5. Eau trompeuse
Il y avait une fois, en une contrée mystérieuse, à vingt mille lieues sous les mers, pas loin des ruines de l'Atlantide vivait une sirène, désirant courir le monde, apprendre ce qu'humanité signifie.
À dire vrai, contrairement aux autres membres de son espèce, elle ne prête plus l'oreille aux chants, ne prête plus attention aux merveilles architecturales de nacre comme de corail, aux calligraphies ainsi qu'illustrations d'encre de seiche, exposées aux musées ni aux multiples divertissements raffinés de son peuple. Non, elle n'a que d'écoute pour contes, légendes, belles captives, sauvées par leur triton charmant, aventures rocambolesques comme fantastiques et surtout pour une race étrange vivant à la surface, sur la terre ferme, nommée : humanité.
Les fougueuses, peu farouches naïades satisfirent sans cesse sa curiosité insatiable sur ce peuple car elles le connaissaient que trop bien.. En dépit d'une certaine lassitude à l'égard de cette espèce, voire même un dégoût avéré ou de la pitié pour ces êtres si fragiles à l'espérance de vie si courte, les belles avaient frayés avec eux, les entraînant dans des danses, des plaisirs réservées à d'autres créatures surnaturelles ou aux divinités. Ainsi, elles les connaissaient par cœur, rien ne leur était étranger, la sirène jamais ne se laissa d'entendre maintes fois des récits sur ce peuple semblable aux primates, quelque peu barbares, superstitieux mais non dénués d'intelligence comme de ruse. Les naïades la mirent en garde, tant qu'il s'agit d'une fascination de spectatrice, tout allait bien, pourtant il ne vaut mieux pas pousser le vice à vouloir les côtoyer ou communiquer avec de telles créatures. Elles lui mentionnèrent même avoir éprouvé à leur égard une grande perplexité, de la pitié et passé tous leurs secrets, l'exotisme débordant éprouvé seulement une forme d'écœurement et du soulagement de ne pas appartenir à leur race.
Néanmoins, la jeunesse prend peu la peine d'écouter de sages conseils, surtout lorsque la curiosité, le désir de liberté, la révolte s'en mêlent.
Ainsi, la sirène vint à la rencontre des sorcières des abysses afin d'obtenir d'elles davantage d'informations et la possibilité de se déplacer dans ce monde inconnu, si exaltant.
Ceux et celles de son espèce essayèrent de la dissuader d'une telle folie, de retrouver la raison, d'abandonner cette passion dévorante pour des créatures ignorant tout de leur existence, ce fut heureux car elles sont de brutales personnes pillant sans vergogne leurs ressources, polluant leurs eaux, dévorant la chair des poissons et mollusques puis exécutent pour le plaisir de nobles cétacés, non par goût alimentaire ou nécessité, se servant de leur graisse en rejetant à la mer les cadavres gigantesques quasiment entiers. Ces êtres se croyant supérieurs à la nature, croyant pouvoir dominer les océans, mieux valait-il ne pas les approcher. Ses sœurs de même ajoutèrent leurs voix au concert de ses conseils, cette aversion envers le genre humain. Avec l'horreur dans la voix, elles la supplièrent de ne point les quitter.
Pourtant, la sirène n'en eu cure, tenace, elle allait partir se forger elle-même son opinion et surtout découvrir tout un nouveau monde.
Ainsi, elle remonta à la surface de manière journalière, elle contemplait ce ciel jamais vu auparavant, la mer sous un angle nouveau, les bateaux: étranges coquilles flottant sur l'océan partant parfois ivres à la dérive pour s'échouer sur des rochers escarpés, elle découvrit les albatros, les mouettes et des pans entiers de ses sens se révélèrent à elle. Les couleurs à la surface changent, les rayons du soleil se montrent bien plus forts, ensuite il y eut les odeurs bien plus fortes à la surface que sous l'océan puis un monde inconnu de sons, si variés, si présents et forts s'offre à elle. Quand on vit dans un quasi silence, en permanence avec des sons étouffés, l'on s'émerveille du cri des mouettes, des harangues, rires des marins de passage, surtout on se prend d'affection pour la musique. Au fond des mers, il n'existe que des chants, des bruits sourds, des paroles presque muettes, tandis qu'à la surface, il y a des instruments, des notes variées permettant ainsi de susciter des émotions de diverses natures. Tout cela se montrait bien plaisant et fascinant pour elle.
Ne tenant plus de se tenir si éloignée d'un monde qui chaque jour lui parait si merveilleux, digne d'être découvert, elle nagea en toute hâte trouver les sorcières des abysses.
Une fois exposée son désir, certaines ricanèrent, d'autres la prirent en pitié de tomber si bas et à l'unanimité, elles ne voulurent point être les artisans de sa déchéance et son malheur. La sirène, convaincue du bien fondé de son expédition ne cessa d'insister auprès d'elles, de les supplier et de tenter mille approches caressantes pour les faire plier, tout cela en vain car les sorcières lorsqu'elles ne trouvent point d'intérêt à vous aider ne risquent pas de lever le petit doigt.
Désespérée, la sirène, la mort dans l'âme se déclara ne jamais pouvoir accomplir son rêve, vivre une longue existence à ne connaître qu'un monde en ayant eu l'aperçu d'un autre, subir un supplice de Tantale.
Alors qu'elle crut tout perdu, une sorcière des abysses vint à elle, mût par la curiosité, cherchant à savoir la raison derrière cette requête insensée et une telle ténacité.
- Jeune sirène, pourquoi souhaiter en apprendre sur l'humanité, alors que cet espèce ne s'intéresse qu'à elle-même, ne cherche la connaissance d'autrui que pour le profit ?
- Ah, si bonne sorcière m'adressant la parole, émue par mes suppliques, je désire ardemment savoir par expérience ce qu'est l'humanité, de ressentir la brise, le sable, de me nourrir de leurs mets, d'apprendre leurs coutumes. Si seulement, tu consentais à exaucer mon souhait.
- Révèles-le moi dans son entièreté, mon petit et j'y songerais.
- Métamorphosez-moi en une humaine ! Non pour toute la vie, seulement le temps de pouvoir me mouvoir parmi eux, parcourir leur terre, m'imprégner de leur univers si différent du notre !
- Non, mon enfant. Un tel travestissement pour satisfaire ta lubie du moment, je ne peux ni ne veux te lancer un tel sortilège. Par ce sort, je pourrais signer ton arrêt de mort. Comme tu es bien inconsciente !
- Il s'agit de ma vie, pas de la votre. Je vous en supplie ! Qu'est-ce finalement comme sort ? Uniquement me doter de jambes, ni plus ni moins, cela n'a rien de sorcier ou de criminel.
- Tu ignores tout, sais-tu ce que cela signifie réellement ? Tu naîtras une seconde fois, tes poumons car tu n'auras plus de branchies, pour la première fois ces organes aspireront de l'air. Cela te brûlera, comme si tu avais avalé le feu de la lave de volcan quant aux jambes, il te faudra tel un bambin de leur espèce apprendre à les user, à marcher en ayant tout une vie passée à nager avec une queue de poisson. Songes-y bien !
- Ces souffrances évoquées, elles ne seront que passagères.
- Ô, sirène insouciante, tu éprouveras de la difficulté à parler dans ce nouvel atmosphère, à te repérer, tu seras à l'étranger sans main amie pour t'aider et tu oublies la douleur des nouveaux os que tu posséderas. À chaque pas, tu souffriras le martyr, désirant ardemment ne jamais avoir émit le souhait de posséder des jambes, qu'importe la démarche prise, la douleur ne partira pas, tu me supplieras à l'instant d'achever cette transformation de te ramener à ton état naturel. Cette transition, au lieu de te permettre de t'épanouir ne te causera que souffrances, chagrin, soucis, pour quelques instants de joie, cela en vaut-il le prix ?
La sorcière des abysses par son discours lui prédisant des douleurs insupportables à venir ne refroidit pas ses ardeurs, au contraire. Elle crut par ses paroles la sermonnant devoir lui montrer l'étendue de sa volonté à gagner la surface, s'intégrer aux humains et son sens du sacrifice.
- Et si souffrir m'importe peu ? Si la vie humaine me plaît tant que je suis prête à tous les sacrifices possibles pour la vivre ne serait-ce qu'un mois ? Je le désire tant, chère sorcière, réponds à ma requête, il ne s'agit pas d'un caprice, vivre entièrement en tant que femme parmi eux ne trouvant pour notre peuple aucune qualité décente pour se mêler à leur compagnie, prendre la peine de les connaître. Je ne partage pas leur avis, je suis irrémédiablement attirée par ses créatures à la courte vie mais au delà de tout par ce monde semblant si neuf, si riche en sensations, en sons de toutes sortes et aux odeurs délicieuses; celle par exemple de l'embrun.
- Ainsi, rien ni personne ne peut t'extirper cette idée de l'esprit ?
- En effet, répliqua sans appel la sirène.
