♛Chapitre 9♛
J'aperçois notre destination avant la pause du déjeuner, tandis que mon estomac s'éveille à grand renfort de ronchonnements bruyants.
Nous évoluons à la lenteur du pas tranquille des chevaux sur une large étendue de plaines vallonnées, entre bois et champs agricoles sans paysans pour les cultiver. Mysterio m'informe que je les aurais vus plus tôt en matinée, ou plus tard dans la journée. Nous avons passé quelques bâtiments sur le trajet, aux abords de notre route en terre battue, avec des airs de granges et parfois de grandes fermes en pierres, que le chevalier nomme manse, l'équivalent de domaine, en gros - comme s'il était important que je le sache.
J'ai cru apercevoir les occupants des lieux nous observer, à une ou deux reprises, sans pour autant venir à notre rencontre. Les chiens, les poules et quelques bovins dans leurs clôtures étaient bien plus curieux à notre égard que les propriétaires.
Du coup, je ne sais pas à quoi je m'attendais en imaginant la ville royale, mais certainement pas à ÇA. Au détour d'un pan de forêt que nous longeons, la cité médiévale apparaît dans toute sa gloire, à plusieurs kilomètres de distance.
Entre nous, des lignes et des lignes de vignes. Avec un enchaînement de petites maisons formant comme un hameau. Au-delà, des doubles remparts serpentent sur l'horizon, assez surélevés pour qu'ils se distinguent malgré l'étendue qu'il nous reste à parcourir. Des tours de flanquements et d'autres ornées de toits pointus s'élancent vers le ciel.
Je mets un certain temps à la reconnaître, avant que ça me saute aux yeux : c'est la cité médiévale de Carcassonne !
Il existe exactement la même ville dans mon monde. Sauf qu'ici, elle n'est pas entourée d'une ville moderne et certaines installations supplémentaires sont... étonnantes.
Comme ce surprenant téléphérique qui surplombe la citadelle, d'une de ses murailles basses à une des plus hautes courtines. Ou encore cette verrière immense apparente, telle une bulle de modernité, présente à l'intérieur des fortifications. Un peu comme un œuf de dragon...
— Qu'est-ce que c'est que ça ? fais-je en pointant tour à tour la télécabine, puis le dôme.
— Le transbordeur ? m'interroge Mysterio. C'est un mécanisme ingénieux permettant aux nobles du palais d'accéder rapidement aux zones sécurisées sans avoir à traverser toute la cité jusqu'au palais. Et la coupole en verre que vous voyez, c'est une invention de l'Impératrice Breísha. Elle y a même fait installer une lucarne pour permettre à la cérémonie du baiser d'y avoir lieu. Une partie sert aux bals royaux et....
Je ne l'écoute plus, les yeux écarquillés, l'esprit aux abois. Le mélange de cette époque médiévale avec des inventions que je considère comme révolutionnaires me paraît totalement improbable.
Comme nous poursuivons notre route et que Mysterio s'est tut, sûrement parce qu'il s'est aperçu de mon inattention, j'essaie de me concentrer.
— L'impératrice qui ? relancé-je, en dévorant le paysage et la cité aussi belle - voire plus - que dans mon monde.
— Breísha. Votre tante. C'est à cause d'elle que nous sommes au bord de la guerre.
Je pivote vers lui brusquement.
— Au bord de quoi ? m'étranglé-je, le dernier mot montant dans les aigus.
— Je vous ai dit que la situation n'était pas glorieuse...
Mais mon cerveau a déjà sauté sur l'autre détail, autrement plus important :
— Quelle tante ? Je n'ai pas de tante.
— Rheane oui.
— D'accord. Donc j'ai une tante, mais pas de mère. Vous aviez dit que je n'avais plus de famille ?
— Techniquement, c'est le cas, puisque votre tante a disparue à la dernière bataille qu'elle a menée. Et perdue, il va sans dire.
— Disparue ? Vous voulez dire, morte ?
— C'est une possibilité... son armée s'est délitée et nous n'avons trouvé aucune preuve de sa survie. Nos recherches tentent de déterminer ce qu'il s'est réellement passé, mais à l'heure d'aujourd'hui, nous n'avons pas réussi à mettre la main sur un seul de ses généraux.
— Je ne comprends rien. En cas de défaite, n'aurait-elle pas dû juste retourner chez elle si elle n'est pas morte ?
— C'est bien pour ça que nous imaginons qu'elle soit décédée.
— Et son armée, elle n'est pas rentrée au bercail ?
— Si son armée était gentiment retournée au palais, j'aurais davantage d'informations à vous fournir.
