Maldika
Douzième nouvelle :
Il était une fois, dans une forêt lointaine et profonde, une meute de loups. Ils n'étaient pas bien nombreux, seulement trois femelles et un mâle, mais le groupe ne devait pas tarder à s'agrandir. Les ventres ronds des trois femelles en témoignaient bien.
Un beau matin, elles furent toutes mères : les deux premières, Aïla et Aïna fières de leurs portées de trois louveteaux chacune, forts et vigoureux. Ce ne fut pas le cas de la dernière mère, Eïma qui en eu aussi trois mais dont un seul d'entre eux survécut. Les deux autres étaient trop faibles, trop chétifs pour affronter la vie. En vérité, que le dernier louveteau ait survécu était assez étonnant car il était comme son frère et sa sœur mort-nés : faible et chétif. Néanmoins, il s'accrocha à la vie et à sa mère ce qui lui permit de voir l'aube se lever et son existence débuter.
Après plusieurs jours, il restait pourtant maigre, froid, tremblant. Sa mère ne relâchait pas ses efforts et l'entourait constamment de soins. Il avait du retard sur les autres louveteaux, mais qu'importe, puisque Eïma sentait que ce petit avait aussi sa place dans le monde et qu'il lui fallait simplement un peu plus de temps. Lorsque sa mère se reposait, c'était le chef de la meute qui venait et prenait soin de ce petit être fragile qui semblait pouvoir s'envoler et disparaître au moindre coup de vent.
Les deux autres mères, chuchotèrent, jalouses : « Il prend bien plus soin de ce petit maigrichon que de nos enfants pourtant bien plus forts, beaux et vigoureux. C'est injuste. »
Ce sentiment d'injustice grandit quand, alors que tous les louveteaux gagnaient en âge, le chef de la meute prenait plus de temps avec Maldika qu'avec les autres. Ce nom signifiait maigrichon dans leur langue et devint naturellement le surnom du fils unique d'Eïma. Le petit n'était pas bien doué : en plus d'être frêle et chétif, il était toujours le dernier. Même ses demi-sœurs le mettaient à terre en deux coups de pattes. Il ne prenait du poids qu'à grand-peine, restant « maldika ».
Un soir, alors que le chef de la meute partait avec Maldika et Eïma sous la pleine lune pour apprendre au petit à hurler comme le font tous les loups, les deux autres mères élaborèrent un plan, furieuses de cette préférence injuste :
« Il faut l'éliminer. C'est la seule solution pour que nos enfants reçoivent enfin une considération plus juste. Ce soir, quand ils rentreront tous les trois, enlevons le petit qui gambade toujours maladroitement devant. Abandonnons-le ensuite assez loin dans la forêt : nul besoin de le tuer, il est bien trop faible pour survivre seul. »
Elles mirent leur plan à exécution dès qu'elles les entendirent revenir. Le louveteau s'avançait comme prévu, en avance de ses parents, de droite à gauche. Les deux loups étaient loin derrière, avançant tranquillement sous le couvert des arbres sombres. En profitant, les deux louves attrapèrent Maldika sans qu'il n'oppose de résistance, à peine un gémissement qui se perdit dans le vent. Rapidement, Aïna l'attrapa par la peau du cou et l'emmena loin dans la forêt. Elle courut perdre le petit dans la forêt et repartit aussi vite que possible pour être revenue avant l'aube. Personne ne s'aperçut de son absence, tous remués qu'ils étaient (ou semblaient pour Aïla et Aïna) par la disparition de Maldika.
Le porté disparu s'éveilla sur un lit de feuilles mortes, au pied d'un arbre, loin de la caverne qu'il occupait avec sa mère et le reste de sa famille. Apeuré, il se mit à gémir, puis peu à peu, ne voyant venir personne, il tenta de hurler comme il l'avait appris la veille. Mais il n'était pas surnommé Maldika pour rien et comme il échouait là où ses frères et sœurs réussissaient, il échoua. Un glapissement maladroit fut le seul son qu'il put produire. Maldika se recroquevilla tristement. Il échouait partout, pourquoi cela devait-il changer ? Et toujours aucun signe de vie autour de lui. « Même ma mère m'a abandonné », songea-t-il, amèrement. « Je suis décidément trop incapable. »
Le soir arriva, amenant avec lui son flot d'inquiétudes et de misère pour le sans-abri de la forêt. Maldika n'avait pas bougé, persuadé que quelqu'un viendrait le rechercher, mais les heures étaient passées sans qu'il n'y ait trace d'un seul loup. Il avait fini par se lever de son lit de feuilles et s'était mis en quête d'un meilleur abri et de quelque chose à se mettre sous la dent. Malheureusement, pour un carnivore encore très inexpérimenté, les proies sont rares. Ce soir-là, il ne mangea rien, but dans une flaque d'eau et ce fut tout. Les jours suivants se déroulèrent de la même manière, ne laissant derrière eux qu'un être de plus en plus faible, jusqu'au jour où...
