Avant toi, je n'étais rien, un simple être humain parmi tant d'autres. J'étais cette femme sans plus aucun artifice, tellement bridée dans ma manière d'être que je n'osais pas sortir des sentiers battus et tenter quelque chose de fou. Je n'étais plus que cette coquille vide cantonnée à des tâches mécaniques et monotones pour faire plaisir à l'homme qui partageait ma vie. J'avais perdu ce caractère fort dont j'étais si fière sans même m'en rendre compte, effacée par celui qui paraissait si bien me convenir. J'étais devenue un objet fade et dépourvu de personnalité, une potiche que l'on garde à son bras simplement pour dire que l'on est en couple et ressembler à tout le monde. Seulement, avec le temps, le cœur s'essouffle et finit par s'effriter pour ne laisser que quelques miettes rassies par la confusion des sentiments et les rancœurs. J'ai essayé de les conserver pour réparer les fissures du foyer que nous avions cherché à bâtir. Mais nos fondations étaient déjà fragilisées par des malfaçons irréversibles. Bien que consolidées par de petits êtres censés représenter notre union, nos murs ont fini par s'écrouler pour ne laisser que de vulgaires gravas inutiles.

Alors j'ai pris le temps de les fouiller pour en tirer des enseignements avant de les balayer pour de bon et faire place nette. J'y ai retrouvé mon courage, ma dignité et une détermination nouvelle à aller de l'avant. J'ai pris sous le bras tout ce que j'ai pu récupérer de bon pour aller m'installer dans un abris provisoire et réfléchir à ce que j'attendais de la vie. J'ai eu des moments de doute, pensant que je n'étais pas faite pour être accompagnée, que tout était de ma faute si je me retrouvais dans cette situation. Je ne voyais plus rien autour de moi, prisonnière de mes œillères de femme dressée à se contenter du peu qu'elle a. Et puis un jour, j'ai reçu une claque en comprenant que j'étais seul maître de mon destin. J'ai pris une feuille, y ai tracé le plan détaillé de la maison de mes rêves et me suis mise en quête de celui qui voudrait bien m'aider à en faire une réalité. Dans ma recherche, j'ai croisé la route de quelques contremaîtres mal intentionnés et autres architectes prêts à tout pour éviter la faillite, à moins que mes critères n'étaient pas les bons.

Quand j'ai cru tout voir partir en fumée, tu as débarqué pour me dire que rien n'était foutu. Tu m'as appris qu'un professionnel n'était pas forcément la bonne personne pour mener à bien mon projet. Et tu as commencé à rassembler tout ce que tu trouvais pour forger des pierres de tes propres mains sans chercher à ce qu'elles soient esthétiquement parfaites. Ton but était de les rendre le plus solide et le moins friable possible. J'ai d'abord voulu t'observer les empiler au fur et à mesure de leur confection parce que j'étais sur la réserve, persuadée qu'une ombre allait venir noircir le tableau. Ça ne pouvait pas se passer autrement et j'avais besoin de garder intact le bout de cœur que j'avais réussi à conserver et rester forte pour mes enfants. Puis je t'ai vu les accueillir à bras ouverts quand ils ont cherché à t'aider un peu. Et cet organe vital, dont j'avais été amputée d'une partie, a progressivement repris sa taille initiale au même rythme que les murs se montaient. Alors, j'ai attrapé une truelle et je suis venue cimenter ces pierres pour faire en sorte qu'elles ne puissent pas s'écrouler et qu'elles tiennent bien ensemble.

Tu dis que tu ne connais rien aux choses de l'amour parce que tu n'as pas mon expérience en matière de couple mais j'ai bien le sentiment que c'est moi qui n'avais rien compris. Tu penses ne pas être romantique pour un sou alors que toutes ces petites attentions à mon égard, même paraissant insignifiantes à tes yeux, démontrent tout le contraire. Tu m'as prévenu que tu étais pauvre et que tu n'avais que de l'amour à m'offrir et pourtant tu m'enrichis chaque jour de tout ce que tu me donnes. Nous sommes à la fois si différents et si semblables que nous nous complétons à la perfection. Dans ton regard, je lis des choses que je n'ai jamais connu. J'y vois de la passion, de la tendresse, de l'amour, du désir aussi, tant de sentiments que j'ai l'impression de découvrir. Parce que ces choses, tu me les communiques avec tellement de sincérité que j'ose enfin y croire. Je me sens belle, convoitée, femme dans tes bras. Tes yeux en disent long sur ce que tu ressens pour moi et j'espère que les miens sont tout aussi bavards. On dit que l'amour rend aveugle, moi je dirais plutôt qu'il m'a fait retrouver la vue. Quand on pense être amoureux de quelqu'un, on a le cœur qui bat la chamade, des petits gazouillis dans le ventre qui se propagent un peu partout dans le corps. Mais avec le temps qui passe, les habitudes s'installent et les sensations s'atténuent. Pourtant, après des mois en ta compagnie, tout ça est encore présent, un peu plus fort chaque jour. Alors je me dis que je sais enfin ce que c'est que d'aimer et que tout ce que j'ai pu vivre avant n'était qu'un aperçu du bonheur.

Aujourd'hui, nous bâtissons toujours notre foyer qui, je l'espère, restera éternellement en travaux. Parce que l'amour c'est ça, un chantier en perpétuelle modification afin de le rendre le plus agréable possible. Nous allons abattre quelques cloisons, en construire d'autres pour changer la disposition des pièces, refaire la décoration parce que nos goûts vont évoluer et il faudra s'adapter. Certes, notre toit n'a plus rien à voir avec ce dont je rêvais mais il est beaucoup mieux parce qu'il nous ressemble à tous les deux et c'est ça l'essentiel, que chacun y trouve sa place et que nos cœurs soient unis dans la plus belle harmonie. Tu es ma définition du bonheur et je sais que, quoi qu'il arrive, nos âmes vont continuer à bâtir de grande choses ensemble.