- 9 - Pas si inutile qu'il y paraît !
Un bras ceintura brutalement Béryl par-derrière et l'attira dans l'ombre d'un recoin. Elle voulut crier, mais une main rugueuse se plaqua sur sa bouche.
— Si vous vous taisez, il n'arrivera rien à vos amies, glissa une voix à son oreille.
Prise de panique, Béryl fit exactement l'inverse. Elle hurla de toutes ses forces et se débattit avec l'énergie du désespoir. Un chapelet de jurons crépusculaires échappa à son agresseur. Elle écrasa un pied, envoya des coups de coude et des coups de tête, hélas l'étreinte qui la maintenait était trop étroite.
— Béryl ? Où êtes-vous ? lança soudain la voix inquiète de tante Cornaline. Restez donc près de moi !
Béryl mordit la main qui la bâillonnait.
— Au secours, ma tante ! eut-elle le temps de hurler avant que la pression ne se resserre sur sa bouche.
Ce fut le signal du chaos.
Les gardes tirèrent leur sabre tandis que des silhouettes sortaient des ombres où elles étaient dissimulées. Le combat s'engagea. Béryl fut chargée sur une épaule comme un vulgaire sac de navets. Son turban se détacha et glissa par terre.
— Laissez-moi !s'égosilla-t-elle en martelant son ravisseur de ses poings et de ses pieds.
Ses efforts ne parurent pas l'incommoder et il se mit à courir. Dès qu'elle les vit, Cornaline fonça droit sur eux. Un homme s'interposa les bras écartés. Cornaline se baissa et souleva sa djellaba. D'un geste vif, elle en tira une dague qu'elle avait fixée à sa cheville, et avant que l'homme comprenne qu'elle n'était plus la vieille femme sans défense qu'il pensait intimider, elle plongea sa lame dans son flanc. Son cri de douleur fit écho au cri de stupéfaction de Béryl.
— Lâchez ma nièce ! ordonna Cornaline en le repoussant.
Malheureusement, un autre fut aussitôt sur elle, empêchant sa progression. Elle recula de quelques pas, brandissant sa dague d'un air farouche. Son attitude n'était pas celle de quelqu'un qui manie une arme pour la première fois. Agate était recroquevillée dans un coin, les bras pressés sur sa tête. Une garde ferraillait devant elle pour repousser les malfrats.
Plus loin, l'une des silhouettes vêtues de noir maintenait Acacia par les épaules, plaquées contrela roche. La jeune femme attrapa violemment les poignets qui la bloquaient, desserra leur étreinte et envoya un coup de pied magistral dans l'entrejambe de son adversaire. Elle se dégagea souplement et bondit pour récupérer le cimeterre que l'assaillant de dame Cornaline avait lâché.
— Béryl, Béryl ! cria-t-elle en se lançant à la poursuite de la princesse et de son ravisseur.
Elle tendit la main vers elle. Béryl l'imita, allongeant le bras au maximum de ses capacités, tentant de s'extraire de la poigne de l'homme. En vain. Ils s'engagèrent dans l'un des tunnels qui s'enfonçaient dans la montagne. Acacia fonça à leur suite. L'un des voyous se jeta sur elle pour l'arrêter. Il la renversa et sa tête heurta la roche.
— Acacia ! hurla Béryl affolée.
Ce fut la dernière vision qu'elle en eut. Le boyau obliqua et ils plongèrent dans les ténèbres. Les bruits de combat et les cris s'atténuèrent aussitôt. Les velléités de résistance de la princesse s'évanouirent en même temps que la lumière. Une terreur glacée envahit son corps. Que lui voulaient ces gens ? Pourquoi l'avoir enlevée, elle ? Ce ne pouvait pas être un hasard. Elles étaient tombées dans un piège parfaitement préparé. Qu'allaient-ils lui faire ? Elle frissonna en songeant qu'il n'y avait peut-être pas lieu de se réjouir qu'ils n'aient pas cherché à la tuer sur place. Et ses compagnes restées en arrière, Tante Cornaline, Agate... Acacia... allaient-elles s'en sortir ? Sa gorge se noua. Elle ferma les paupières et des larmes brûlantes lui montèrent aux yeux. Si seulement elle ne s'était pas laissée entraîner par sa fichue curiosité, rien de tout cela ne serait arrivé.