- Si dommage de devoir en arriver là, si décevant de savoir qu'une si belle sirène souhaite appartenir à leur espèce. Ils te tortureront sans en avoir conscience, toi au milieu d'eux, à jamais paria, l'étrangère dérangeante.. Est-ce là véritablement ton désir profond ?
- Oui.
- Quoiqu'il t'en coûte et tu ne renonceras pas devant le premier obstacle se présentant à toi ?
- Oui.
- Soit, qu'il en soi selon tes désirs.
La sorcière des abysses entonna le chant de la métamorphose, mélopée sinistre, litanie stridente, aux notes discordantes, reconstruisant les chairs pour en assembler de nouvelles, l'eau alentour se mit à bouillir, brûlant sa peau.
Ce ne fut pas faute de l'avoir averti de la souffrance à venir. Le sortilège l'enroula dans un placenta écarlate, tandis que le son s'inscrit dans sa chair, elle se sent nauséeuse, elle se tint la tête prise d'une céphalée foudroyante. Puis de façon entêtante, l'incantation de la sorcière des abysses se poursuit, envahissante et l'enveloppant toute entière. Elle souhaiterait se rétracter, ne jamais l'avoir trouvé pour devenir humaine. La sirène mêle ses larmes à l'amère mer avec la désagréable impression d'être prête à tout instant d'imploser.
Puis sa queue se mit à se fendre en deux, ses écailles à tomber en une pluie étincelante et là, la douleur devint intense, insupportable. Elle ressent sans la moindre accalmie, le cartilage se constitue et les os se construisent la brisant davantage. Si auparavant, elle avait enduré dans le silence son changement, cette transition voulue or cette sage résolution vola en éclats. Imaginez des paires de tenailles vous emprisonnant, des écarteurs vous fouillant entièrement et des barres de fer éclatant votre corps, brisant les os de vos jambes, fabricant avec une violence manifeste de très macabres osselets. Vous auriez ainsi un aperçu de sa souffrance.
La sirène en pleine mutation se débat, agitant pitoyablement les bras comme pour prendre en témoin la mer, mère de toutes les créatures marines : du cruel serpent de mer au paisible poulpe se dérobant de notre regard en se cachant dans des cavités abyssales et du furieux triton descendant de Poséidon à la douce ondine.
Partir de ce sein salin, bienfait naturel, réconfortante matrice, cela n'a rien d'une sinécure.
Il n'eût pas d'éclair, de jouissance novatrice transitoire, de caresses post-natales, non point de joie pour cette mutation. À la place, il n'y eût que de la douleur lancinante, insistante, accablante sous le chant coulant de la voix cristalline de la sorcière des abysses montant de minutes en minutes à un autre octave.
Elle pleurait, se meurtrissait les bras d'où des petits ruisseaux de sang s'écoulent en filet, elle se mutile pour ne pas songer à la souffrance insurmontable l'engluant et de sa gorge s'échappe des hurlements terribles.
Pourquoi supporter une telle douleur ? Quel crime avait-elle commis pour subir un tel supplice ? Comment inverser la course du temps et revenir sur sa fatale décision ?
La pauvre l'ignore, elle se tordit sous l'effet des cruelles vagues forgeant ses nouvelles jambes, elle semble ne plus avoir de souffle pour crier sa douleur. D'interminables minutes de torture pour une renaissance surnaturelle, passer de femme sirène à humaine.
Pour terminer l'achèvement de la métamorphose, la sorcière des abysses débute le dernier couplet.
Elle croise avec stupeur ses mains dépourvues désormais de membrane et d'écailles sur sa gorge. Ses branchies se désagrègent, elle ne parvint plus à respirer l'oxygène présent en moindre partie dans l'eau de la mer car sa nature change. À présent, elle possède des poumons, elle ne peut plus parler, ne peut pas prononcer la moindre plainte et elle avale l'eau salée tel un poison.
La création s'achève ainsi, la laissant pantoise, frémissante, surprise et elle constate avec horreur se noyer progressivement. Funeste vœux, infortunée être qui venant à peine de naître une nouvelle fois risque de quitter définitivement la vie !
Or la sorcière des abysses veille, elle recouvre le visage aux yeux clos d'un masque respiratoire et la couvre d'un fin voilage confectionnée d'algues. Elle effleure sa chevelure albâtre aux éclats lumineux avec une tendresse certaine pour cette créature au destin incertain, condamnée à vivre entre deux univers, deux eaux, désormais.
« Pauvre enfant, tu te voiles la face à croire t'intégrer à leur société car tu as changé de forme. Déjà, je regrette d'avoir accédé à ta requête. Ô ma mignonne, petite sirène, comme je te plains de chercher leur compagnie or puisque personne n'a pu te faire entendre raison, laisses-moi t'offrir ma protection avec cette bague dont le sceau ne se brisera que lorsque tu retrouveras ton apparence originelle. » annonça t-elle à la figure évanouie.
C'est ainsi que tôt dans la matinée, la sirène devenue humaine est rejetée de la mer, allongée sur la grève. Le sable humide s'accroche à sa peau, la brise souffle sur son corps de porcelaine entièrement nu. La voici dans ce monde tant désiré et fantasmé ; sa respiration faible agite légèrement sa poitrine étendue sur la plage, couchée sur le ventre, elle apparaît la belle endormie dans le plus simple appareil, ses épaules à l'aspect du marbre, son dos maigrelet, ses rondes fesses laiteuses faiblement bombées et des jambes avec une peau rose de nourrisson.
Doucement, elle émerge d'un état quelque peu comateux, sentant la faible lueur solaire sur sa peau, la fragrance marine dans ses narines et le cri des mouettes couvrant le bruit du vent. Étonnée de se savoir encore de ce monde, elle se relève avec lenteur, puis pour la première fois de son existence, elle s'assoit, les jambes sur le côté et elle le contemple ce monde pour lequel, elle a accepté de multiples sacrifices.
Ses yeux d'un vert aigue-marine s'extasie du vent la chatouillant, fait flotter sa fine chevelure similaire à la lumière à une toile d'araignée perlée de rosée, du soleil la réchauffant, séchant son corps et toutes ses couleurs variées.
Elle caresse avec tendresse le nacre d'un coquillage vestige de sa précédente vie. Puis, elle observe ses nouvelles mains, dépourvues de membrane, sans ses fines écailles brillantes à la moindre lumière. Elle se sent quelque peu démunie avec ce nouvel épiderme, elle touche la douce peau en s'étonnant. Est-ce là l'humanité, d'être si fragile ? Elle s'attendait à mieux, quelque peu déçue de la perte de ses écailles, nageoires et surtout sa queue de poisson pour laquelle elle avait tant de compliments.
Respirer dans ce nouvel atmosphère ne se montra pas une tâche aisée, l'air similaire à la lave lui brûle la gorge et les poumons. Tel un nouveau-né, tout juste mis au monde, elle avalait laborieusement les premières bouffées d'oxygène.
Elle s'accoutume à posséder de nouveaux membres, pourtant en constatant réussir à bouger ses orteils, elle se questionne sur la manière de les user. Il faudrait réussir de facto à se tenir debout sur ses nouveaux pieds. Elle se lève à moitié, trébuche, piétine, tente de nombreux essais jusqu'à ce qu'elle parvienne enfin à se maintenir toute tremblante sur ses jambes. De cette hauteur, elle se surprend à avoir cette chose bizarre, spongieuse, flasque entre ses cuisses.
Pour sa défense, elle ne connaît pas la différenciation de sexes ni l'accouplement entre deux êtres sexués. Les seuls sexes présents en ce royaume marin arrangeants, se rangeant difficilement dans la dichotomie du masculin et du féminin. Dans son univers salin, il y a les hermaphrodites -catégorie à laquelle elle appartient- et les mâles tritons. Être hermaphrodite ne possède nul désavantage, ayant les attributs féminins comme masculins ainsi que les qualités, chacun peut choisir d'engendrer ou de porter sa descendance sans pressions sociétales. Pour se montrer la parfaite fusion du féminin et du masculin ; l'hermaphrodite parfait la nature, comble un manque criant d'égalité.
Ainsi, elle ne comprenait pas être réduite à ce nouveau sexe, dans sa renaissance vers le genre humain, elle obtenait bien malgré elle une identité sexuée. Ignorant tout du genre, de la sexualité et de la société bâtie par l'humanité ; elle ne pouvait qu'être stupéfaite. Son étonnement n'avait d'égale que sa stupeur devant les nouveautés l'environnant. Pour l'heure, elle chancelle, elle se sent flageolante, molle comme une chandelle fondue s'étant consumée sous la chaleur de la flamme vive de la vie. Pas facile de tenir debout pour la première fois de sa vie et encore plus d'essayer de marcher.
Elle s'interroge sur la manière de mener à bien ses avancées en tant qu'humaine. Ayant tant de peines à ne pas tomber. Pourtant, elle se soumit à la force d'attraction, rejoignant le sable sous la pression de la gravité, elle n'allait tout de même pas ramper !