La journée s'était avérée aussi dure que Maldika l'avait imaginée à son réveil. Il n'avait rien pu manger, ni même bouger. Son corps maigre refusait tout mouvement, c'était la fin de Maldika. Alors qu'il fermait les yeux une dernière fois, une petite voix fluette s'éleva :
« Non, rouvre les yeux, ta vie ne doit pas se terminer là ! »
Maldika obéit à cet ordre avec difficultés et découvrit la propriétaire de la petite voix fluette : une luciole.
« Je suis la gardienne de l'ordre dans cette forêt. J'ai besoin de ton aide pour rétablir cet ordre troublé. Des hommes sont arrivés, il y a une semaine et depuis, ils capturent tous les animaux qu'ils croisent. Ta famille en fait partie et tu dois les libérer.
— Je suis le plus faible de ma famille, le plus chétif de tous et c'est moi qui devrait les délivrer ? Va plutôt voir mes frères ou même mes sœurs, elles sont plus aptes que moi.
— Primo, tes frères et sœurs sont dans la même situation que tes parents, c'est-à-dire prisonniers de ces trafiquants. Secundo, si je viens te voir maintenant, c'est parce que je sais que tu peux le faire. Fais-moi juste confiance.
— Te faire confiance suffit ?
— Oui. Alors ?
— Je te fais confiance. »
Le louveteau s'endormit sur ces mots.
Le lendemain, il se demanda s'il avait rêvé de cette rencontre jusqu'au moment où il observa son corps. Des pattes puissantes, un beau pelage, Maldika ne méritait plus son nom. Il se leva, fit quelques pas, étonné et ravi de cette transformation : la luciole n'avait pas menti. Il se souvint de la tâche qu'il avait à accomplir et se mit en route, poussé par son instinct vers le nord.
Il observa longuement la nature autour de lui tandis qu'il progressait vers le nord, un peu à l'aveuglette. Il retira des nombreuses leçons de ses observations notamment celle, indispensable, de chasser. S'attaquant à des proies modestes puis à des plus imposantes, le loup finit par se nourrir en toute autonomie. Son ouïe s'affinait de jour en jour et il parvenait à présent à repérer le clapotis d'un ruisseau à une très grande distance. Cette capacité lui fut d'une grande aide pendant son voyage, mais ce fut également elle qui le guida sur la piste des trafiquants. Un bruit vague dans le lointain, tout sauf naturel attira son attention. Intrigué, il s'en approcha au plus près et découvrit, sur un sentier de terre, les roues d'un chariot frottant la terre d'un chemin. A l'arrière, des cages en bois où Maldika vit des fourrures noires et rousses, des plumes brunes et bleues, des poils gris et argent. Toute une partie des animaux de la forêt se trouvait là, le cœur encore battant, mais pour combien de temps ? Ils avaient tous l'air épuisés, ne bougeant presque plus. Révolté, Maldika sentit son échine frémir et sa détermination redoubler. Il fallait qu'il les libère.
Il suivit le véhicule depuis les bas-côtés pour ne pas se faire repérer des deux hommes à l'avant. Ils avaient un air presque joyeux, heureux de leurs prises. Tous deux fins, élancés et le teint bruni des hommes qui vivent chaque minute de leur vie sous le soleil, ils reprenaient le chemin du retour. Ils allaient vendre leurs prises aux saltimbanques. Ces derniers étaient toujours ravis de les voir arriver, le chariot plein d'animaux tellement affamés qu'ils étaient soumis sans aucun problème avant d'être dressés en bêtes de foire. Même en ignorant le futur qui leur était réservé, Maldika ne pouvait pas les laisser là.
La nuit tomba et les deux hommes s'arrêtèrent. L'un d'entre eux partit ramasser du bois tandis que l'autre étendait des couvertures au sol, sortait une casserole et s'éloigna de quelques mètres pour chercher de l'eau. Maldika en profita et, sortant des fourrés en deux bonds silencieux, il s'approcha des cages.
« Maman ? Papa ? Aïla, Aïna ? »
Une fourrure bougea et une tête se leva : c'était son père.
« Papa, c'est moi, Maldika.
— Maldika ? questionna une voix faible, surprise et pleine d'espoir.
— Je vais vous libérer, restez tranquilles jusqu'à ce que je revienne cette nuit, quand les hommes dormiront. Soyez prêts.