Je fronce les sourcils.
— Je n'y connais rien, mais si on a perdu, comment est-ce que Rheane peut être à la tête du royaume ?
— Vous voulez les cours politiques avant même d'être arrivé à bon port ? s'amuse-t-il.
Je me renfrogne. Non, clairement, je n'ai pas hâte de me remplir la tête de choses que je ne comprends pas. Mais immédiatement, je ne dirais pas non à une explication concise.
— Du coup, on est en guerre ou on ne l'est pas ? C'est pour ça qu'on s'est fait attaquer ? Ils sont nos ennemis ?
— Alors non, les brigands sont justes des brigands - ou plutôt des mercenaires, en l'occurrence. Cela dit, je suspecte effectivement qu'ils aient été grassement payés par la faction adverse.
— Et cette faction, c'est qui ?
— L'Empire Belgica Regia.
— Ok, je connais pas, lâché-je, presque déçue qu'il ne me parle pas d'Espagne.
— Partez du principe que vous ne savez rien, répond Mysterio sans aucun tact. Et cessez de dire "ok", si je ne sais pas ce que ça signifie, les hauts dignitaires non plus.
Je pousse un soupir plus long qu'une brise maritime.
— Ok veut dire "d'accord".
— Très bien, mais "d'accord" est un terme familier qu'une princesse n'utilise pas.
Je souris avec l'idée de lui montrer les dents. Il ne se tourne même pas.
— D'ailleurs, tu as dit "impératrice". Alors que tu as parlé de "royaume Occitania" plusieurs fois. Je suis vraiment une bille en histoire, mais une impératrice désigne un empire, non ? Donc, on est un royaume ou un empire ?
Cette fois, il me dévisage. Et je devine son sourire dans son regard argenté.
— Nous sommes le Royaume d'Occitania. Votre tante a décidé pendant son règne qu'elle serait impératrice et que l'Occitania serait son Empire, qu'elle comptait étendre jusqu'aux limites de sa propre vie. La première mesure que vous avez prise a été de rétablir ce que votre tante avait brisé par son désir de conquête : recouvrir notre régime.
Je me frotte les joues des deux mains en lâchant les rênes de mon cheval - de toute façon il avance tout seul. Je ne dis pas au chevalier qu'il est extrêmement perturbant qu'il parle de Rheane comme s'il s'agissait de moi. Je suis sûre qu'il ignorerait juste ma remarque.
Je me concentre quelques minutes sur la démarche de Pomme. Nous descendons la pente d'une colline et les cailloux qui roulent sous les sabots me font un peu peur, je dois l'avouer. Je ne suis pas encore une bonne cavalière et je crains une chute impromptue. Ça me laisse toute l'occasion de réfléchir aux paroles du chevalier.
Et d'observer le village dans lequel nous pénétrons, au bas des remparts de Carcassonne.
— C'est votre nouveau foyer. Castellum Carcasum.
Mon cœur se contracte.
♛♛♛♛
Nous atteignons l'entrée de mon "nouveau foyer" plus vite que je ne le souhaite. Si les remparts masquent la partie huppée de la cité, comme m'explique Mysterio, la ville en aval, Prim Carcasum, contient l'immense majorité du peuple.
Avant de la traverser, Mysterio me fait enfiler une cape rouge avec une capuche si ample qu'elle m'avale et m'empêche d'y voir au-delà de la tête de Pomme. Mysterio m'imite avec la sienne, ainsi que quelques légionnaires. Le but est que notre trajet, loin de passer inaperçu, n'apparaisse pas comme la garde privée de la princesse.
Je suppose que notre groupe restreint tractant nos morts n'inspire pas une grande confiance pour le peuple...
Malgré ma vision réduite, je décortique les subtilités de la ville. Elle paraît plus moderne que la première que j'ai visité, et je croise autant de véhicules remorqués par des chevaux que sans. Ceux sans bêtes de trait sont bien moins bruyants que des voitures avec moteurs : à force de les détailler, je remarque des conduits d'où s'extraient de la fumée, ou encore des engrenages dans les roues.
Les maisons en cayrou et les chaussées sont propres ; les toits en ardoise lumineuses. La ville respire la prospérité. Ici, les devantures des magasins ont presque toutes des vitres quadrillées et du bois ciré.
Les habitants qui s'écartent de notre route ne suivent pas une mode spécifique ; les tissus, les couleurs et l'apparence des hommes et des femmes varient entre les individus, jusqu'aux coupes de cheveux. Toutefois, une bonne observation m'aide à en déduire que plus la coiffure d'une dame est sophistiquée et son cou paré de bijoux, plus son compte en banque est abondant - enfin, en admettant que ça existe...
