La forêt aux troncs noueux
Septième nouvelle :
Connais-tu la légende de la forêt des troncs noueux ? Non ? Cela ne m'étonne pas. De nos jours tous l'ont oublié et pourtant c'est une légende à la fois captivante et dangereuse sur une forêt des plus envoutantes qui existe. Mais laisse-moi te raconter ! Certes aujourd'hui plus personne ne risque rien si cette légende est vrai, car plus personne ne s'égare dans ses pensées la nuit en forêt. Mais sait-on jamais.
Car vois-tu personne ne sait avec certitude où se trouve cette forêt. Cela le temps l'a oublié. Alors il se pourrait bien que tu la trouves à côté de chez toi ou à l'autre bout du pays. Donc prends garde quand les nuits de nouvelle lune tu te baladeras en forêt. Parce qu'il parait que c'est ces nuits-là seulement que tu peux pénétrer dans la forêt.
La légende dit que n'importe quel imprudent se mettant à rêvasser en forêt ces fameuses nuits à l'obscurité totale entendrait alors un chant des plus envoutants, un chant mélancolique, un chant à la fois beaux et triste à en pleurer, un chant entonné par un chœur de voix pur comme de l'eau de roche.
Captivé par ces voix à la beauté irréelle, tu cheminerais sans t'en rendre compte vers leur origine. Tu ne contrôleras alors plus tes pas, tu ne penseras à rien d'autres qu'à la musique, qui te guide telles les baguettes d'un chef d'orchestre, te rendant même aveugle au chemin que tu empruntes. Et c'est ainsi que tu pénètres dans un autre monde, dans la forêt des troncs noueux, attiré simplement par un chant sublime, simplement condamné pour avoir eu pendant quelques minutes la tête dans les nuages.
D'abord tu ne noteras aucune différence, tu entendras juste la musique. Le chant dont je t'ai parlé juste avant te paraissait sublime, mais il n'y a pas de mot pour décrire à quel point cette musique qui l'accompagne est enchanteresse. Elle exprime si bien les différents sentiments qu'un cœur peut ressentir qu'on la croirait douée de parole. Elle te donne envie de chanter avec les voix, de pleurer de chagrin, de rire avec bonne humeur et de danser sur elle. Elle te donne envie de t'y fondre, de ne faire plus qu'un avec elle. Alors tu avances dans cet autre monde, sans même voir qu'il est différent, subjugué par ce que tu entends, attiré par ces sons comme un ours par un peu de miel.
Tu finis par t'en rendre compte quand la forêt se fait plus clairsemée, que les étoiles brillent alors si fortement que tu te croirais presque en plein jour. Tu remarques alors que cette forêt n'est plus ta forêt, qu'elle a quelque chose d'irréel, de trop parfait. L'air tout autour de toi semble scintiller légèrement, sur le sol parfait il n'y a nul insecte, nulle feuille égarée, nulle trace de pas laissée. Les fleurs aux couleurs bien trop chatoyantes qui y poussent le font loin de tes pas et semblent elles aussi osciller sur la musique. Les arbres aux alentours montent bien hauts et ont tous des troncs si noueux qu'ils semblent expressifs. Ils s'enroulent sur eux-mêmes en adoptant des visages comiques ou apeurés. Leurs branches s'étendent tels de multiples tentacules vers le ciel ou vers le sol, toujours semblant vouloir attraper quelque chose. Et sur ces arbres il n'y a aucun signe de vie, pas une araignée n'y a tissé sa toile, pas un écureuil ne saute dans ses branches, aucun oiseau n'y a fait son nid. Non décidemment cette forêt à quelque chose d'étrange.
Tu te retournes, tu cherches à revenir sur tes pas ou à simplement te repérer et tu te rends comptes alors que tu es perdu, que tu n'es plus chez toi, que ce même chez toi est dorénavant très loin, trop loin pour que tes yeux n'en aperçoivent ne serait-ce que les contours.
Mais il y a encore la musique. Et en examinant le lieu, tu sembles remarqué de la lumière. Pensant que quelqu'un pourrait peut-être t'aider tu t'en approches, la musique se fait plus forte, les chants plus audibles. Alors tu poursuis ton chemin, persuadé d'être sur la bonne voie. Tu marches en silence vers ces sons si prodigieux, vers cette lueur dans la nuit tel un phare qui guide les marins vers la terre ferme.