— Maldika, tu es vivant ! »
L'interpellé ne réagit pas, sautant à nouveau dans les fourrés, un homme revenant.
« Martin, où es-tu encore passé ? Tu sais bien qu'on ne doit pas laisser la cage sans surveillance, poursuivit l'homme quand le dénommé Martin apparut.
— Que veux-tu qu'il se passe ?
— Inutile de te rappeler la mésaventure de la première fois, reprit l'homme d'une voix sèche.
— C'était il y a longtemps, on n'aurait rien pu faire. Arrête de ressasser le passé, on n'y changera rien ! s'exclama Martin.
— On peut au moins éviter que cela se reproduise.
— Enfin, sois raisonnable ! Des loups pareils, ça ne court pas les rues ! Et puis, il était rusé, il a attendu le moment où on s'y attendait le moins.
— C'est pour cela que nous ne dormirons jamais en même temps cette nuit. Je prendrais le premier tour de veille. »
Sur ces mots, l'homme laissa Martin allumer le feu, s'approcha de la cage et marmonna : « Ne pensez même pas à vous échapper, c'est perdu d'avance. » Contemplant le tas de plumes et de poils presque sans vie avec satisfaction, il leur versa de l'eau dessus. Tous les gosiers s'ouvrirent, avides de récupérer la moindre goutte. Caché entre deux buissons, Maldika frémit devant tant d'inhumanité de la part de ces hommes.
Leur repas avalé, le feu brûlant, Martin se pelotonna au milieu de couvertures, n'en laissant qu'une à son comparse, le dos droit, déterminé à veiller. Les minutes passèrent, Martin s'endormit, l'autre homme veilla. Son dos se courba au fil des heures, se redressant parfois mais jamais très longtemps. Alors que toutes les étoiles s'étaient allumées sur le ciel d'encre, Maldika entendit deux ronflements distincts. Il attendit encore deux minutes, puis s'avança vers la cage. A son approche, deux yeux d'or brillèrent. Sans un bruit, une multitude d'autres pupilles se dévoilèrent. Ils étaient tous prêts à bondir dès que Maldika leur ouvrirait la cage. Ce dernier s'avança vers la serrure et joua de sa griffe avec la clenche en bois. Celle-ci était vieille et usée et ne résista pas bien longtemps à la force de Maldika. De l'intérieur de la cage, aucun des animaux n'aurait pu l'atteindre, positionnée d'une manière assez astucieuse par les deux hommes, mais pas bien compliquée à déverrouiller de l'extérieur. Maldika fit sauter la clenche et ouvrit la porte en grand. Un à un, les animaux à plumes et à poils quittèrent les barreaux pour retrouver leur liberté.
Alors qu'il ne restait plus que les loups dans la cage, une des branches du feu craqua dans un bruit sec. L'homme se réveilla d'un coup sec, en alerte. Maldika se tapit dans l'ombre du chariot, prêt à bondir. Pas très bien réveillé, mais tout de même l'esprit en alerte, il se leva et s'avança vers le chariot, suspicieux. Quand il vit la porte battante, ses épaules se redressèrent d'un coup. Il avait à nouveau été roulé. Furieux, il porta son attention sur la cage qui n'était pas encore totalement vide. C'est à ce moment que Maldika bondit, le prenant par surprise, lui jetant une patte dans le visage. Sonné par le coup, la joue et le nez sanglant, il s'effondra à terre. Les loups dans la cage en profitèrent pour s'échapper.
Martin s'éveilla, alerté par le bruit. Les flammes éclairèrent le visage ensanglanté de son comparse puis un loup noir majestueux. Stupéfait, il eut la présence d'esprit de se lever et de s'écarter de la cage, de Maldika et de son comparse, les mains en l'air, dans un signe de paix. Le grand loup noir abaissa lentement la tête avant de filer rejoindre les siens sans un bruit, comme un remerciement silencieux.
Les deux hommes ne revinrent plus jamais capturer des animaux dans cette immense forêt.
« Tu es devenu le meilleur loup que je connaisse, prononça solennellement le chef de la meute. Un jour, tu verras, ta réputation traversera les frontières de cette forêt, j'en suis sûr. Tu es tellement hors du commun. Je suis fier de toi, mon fils. »
En effet, Maldika devint un loup connu tout autour du globe, comme l'avait prévu son père, mais pas à cause de ses exploits-ci, mais parce qu'un beau jour, il fit la rencontre d'une charmante petite fille surnommée le petit chaperon rouge...
Bravo pour cette incroyable nouvelle auclairdemaplumeclem ! N'hésitez pas à laisser un commentaire et un vote car cela fait toujours plaisir !
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