La lumière revint très vite. Des torches avaient été installées dans le tunnel, prouvant que ces truands avaient bien planifié leur coup. Sans ralentir, l'homme qui la tenait prisonnière en attrapa une de sa main libre. Plus loin, il bifurqua dans un boyau secondaire. Saisie d'une inspiration soudaine, Béryl détacha une épingle de sa coiffure déjà bien malmenée et la jeta en direction du carrefour.
— Arrêtez de gigoter !grogna l'homme, menaçant. Je suis pas obligé de vous livrer intacte.
Béryl s'immobilisa aussitôt. À gestes lents, elle continua cependant à ôter discrètement les autres épingles de sa chevelure, en bénissant la maniaquerie de Rochette qui ne supportait pas de voir la moindre mèche se dénouer de ses coiffures. Elle les garda en main, prête à les semer à tous les embranchements. Craignant qu'il soit facile de les rater dans l'obscurité, elle en jeta même davantage.
Elle devait croire qu'on partirait à sa poursuite. Qui ? Tante Cornaline ? Acacia ? Elle n'osait y penser, tremblant qu'il leur soit arrivé malheur, à elles et à leur escorte. Si personne ne venait, que pourrait-elle faire toute seule ? Elle était bien incapable de s'enfuir, de retrouver son chemin vers la sortie et, par-dessus tout, de survivre au désert. Pourtant, après avoir constaté la qualité de l'effilage de ses épingles, elle décida d'en garder une, dissimulée à l'intérieur de sa main. Au cas où.
Le tunnel s'élargit et Béryl crut sentir la tiédeur de l'air extérieur. Elle entendit des voix. Son ravisseur s'arrêta enfin et la jeta au sol. Choquée, elle poussa un cri de protestation. Dehors, le ciel s'était plombé et le vent soufflait en rafales.
Un homme au crâne rasé et deux femmes s'approchèrent d'elle. Le bas de leur visage était dissimulé par un foulard sombre.
— Pourquoi elle est pas attachée ? demanda celle qui portait un turban rouge.
— J'ai pas eu le temps, figure-toi ! Ça a bardé là-bas, c'était pas du tout aussi simple qu'il nous l'avait dit.
Béryl fit mine de rester prostrée contre la paroi, ses longs cheveux voilant ses traits. À quelques pas sur sa gauche, le tunnel débouchait sur un vaste promontoire qui surplombait le désert. Si elle tentait de s'enfuir par là, elle serait aussitôt rattrapée. Et qui était ce « il » dont parlait l'homme ? Elle devait en apprendre davantage.
— Tu t'attendais à quoi ? le rabroua la première. Tout le monde sait que notre princesse se bat comme pas une. J'espère pour toi que les gars ne lui ont pas fait de mal. Sinon, on va avoir de gros problèmes. Tendez vos mains, vous !
Béryl se redressa lentement et lui adressa son regard le plus stupide.
— Vous... parlez à moi ? demanda-t-elle dans un crépusculaire soudain très hésitant.
— Vos mains ! répéta la femme en lui attrapant les poignets sans douceur pour les lier.
Avec une apparente soumission, Béryl lui abandonna ses mains, les faisant lourdes et molles pour lui compliquer la tâche. Il fallait qu'elle gagne du temps, c'était sa seule chance de salut. Elle devait croire en Acacia. Elle viendrait. Elle sentit les larmes monter à nouveau en revoyant sa tête cogner la roche et elle se mordit les lèvres.
— Debout ! ordonna la femme en tirant sur la corde.
Béryl tomba à genoux avec un gémissement de douleur.