Pour les hommes, je n'en suis pas certaine, mais je dirais que les armes blanches à leurs hanches est synonyme de fortune. S'il y a bien une constance parmi toutes ces personnes, c'est bien la présence des bandeaux sur leur front.
Les passants ici sont disciplinés : évoluent majoritairement sur les bords de la route aux larges dalles de pierre, permettant une circulation bilatérale des véhicules. Nous restons sur notre droite et les gens venant d'en face font de même.
Cette ville est à la fois pleine de surprises et pourtant tellement familière...
Nous remontons la voie en direction de la citadelle et je réalise combien je m'étais habituée au calme de la campagne et notre petite troupe. Ici, tout devient si assourdissant que je regrette par avance ma chevauchée à dos de cheval qui risque de prendre bien vite fin.
Quand nous dépassons les remparts, ce n'est pas un ou deux soldats en armures, mais une dizaine postée sur toute l'épaisseur de la voûte. Ils se mettent aux garde-à-vous à notre passage, poing sur la poitrine et regard fixe. Le symbole rutilant en plein sur leur poitrail me saute aux yeux.
— Psssit, Mimi, pourquoi ils ont pas la croix occitane en guise de blason ? demandé-je en rapprochant ma monture de celle de Mysterio. C'est quoi le dessin ?
Le chevalier tourne son heaume vers moi. Je remarque aussitôt la crispation dans ses paupières, indiquant que ma question ne lui plaît pas.
— Mimi ? fulmine-t-il.
— Oui et bien quoi, je n'ai pas le droit de te donner un surnom ?
— Non ! réagit-il vivement. Bien sûr que non !
— Tu es vraiment rigide. Pire qu'un frigidaire. Quelle idée de se faire appeler Mysterio aussi...
— Arrêtez de m'insulter avec des mots de votre monde, grogne-t-il.
— Je ne peux déjà rien dire, je ne vais pas me passer de ce petit plaisir. Surtout quand tu ne réponds même pas à mes questions.
— C'est le Signe de l'Ors, voilà tout, soupire-t-il après avoir pris quelques instants, comme pour se calmer.
— Et c'est quel dieu, l'Ors ?
— Dieu de la destruction et de la guerre.
— Sympas. Je comprendrai jamais cette manie que l'humain a de prier un dieu pareil. C'est quand même plus cool d'adorer un dieu des fleurs, non ?
Mysterio me regarde étrangement.
— Quoi ? marmotté-je. Les fleurs sont belles, inoffensives, sentent bon et nourrissent le peuple. Que demander de plus à un dieu ?
— Parlez plus bas, me rappelle-t-il dans un grognement. Et cessez de jacasser tant que nous ne sommes pas au palais, vous allez vous attirer des ennuis.
— D'accord, soupiré-je. Mais du coup, vous avez tous votre Signe caché, pourquoi le leur est en évidence ?
— Voilà une question pertinente. À votre avis, ils servent à quoi, ces gardes ?
— Mm... je ne sais pas, prétendis-je avant d'ajouter narquoisement : à garder ?
— Leur rôle, c'est la dissuasion. Quoi de mieux qu'informer tout le monde qu'ils peuvent écraser un crâne à deux mains ?
— Ils peuvent faire ça ?! m'étouffé-je.
— Et bien plus encore. Leur pouvoir, c'est la force.
— Cliché, ricané-je.
Puis je me souviens des paroles qu'ont échangées les légionnaires après la bataille, et je pivote sur mon cheval en reculant un peu ma capuche pour en chercher un derrière nous.
— Vous avez une légionnaire qui a le Signe de l'Ors ?
— Monica, oui, confirme-t-il.
— La femme toute menue qui m'a sauvée en transperçant un brigand d'un coup d'épée dans le dos et qui a fait un massacre ensuite ?
— Celle-là même.
Ah, tout prend sens quand on pose les bonnes questions.
Je reporte mon attention sur l'intérieur de la cité médiévale. Ici, les rues sont plus étroites, et la foule éparse. Les bâtiments s'élancent dans les hauteurs et sont plus massifs, à tel point que l'ombre s'impose et que la fraîcheur s'accroît.
À mesure que l'on progresse, la mélopée d'instruments me parvient. J'écoute cette sonorité, intriguée par ses accents inconnus tout en ayant le sentiment de les reconnaître. J'en viens à apprécier l'instant présent, un sourire aux lèvres.
