Et si il avait pu changer les choses, cette fois ? C'était la pensée qui tournait en boucle dans son esprit depuis que ça s'était passé. Ses pas claquaient sur le sol de marbre avec une frustration et une tristesse devenues habituelles, depuis le temps qu'elles persistaient dans son coeur et sur son corps, qui ne changeait presque pas au fil des années et des siècles passant au-dessus de lui sans qu'il ne les remarque, ou presque.

La prochaine fois, je m'y prendrais plus tôt, songea-t-il, faisant une promesse silencieuse à ceux qui n'étaient déjà plus là, et qui ne reparaîtraient pas à nouveau avant un certain temps.

Ses pensées dérivaient sur le Soleil et la Lune, leur relation incroyable et extraordinaire qui durait depuis des milliers et des milliards d'années. Il enviait légèrement ce couple. Il aurait aimé avoir quelqu'un comme ça, lui aussi. Mais aussi, il était frustré. Frustré qu'ils ne puissent partager leur amour comme ils le souhaitaient, frustré qu'ils ne puissent finir ensemble. Frustré qu'ils ne puissent jamais se sortir de cette boucle temporelle de vies. Qu'ils ne pouvaient pas s'en sortir.

Qu'ils étaient à chaque fois amenés à s'entretuer pour telle ou telle raison.

Et tout ça...

De la faute de celle devant laquelle il s'inclinait à cette instant.

- Déesse, fit-il d'une voix dure, le regard baissé, un genou au sol, l'autre relevé, et une main serrant le poing de l'autre.

- Tu peux te relever, répondit la déesse d'une voix royale, majestueuse, hautaine, froide.

C'est ce que le garçon fit, et il croisa le regard bleu grisâtre de son interlocutrice. Comme son fils, songea-t-il amèrement, se remémorant le regard qui s'était bien des fois posé sur lui durant les derniers jours.

- Une fois de plus, ils ont échoué, observa-t-elle.

- Evidemment qu'ils ont échoué ! s'irrita le brun, le regard caché d'un voile de désabusement. Vous... Vous faites tout pour qu'ils ne parviennent pas à se défaire de la malédiction ! Quelle idée de les faire tous les deux hommes quand ils doivent procréer pour briser cette cage que vous leur avez imposée !

La déesse à la longue chevelure noire brillante claqua de la langue, intimant à son serviteur de se taire, ce qu'il fit aussitôt, se renfrognant.

- Ne dis pas ça. Tu n'étais pas au courant, mais l'autre était capable de porter la vie. Je lui ai donné ce don pour leur laisser une chance de s'en sortir.

Le brun releva un regard intrigué vers sa supérieure, avant de comprendre que cela devait être en partie grâce à ça que ses deux amis s'étaient rapprochés l'un de l'autre. Puis son regard s'obscurcit.

- Mais... Chan n'aimait pas ce genre de choses. Est-ce vous qui avez fait ça ?! demanda-t-il, froissant sa tunique beige entre ses mains pour se retenir de crier encore sur la déesse, il le paierait cher, sinon.

Sa reine secoua la tête, faisant voleter sa chevelure de jais autour de son fin visage à la peau claire.

- Non, ce n'est pas moi. C'est son âme qui l'a fait. Qui a choisi d'être comme ça.

Le garçon passa une main frustrée dans sa chevelure, relevant ses boucles brunes brillantes d'un éclat rougeâtre.

- Parce que dans sa vie précédente il n'était pas au courant de la condition pour arrêter ça..., gronda-t-il entre ses dents.

- Assez ! s'exclama la Déesse, levant une main pour inciter son cadet à se taire. Ce qui est arrivé est arrivé. Tu n'as qu'à te blâmer pour ton incompétence à les aider.

Sous le regard brûlant de sa supérieure, le brun ne put que baisser le regard, froissant une fois de plus sa tunique dans ses poings serrés. C'était vrai, c'était de sa faute. Il aurait dû les prévenir plus tôt, leur en dire plus, leur parler plus, les soutenir plus, leur expliquer plus, être là plus, empêcher les plans de la Déesse, empêcher ceux qui travaillaient pour elle de faire ce qu'ils avaient à faire...

Mais il ne pouvait pas.

Il était impuissant face à une malédiction de la Déesse.

Une malédiction qui empêchait quiconque qui savait tout dessus d'en dire trop.

C'était pourquoi il ne pouvait parler que par sous-entendus concernant ces choses-là.