Elle qui rêvait de se mouvoir avec aisance ne parvint qu'à s'asseoir. Tandis qu'elle échouait lamentablement à de nombreuses reprises à se déplacer, elle inspire de nouvelles goulées de l'air côtier, elle vit une forme humaine au loin s'approcher lentement.
Il s'agit d'un marchand ambulant, traînant une charrette d'étoffes chamarrées et des biens ; par curiosité, il marche vers cette silhouette trébuchante puis à moitié couchée dans le sable humide irritant son derme. Troublé par la créature, il se dirige vers elle, stupéfait il observe la frêle jeune femme, les cheveux mouillés défaits couvrant à peine ses petits seins aux mamelons pâles presque couleur d'ivoire, elle a les côtes saillantes, les jambes repliées sur elle, dans l'expectative. Elle l'observe de ses grands yeux aigue-marine d'où s'écoulent une telle candeur, une telle fraîcheur que jamais le marchand ambulant n'avait pu apercevoir parmi des femmes de son âge, seulement parmi des enfants.
Cette étrangère ne craignait pas sa présence, elle ne se recouvre même pas la poitrine, semble parfaitement à l'aise avec sa nudité, il détaille son corps d'albâtre semblable à une perle d'huître ou de l'écume s'échouant sur les côtes, il la trouve splendidement belle, de suite, il souhaite connaître son histoire, lui venir en aide et le premier acte charitable qu'il fit fut de prendre une de ses plus belles étoffes, une soie venue d'une contrée orientale pour cacher sa nudité et la protéger du froid. Surprise, l'ancienne sirène touche le tissu si différent de ceux de son royaume, il n'a rien de semblable avec ceux confectionnés à partir d'algue, d'écailles ou de coraux.
La soie agréable caresse sensuellement sa peau, elle découvre un autre univers de sensations, auparavant dans l'océan, elle avait touché aux coraux, écailles, les algues mouvantes, le sable humide, le nacre des coquillages et des rochers abyssaux aux curieuses aspérités. Le soleil sèche amoureusement sa peau au teint laiteux, la réchauffe et elle ressent le plaisir de sentir la brise marine. Elle qui n'a jamais porté de toute sa vie le moindre vêtement, elle ignore l'utilité du tissu offert, si ce n'est le palper et s'extasier de sa douceur.
Le marchand ambulant la voyant s'amuser avec la soie que davantage s'en servir pour se couvrir, il décide de l'aider, un sourire aux lèvres. Il la drape de l'étoffe telle une enfant ingénue, une étrangère ignorant tout des us et coutumes de leur pays. Puis, il saisit un cordon beige pour serrer cette robe de fortune, il lui offre également un châle pour ne pas laisser ses épaules dénudées. Elle s'interroge sur cette façon de s'habiller, elle s'habitue à la présence d'un tissu tout contre sa peau. Sa démarche se montre toujours vacillante, néanmoins cette fois, elle peut désormais compter sur l'aide de ce bon samaritain.
Les conseils avisés de la sorcière des abysses lui ayant offerte cette nouvelle enveloppe charnelle ne figurent plus dans sa tête. L'humanité lui montre un bon aspect, elle se questionne sur les raisons conduisant les habitants surnaturels à leur donner une si mauvaise réputation.
L'homme lui offre des vêtements, son soutien et elle ne sait comment le remercier pour sa bienveillance, ne voulant surtout pas paraître ingrate. De retour chez lui avec la jeune femme au bras, il appelle aussitôt son épouse qui stupéfaite l'harcèle de questions, sur ses origines, si celle a déjà pris un repas, quel est son nom ou son statut social. Honnête, il lui rétorque ne pas le savoir. Étonnée, elle se retourne vers la sirène métamorphosée par un sortilège qui lui sourit de toutes ses dents mais ne parvient pas à lui répondre. Attendrie, l'aimable matrone la prend par le bras et lui enjoint à demeurer vivre avec eux aussi longtemps qu'elle le souhaite, de les considérer comme des parents.
Contente d'avoir trouvé un toit, ainsi que le moyen de connaître la race humaine, vivre parmi eux et qui sait devenir à son tour un peu plus humaine; elle ne put rêver meilleur dénouement. C'est plaisant de posséder une famille de substitution, de pouvoir se nourrir de divers mets, également se vêtir avec des robes cousues main. Elle souffre toujours de marcher, elle balance ses nouvelles jambes lorsqu'elle est assise, elle tente de les utiliser et les apprivoiser. Sûrement par manque d'accoutumance ou à cause de cette nouveauté, elle ne réussit pas à marcher comme tout à chacun, c'est très laborieux de tenir debout alors courir n'est pas pour bientôt. Au lieu de la juger tel un poids mort, une charge ; ils la plaignent en voulant la soigner au mieux, elle boit de la soupe et savoure du bouillon de poule car l'épouse du marchand est persuadée que cela lui apportera des vitamines et des protéines.
Ainsi, elle se plie à toutes leurs exigences, elle recouvre un peu sa voix mais cela lui est douloureux encore de l'utiliser et elle regrette son océan car l'air empli d'oxygène lui brûle les poumons, elle a beau se désaltérer, rien n'y fait. Toujours, elle possède cette sécheresse permanente tant cutanée que sa gorge.
Une gorge toujours asséchée, des lèvres ayant la nécessité d'être continuellement humectées et sa peau nécessitant de l'hydratation. Sa présence leur plaît, pourtant il s'agit d'une bouche supplémentaire à nourrir, puis elle ne s'occupe pas de grandes taches dans la maisonnée. Donc, quand un valet arrive, observant à la dérobée la jeune femme au teint diaphane, aux cheveux blafards, il est fasciné et il interroge le marchand ambulant sur celle qu'il pense être sa fille.
Celui-ci ne se fit pas prier pour effectuer un récit édifiant de la découverte de la jeune femme nue, amaigrie, si faible, allongée sur le sable. Ayant un cœur énorme selon ses dires -malgré son humilité certaine, il ne manque pas de vanité- il ne put se résoudre devant ce spectacle à passer son chemin, il prit la décision d'aider la belle inconnue, de l'amener chez lui et l'élever avec son épouse comme s'il s'agit de leur propre enfant. Surpris, il voulut de suite en informer les plus hautes instances, histoire de connaître de quelle contrée elle provient. Néanmoins, personne ne sait qui elle est.
Bientôt, la rumeur enfle sur cette jeune femme, est-elle une aristocrate déchue s'étant échouée sur leur plage ? Une pauvresse ayant échappé à un terrible sort ?
L'ignorant, ils spéculent tous, tant et si bien que cela arrive aux oreilles du prince. Celui-ci se montre curieux, l'identité de la belle inconnue l'obsède, si bien qu'un jour, il partit la rencontrer.
Tout simplement subjugué par la beauté de la créature apparaissant devant ses yeux, le prince n'ose entrer pour la saluer. Elle est tant éloignée de toutes les autres femmes de sa cour, elle possède cette allure éthérée, ce caractère doux et tranquille. Non, elle ne ressemble à aucune autre, son teint de marbre avec ses formes élancées finement ciselées, ses fines lèvres couleur corail, sa stature altière, ses cheveux tels des fils d'araignée en cascade chutant dans son dos, sa taille fine, ses seins menues et surtout des yeux d'aigue-marine d'où une candeur manifeste l'éclaire. En bref, toute son apparence quasiment irréelle l'émerveille prodigieusement.
Constatant être observée, elle se retourne sans crainte vers le bellâtre pour lui offrir un radieux sourire. Toutes ses convenances fondent telle la neige au soleil, il la salue de façon courtoise et s'apprête à partir lorsque l'épouse du marchand le remarque.
Rien qu'à sa livrée, elle entend d'un coup d'œil son statut royal, sa noble ascendance, sans savoir pour autant qu'il s'agit du prince en personne, pensant plutôt à un duc ou un comte de passage, elle l'invite à se reposer dans son humble bâtisse ainsi que de déguster des petits biscuits avec de l'hydromel. Il accepte volontiers, en se déclarant intérieurement qu'il pourra prendre cette entrevue en prétexte envers le roi son père ou ses conseillers comme aperçu des conditions de vie de sa population, être au plus près de ses sujets. Cela a plus d'allure de mentionner cela, plutôt que d'avouer la vérité, c'est à dire avoir cédé à sa curiosité.
L'ancienne sirène se déplace à l'aide d'une canne en bois, le jeune prince intrigué aborde la raison de cette béquille improvisée. La jeune femme ne lui rétorque rien, elle ouvre la bouche sans qu'aucun son n'en sorte. En dépit de sa splendeur, il se dit qu'elle a le défaut d'être boiteuse et muette. La matrone au chignon serré, se gratte un peu le cuir chevelu, elle est un peu gênée de ce silence.
- Que mon seigneur nous pardonne, la pauvre enfant est atteinte d'un mal nous dépassant, à cause de cela, elle se montre incapable de parler longuement. C'est un filet de voix s'échappant de sa gorge quand elle est apte à s'exprimer. Ne la jugez pas sévèrement, je vous en prie, il ne s'agit pas d'impolitesse.