Et tu tombes sur un spectacle enchanteur. Là sous couverts de ces arbres aux troncs noueux est réunis un peuple à la beauté surhumaine, autour d'un feu ils jouent d'instruments rustiques et en sortent des notent incroyables, ils chantent de leurs voix extraordinaires des chants dans une langue que tu ne comprends pas mais dont tu saisis parfaitement toutes les émotions comme si elles étaient tiennes, leurs corps graciles dansent en harmonie avec cet ensemble dans un spectacle fascinant, ils grignotent du bout de leurs lèvres charmantes de sombres baies, ils boivent dans des coupes de bois de mystérieuses boissons et ensembles rient, s'amusent, sont heureux.
C'est un spectacle si beau à contempler que certains animaux les observent aussi un peu en retrait, une biche allongée près d'un buisson, une famille de mignons petits hérissons, des lapins qui tendent leurs grandes oreilles et même un tout petit renard, tous semblent y prendre grand plaisir. Et comment ne pas en prendre ? Toi-même tu ne les quitte pas des yeux, ces personnes aux rires éclatants, ces corps qui se meuvent si délicatement et dont les ombres se projettent sur les arbres, cette chaleur qui se dégage de ce petit groupe, te brûlant presque autant que les flammes qui crépitent au centre de cette scène.
Toi aussi tu veux être heureux. Toi aussi tu veux être comme eux. Alors tu fais un pas, puis deux. Ils ne font pas vraiment attention à toi. On te tend une coupe pourtant, comme si tu avais toujours été là, comme si ta présence ne dépareillait pas, tu y bois une eau fraiche qui te semble être la meilleure des liqueurs, elle coule dans ton gosier puis se repend dans tout ton corps. On te tend ensuite quelques baies que tu croques avec délices, faisant éclater dans ta bouche un goût sucrée et doux qui s'enroule autour de ta langue. Puis on te prend la main et t'entraînes dans leur danse.
Tu bouges avec eux, étonnement tu sais tout de suite quel mouvement exécuter sans avoir besoin de regarder tes voisins. C'est comme si la musique te dictait que faire. Tu te laisses emporter par elle, tu bouges selon ces indications, tu t'absorbes totalement aux sentiments qu'elle procure, tu ne fais plus qu'un avec tous ces gens si différents, avec tous ces sentiments exprimés par les chants, avec la musique qui joue toujours si magnifiquement.
Les heures défilent et tu ne le vois pas, tu ne ressens aucune fatigue, tu ne te lasse pas, tu es juste heureux et entier. Tu danses encore et encore, tu chantes même encore et encore dans cette langue qui pour toi ne veut rien dire.
Si jamais tu t'arrêtes un de ces êtres à la beauté stupéfiante s'approche pour t'offrir de quoi boire ou manger, et ensemble vous riez. De rien et de tout à la fois. Vous riez simplement parce que vous vous sentez heureux. Et puis de nouveau tu te mêles à la danse. Parce que tout ton corps le réclame, parce qu'à aucun moment tu ne te sens plus en harmonie qu'en abandonnant ton corps à la musique.
Puis petit à petit tous s'arrêtent. Il n'y a plus à boire, puis plus à manger, les chanteurs se taisent, les instruments aussi et les danseurs s'immobilisent. Tu regardes toute cette assemblée toujours joyeuse, ils t'embrassent et te serre la main avant de partir un à un.
Bientôt il ne reste plus que toi.
Toi et les arbres aux troncs noueux. Toi et la nuit aux étoiles trop brillantes. Toi et cet autre monde plongé dans le silence.
Tu marches alors un peu au hasard de tes pas. Tu ne sais pas vraiment ce que tu cherches. Peut-être un moyen de rentrer, peut-être un moyen de retrouver tes compagnons de danse. Mais tu es heureux.