— Ma cheville, geignit-elle.
— Dépêchez-vous, bon sang ! rugit la femme en l'attrapant par les aisselles pour la mettre sur ses pieds.
— Du calme, ricana l'homme au crâne rasé. Les autres ont sûrement géré toute l'escorte à l'heure qu'il est. Tu crois quoi ? Qu'elles vont se pointer en hurlant par le tunnel et nous tomber dessus ?
— Je comprends pas pourquoi on la tue pas tout de suite, dit l'homme musclé qui l'avait transportée jusqu'ici. Ça serait bien plus simple.
La femme jeta un coup d'œil en coulisse à Béryl qui, quoique debout, restait la tête et les épaules pendantes, vivante image de la résignation.
— Sa Sérénité est généreuse, expliqua-t-elle, et ne souhaite pas la mort d'innocent.Nous obtiendrons le même résultat si tout le monde la croit morte.
Elle parlait vite, comme pour éviter que l'étrangère la comprenne. Mais c'était mal connaître Béryl.
Un bruit de cavalcade étouffé se fit alors entendre de l'intérieur de la montagne.
— Enfin, voilà les autres ! déclara l'homme au crâne rasé en se plantant devant l'entrée, poings sur les hanches. On va pouvoir décamper. Bougeons-nous, on a bien trop traîné.
À cet instant, Acacia jaillit du tunnel. Un filet de sang coulait sur son front, ses vêtements étaient sales et tachés, mais elle n'avait rien perdu de son énergie. Béryl porta à sa bouche ses mains ligotées pour étouffer un sanglot nerveux. De soulagement tout autant que d'inquiétude de la voir ainsi blessée.
Avec un grondement de rage, Acacia se jeta sur l'homme au crâne rasé. Profitant de sa stupeur, elle l'attrapa par le devant de sa tunique et pressa son cimeterre contre son cou.
— Qu'avez-vous fait de Béryl ? rugit-elle. Où est-elle ?
Derrière elle, dame Cornaline,accompagnée de deux gardes, surgit à son tour de l'ombre du tunnel. Sa tante était échevelée, une expression implacable sur son visage en lame de couteau. La femme au turban rouge saisit Béryl et l'attira brutalement contre elle. La jeune princesse laissa échapper un cri étranglé quand la lame froide d'une dague frôla son cou vulnérable. Paniquée alors qu'elle avait cru voir arriver son salut, Béryl s'efforça de se dégager, cependant la femme était plus forte qu'elle et la morsure de l'acier sur sa gorge n'était pas pour l'encourager dans sa tentative.
— La princesse est là, appela la femme en reculant vers le bout du promontoire. Faites un seul geste et je lui tranche la gorge.
Toutes s'immobilisèrent.Cornaline maugréa quelques jurons que ses neveux n'avaient jamais entendus franchir ses lèvres. Acacia tourna la tête et son regard s'illumina en croisant celui de Béryl. Hésitante, elle garda son cimeterre brandi. Ses yeux circulèrent rapidement entre ses adversaires et leur otage. Puis elle parut prendre une décision. Son arme tinta au sol et elle leva les mains. Elle se permit un seul pas en direction de Béryl et de la femme qui la retenait.
— Je ne ferai pas un seul geste, affirma-t-elle. Je suis persuadée que Béryl n'a absolument pas besoin de nous pour se sortir de cette situation. Elle est forte et courageuse.
Elle lui sourit avec une telle confiance que Béryl en eut le souffle coupé. Ses genoux fléchirent. Pourtant, la seconde suivante, un afflux d'énergie bouillonnante envahit ses veines. Acacia croyait en elle, alors pourquoi pas elle ?
— Cette petite princesse inutile et craintive ? se moqua la femme. Allons donc ! Le meilleur moyen pour elle de rentrer dans l'histoire est une disparition tragique.