- A t-elle pu consulter un médecin ?
- Oh les dieux nous en préservent de ces guérisseurs là ! Il apportent aisément la mort, puis nous réclament une somme conséquente.
- Sans offense, il faudrait en faire mander un. Son mal semble grave si elle a régulièrement des extinctions de voix, en avait-elle souvent enfant ?
- Je l'ignore.
- Comment cela se peut ?
- Ce n'est que très récemment que nous l'avons recueillie, nous ne savons rien d'elle, mon mari l'a trouvée dénudée, affamée, allongée sur le sable.
- Quelle curieuse aventure ! S'exclame t-il, ne masquant pas sa stupeur. N'a t-elle point évoqué la contrée ou la ville d'où elle est originaire ?
- Hélas non. Mon époux a toqué à de nombreuses portes en questionnant les habitants alentour, eux aussi ignorent tout d'elle. Elle semble être engendrée par la mer, il m'arrive de la surnommer : ma petite écume, puisque le nom qu'elle m'a révélée, je ne l'ai compris, ni réussi à l'articuler.
Le prince, loin de s'alarmer de ne point connaître son origine, il s'en fascine, elle devient la source de fantasmes protéiformes.
« Écume, quel mignon surnom pour la désigner » songe t-il, en la contemplant à la dérobée.
Elle semble véritablement être confectionnée de cette étoffe des flots marins. Sa peau en a la blancheur, son être se montre tout autant évanescent, à chaque seconde, il la trouve si irréelle, si proche de s'évaporer. L'ancienne sirène sous cette forme de mortelle lui plaît terriblement, elle lui apporte cette fraîcheur et cette candeur inconnue à sa cour. Il ne souhaite que la connaître, la combler de cadeaux, lui offrir toutes les joies inimaginables, la conserver précieusement à ses côtés. Elle l'attire, plus qu'il ne le pense, elle qui ne prétend rien, qui n'est rien, il désire la prendre en reine, la couvrir de soieries rares, de joyaux étincelants, d'ouvrages brodés d'or, de tiares éblouissantes, recouvrir son corps des plus raffinées étoffes, de la plus douce hermine, de la fourrure la plus fine. Cette étrangère par sa seule présence lui offre la fièvre d'un amour naissant, à peine balbutiant.
La femme du marchand s'en aperçoit rapidement, elle conçoit donc de tâter la solidité de cette affection pour la pauvresse répondant au patronyme d'Écume.
Puisque la jeune plaît tant au prince autant en tirer parti, profiter de la naïveté des riches qui bien trop souvent sont si peu soucieux de leur argent, davantage de leur réputation, honneur et fierté. La matrone ignore avoir affaire au prince en personne, seulement un noble perdu dans la mêlée de la populace. Celui-ci ne risque pas de confirmer ou détruire la méprise de la femme du marchand.
Lejeune homme bien mordu de la sirène prétexte tous les justificatifs possibles et inimaginables auprès de ses proches et plus largement la cour pour échapper à ses responsabilités pour la revoir. Ainsi, lorsque non sans ruse, la matrone prétend que la candide, éthérée, gracieuse écume a été enlevé par des bandits ayant appris qu'elle possède un noble et précieux ami ; il n'hésita pas une seule seconde !
Sans douter de la parole de la femme, parfaitement mortifié, il battit la campagne pour la secourir d'hypothétiques ravisseurs puis prit les fonds nécessaires constituant la rançon. Sans savoir que les tristes sires n'existent guère, arroser d'argent par sa crédulité le marchand ambulant et son épouse !
Écume ne tarda pas émerger.
Et le prince positivement ravi de la retrouver en aussi bonne santé, après ce fictif enlèvement l'enlace tendrement, il s'enhardit à demander à sa famille de substitution, ignorant avoir déjà payé le prix s'il peut l'emmener au palais pour mieux jouir de sa compagnie.
Il leur assure bien la traiter, la couvrir de présents, lui permettre de mener un train de vie plus conforme à un probable statut, comme de toute mettre en œuvre afin de retrouver son pays d'origine et la soigner. Bien aise, sans en éprouver la moindre culpabilité d'avoir pu abuser de la crédulité princière pour son époux, la roturière lui répond : « Sire, rien ne nous ferait plus plaisir que de la confier en de si bonnes mains ! Nous acceptons votre sincère, désintéressée proposition, bien que nous nous sommes attachés à sa présence dans notre foyer la considérant comme notre propre enfant, en dépit de toutes les zones d'ombre entourant son passé et son arrivée. C'est attristés et heureux d'une telle générosité que nous vous concéderons sa garde, cependant le reste dépend de vous pour la persuader de vous suivre au palais. Obtenez d'elle l'accord et vous aurez de nous de nouveau toute la bénédiction pour l'obtenir et vivre à ses côtés ! »
La chose lui parût honnête, heureux de ne pas essuyer de refus, il annonce la bonne nouvelle à la sirène, quelque peu oublieux de ne pas pouvoir d'elle obtenir une franche réponse car sa voix s'échappe par filets. Étonnée d'une telle considération, ce revirement selon elle si inattendu, elle mit peu de temps à réfléchir à la proposition. Un timide sourire au visage, elle hoche la tête en songeant à toutes les nouveautés qu'elle verra de l'humanité grâce à lui.
C'est ainsi qu'un beau soir, il revint avec bon nombre de valets pour assurer le déménagement. Quelle ne fut pas leur surprise de constater les maigres possessions de la jeune femme offertes par la famille. Qu'importe cela, le prince ne boude pas son plaisir, il l'emmène fissa !
L'arrivée en la présence d'écume dans la cour cause grand bruit d'autant que celle-ci en dépit de son jeune âge se déplace à l'aide d'une canne, possède des difficultés à s'exprimer, n'ayant pas d'éloquence. Bientôt, on se passionne pour cette séduisante étrangère tombée du ciel ou plutôt rejetée par les ressacs ! On s'arrache la moindre information la concernant et les courtisanes ne peuvent se retenir de l'envier d'avoir si aisément obtenu les faveurs, la présence et l'attention princière.
Comment auraient-elles réagi si elles avaient appris son amour pour cette inconnue ? À n'en point douter de jalouses, envieuses, elles seraient devenues de véritables harpies, prêtes à toutes les bassesses pour la calomnier.
À mille lieues de ses considérations, le jeune héritier heureux essaye d'en apprendre plus sur écume. Il a beau passer des annonces, promettre monts et merveilles, renommée à quiconque découvrant son origine : nul savant, nul érudit et nul sorcier ne parviennent à établir précisément sa provenance. C'en en est même rageant que de fréquenter une telle beauté auréolée de mystères sans savoir sa naissance, ni même son ancienne origine sociale ou tout simplement sa précédente vie.
Tout subjugué, il ne tarde pas à s'en faire une raison de cette impasse et prendre la décision de tenir au moins la seconde partie de sa promesse en lui permettant par le concours d'un des meilleurs médecins de tout le royaume alentour la guérison !
Histoire de connaître les maux dont elle souffre, mieux la traiter et aussi produire une forme désintéressée de charité.
La consultation médicale apporta son lot d'interrogations ainsi que d'incompréhensions. D'abord, en dépit de toute sa science, le médecin n'apporta pas de réponses au sujet de son incapacité à parler davantage, les cordes vocales n'étant pas touchées, sans le moindre ganglions ou excroissances à la gorge ; difficile de se prononcer.
Alors, il décide pour ne point passer pour un charlatan ou un incompétent de se concentrer sur le souci le plus visible : l'incapacité de se déplacer sans béquille et se tenir correctement debout.
La sirène avec ses nouvelles jambes semblent être née hâtivement, offrant une sorte de malformation psycho-somatique pour demeurer debout ou marcher. Car la surface lui apporte une renaissance, plus que douloureuse, également assez peu commode pour prétendre être humaine. Jeune femme étonnée des mœurs de la terre ferme se prête à l'exercice, ignorant tout de la profession de médecin car en tant que sirène, elle ne connaît que shamans guérisseurs et herboristes.
En conséquent, la science médicale lui est étrangère, elle s'y prête volontiers, seulement pour contenter et satisfaire la curiosité de son doux prince.
Le médecin étonné, il ausculte les jambes de la sirène, comprenant peu les raisons des paralysies momentanées, la difficulté à se mouvoir, il émit donc l'hypothèse d'un traumatise au niveau du dos effectuant pression sur les jambes ainsi que des molestations passées l'ayant conduit dans cet état. Or, il ne s'agissait que d'hypothèses, rien ne put infirmer ou confirmer son diagnostic puisqu'il ne remarqua pas la moindre ecchymoses sur son corps. Il avait à son sujet de la curiosité et de la stupeur.
