Le temps perdu

Installé avec mon père sur le vieux sofa de notre salon, j'écoute une fois de plus les histoires diverses qu'il me raconte. La nuit vient de tomber et le feu qui crépite dans la cheminée près de nous, réchauffe la pièce du froid de l'hiver. Comme à son habitude, mon père essaye, malgré mon jeune age, de m'expliquer les dernières avancées de ses recherches sur ce que l'on appelle d'après lui la fontaine de Jouvence.

Si ce n'est moi, à qui pourrait-il parler le soir après le travail ?

Cela fait maintenant quelques années que nous essayons de combler le vide de cette grande maison à nous deux. Bien que je n'y comprenne pas grand-chose, je bois ses paroles avidement. Ce sont ces instants que je chéris tellement, je voudrais qu'ils soient éternels, que cela ne s'arrête jamais. Soudain quelqu'un frappe à la porte, interrompant mon père, ce qui l'oblige à se lever.

Tandis que je me retourne, toujours à ma place, mon père se dirige vers l'entrée et regarde à travers l'œil de judas qui se peut bien se trouver derrière la porte à cette heure-ci. A mon plus grand étonnement, au lieu d'ouvrir, il se précipite rapidement vers les escaliers, en me prenant par le bras au passage, moi ainsi qu'un dossier qui traînait sur la table de la cuisine. Sans que je ne comprenne ce qui arrive, je me trouve derrière la rambarde du deuxième étage et, bien que le couloir ne soit pas éclairé, j'ai un large champ de vision de haut sur le salon.

Mon père m'oblige à m'allonger sur le parquet, m'ordonne de rester caché, me fourre le dossier dans les bras, et dévale les escaliers tandis que les coups redoublent de plus belle à l'extérieur. Je commence à prendre peur de l'attitude de mon père et de celle de l'inconnu qui frappe à la porte avec insistance depuis tout à l'heure, mais je reste silencieux. Un fracas horrible se fait entendre. La porte vient d'être enfoncée.

Des hommes habillés en noir déboulent dans le salon, immobilisant mon père au milieu du salon, impuissant. Un autre homme apparaît dans mon champ de vision. Il est habillé différemment, il m'a l'air plus vieux, ou plus jeune. Je ne sais pas, son visage n'est pas dans mon champ de vision. Seule la cheminée éclaire la scène et je n'aperçois pas grand-chose. Soudain, ce dernier sort une arme de sa veste, mon père prend peur et se débat malgré les bras fermes qui le maintiennent face à cet homme.

Ce dernier pointe son pistolet en direction de son visage sûrement. J'entends quelques mots s'échanger entre eux, mais de là où je suis, je ne discerne rien de leur courte conversation. J'entends subitement une détonation et, effrayé par la scène qui se déroule devant moi, je me bouche les oreilles et ferme les yeux un court instant. Lorsque je les rouvre, je vois le corps inerte de mon père se faire emporter et la dernière chose que j'entrevois dans l'ombre est un logo de requin, qui décore l'uniforme de ces hommes...

Lorsque je reviens à la réalité, la situation est différente. Rien n'est plus pareil, tout a changé.

Aujourd'hui, après tant d'années de recherches, et de détermination, j'ai finalement réussi à trouver ce que je cherchais. Toutes ces années pendant lesquelles je n'ai cessé de croire en mon père. Un léger sourire se dessine sur mon visage pendant que j'admire, fier, la fontaine qui se tient à quelques mètres de moi. J'ai vaincu mes ennemis, vengé mon père et sauvé son honneur.

Il faut dire que tout cela n'a pas été pas aussi facile que je le pensais. J'ai traversé les chemins les plus compliqués, j'ai du apprendre à survivre dans les environnements les plus hostiles. J'ai traversé l'enfer, j'ai perdu des alliés. J'ai toujours gardé mon mental de guerrier, et la soif d'aventure que mon père m'a transmise en me racontant ses anciens exploits, je n'ai jamais lâché.

Je tourne la tête vers ma partenaire qui m'attend pour partir. Maintenant que je me suis trouvée une nouvelle raison de vivre, courir après les rêves de mon père ne me sert plus à rien. Désormais, j'ai les miens, et c'est avec elle que je veux les vivre.

Sains et sauf, nous marchons enfin en direction du bateau, chargé de nous ramener à New York. Il était temps de retrouver mon chez moi. Je m'arrête au bord des barrières du bateau, en admirant le couché du soleil qui se présente juste en face de moi.

— Je vais rejoindre l'intérieur, tu viens...? me demande doucement Devonne.

— J'arrive, je te rejoins dans quelques minutes.

Cette dernière descend les marches, sûrement afin de s'installer dans l'une des chambres. Je me retourne de nouveau face au soleil. J'attrape mon petit carnet de voyage, que j'ai gardé dans mon sac à dos.

En l'ouvrant, je relis certains passages de mes recherches. Les mythes ont toujours une part de vérité, je peux en témoigner. Maintenant que je rentre à la maison, je suppose qu'il est temps de me faire un nom, chose que mon père n'a pas réussi à faire. Je ferais mes preuves et le monde saura à quel point Adam Smith a progressé depuis l'époque où l'on se moquait des folies de son père.

Le bateau avance doucement mais sûrement. Dans quelques heures, je serai de retour chez moi, mais je sens que ce ne sera pas pour longtemps...