— C'est quoi que j'entends ? Une cornemuse ?
— Une craba bodega, c'est avec une peau de chèvre.
— Une crabo boudégo ? répété-je en pouffant. Non mais qui a inventé ces noms... Et là, celui-ci, c'est une trompette constipée ?
— Un graile.
Je me tourne vers Mysterio, intriguée par tant de sérieux dans son ton. Il ne me reprend pas sur ma façon de parler et ça suffit à stopper net mon amusement. Il lève un bras et fait un geste de ses doigts tandis qu'il ralentit l'évolution de son cheval.
Quelques secondes plus tard, Jacme remonte la file de notre troupe et se poste à ses côtés. Je suis obligée de tendre l'oreille pour entendre leurs propos, et malgré ça, je ne perçois que des bribes. Je crois que Mysterio lui enjoint "d'aller voir". Suspicion qui se confirme lorsque le légionnaire s'éloigne au trot.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je en tentant de garder un ton neutre alors même que mon pouls s'accélère.
Mes mains se resserrent nerveusement sur les rênes de Pomme, emportant quelques poils de sa crinière au passage. Tout à coup, la présence des hauts murs m'oppresse. Une flèche pourrait être tirée de n'importe quelle fenêtre...
La bouffée de bien être ressentie quelques secondes auparavant vient de s'évaporer, me laissant aux aguets.
— Bay, chuchote le chevalier en couvrant mes mains de la sienne. Tout va bien.
Je me perds dans son regard rassurant, si doux malgré son éclat de la couleur d'une lame.
— Vous n'êtes pas en danger, poursuit-il. Entre ces murs, pour l'instant, vous êtes en sécurité.
Je le dévisage avec l'impression que mes yeux viennent de se prendre un torrent de sable.
— Tu ne sais pas mentir ?
— Pardon ? fait-il en clignant des paupières.
— Tu as rajouter "pour l'instant" ! À quel moment c'est supposé me rassurer si tu insiste sur le fait que je suis juste en sécurité pour le moment !
Le chevalier reste interdit une seconde, puis ses yeux se plissent, exprimant nettement le sourire sous son casque.
— Ce n'est pas drôle !
— Je ne trouve pas cela drôle, je réalise simplement que vous avez raison.
Il regarde devant lui, me dérobant de précieuses informations sur ses micro expressions. Je parviens tout de même à voir une certaine crispation dans son maintien, surtout au niveau des épaules.
— Je n'ai pas pour habitude de mentir. Encore moins à la Princessa...
Au travers de sa voix, j'entends la douleur. De celle qui comprime la gorge et opprime les mots. Je ne sais pas quoi répondre, mais réalise que ses mots ont suffit à apaiser mon angoisse. Je le connais à peine. Et pourtant, la confiance que je lui offre atteint déjà des sommets insoupçonnés au regard du temps passé ensemble.
Il ne faut pas longtemps à Jacme pour revenir vers nous, se frayant difficilement un chemin avec son cheval au milieu d'une foule de plus en plus dense. Le flot des passants prend la même direction que la nôtre, et avec l'étroitesse de la ruelle où nous sommes, ça me fait aux saumons remontant une rivière.
— Tu avais raison, fait Jacme. Ils sont sur la place et ça a commencé.
Je ne loupe pas le petit coup d'œil que le légionnaire me réserve. L'inquiètude me fouette à la manière d'un vilain retour de fouet. Mysterio hoche la tête avant de pivoter sur sa selle pour lancer aux soldats :
— Nous contournons la place du château.
— Mysterio, l'appelé-je alors qu'il met son cheval au pas.
Il se retourne. Ce nom est vraiment pourri, j'ai l'impression d'appeler un chien, pas un chevalier.
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Rien d'important.
— Tu viens de dire que tu ne me mentirais pas, insisté-je en plongeant dans son regard d'acier.
— Et c'est le cas, répond-il avec lenteur.
— Alors dis-moi, pourquoi on évite la place ?
— Parce qu'il y a le Carnaval et qu'elle va être remplie, il est préférable qu'on la contourne.
Je le dévisage en silence. Ils ont déjà bravé une fois le Carnaval lorsqu'il m'a trouvée. Ça n'a pas eu l'air de le déranger. J'étouffe ma frustration de ne pouvoir décrypter son expression faciale, alors je dévie mon attention sur celle de Jacme, plus accessible. Aussitôt, il se détourne et fait mine de vérifier ses rênes.
Ils ne me mentent pas. Mais ils ne me disent pas la vérité.