« C'est prodigieux, je n'ai jamais contemplé de pareilles jambes, il semble qu'elles viennent de naître tant elles sont lisses, souples, sans la moindre imperfection. Je ne remarque aucunes lésions, sans doute sont-elles internes ou il s'agit d'une déshydratation sévère affectant les tendons. C'est inouïe, à part la mention de cette pellicule étrange couvrant ses tibias et un peu ses cuisses ; elles sont bien proportionnées, non atrophiées. M'est avis que la peau se montrait irritée ou que les domestiques ont confondus crasse et maladies. » déclara le médecin, assez étonné de cette patiente étrangère, il remarqua aussi une difficulté dans l'expression, il songea à un possible traumatisme crânien.
En bref, il recommanda le lit, les massages aux jambes, une bonne hygiène et une bonne alimentation. Concernant les breuvages à lui administrer, des doses faibles suffiront, principalement de l'ail pour améliorer la circulation du sang et du foie de poisson pour améliorer ses capacités motrices.
Mis à part sa mise bizarre, cette spécificité de jambes ne la tenant pas, tel un bambin apprenant la marche sur ses deux pieds, son manque de participation aux conversations, il y avait à son sujet une sorte d'ingénuité touchante et désopilante. Il semblait qu'elle n'aie jamais vu de brosses à cheveux ni de couverts et encore moins de chaises. Ainsi, toute la cour spécula sur la contrée dont la belle provenait, malgré la pâleur de sa peau, personne ne doutait qu'il s'agissait d'une sauvage propulsée soudainement dans la civilisation.
Au départ, un tel manque de savoir-vivre avait quelque chose de rafraîchissant, bien du monde vantait sa franchise, son naturel puis son attitude se mit à lasser voire agacer. Sauf, le prince visiblement conquis par la superbe créature au cheveux d'un blond cendré tirant vers le blanc.
Ils se mirent donc en devoir de la civiliser, lui apprendre leurs us et coutumes. Les domestiques, lorsqu'elle parvint à marcher convenablement se mirent à lui courir après comme si elle fut une enfant pour ne point qu'il y ait de casse, puis elle causa une grande frayeur quand on la vit à l'endroit même où la mer l'avait rejetée se dénuder puis se baigner visiblement ravie et ignorante de la pudeur ou qu'une femme ne barbote pas dans l'eau douce ou de mer, sauf pour se laver. Bien entendu, comme la sorcière lui avait prédit, elle souffrait le martyr de devoir se déplacer à la manière humaine et elle n'avait de repos seulement lorsque ses jambes trempaient dans une eau saline ou même douce.
Ils jugèrent en l'observant qu'elle ne fit aucun effort pour s'intégrer, ce fut tout un événement que cette jeune femme ignorante de l'art de la table, s'asseyant à même le sol, tel un animal pour s'alimenter et non sur une chaise. Pour tenir sur celle-ci, il fallait déployer des trésors de patience, presque la maintenir, sans compter lui enseigner d'être assise sans balancer ses jambes ni les laisser ouvertes de toujours les croiser. Cela semblait lui causer une terrible souffrance de tenir cette position, ce qui fit ricaner.
La bonne société se rit toujours des membres la composant inaptes à posséder la bonne attitude, à suivre la bonne marche des conventions, à appliquer naturellement l'étiquette, écume ne fit pas exception.
Incapable d'entendre les raisons de ces moqueries, la sirène se surprend d'entendre leur rire, elle tenta même d'adopter ce son si dissonant à ses oreilles, ce qui intensifia l'hilarité générale à son sujet.
N'entendant rien aux raisons poussant d'autres humains à en railler d'autres, attribuer des quolibets, elle fut bien malgré elle une cible facile. C'était pitié que de constater la naïve créature sourire de toutes ses dents à l'écoute de moqueries, de caricatures la concernant. De tels comportements railleurs à l'égard d'écume, innocente parmi les cyniques ne provoquent pas que de la compassion pour la victime, également du mépris, voire de l'inimitié pour cette élite pétrie de sa fatuité, croyant ses codes unanimes.
Pauvre petite sirène, risée des puissants pour sa conduite peu conforme à son nouveau rang d'aimée du prince. Ce dernier se plaît en permanence à l'exposer possiblement aux piques de ses courtisans, il ne se doute pas le moins du monde de ses actes contre l'étrangère, la croyant séduisante pour tout à chacun, faisant de son cas, non une exception mais la généralité.
La sirène, non dénuée d'attraits pour un prince se lassant de sa cour, du discours courtisan à son égard, de l'hypocrisie permanente, il se prit d'affection plus que de pitié pour elle.
N'entendant pas toujours les coutumes humaines, il lui arrive de se comporter de manière déplacée, ne respectant pas le protocole, ayant de la difficulté à humainement agir. Son manque de parole, son caractère d'étrangère lui permettent de s'en affranchir d'une certaine façon.
Or son aspect exotique en exaspère plus d'un, y compris le concerné lui-même, celui-ci ayant été accoutumé aux courbettes dès son enfance, parfois ne parvient pas à accepter son aspect de mortel.
Bien entendu, sans se douter fréquenter un être surnaturel, lui devant sûrement à ce titre plus de déférence.
Écume car tel est son nom en ce monde nouveau, n'a pas seulement vécu une nouvelle naissance, elle renaît sous une autre forme socialement. Auparavant, dans un univers océanique, sirènes et tritons se montrent moins dissemblables que les femmes et les hommes. La température à ce sujet, à la surface se montre glaciale. Comment accepter la transgression de passer du masculin au féminin ou l'inverse ? Comment pourrait-elle, humanité aimant tant tout catégoriser, autoriser une telle liberté ? Pourquoi même croire cela existant ou possible ?
Ainsi, comme de nombreux peuples, ils se contentèrent de l'existence de deux sexes, la distincte séparation des genres, gare à celles et ceux osant braver les interdits.
Au bûcher, la pure guerrière termina pour avoir osé des vêtements d'homme porter, bataillée et menée des hommes au combat contre l'envahisseur. Politique, misogynie, obscurantisme s'allièrent pour la briser or son souvenir demeura, la légende nous rendit si fiers pour terminer par nous répugner de l'usage infecte des descendants de ceux qui la condamnèrent à brûler vive. Ses restes consumés avec tant d'ardeur, en notre cœur, nous les avons conservés, même les ennemis de jadis l'adulent.
Le chevalier d'éon eut une histoire moins tragique, pourtant que l'on a répandit de rumeurs, d'encre à son égard pour décréditer ses aptitudes, ses triomphes ! Comme son sexe a importé et importe encore ! Combien sa vie sentimentale a importé !
Ah, si seulement, l'on s'intéresserait davantage à l'essence des êtres nous entourant, plutôt qu'aux enveloppes, ses tenues de chair nous éloignant de l'âme..
Trêve de mysticisme, puisque la petite sirène vécut une torture physique à se tenir assise avec ses nouvelles jambes, à danser sur des talons meurtrissant ses pieds si fragiles, ajoutée à cela une mentale. À n'importe quel moment le secret de sa véritable nature pouvait par manque de vigilance s'éventer, la sorcière des abysses l'avait prévenue du risque encouru pour une telle révélation.
L'envie de connaître l'inconnu, le monde de la surface l'a guidé, la curiosité l'y a fait séjourner plus que nécessaire puis l'amour l'ont mené en ses retranchements jusqu'à ses extrémités.
Le prince se montre plaisant, se comporte si honnêtement à son égard, jamais il ne se moque de ses frasques, il se garde bien de rire de leurs différences culturelles, il tente même d'en apprendre davantage sur son pays d'origine ainsi que sa langue ; or la petite sirène demeure presque muette, émettant des phrases pour toute oreille humaine une bouillie auditive, un galimatias, voire des mots incohérents qui la rendent aux yeux de tous défaillante et inepte à la conversation voire même à la réflexion.
Cela également, la sorcière des abysses le lui avait annoncé.
On ne quitte pas si aisément un monde pour un autre sans répercussions, la brûlure dans ses poumons s'estompent, or au réveil, il lui arrive fréquemment de manquer d'air, les yeux exorbités, contemplant avec horreur cet atmosphère gazeuse et non liquide qui l'entoure pour se remémorer sa nouvelle condition, enfin reprendre sa respiration.
Passer de branchies à des poumons, lui avait expliqué la sorcière, cela ne se montre pas sans conséquences, hors de l'eau la constance sera de devoir apprendre les bases les plus élémentaires de l'humanité : marche, coutumes, manière de se nourrir, de se vêtir et la parole. Tu ne pourras point séduire de tes chants les hommes ni tous les ravir, tu seras l'une des leurs pour un temps, ils te prendront en pitié car pour eux, tu deviendras une figure misérable, au même titre qu'un estropié.
Pourtant, elle aurait tant souhaité ses mises en garde exagérées, elle aurait davantage du en faire grand cas, car la voici aux côtés de l'homme aimé, inapte à effectuer le premier pas.
Oh, comme elle aurait désiré lui interpréter ses chants favoris, l'étourdir d'un charmant babillage, courir à perdre haleine à travers champs, en riant tout en lui tenant la main !
