La journée avait bien commencé. Le soleil s'était levé, comme d'habitude, et le jeune homme avait à peine souffert d'insomnies, cette nuit-là ! Quand il était allé aux écuries, les dragonnets violets et dorés nés de la dernière lune ne lui avaient pas donné trop de fil à retordre. Un miracle, comparé à la manière dont ils se comportaient d'habitude envers leur éleveur. Puis après être passé voir si les griffons avaient assez d'eau pour se désaltérer, il s'était rendu à la grange pour s'enquérir de l'état de la licorne malade arrivée il y a peu. Son possesseur l'avait apportée au jeune blond quelques jours plus tôt, car son état l'inquiétait. En fait, le jeune équidé avait contracté la maladie rare nommée la hvezdna skyrny, plus communément appelée "la maladie des taches étoilées", à cause du fait que la peau de la personne atteinte se couvrait de taches plutôt claires. Puisque là, la peau de la licorne était couverte de fourrure brune, cela se voyait plutôt bien, alors qu'en général, la plupart des licornes étaient blanches, et donc si elles contractaient la hvezdna, c'était presque indécouvrable jusqu'au jour où elles mouraient, faute d'avoir eu le bon traitement. En ayant repéré ces étranges taches rappelant le ciel étoilé dégagé de l'été, l'éleveur de licornes avait immédiatement demandé la visite du soigneur du village, afin que ce dernier puisse lui rendre un rapport sur l'état de l'équidé.

Le guérisseur du village était un jeune homme très sympathique, du nom de Bang Chan. Il avait des cheveux blonds mi-courts, bouclés, partant chatouiller sa nuque, le derrière de ses oreilles et son front. Accentuant sa blondeur, des iris gris clairs profonds ornaient ses yeux, et ce physique atypique lui valait un certain succès dans ce village. Certains paysans avaient même échafaudé la théorie qu'il serait faé, mais malheureusement, il n'avait pas les oreilles pointues propres à cette espèce, ni ce charme indéfinissable qui attirait toute personne qui n'avait pas un mental assez fort pour résister à la charge du pouvoir des faés. Peut-être avait-il néanmoins une ascendance magique. Personne ne le savait : Chan n'était pas très bavard sur sa famille.

Après être passé voir la licorne, qui reprenait peu à peu ses couleurs naturelles, le jeune homme était rentré dans sa cabane en bois. Elle avait deux étages, et plusieurs pièces en bas : il y avait tout d'abord l'entrée, qui se confondait avec le salon. Une porte donnant sur la cuisine était juste en face, et à droite dans la pièce il y avait un escalier qui montait pour donner sur un couloir, avec une chambre en face, et une salle de bain à droite, et un autre escalier à droite également, au fond du couloir. Le dernier étage était un grenier assez luxueux, peu poussiéreux. Une grande fenêtre arrondie offrait une vue imprenable sur la vallée et le village, en bas de la colline sur laquelle se dressait la petite maison du soigneur.

Chan se rendit dans la cuisine, allumant le poêle à bois pour faire chauffer de l'eau, comme à son habitude, pour se réchauffer après la courte matinée froide qu'il avait passée à nourrir et soigner les bêtes. L'automne était déjà passé de moitié, et l'on sentait tout doucement l'hiver approcher. D'ailleurs Chan le sentait bien venir dans sa gorge. Il ne savait pourquoi, mais à chaque fois que le mois de la neige approchait, le jeune homme se retrouvait avec un mal de gorge incroyable qui ne passait pas, à moins qu'il boive plusieurs infusions dans la même journée. Il ouvrit une porte qui menait sur un très court escalier, au bout duquel il y avait des rangées d'étagères couvertes de choses diverses qui servaient à se nourrir. C'était sa réserve, là où il gardait tout ce qui pouvait lui servir à l'avenir. Il y avait de la viande séchée pendue au plafond, des bouteilles en verre pleines de vins, de lait plus ou moins frais ou d'autre chose. Des grands conteneurs étaient disposés contre certains murs, pleins de céréales, ses réserves pour l'hiver, dont il se servirait pour faire de la farine, qu'il transformerait par exemple en pain, en brioche, ou en gâteaux, et autres. Son cœur se réchauffa à l'idée de l'hiver à coup sûr merveilleux qu'il passerait en compagnie de son bien-aimé. Car, oui, notre jeune soigneur n'était pas le moins du monde célibataire. Son organe palpitant était tout à un jeune vampire aux cheveux rouges qui lui faisait tourner la tête depuis bien des années, mais les deux amoureux ne s'étaient mis en couple que pendant le printemps dernier. Ce serait donc le premier hiver qu'ils passeraient en tant que couple officiel, et cela excitait assez Chan, il ne savait pourquoi, car il avait passé bien des hivers en sa compagnie, mais il y avait... une sensation différente. Une saveur différente.

Tout en songeant au beau visage de son compagnon à la peau pâle, l'éleveur récupéra deux boîtes en métal contenant des herbes aromatiques qu'il avait séchées durant l'été passé, puis retourna dans la cuisine de sa confortable maison, et voyant que l'eau bouillait déjà, il retira la bouilloire du feu pour mettre quelques plantes de chaque pot en métal dans la future boisson médicinale. Chan avait récupéré du tilleul et de l'hibiscus qui, ensemble, faisaient une bonne tisane servant à soigner les maux de gorge, exactement comme ceux dont souffrait le blond en ce moment.

Ce fut au moment où le jeune homme sortait des tasses du placard qu'un bruit retentit à la porte d'entrée. Quelqu'un y toquait. Le cœur léger, Chan s'y élança, et ouvrit la porte pour découvrir l'élu de son cœur trépignant nerveusement devant l'entrée.