La colère passa dans les yeux d'Acacia et ce fut l'étincelle qui enflamma le courage de Béryl. Occupée qu'elle était à la sous-estimer, la femme avait légèrement relâché son étreinte. Béryl empoigna l'épingle qu'elle avait gardée dissimulée dans sa paume. Elle prit une grande inspiration et de toutes ses forces la planta dans la main qui lui serrait la taille. Elle prit soin de viser entre les articulations à la base des doigts. Le sang coula. La femme hurla de douleur et Béryl se laissa aussitôt glisser à terre. Comme si elle n'attendait que ça, Acacia bondit en avant et de sa main ouverte,elle percuta violemment le menton de la femme. Sonnée, celle-ci fit un pas en arrière, vacilla et bascula dans le vide. Béryl s'éloigna en rampant sur les coudes, les jambes trop tremblantes pour pouvoir se redresser. Elle chercha des yeux une lame abandonnée pour se délier les poignets.
Acacia saisit la dague lâchée par la femme au turban rouge et se retourna. La deuxième femme reculait avec inquiétude vers le bord du promontoire, les deux mains levées. Clairement, celle-ci n'était pas une combattante. Les deux hommes étaient aux prises avec les gardes. Cornaline se glissa derrière l'homme musclé, profitant que son attention était toute entière tournée vers son adversaire. Puis, d'un geste assuré, elle le poignarda dans le dos.
— Ça vous apprendra à vous en prendre à ma nièce ! cracha-t-elle.
La garde acheva l'homme sans autre forme de procès en lui passant sa lame à travers la poitrine. Acacia marcha donc sur l'homme au crâne rasé. Celui-ci vit qu'il était en infériorité numérique. Il lâcha son sabre et tomba à genoux. Cornaline rassembla consciencieusement toutes les armes abandonnées pour éviter toute traîtrise.
— Pitié, Votre Altesse, pitié ! s'écria l'homme en se tordant les mains. J'ai une femme et des enfants !
— Et alors ? rétorqua Acacia menaçante. La plupart des gardes de notre escorte aussi, ça ne t'a pas arrêté, non ? Pourquoi devrais-je faire montre de plus de clémence que toi ? Qui vous a employé ?
— Je l'ignore, c'est Ronce qui traitait avec lui, répondit-il avec un geste en direction de l'endroit où leur cheffe était tombée de la falaise.
— Au secours ! Aidez-nous ! entendirent-ils soudain appeler derrière eux.
Agate sortit du tunnel. Aidée d'une garde crépusculaire, elle soutenait une Aubéenne évanouie.
— Elle est blessée, elle a perdu connaissance pendant qu'on essayait de vous rejoindre, expliqua Agate d'une voix défaillante. Nous... nous tournions en rond dans ces tunnels de malheur. J'ai cru qu'on ne trouverait jamais la sortie.
La jeune femme, bien malgré elle, fournit la diversion idéale. Tandis que les gardes se précipitaient au secours de leur compagne, les deux survivants de la bande se ruèrent vers le bord de la falaise et disparurent en un battement de cil.
Lancées à leur poursuite en catastrophe, Béryl et Acacia arrivèrent au même moment au bout du promontoire, trop tard.
Un chemin raide menait jusqu'au pied de la montagne. Les deux malfrats dévalaient dans les graviers de toute la vitesse dont ils étaient capables. Ils étaient déjà à mi-hauteur. Des chevaux attendaient en bas.
— Tant pis, soupira Acacia. Nous avons plus urgent à faire que de les rattraper.
Elle se tourna alors vers Béryl. Son regard s'adoucit et elle tendit la main vers les mèches qui auréolaient son visage.
— Vous avez été si brave, murmura-t-elle. Comment vous...
Elle n'eut pas le temps d'achever. Comme une tornade, Cornaline se jeta sur sa nièce, faisant fi de tout ce qui se trouvait sur son passage.
— Ma chère enfant, t'ont-ils fait du mal ? Comment te sens-tu ? Oh, Grand Dragon, je n'aurais jamais dû m'éloigner de toi !
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