La petite sirène doit s'y résoudre, elle demeure parmi l'humanité telle une enfant en bas âge, la sollicitude du prince l'attendrit comme l'attriste. Elle se sent parfois un poids à l'épanouissement de son tendre aimé, or lorsqu'elle échoue, il ne la sermonne pas, il lui sourit même, il rit de bon cœur avec elle et non d'elle. À chaque éclat de rire, son cœur bondit, parfois, sous prétexte d'une chute indue par ses nouvelles jambes flageolantes, elle s'appuie plus que nécessaire sur le jeune homme, elle l'enlace même doucement, feignant l'accident pour mieux l'étreindre contre son cœur, il la laisse s'attarder dans ses bras, éprouvant le même sentiment, un semblable émoi.
Les journées s'écoulent, si plaisantes, si paisibles que la petite sirène en oublie même sa condition première, elle appuie plus durement sur ses talons, se contraint aux longues marches pour mieux plaire à son prince, à suivre des protocoles lui étant douloureux , apte à tout endurer pour l'amour du prince. Se mettant à apprécier l'herbe verte chatouillant les orteils, l'air de la montagne vivifiant, de s'émerveiller de cette faune si terne comparée à celle marine, à éprouver de l'affection pour oiseaux, félins et d'autres mammifères.
Elle découvre un monde inouïe ne cessant de la fasciner, l'émerveiller et de la surprendre.
Ainsi, lorsque le prince après des mois d'encouragements à son égard, de douceur, de présents, ce doux seigneur prit la liberté au grand dam de toutes les grandes dames, grands de ce monde ayant des filles à marier pour jouir d'une meilleure position sociale, du roi son père, de la reine mère assez surprise- d'inviter au bal la petite sirène, cette dernière crut défaillir tant la nouvelle la mit en joie.
Elle se fit un devoir d'apprendre l'art de la danse, de se vêtir telle une dame ou du moins d'essayer, comme de porter les talons de mises pour toutes femmes, chose que jusque-là, elle n'avait porté.
Donc, elle crut naïvement pouvoir modifier sa véritable nature lors d'une soirée enchanteresse passée à danser avec son bien-aimé sous les regards médusés et surtout dévorés de jalousie des dames.
Infortunée sirène, oublieuse par sentimentalisme des avertissements comme de la nature malgré qu'elle la chasse, celle-ci revint au pis moment au triple galop.
La musique, la nourriture et la compagnie eurent beau se montrer exquises ; le prince resplendissant dans sa tenue d'apparat : il n'en demeurait pas moins que chaque pas de danse effectué chaussée dans ses instruments de torture lui infligeait non point une décharge d'énergie ni ne lui procurait de la joie mais une lancinante douleur dans les pieds. Ce fut terrible, telles des dagues s'enfonçant davantage dans la chair si jeune de ses talons, découpant ses orteils graciles, lacérant le pied tout entier. La danse s'éternise, au lieu de s'en ravir de la promiscuité princière, des mots doux tendrement murmurés à l'oreille, elle prie pour ne point défaillir, ne point s'évanouir tant le moindre pas lui en coûte.
Valses après valses, l'amusement des humains pour l'exercice lui échappe, elle se sent emprisonnée en enfer, condamnée à suivre le mouvement sans pouvoir s'arrêter dans cette infernale ronde, comme si au lieu de danser en portant de beaux escarpins à talon, l'on le lui avait à la place chaussée de sabots chauffés au fer blanc. Leurs bonne humeur, rires, plaisanteries lui apparaissent infectes, fausses, hypocrites et bientôt, l'impression paranoïaque de se montrer le sujet de ces rires.
La petite sirène voudrait retrouver sa voix pour hurler sa détresse, s'apaiser par un chant, les perdre comme les conduire tous à la folie en chantant, telles ses sœurs s'amusant à provoquer les naufrages.
Candide sirène qui dut bien reconnaître une fois la danse finie, ne pouvoir appartenir en essence à ce peuple, à la race des Hommes, son enveloppe a changé par sorcellerie pas son âme ni son esprit.
Le bal s'éternise, elle s'excuse de le quitter, déclarant avoir une faiblesse, une fatigue sûrement à cause de sa condition étrange la conduisant à ses états fréquents de langueur et le prince de le lui autoriser en baisant sa main plus longuement que nécessaire en lui réitérant demeurer son obligé. Au lieu de s'en réjouir, elle fuit presque en courant la salle où se déroule les festivités, elle se déchausse, au mépris des conventions, elle s'enferme dans ses appartements, elle s'échine à retirer la superbe robe trop près du corps qui l'étouffe pour mieux respirer.
Nue, elle se sent plus libre, elle s'assoit sur le lit, défait la coiffure ayant nécessité des heures pour la réaliser, une attente interminable à demeurer assise, à ronger son frein tandis que le coiffeur et ses assistantes lui martyrisaient le crâne. Ses mains tremblent, elles cherchent ses talons fendillés, elle grimace, puis se prend le visage, songeant à la folie effectuée et qu'elle ne pourra jamais endurer une vie pareille même par amour.
Une telle pensée l'émeut grandement, elle désire tant conformer son apparence aux normes de la surface, prendre leurs allures et manières pour qu'enfin le prince puisse sans rougir la choisir. Voilà qu'en une soirée, tous ses rêves de grandeur, ses illusions se fissurent, son espoir a fondu comme neige au soleil, sa peau d'albâtre se mit à rosir de rage contre elle-même, elle se tord les cheveux se sermonnant vertement : « Pourquoi ai-je quitté l'océan ? Pourquoi l'aimer me fait souffrir autant ? Aurait-il mieux valu ne jamais croiser sa route ou abandonner dès la première rencontre l'idée folle de devenir humaine pour mieux le contenter ? »
Des larmes roulent sur ses joues, elles semblent confectionnées de pierres précieuses tant elles étincellent, de la rosée sur une fine peau aussi pâle qu'une toile d'araignée, les gouttes se perdent sur la couverture, ses bras, ses genoux ou se nichent dans le sillon de ses seins si menus aux mamelons couleur cuisse de nymphe tant leur clarté se confond presque avec la peau.
Après cet épisode, jamais elle n'aurait pu espérer ses sentiments partagés, loin de la trouver déplaisante ou repoussante pour ses faiblesses, ses manquements, le prince la trouve tout bonnement charmante cette ingénue aux airs évanescents, semblant sculptée dans de l'ivoire.
Comme elle lui apparaît désirable cette pure créature au doux surnom d'écume, née telle une déesse des flots l'ayant rejetée, jeune étrangère dont il ignore tout, si ce n'est qu'il la désire ardemment. Est-ce un sacrilège de porter une telle innocence dans le stupre de sa couche et de la porter aux nues ?
Ignorant cette interrogation, sorte de question rhétorique, en bon prince soucieux de jouir de tout objet auquel il porte de l'intérêt, il se mit en tête de mieux la séduire, et dans la jouissance la conduire.
Que connaît la sirène des ébats des hommes ? Rien ou si peu de choses. Baisers, étreintes, entrelacements des mains lui sont familiers, même si la façon humaine de procéder la stupéfie parfois. Mais enfin, lorsque l'on a une queue de poisson, comment parvient-on à se figurer la manière dont les mammifères s'accouplent ?
Peut-on blâmer l'ingénue enfant de ne point s'en être souciée ni avoir effectué la moindre recherche avant son arrivée sur la terre ferme ? Assurément, elle devrait se méfier et ne se fier qu'à ses sensations. Cependant, l'amour mène à de grandes folies, la sienne fut une fois de plus de se croire en partie humaine. Elle ne vit donc point de mal à s'offrir à son prince tant aimé, lui montrer son corps nu, du reste à cet égard, elle n'adopte pas la pudeur de mise, n'entendant guère les injonctions féminines de la surface à montrer de la gêne vis-à-vis de la nudité, surtout la sienne, surprenant par son audace le prince, se déclarant en l'observant déambuler dans le plus simple appareil avoir déniché une jeune femme si naïve, si sauvage et si primitive en un sens que l'état de nature ne lui va pas en horreur, au contraire.
Quand la peau se révèle, le fantasme s'efface pour de la chair réelle, le corps se découvre, il arrive que l'on se dise, démystifié : « Oh, finalement ce n'est que cela, si j'avais su, sûrement en aurais-je moins fait un si grand cas ! »
La chose ne se produisit guère avec la sirène devant les yeux avides du prince, étonné, il ne se lasse pas de contempler la gracile silhouette sortant sûrement à peine de l'adolescence. Androgyne, les fesses peu proéminentes, légèrement cambrée, les seins petits. Non, elle ne correspond guère aux critères habituels de beauté, bien trop maigre, les hanches trop étroites, la poitrine pas assez développée et pourtant ce fragile corps opalescent, si particulier, sans savoir pourquoi il l'eût en obsession, il en eu soif dès la première vision.
L'ivoire si doux de sa peau le propulsa dans un océan d'ivresse érotique, eau saline asséchant la gorge, l'assoiffant sans cesse que cette sirène aux yeux gorgés de candeur qui s'en remet à lui sans condition.