Les yeux gris de Chan s'ancrèrent dans le regard luisant du nouveau venu. Ce dernier avait une chevelure vermillon étincelante sous le doux soleil de la matinée d'été, donnant un air démoniaque à son joli visage rond et pâle. Ses yeux d'une couleur violette ornée de rose attiraient toujours autant Chan qu'au premier jour, et le jeune homme se pencha en avant pour embrasser son compagnon.

Ce dernier l'évita en entrant dans la cabane, et le blondin fronça les sourcils avant d'entrouvrir la bouche d'une légère surprise. Cela devait être "la mauvaise période du mois". Cette période était en fait un désavantage de la vie de vampire : ils devaient, au moins une fois par mois, se nourrir de sang sous risque de tomber malade. Le sang d'êtres intelligents étaient plus efficaces, mais cela était considéré comme un crime, donc des médecins fournissaient du sang animal aux vampires qui les consultant, même si, parfois, une bonne âme se montrait charitable, et offrait aux créatures de la nuit un peu de son sang pour parfumer le reste. Dans ces moments-là, les vampires avaient du mal à toucher la peau d'une autre personne qu'un de leur semblable, à cause des envies de chair et de sang que soulevaient ces contacts en eux.

Respectueux du fait que son amoureux ne désire pas de contact, Chan ne s'approcha pas trop de lui, et il referma la porte, créant alors une tension enfermée dans cette cabane avec eux. C'était une tension étrange. Tendue. Stressante. Nerveuse. Dangereuse.

Le garçon aux cheveux couleur miel tira une chaise devant la table pour l'autre, qui hésita avant de hocher la tête, et de s'asseoir là où l'aîné le lui avait désigné. Ce dernier finit de récupérer leurs deux tasses habituelles -l'une avec un loup dessus, l'animal totem de Chan, et l'autre avec un étrange animal ressemblant vaguement à un ornithorynque, objet pour lequel Seungmin avait eu un coup de cœur sur un marché. Servant enfin la tisane, le plus âgé tendit à son vis à vis la tasse lui appartenant, et il prit immédiatement une gorgée, sans regarder si son cadet en buvait aussi.

Presque aussitôt, Chan sentit le feu de sa gorge s'apaiser quelque peu sous la caresse du doux liquide, ni trop chaud, ni trop froid. Et parfaitement parfumé aux deux plantes séchées qu'il avait utilisées.

En parlant de ça ! Il n'avait pas rangé les boîtes. Le jeune blond posa sa tasse immédiatement après s'en être rendu compte, et il les ramassa dans ses deux mains, avant de se diriger vers sa réserve, laissant la porte ouverte au cas où Seungmin lui parlait.

- Chan ? demanda justement le vampire depuis la pièce principale.

- Hm ? répondit l'intéressé le plus fort possible pour qu'il entende sa réponse.

Il y eut un petit silence pendant lequel le blond chercha un peu l'emplacement de ses boîtes à tisanes, et Chan entendit des bruits de pas, puis il entendit plus clairement la voix de son partenaire quand elle se manifesta à nouveau.

- Chan, répéta-t-il. Tu sais...

Le plus jeune sembla hésiter, pendant que le blond trouvait enfin les emplacements de rangement pour les boîtes. Chan aimait l'ordre. Quand tout était bien rangé, placé à la bonne place et que ça ne bougeait pas. Certaines personnes le qualifiaient de maniaque, et peut-être qu'il l'était, mais ce terme n'avait pas d'importance à ses yeux. Il était ce qu'il était, et c'était tout ce qui comptait pour lui.

- Je t'aime beaucoup.

Chan fronça les sourcils. Que voulait donc dire cette phrase ? Il releva la tête, s'approchant des petits escaliers pour poser son pied sur la première marche.

- Vraiment. Mais... Cette situation ne me convient pas.

Cette fois-ci, le cœur de Chan se figea dans sa poitrine comme s'il était mort. Comment ça ?

- Comment ça ? demanda à vois haute l'aîné, grimpant une autre marche, et là il vit Seungmin.

Ce dernier avait les bras enroulés autour de lui, les manches très longues de son large pull en laine grise, et la tête vers le sol. Etant donné que Chan était plus bas que lui à cet instant, il voyait presque parfaitement l'émotion qui figeait le visage de son vis à vis : la culpabilité. La peine, la douleur. Ces émotions montraient parfaitement ce que Seungmin voulait dire.

Ce que Chan se demandait maintenant, c'était...

- Pourquoi ?

Le garçon aux cheveux cramoisis désirait manifestement se séparer du blond. Du moins c'était ce qu'avait supposé ce dernier.

- Je... Les sentiments ne sont plus là, Chan. Je suis désolé. Sincèrement. Mais.. Je ne peux pas continuer ainsi.

Seungmin releva un peu la tête, les yeux brillants. Chan ne comprenait pas pourquoi il semblait être sur le point de pleurer. Ce n'était pas lui qui se faisait quitter, pourtant. Mais le vampire avait toujours eu une sensibilité extrême, due à sa lignée de sang pur. Et de fait, le jeune homme ressentait les émotions plus fortement que les autres. Les siennes. Mais aussi celles des autres.

Le visage que faisait Seungmin reflétait donc son propre visage intérieur ? Chan n'y croyait pas. Il n'était pas... Il n'était pas comme ça.

En cet instant même, il se sentait vide.

- Désolé, répéta encore une fois Seungmin avant d'essuyer son visage avec sa manche, et de se diriger assez rapidement vers la sortie.

Chan entendit la porte claquer comme si elle était sur un autre plan dimensionnel que lui.

Chan eut soudain les joues mouillées.

Bizarre.

Pourtant, il ne pleuvait pas.