Et soudain, je me prends une claque. Je me rappelle que je ne sais rien d'eux, si ce n'est ce qu'ils m'ont dit. Je ne connais pas vraiment leurs objectifs, ignore lorsqu'ils disent la vérité. Je suis prisonnière de mon ignorance d'un monde inconnu, victime de ma naïveté. Je suis aveuglément des chevaliers qui prétendent vouloir mon bien, à condition que je les aide. Mais je n'ai aucune assurance que leurs mots sont vrai. Aucun moyen de savoir ce qui est mieux pour moi, pour la suite.
Et s'ils me cachaient des informations précieuses ? Et s'ils savaient comment me renvoyer dans mon monde ? Et si cette place m'offrait des connaissances qu'ils souhaitent me cacher ?
Tout à coup, la situation prend une nouvelle clarté, et je me sens à la fois nulle, ridicule et stupide. J'ai choisi la facilité sans chercher plus loin, alors qu'aucune certitude ne m'est offert sur mon avenir à court terme. Est-ce que ces légionnaires sont vraiment de confiance ? Est-ce que je ne m'engouffre pas tout droit dans la gueule du loup en me rendant au palais ?
En l'espace de quelques secondes, ma décision est prise.
Mais avant tout, je dois vérifier quelque chose. Pomme piétine sous mes fesses, et j'ai l'intime conviction qu'il sent ma confusion.
— Mysterio, est-ce que tu me cache quelque chose ? demandé-je en contemplant ses yeux.
L'éclat lumineux du métal de ses iris fait écho à son heaume.
Il met une seconde de trop à me répondre.
— Je... commence-t-il.
Je ne l'écoute pas. Je balance ma jambe gauche pour la faire passer à côté de la droite et saute de la selle en me laissant glisser comme il me l'a appris. J'atterris avec moins de souplesse que prévu et chancelle, mais ça ne me retient pas et je m'élance.
Mysterio crit mon nom. Je l'ignore et plonge dans la marée humaine, trop agglutinée pour que des chevaux puissent me suivre. Et si les légionnaires mettent pied à terre, je parie qu'ils ne parviendront pas à me suivre à coups de coudes enragés. Pas assez pour rattraper l'anguille que je suis, fine et agile. Si je suis maladroite de mes mains, mes pieds et mes jambes possèdent une tout autre dimension de l'agilité. Et mon petit gabarit, à cet instant, termine de m'offrir de l'avance.
Trouver la direction de la place est aussi facile que je l'imaginais : je joue le parfait saumon et parviens sur l'esplanade. Je circule sur les bords des maisons, de crainte de me retrouver coincée au milieu de la foule. Au moins, ici, je peux continuer à longer les murs jusqu'à une ruelle tout en guettant l'arrivée des chevaliers.
Le brouhaha ambiant, ici, est intensifié par la présence des musiciens sur une estrade surélevée. Une deuxième jouxte une fontaine à la figure d'une femme guerrière, que j'ai du mal à voir par-dessus toutes les têtes. Autour de moi, le peuple parle occitan : impossible de comprendre ce qu'il se passe.
Jusqu'à ce que je trouve un cadre de fenêtre pour me rehausser. Avec ces centimètres supplémentaires, j'aperçois enfin le centre de la place et ce que tous observent.
Une plateforme en bois surmonté de poteaux, d'escalier. De cordes. De gens encapuchonnés. Une file indienne de trois personnes : deux hommes, une femme. Deux âges mûrs, un jeune homme. Chez moi, ce serait un adolescent.
Le bruit alentours s'estompent. Un voile se dépose sur mes sens et je ne sens plus que mon cœur. Boum. Boum. Boum.
Le premier homme se tient derrière la corde. Son visage est levé vers le ciel. Ses lèvres semblent prononcer des paroles. Ou peut-être qu'elles tremblent.
Boum. Boum. Boum
Je suis paralysée, à moitié suspendue à la fenêtre, les doigts engourdis, les joues brulantes, les yeux secs.
L'orchestre se tait.
Le murmure poursuit son chemin dans la foule. Les gens ne paraissent pas horrifiés ou scandalisés. Certains se détournent après un regard, souvent ceux avec des enfants, mais la plupart ont le regard grave, parfois courroucé, mais ce sont ceux-là même qui tapent des mains. Un applaudissement empreint de violence et d'encouragement, pas d'opposition.
Boum. Boum. Boum.
L'homme derrière la corde baisse les yeux sur la foule. Je crois qu'il sourit. Un sourire dédié à quelqu'un.
On lui passe la corde autour du cou.
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