Pour vivre aux côtés du prince, elle a rejeté sa condition demi-poisson, mi-hermaphrodite créature pour devenir humaine,peut-elle parvenir suite à un ensorcellement pleinement à embrasser l'humanité ?
Inconditionnellement, elle sombre dans les vagues du désir de leur ressembler, avoir leur attitude, marcher lui en coûte encore, or lorsque le jeune homme aux bruns cheveux, yeux noisettes l'embrasse tendrement, lui caresse l'échine, passe sa main dans sa chevelure argentée ; elle se déclare apte à tout endurer.
Ses souffrances physiques n'en finissent pas, ses pieds douloureux, sa tête endolorie ne lui donnent point de trêves, ce n'est pas faute d'effort, de soulager ses jambes en les oignant d'huile, pommade et trempant dans de l'eau saline.
Et pourtant, son tourment lui paraît éternel.
Est-ce là le prix pour demeurer sous cette forme à la surface ? Elle souhaite parfois, pauvre sirène exsangue de toujours tenir le rythme de son prince adoré, quitter la terre ferme pour retourner auprès de sa mère, la mer qui l'accueillera sans larmes ni remarques amères, retrouver ses sœurs, échanger avec les naïades sur son expérience de l'humain.
Cependant, cela ne lui est guère autorisé.
La sorcière des abysses l'a mise en garde contre cette tentation, ce mal du pays qui pourrait l'amener à ne plus jamais pouvoir regagner les rives, même avec une sorcellerie puissante, c'est une règle primordiale : « Constance, quand l'on a conçu un choix aussi radical, l'on doit s'y tenir et se retenir de briser le rêve que l'on a tant fantasmé. »
Les étreintes princières la retiennent de s'extirper des bras et des attraits de la vie terrestre. L'amour détient une force, celle de tout transcender avec une félicité phénoménale, folie essentielle pour les poètes.
L'eau se montre trompeuse, elle se trouble alors que tantôt nous nous étions trempés sans sentir le moindre changement, elle dort pour mieux endormir notre vigilance, elle frappe plus violemment la terre que tous les tremblements de l'écorce terrestre, apte à tout renverser en un bouillonnement inquiétant, apte à éroder les falaises plus aisément que le meilleur des métaux.
Telle est la nature des sirènes, enfants de la mer, troubles créatures, capables de se sacrifier pour le bien commun, sauvegarder l'environnement, comme ne penser qu'à son égoïste plaisir, se montrant parfois cruelles à jouer avec les marins, les perdant en mer, les frappant de folie, héritières de Dionysos et certaines mêmes ont goûté la chair humaine sans être poussées par la faim.
Ambiguës, elles repoussent autant qu'elles fascinent.
La fluidité du passage d'un état masculin à féminin ou vice-versa, l'acceptation d'une dualité hermaphrodite, la liberté de leurs mœurs, tout cela se montre tout à la fois désirable qu'effrayant.
Le prince, inaccoutumé à cette ouverture, tolérance hors-norme en un âge antique où rares sont les populations à vivre pareillement sans contraintes, surtout dans cette contrée glaciale, proche du cercle arctique. La Polynésie se montre à ce niveau plus civilisée, nous avons infiniment tort en plaçant la barbarie, les rites superstitieux poussant aux massacres aux peuples ne nous ressemblant guère. Nous en étions encore aux guerres de religions lorsque la Chine fondait un modèle de ministères sur le mérite alors que nous en étions au droit de naissance, toujours plus de privilèges, nous condamnions Galilée quand les arabes ayant conservé les textes grecs antiques développaient la chirurgie et l'astronomie.
Le nordique, héritier de la couronne tout à son plaisir, il caresse le corps androgyne, lui baise les mains, le blanc cou, murmure un surnom, auquel il s'accorde encore à penser celui-ci si légitime tant elle semble s'évaporer, onduler telle l'onde marine.
Or, tandis qu'il la possède, quelque chose le chiffonne, une pensée l'obsède, ayant une expérience assez riche en matière de sensualité, de dépravations diverses car aucunes femmes ne se refusent aisément aux puissants, il éprouva une sensation si peu familière avec ce corps androgyne dans ses bras, il n'arrive pas à mettre le doigt dessus.
La sirène ne se doute guère des pensées princières, de l'étonnement perpétuel qu'elle provoque, toute entière absorbée au plaisir naissant et si nouveau. Telle une enfant, elle prend conscience de son corps dans les bras de son amant, elle se sent un peu plus humaine à chaque étreinte, la volupté la saisit toute surprise, sans pudeur ni éducation à cacher son plaisir, elle surprend son partenaire.
Ainsi, ils s'aiment jusqu'au petit jour et ivre de bonheur ; elle croit comme toute personne heureuse que cela durera l'éternité.
Elle ne remarque pas les changements sensibles d'attitude du prince, elle l'idéalise de trop, elle pense crédulement ses sentiments parfaitement réciproques, elle ignore tout du jeu de l'amour, du badinage, de la manière dont les hommes courtisent les femmes et elle ne reste point toujours à sa place.
Une nuit, elle le choque terriblement pour avoir décidé de prendre les devants, une femme dominant un homme au lit, c'est inouïe, indécent et propre aux filles de joie !
Autant dire que cela déplaît à son amant, ignorant la posture d'Andromaque détestable pour de nombreux hommes de ce temps, elle n'entend pas quel mal, elle a pu commettre. Si auparavant son princier amour s'attendrissait de ses maladresses, ne se moque jamais de ses incompréhensions, ne la juge point, mettant son ignorance sur le coup de sa condition d'étrangère, l'amour s'en mêlant, il devint moins tolérant à son égard et s'en éloigne.
La sirène s'en attriste, sans pour autant entendre la manière de bien se tenir en société ou seule à ses côtés. Les sages conseils de la sorcière des abysses lui manquent dans ce milieu humain.
Ainsi, un soir, tandis qu'il se repose, apaisé sur les draps, elle part se baigner pour soulager ses jambes douloureuses, chaque nuit, elle les hydrate et chaque matin pour moins souffrir. Elle ajoute à son bain du sel pour se remémorer son état naturel, elle a le mal du pays, l'eau chaude lui rappelle son enfance. Tant détendue, elle s'assoupit un peu, elle ne remarque pas d'être observée à la dérobée par son amant, la sorcière l'avait prévenue de ne jamais se montrer à lui baignée car le charme se rompt lorsque l'humanité doute de la nature de celle ou celui à qui elle a accordé la confiance. Une sensation étrange l'étrangle quand il regarde sans passion cette belle chair nue, une sorte de manque de naturel, il ignore pourquoi, il n'arrive pas à se sortir de l'esprit l'observer pour la première fois vraiment elle-même et dans son état naturel.
À partir de ce fatidique moment, le prince se montre moins attentionné, moins tendre et moins enclin à la manger de baisers. La sirène ne se doute point de ce revirement dans le cœur de son amant.
Elle poursuit sa quête de devenir pour lui, chaque jour plus humaine encore que les jours précédents.
Un soir, un sentiment de jalousie lui saisit la poitrine, jamais encore elle n'en avait éprouvé, une femme sophistiquée, habillée à la dernière mode de la cour de cette contrée s'approche sans souffrir du port des talons ou de la danse, elle a les joues se rosant naturellement, un air de bonne santé, moins livide qu'elle, une chevelure noire corbeau assemblée de bien belle façon en une coiffure complexe et cette dame demande la permission pour danser avec le prince à elle, l'étrangère n'étant plus rien sans l'amour du prince aux yeux de tous !
Comment refuser au prince ce plaisir alors qu'elle se montre incapable de valser avec lui ?
Mais la jalousie l'étreint, plus elle l'observe, plus elle l'envie, elle a la chance de se montrer pleinement humaine, pas le moindre effort à fournir pour courir, sautiller, battre la cadence, émerveiller de son esprit autrui et le prince sourit d'une joie qui auparavant lui était réservée. La sirène quitte la salle de bal, les larmes aux yeux, une haine non envers sa rivale mais portant sur elle-même, de ne pouvoir contenter son bien-aimé, ne point être à la hauteur, quelle douleur l'étreint !
« Pourquoi l'aimer me fait souffrir autant ? » se questionne t-elle encore.
Une autre épreuve vint enfoncer un clou sur le cercueil de son optimisme en cette relation, au départ tout semble s'améliorer, le prince voyage avec sa cour en un voyage en haute mer, cadre idyllique, sa manière de lui sourire à nouveau, d'une joie renouvelée lui accorde un répit et un brusque regain d'espoir. Elle est prête à quitter l'océan à jamais pour vivre à ses côtés, peu lui importe de toujours apparaître en paria, tant qu'elle peut se réfugier dans ses bras !
L'air marin la revigore, quelle pitié de ne point pouvoir se jeter à lamer pour nager quelques brasses, embrasser l'eau saline si fertile, enfin, elle respire !
Pourtant, elle étouffera bientôt, après cette courte joie.
Depuis plus d'une heure, le prince l'a quittée, laissée sur le pont en compagnie des mouettes et albatros de passage. Sûrement, s'amusent-ils à divertir ses invités ou est-il parti se restaurer ?