Et quand le soleil se lève, tu découvres non plus l'autre monde, mais ton monde à toi. C'est bien ta forêt, ses chênes centenaires aux troncs bien trop droit à ton gout, ses insectes qui grimpent partout, ses feuillent sur le sol qui crissent sous tes pas. Mais où es-tu exactement dans cette forêt, tu l'ignores. Tu t'es égaré.
Peur.
Tristesse.
Désespoir.
Tu ressens tout cela à la fois. Tu tentes de retrouver ton chemin, toute joie t'ayant déserté. Tu vas marcher des heures. Tu penses alors que cette nuit à danser n'a été qu'un rêve. Un rêve magnifique, mais rien de réel. Enfin tu retrouves ton chemin.
Sous tes pieds les branches craquent, les feuilles crissent et les fourmis s'enfuient. Les fleurs ont des couleurs bien ternes et restent sagement immobile. Quant à la musique, tu ne perçois que le chant des oiseaux sur les branches. Ça te donne envie de pleurer. Tu étais si heureux alors.
Tu marches un moment, pour retourner à la maison. Mais en quittant la forêt tu ne reconnais plus tellement l'endroit. Tout semble métamorphosé.
Peut-être es-tu encore dans l'autre monde ? Peut-être que le jour là-bas est aussi fade que chez toi. Tu reprends espoir. Et confiant et heureux tu avances de ce monde nouveau que tu veux découvrir.
Mais tu es déçu. Il ressemble beaucoup au tiens, à peine quelques changements, certains bâtiments semblent plus vieux, d'autres plus neufs, certains ont disparus, d'autres sont apparus et quelques-uns ont été remplacés. Autour de toi tu reconnais ta langue, dans la bouche des passants, sur les affiches publicitaires. Tu reconnais les marques aussi. Tout est bien trop semblable à ton monde.
Ce n'est pas normal.
Les gens eux-mêmes ne te semblent pas si parfaits, celui-ci est vraiment petit, celui-là trop grand, celui-ci a un bien trop gros nez et celui-là de trop petits yeux. Il n'y a plus l'harmonie, plus la perfection que tu as connues cette nuit.
Ce n'est pas normal.
Quelque chose cloche. L'inquiétude te gagne, même si tu ne saurais dire pourquoi. Alors machinalement tu reprends la direction de là où ta maison se serait trouvée. Parce que c'est un endroit réconfortant, c'est un endroit doux et protecteur, c'est ta maison.
En y arrivant tu découvres une maison identique à la tienne. Tu reconnais les rosiers que ton père a planté, le pommier dans le jardin que tu as rêvé d'escalader toute ta jeunesse, la balançoire sur laquelle tu t'es assis et avais l'impression de voler ton enfance durant, la maison elle-même est exactement identique, jusqu'à la fêlure qui court sur l'un des pavés au sol. Cette maison c'est chez toi ! C'est exactement chez toi !
Et quand tu lis le nom sur la boite aux lettres, l'effroi te gagne. C'est vraiment chez toi ! Ce nom c'est le tiens !
Alors tu ne résiste pas. Tu avances dans l'allée, sonne à la porte. Puis tu regrettes. Tu te dis que c'est stupide. Que ce n'est qu'un rêve, une illusion. Mais déjà un pas se fait entendre à l'intérieur. La porte s'ouvre. C'est une femme, une vieille femme. Mais sous sa peau ridée et ses taches brunes tu reconnais les traits de ta mère. C'est comme une pierre tombant dans ton estomac. Surtout que cette femme te regarde les yeux grands écarquillés, la bouche grande ouverte, une vraie surprise sur son visage. Elle éclate alors en sanglot et déclare à travers ses larmes :
— C'est toi ! Mon enfant c'est bien toi ! Mais ... Tu n'as pas changé ! Ca fait quarante ans que tu as disparu et tu n'as pas changé !
Parce que tu vas comprendre en quelques minutes que cet instant de bonheur n'aura pas duré une nuit mais des années. Des années que tu as manquées, des années où l'on t'a cru perdu à jamais alors même que tu n'avais aucune once de regret.
Déstabilisant, non ? Bravo à toi MiladyCoulter pour cette fantastique nouvelle ! Si avez été aussi charmé que moi par cette nouvelle, n'hésitez pas à voter et à laisser un commentaire à l'auteure !
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