentir de peine, susurra la sirène.
Une telle mélancolie s'inscrivit sur le visage du muet que John en eut le souffle coupé.
La sirène l'attira soudain à lui. Il ne réagit pas.
Une angoisse familière étreignit soudain le cœur de John.
L'inconnu allait mourir. Pourquoi ne se débattait-il pas ? Il fallait qu'il se batte, il fallait...
Les pensées plus embrouillées que jamais, luttant comme il le pouvait contre l'étrange force qui cherchait à ramener son affection à la sirène, John plongea à leur suite.
L'inconnu regarda la surface s'éloigner sans bouger. Son corps heurta le sol au ralenti.
Et il ferma les yeux.
Une panique incontrôlable prit possession de John.
Il se jeta sur la sirène, et, profitant de sa surprise, l'assomma d'un coup à la mâchoire.
Il ne lui adressa pas un regard. Il n'avait pas de temps à perdre.
Il se saisit du corps inanimé, le serra contre lui, et entreprit de remonter le plus vite possible à la surface. Sur la berge. Vite. Vite...
Il déposa, enfin, le corps sur le sable.
Il ne bougeait plus.
Son visage, impassible, semblait dormir.
John, retrouvant des réflexes enfouis au plus profond de sa conscience, appuya ses mains sur sa poitrine. Encore. Et encore.
Le corps tressautait sous ses coups, mais ne voulait pas reprendre vie.
-Allez... Allez, murmura John. Pour l'amour de dieu...
Il lui pinça le nez. Plaqua ses lèvres contre les siennes pour lui insuffler ce qu'il pouvait d'air. Recommença à lui masser la poitrine.
Le visage restait de glace.
-SHERLOCK ! Hurla John, le prénom jaillissant lui-même de ses lèvres.
Sa mémoire déferla dans sa conscience en vague successive, si brusquement qu'il aurait titubé s'il n'était pas en proie à une angoisse plus puissante encore.
-SHERLOCK ! Hurla-t-il encore, la gorge enrouée. SHERLOCK ! REVEILLE-TOI ! REVEILLE-TOI !
Il abattit son poing sur sa poitrine, sans obtenir plus de réaction.
Sa tête, soudain incroyablement lourde, vint se poser sur la poitrine du détective.
Il éclata en sanglots.
-Sherlock...
Il pleura longtemps, longtemps, penché sur ce corps immobile.
Il avait déjà pleuré comme ça, auparavant. Il connaissait ce vide immense, cette douleur insoutenable qui dévorait tout de l'intérieur. L'absence.
Lorsqu'il n'eut plus de larmes, il s'allongea à côté de Sherlock, sa tête contre la sienne, étouffé par des sanglots douloureux.
La nuit était tombée. Sur le monde. Sur sa vie. Amenant avec elle le froid et la solitude.
Il jeta un coup d'œil au corps qui reposait à ses côtés.
-Je t'aime, Sherlock, murmura-t-il. Je t'aime.
Il soupira.
-Certaines histoires sont peut-être faites pour ne pas bien se terminer.
-Tu peux encore y remédier, répondit une voix cruelle.
John se redressa.
La sirène verte avait sorti sa tête de l'eau.
-Il est mort, murmura John, chaque mot éraflant son cœur et déchirant ses lèvres. Il est mort.
-Pas tout à fait. Tant qu'il sera sous l'emprise de mon sortilège, une partie de lui survivra encore. Mais il ne lui reste qu'extrêmement peu de temps. Dans quelques minutes, il sera minuit. Il ne se changera pas en écume de mer, puisqu'il a effectivement brisé le sortilège, mais, en y échappant, il mourra.
-Ramène-le, ordonna John avec une violence contenue.
-Je le ramène si tu te donnes à moi. Je n'aime pas perdre, petit humain. Tu te soumets une nouvelle fois à mon sort d'oublis, je le ramène à la vie, et j'efface sa mémoire aussi. Tu ne sauras même pas que tu l'as perdu. Il leva les yeux au ciel. Dépêche-toi, chevalier. Il ne te reste que quelques instants...
-J'accepte. Bien sûr que j'accepte.
-Qu'il en soit ainsi, conclut la créature en posant sa main sur son front pour lui voler sa mémoire.
Il procéda de même avec Sherlock, posa sa main sur son cœur, et incanta quelques formules depuis longtemps oubliées des hommes.
La dernière syllabe envolée, le détective se mit à tousser, crachant toute l'eau de ses poumons.
-Sherlock ! S'exclama John en se penchant sur lui.
Sherlock s'agrippa à lui comme un naufragé à sa bouée, et le serra contre à l'étouffer.
-John... murmura-t-il. John ! Je peux parler à nouveaux !
Il s'écarta légèrement pour plonger ses yeux dans celui du chevalier.
-Et tu me reconnais ! Son visage se fit soudain inquiet. Tu m'aimes de nouveaux ? Murmura-t-il d'une toute petite voix.
-Idiot, rit-John. Je n'ai jamais cessé de t'aimer !
Sherlock emprisonna son visage entre ses mains et l'embrassa.
La sirène crue que sa mâchoire allait se décrocher.
-Comment... balbutia-t-il.
-Oh, répondit Sherlock, heureux de pouvoir enfin parler, vous avez voulu nous ensorceler de nouveau, c'est ça ? Mais votre nouveau sortilège s'est brisé au moment où vous l'avez posé, s'amusa-t-il. Lorsque John m'a vu respirer, l'émotion a brisé votre magie. Comme quand je l'ai entendu prononcer mon nom. Vous pouvez nous jeter autant de sorts que vous voulez. Ça ne marchera plus.
Verte de rage, la créature serra les dents, et s'en alla sans demander son reste attraper quelqu'un d'autre dans ses filets.
Sherlock reporta son attention sur John.
-Je suis désolé, chuchota-t-il en enfouissant sa tête au creux de son cou. Je suis tellement désolé... Tout est de ma faute.
-Ne dis pas de bêtise, répondit l'autre en refermant ses bras sur lui. Tu ne pouvais pas savoir qu'une sirène maléfique allait se jeter sur moi.
Sherlock le serra plus fort contre lui.
-Si j'étais moins insupportable...
-Sherlock, le coupa son amant, insupportable fait partit de ce que tu es. Et j'ai beau m'énerver, parfois, je ne voudrais pour rien au monde que tu sois autrement. Il n'eut aucune réponse. Sherlock, reprit-il, je t'en prie, ne crois pas une seule seconde que je t'aime moins lorsque je crie sur toi...
-John, répondit enfin l'autre, est-ce que tu sais que tu es nu ?
John baissa ses yeux pour s'observer. Et rougis plus violemment qu'il ne l'avait jamais fait.
Il avait retrouvé ses jambes, certainement au moment où il avait libéré sa mémoire.
Mais pas ses habits.
Sherlock retira lestement sa chemise.
-Mais qu'est-ce que tu fais ? Glapis John.
-Tu vois bien, répondit son amant, mutin, en le plaquant sur le sable. Je profite de toi.
John explosa de rire avant de l'embrasser.
Et ils vécurent heureux...
Pour combien de temps ?
Gregory Lestrade entra dans la chambre du roi en claquant la porte. Mycroft, énervé d'être ainsi dérangé, se retourna... mais sa colère s'évanouit en rencontrant l'air affolé du Chasseur.
-Que se passe-t-il ? Demanda-t-il en le rejoignant prestement.
Gregory prit ses mains dans les siennes.
-Le corps de Moriarty a disparu. À la place, on a retrouvé une pomme, et ça.
Le Chasseur lui tendit un bout de papier sur lequel était écrit...
"Miss me ?"
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