La soirée se montre fraîche, elle frissonne un peu.
Les courtisans, insensibles à son émoi l'ignorent, le prince n'étant présent, ils n'ont plus à prétendre avoir le moindre intérêt pour elle. La sirène ne le trouve point à boire et bavasser.
Écume s'inquiète quelque peu, elle se questionne, où peut-il se trouver ?
Elle aurait du jamais ne partir à sa recherche, écraser sa curiosité, au lieu de cela, elle erre telle une âme en peine, les jambes lourdes, les pieds froids, elle s'arrête devant la cabine royale.
Un doute l'assaille, doit-elle entrer ou renoncer ? Sans doute est-il parti simplement se coucher plus tôt ? Sans doute ne souhaite t-il pas de la compagnie ?
Mais la porte non fermée s'ouvre presque seule l'invitant à entrer. La curiosité plus forte encore la pousse à franchir l'entrée, ses mots se meurent dans sa gorge quand elle constate son prince bien-aimé à moitié dévêtu, dormant repus avec une autre.
Elle la reconnaît, la jalousie se mue en haine, hors d'elle, elle sort de la chambre, des larmes de rage aux yeux et se précipite instinctivement vers la mer, alliée de toujours.
Un chant résonne, cela l'extirpe de sa rage et son désespoir. Un chant connu, celui de la vengeance, le chant des sirènes aptes à tout corrompre, à empêtrer les mortels dans la folie. Dans ses voix mêlées, elle reconnaît ses sœurs, son cœur bondit, du regard, elle les cherche, elle les appelle et maudit sa voix enrouée ayant changé à cause de la surface. Elle désire plonger les rejoindre, abandonner ces chimères passées mais un autre désir la retient..
Ses sœurs se montrent à elles, toujours aussi espiègles, leurs traits non marqués par le chagrin mais par une vie de jeux et de joies. À l'instant, elle semble prête, le visage baigné de larmes à sauter,mais elles la retiennent, lui remémorant sa forme humaine, il ne faudrait pas qu'elle prenne de risques inutiles.
Elle leur narre ses aventures et mésaventures, sans rien omettre, joies et terribles peines ayant apporté la surface.
Tous ces maux auparavant invisibles qu'elle a expérimenté, ces quelques mois ont eu sur elle l'effet d'années, sa curiosité a eu raison d'elle et le point culminant de son aventure : la trahison du prince.
Elles partagent avec elle la colère, comment ce pitoyable humain a pu tant blesser leur sœur adorée ? Comment peut-il préférer le giron d'une humaine que celui d'une sensuelle sirène ? Comment ose t-il ?
Elles battent furieusement des nageoires, elles élaborent des plans pour étrangler de leurs mains le cou princier, elles ne reconnaissent plus leur sœur anéantie, les larmes aux yeux, elle qui était si pleine de vie ! La sirène leur déclare vouloir tant les rejoindre et ne savoir comment briser le sortilège l'enchaînant à la surface. Il faut se méfier de ses vœux, la sirène n'en fit pas exception.
Ses sœurs lui apprirent un moyen de se détacher à jamais des liens du monde terrestre pour rejoindre le leur : tuer le prince.
Ce n'est que justice, après tout.
Malgré son hésitation, elle tend tout de même le bras pour saisir le poignard proposé, elle rassemble ses forces et pénètre de nouveau dans la chambre sans surveillance. Les sombres pensées lui reviennent, il serait si aisé de trancher son cou, de répandre son sang puis de quitter avec éclat le navire en rejoignant les siens.
La haine éprouvée est aisée à convoquer, cependant un autre sentiment s'en mêle, en les contemplant ainsi dormant si bien l'un et l'autre enlacés. Malgré la tromperie manifeste, quelque chose de l'ordre de l'innocence se dégage du visage de son bien-aimé, cela lui est insupportable. Puis cette femme ayant profité d'une brèche pour s'immiscer entre eux, dans la lumière crue, elle ne la jalouse plus, elle lui trouve même des excuses. Le prince est séduisant, il obtient tout, tel un enfant gâté, peut-être n'aurait-elle pas pu se dérober à son étreinte..
En tous les cas, physiquement, mentalement, elle semble lui être en tout point opposé, son corps se montre moins svelte, sa poitrine plus opulente, elle la remarque quand le sommeil agité, elle se retourne un peu et la met en alerte. Le poignard dans la main, elle guette le bon instant.
Elle se détourne de la superbe femme aux épais cheveux ébène la couvrant presque tel un habit pour observer le prince, ses traits délicats, tant de souffrance pour en arriver à ce rejet.. Quel hypocrite ! Quelle ignoble créature que l'humain !
N'aurait-il pas pu le lui avouer ne plus partager ses sentiments plutôt que de la torturer de la sorte ? Pour lui, elle a tout quitté et voilà donc comment l'ingrat prince la remercie ? Est-ce là le paiement pour avoir souhaité changer de nature par amour ? Si c'est le cas, elle trouve la leçon bien cruelle.
La haine lui revient par bouffée, sa main serre le manche avec tant de force que les jointures de ses doigts prennent une toute autre colère, elle lève la lame, prête à l'abattre en glaive symbolique qui vengera toutes celles qui comme elle ont eu la bêtise d'aimer un homme volage, inconsistant, au début tendre qui se révèle à la fin odieux. Ses joues en sont cramoisies tant la colère monte.
Le poignard s'enfonce entièrement en un bruit sourd.
Les amants dorment toujours, non alertés par le mouvement, étranger au dilemme de la sirène pleurant à chaude larmes, la lame figée dans l'oreiller éventrée, libérant des plumes qu'elle ne parviendra jamais, peu importe sa haine, sa douleur à ôter la vie à l'homme que malgré le comportement, elle aime toujours. Elle s'effondre au sol, elle pleure tout son saoul, bercée par le roulis de la mer, renifle, passe sa main dans ses cheveux cendrées emmêlés puis comme en transe, elle se lève machinalement.
« Adieu, mon aimé, puisses-tu vivre heureux, jamais je ne t'oublierais » lui déclare t-elle, avant de définitivement le quitter pour rejoindre ses sœurs, tenter d'oublier sa fugace expérience d'humaine, redevenir pleinement sirène, sans éprouver le moindre complexe.
Nager sans restrictions, contempler les encres accrochées dans les musées représentant architectures, tritons et sirènes sans à priori. Et puis chanter à s'en casser la voix, se saouler en compagnie des naïades et leur avouer toute la vérité, l'horreur de sa situation, retrouver son ancienne existence, se sentir de nouveau vivre pour soi.
Elle se penche au-dessus du ponton, ignorant les remarques alarmées de ses sœurs, elles angoissent de la constater dans cet état second et l'implore de leur répondre : « As-tu tué l'humain ? »
Cela lui importe peu, seul les flots accueillants comptent de nouveau pour elle, elle s'y jette avec délectation.
« Voilà, mère, j'ai renoncé pleinement à vivre parmi les êtres de la surface, je reviens dans ta matrice, puisses-tu me pardonner pour cette erreur ! » lui adresse t-elle.
Son corps plonge, elle s'attend à retrouver ses écailles irisées, sa queue souple objet de fierté mais il n'en est rien. Elle panique, se peut-il qu'elle demeure à jamais humaine pour l'éternité ?
La mer si attendue lui paraît froide, agitée, houleuse.
Elle se débat, elle ignore comment nager avec des jambes humaines, essayant de demeurer la tête hors de l'eau, elle s'épuise, ses sœurs viennent pour lui apporter leur secours mais elles doivent bien admettre la bizarrerie de la nouvelle forme de l'ancienne sirène et que celle-ci en s'attachant à son instinct de survie rend leurs efforts de la hisser en hauteur, en vain, tant elle se débat comme un beau diable.
La suppliant de ne point bouger, leur accorder sa confiance, elle n'arrive pas à entendre raison à cause de ses poumons se gorgeant d'eau, ses yeux et sa gorge lui brûlent.
Trois de ses sœurs filent en vitesse nager en toute hâte pour implorer une sorcière des abysses de venir les assister, redonner la forme originelle à leur sœur.
Affectées qu'elles sont, elles ne prennent pas conscience de seulement retarder la mort de leur sœur, une plus sage ou plus résignée au terrible sort se détache, en larmes elle entonne une mélopée funèbre, elle a compris avant toutes les efforts inutiles à la sauver, impuissantes, elles assistent à la noyade et la lente agonie de la petite sirène.
Sirène insouciante, aspirante humaine désespérée, écume se mêlant à cette mer maternelle l'ayant vu naître, l'ayant choyé, elle tant souhaité pour sécher ses larmes, elle précipite sa chute.
Regrettant sa curiosité, non d'avoir aimé, elle se laisse dériver, elle abandonne la lutte.
Ses cheveux albâtres parsemés de cendre ressemblent à l'écume s'écrasant contre les roches noires, tandis qu'elle sombre dans les fonds marins.
Ainsi se termine la vie en eau trompeuse de la sirène.
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