Comme par exemple concernant le fait qu'il connaissait Chan depuis longtemps, mais qu'il ne pouvait pas s'en souvenir. C'était parce qu'il le connaissait dans sa première vie, voilà tout. Il était même son premier vrai ami, et son meilleur ami, et à lui et à Changbin. Mais ils ne s'en souvenaient pas. Et à chaque fois, il devait le leur faire comprendre par sous-entendus, ou en agissant comme il agissait toujours maintenant dans presque chacune de leurs vies.

Desserrant finalement la mâchoire, il passa une main agacée sur son visage, qu'il releva vers la Déesse.

- Je vous prie de me pardonner pour mon insolence, Déesse. Je veillerais à ce que ma conduite soit bonne, je vous promets de ne pas recommencer, fit-il, s'inclinant à nouveau.

La femme claqua de la langue, puis fit un signe du menton.

- Tu peux disposer.

Le garçon allait protester qu'il n'avait pas fini, mais le regard de glace de la Déesse le dissuada de tenter toute protestation, et il soupira donc en se redressant, puis en tournant le dos à la femme à l'origine de tous ses tracas actuels.

En principe, il aurait dû la saluer en partant, mais il était encore trop agacé par le comportement de sa supérieure, aussi il quitta la pièce sans mot dire, et la Déesse ne le réprimanda pas pour ça.

- Hé ! l'interpella une voix qu'il reconnut : il l'avait entendue très récemment.

Le brun se tourna vers celui qui lui avait ainsi parlé, et il le toisa d'un regard légèrement blasé, et fatigué.

- Woojin. Que me veux-tu ? lui demanda-t-il.

L'intéressé décroisa les bras en s'approchant de lui, et il le regarda victorieusement, un sourire aux lèvres.

- Eh bien ? Ce petit jeu de rôle ne t'a pas plu ? C'était amusant, tu ne trouves pas ? lui fit-il, narquois.

- Tu te fous de ma gueule ? demanda le brun, les sourcils froncés, un sourire d'incompréhension pure aux lèvres. T'as vraiment trouvé ça... Amusant ?

- Bah.... Ouais. Ça te pose problème ? fit Woojin, haussant les épaules puis scrutant sa réaction.

Serrant à nouveau les poings, le jeune homme -ou du moins d'apparence- souffla pour s'empêcher de sauter sur l'autre pour le frapper et lui faire ravaler ses paroles dédaigneuses.

- Je n'ai pas de temps à perdre avec toi, fit le brun en décidant de passer outre.

Il devait se préparer pour la prochaine fois, il ne pouvait vraiment pas les laisser ainsi.

- Oh, oh, oh ! Tu comptes déjà repartir ? le questionna Woojin, plaquant son bras contre le mur, juste devant son interlocuteur pour l'empêcher de passer. Reste encore un peu... Ca ne fait que quelques heures que tu es là...

Le noiraud mima une moue de tristesse, et l'autre lui renvoya un regard de glace. Il donna un coup sur le bras du plus âgé pour le faire tomber, et c'est ce qui arriva.

- Fous-moi la paix. Quand tu feras des efforts pour m'aider -pour les aider- tu pourras me parler.

Le brun le dépassa, ses sandales claquant sur le sol.

- Hé..., reprit la voix de Woojin, plus sérieuse cette fois. Tu peux pas m'en vouloir pour m'amuser ! C'est pas de ma faute s'il leur arrive toutes ces merdes, ils avaient qu'à pas s'unir la première fois, tout d'abord...

Ce fut la goutte de trop. Le brun se retourna brusquement, et il pointa son doigt vers son vis à vis.

- Putain. Tu n'as en fait aucun état d'âme ?? Aucun regret ??? Aucune tristesse ?? Tu vas me dire que tu es vide ?? Tu es sans émotion, sans-gêne, sans rien ?? Tu serais donc rien d'autre qu'une coquille vide, sans caractère, sans personnalité ??

Cette tirade sembla quelque peu effrayer le noiraud, qui se recroquevilla légèrement sur lui-même.

- Mais... Je ne fais que suivre les ordres de ma mère...

- Précisément, appuya le brun, abaissant son bras. C'est ce qui fait que tu n'as pas d'âme, pas de personnalité. Tu ne fais aucun choix par toi-même. Tout ce que tu fais, c'est obéir à la Déesse.

Le brun tourna à nouveau le dos à Woojin, et fit claquer de manière énervée son pas sur le sol.

- Jisung..., l'appela encore Woojin, mais il ne l'écouta pas.

Il devait s'y prendre plus tôt, cette fois.

Oh oui, encore plus tôt.

FIN.